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20/04/2022 | LUXEMBOURG | N°45436

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 avril 2022, 45436


Tribunal administratif N° 45436 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2020 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par la société anonyme A, …, contre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal, en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45436 du rôle et déposée le 24 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Dieter Grozinger De Rosnay

, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la socié...

Tribunal administratif N° 45436 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2020 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par la société anonyme A, …, contre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal, en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45436 du rôle et déposée le 24 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Dieter Grozinger De Rosnay, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation, subsidiairement à l’annulation 1) des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2013, 2014 et 2015, tous émis le 13 septembre 2017, et 2) de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 septembre 2020 prise sur réclamation ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2021 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique, erronément intitulé « mémoire en duplique », déposé au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2021 par Maître Dieter Grozinger De Rosnay, pour compte de la société A, préqualifiée ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia du 9 mars 2022 suivant laquelle celui-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence;

Vu la communication de Maître Dieter Grozinger De Rosnay du 15 mars 2022 suivant laquelle celui-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins et la décision critiqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 16 mars 2022.

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1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1Le 13 septembre 2017, le bureau d’imposition Sociétés 2 Luxembourg de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de la société anonyme A, ci-après désignée par « la société A », les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2013, 2014 et 2015, ci-après désignés par « les bulletins IRC », respectivement par « les bulletins ICC », lesdits bulletins précisant qu’à défaut de dépôt des déclarations fiscales afférentes, il avait été procédé par voie de taxation d’office, en vertu du paragraphe 217 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO ».

Par un courrier daté du 12 décembre 2017, la société A introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation contre ces bulletins, en annonçant que le dépôt des déclarations fiscales des années 2013, 2014 et 2015 serait effectué « dans les meilleurs délais » et en demandant de prendre en compte les déclarations à venir « ainsi que les pertes reportées indiquées fin 2011 », tout en précisant que son service comptable aurait « remis dans la hâte une déclaration à 0 » en ce qui concerne l’année 2012.

Il n’est pas contesté que le 27 juillet 2020, les bilans des exercices des années 2012, 2013 et 2014 ont été déposés au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg (RCS) et que les déclarations de l’impôt de ces mêmes années et de l’année 2015 ont été remises au bureau d’imposition, tandis que le bilan de l’exercice 2015 a été déposé un jour plus tard au RCS.

Par une décision du 28 septembre 2020, référencée sous le numéro C 24223, le directeur rejeta la réclamation introduite par la société A, ladite décision étant libellée comme suit :

« Vu la requête introduite le 12 décembre 2017 par le sieur Thomas Lines, agissant au nom de la société anonyme A, avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial communal des années 2013, 2014 et 2015, tous émis en date du 13 septembre 2017 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que si l'introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n'est incompatible, en l'espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d'examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu'il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu'il n'y a pas lieu de la refuser en la forme ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elles sont partant recevables ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition, d'une part, d'avoir établi les bases d'imposition des années 2013 à 2015 par voie de taxation, et d'autre part, de ne pas avoir déduit les pertes reportables subies jusqu'en 2011;

2Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;

qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé ;

qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;

En ce qui concerne les taxations d'office Considérant d'emblée, que la réclamante n'ayant réservé aucune suite aux divers rappels l'invitant au dépôt des déclarations pour l'impôt sur le revenu des collectivités et pour l'impôt commercial des années 2013, 2014 et 2015, notamment aux sommations d'astreintes et aux décisions liquidant les astreintes en question, le bureau d'imposition était fondé à procéder par voie de taxation conformément au § 217 AO ;

Considérant que « La taxation des revenus constitue ainsi le moyen qui doit permettre aux instances d'imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d'investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d'imposition, d'arriver néanmoins à la fixation de l'impôt » (cf. TA du 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2006, V° Impôts n° 340 et autres références y citées). « Elle consiste à déterminer et à utiliser une valeur probable ou approximative, afin d'aboutir à une évaluation de la base imposable, correspondant dans toute la mesure du possible à la réalité économique. Ce procédé comporte nécessairement une marge d'incertitude et d'inexactitude et la prise en compte pour l'administration fiscale d'une marge de sécurité est licite, dès lors qu'elle est faite avec mesure et modération » (cf. CA du 30 janvier 2001, n° 12311C du rôle, Pas.

adm. 2006, V° Impôts n° 341 et autres références y citées). « La taxation d'office ne constitue pas une mesure de sanction à l'égard du contribuable, mais un procédé de détermination des bases d'imposition compte tenu des éléments à disposition du bureau d'imposition, même applicable à l'égard des contribuables soigneux et diligents. » (cf. TA du 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm.

2006, V° Impôts n° 344) ;

Considérant que le § 217 AO constitue la base légale de la taxation, c'est-à-dire le moyen qui permet au bureau d'imposition qui a épuisé toutes les possibilités d'investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d'imposition, d'arriver néanmoins à la fixation de l'impôt, à laquelle les contribuables ne peuvent guère se soustraire (cf. Jean OLINGER, La procédure contentieuse en matière d'impôts directs, in études fiscales nos 81-85, novembre 1989, n° 190, page 117 et trib. adm. du 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Impôts, n° 272 et autre référence y citée) ;

Considérant que l'instruction du dossier a révélé que la manière de procéder à la taxation des revenus imposables par le bureau d'imposition ne donne pas lieu à critique ;

Considérant que dans sa requête introduite le 12 décembre 2017, la réclamante renseigne que « Les déclarations en souffrance vous parviendront dans les meilleurs délais. » ; qu'elle « remercie d'avance [Madame le Directeur] de prendre en compte nos déclarations à venir ainsi que les pertes reportées indiquées fin 2011. » ; qu'à ce jour, donc plus de deux années et demie après avoir contesté les bulletins d'impôt en question, force est de constater que la réclamante n'a toujours pas pallié ce vice en fournissant les déclarations pour l'impôt sur le revenu des collectivités et pour 3l'impôt commercial des années 2013, 2014 et 2015 ni envoyé un quelconque autre document renseignant ses revenus réalisés au cours des années litigieuses ;

Considérant que la réclamante est dès lors restée en défaut de prouver suffisamment l'écart significatif entre les revenus soumis à l'impôt fixé à travers les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial communal des années 2013, 2014 et 2015, établis par voie de taxation, et les revenus réels des années litigieuses par des pièces probantes ;

qu'en conséquence il y a lieu de confirmer les taxations effectuées en vertu du § 217 AO par le bureau d'imposition ;

Considérant qu’il est de jurisprudence constante que le contribuable ne doit s’imputer qu’à lui-même les conséquences éventuellement désavantageuses d’une taxation d’office, lorsque c’est par suite de son propre comportement fautif qu'il a été nécessaire de recourir à cette mesure (Tribunal administratif du 15 décembre 2003, n° rôle 16445 du rôle) ;

En ce qui concerne les pertes reportables Considérant que dans son placet, la réclamante invoque « que la taxation d'office à l'encontre de la société n'a pas tenu compte des pertes reportées qui s'élevaient à environ … € fin 2011 » ;

Considérant qu'il ressort du dossier fiscal que le bureau d'imposition a procédé à la taxation des revenus imposables des années litigieuses sans prendre en considération les pertes reportables des années antérieures ; que tant pour l'impôt commercial communal que pour l'impôt sur le revenu des collectivités, les pertes susceptibles de déduction sont pour les années litigieuses, celles survenues depuis l'année 2001 (pertes déclarées au titre des années 2001 à 2003 et 2005 à 2011) ;

Considérant qu'en matière d'impôt sur le revenu, le report de pertes subies antérieurement à l'exercice d'exploitation est réglé par les dispositions de l'article 114 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) tandis qu'en matière d'impôt commercial communal, la déduction de telles pertes du bénéfice de l'exercice est permise dans les conditions du § 9bis de la loi concernant l'impôt commercial communal (GewStG) ;

Considérant cependant qu'en vertu de l'article 114 L.I.R. et du § 9bis GewStG, la déductibilité des reports déficitaires est entre autres subordonnée à la condition que les exploitants ou autres personnes entrant en ligne de compte doivent avoir tenu une comptabilité régulière durant l'exercice d'exploitation au cours duquel la perte est survenue ;

Considérant qu'aux termes de l'article 114, alinéa 2, n° 2 L.I.R. « les exploitants ou autres personnes entrant en ligne de compte doivent avoir tenu une comptabilité régulière durant l'exercice d'exploitation au cours duquel la perte est survenue » ;

Considérant qu'il y a lieu de rappeler que la requérante a été soumise aux obligations de la tenue d'une comptabilité régulière selon un système de livres et de comptes conformément aux règles usuelles de la comptabilité en partie double au sens des articles 197 et 205 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, des articles 9 à 11 du Code de commerce et du § 160, alinéa 1er AO ;

Considérant que le § 162 AO détermine, entre autres, les conditions à respecter par les entreprises afin que leur comptabilité soit considérée comme tenue de manière régulière ; qu'à cet égard, l'alinéa 2 du § 162 AO dispose notamment ce qui suit : « Die Eintragungen in die Bücher 4sollen fortlaufend, vollständig und richtig bewirkt werden. » ; qu'il en découle que les factures émises et reçues doivent être comptabilisées sans retard, de manière fidèle, complète et continue ;

Considérant qu'une comptabilité régulière en la forme et au fond est la représentation des comptes d'une entreprise dans une stricte chronologie et d'après les faits réels ; qu'elle est censée avoir enregistré de manière claire, précise et ordonnée toutes les opérations de cette entreprise, qu'elle doit avoir pris en considération de façon exacte l'intégralité des faits comptables ;

Considérant que la comptabilité qui est régulière d'un point de vue formel bénéficie d'une présomption de régularité quant au fond au niveau de la déclaration d'impôt ; qu'à défaut de respecter des conditions de régularité formelles, la comptabilité perd sa force probante ;

Considérant qu'en l'espèce, la réclamante, en sa qualité de société de capitaux exerçant d'office et de par sa nature une activité commerciale, se trouve soumise aux obligations de tenue d'une comptabilité et plus particulièrement de l'article 11 du Code de commerce :

« Art. 11. Toute comptabilité est tenue selon un système de livres et de comptes conformément aux règles usuelles de la comptabilité en partie double.

Toutes les opérations sont inscrites sans retard, de manière fidèle et complète et par ordre de dates, soit dans un livre journal unique, soit dans un système de journaux spécialisés. Dans ce dernier cas, toutes les données inscrites dans les journaux spécialisés sont introduites, avec indication des différents comptes mis en mouvement, par voie de centralisation dans un livre de centralisateur unique. » ;

Considérant qu'il ressort du registre de commerce et des sociétés que par le passé tout comme actuellement la réclamante a publié et publie ses comptes annuels avec un retard chronique ; que les dates de dépôt y afférentes se présentent comme suit : […] que force est de constater que la réclamante a déposé régulièrement ses comptes annuels avec des retards importants ; qu'en analysant les dates de dépôt sus-énoncées il ressort indéniablement que les comptabilités ont même à deux reprises été confectionnées en bloc (cf.

années 2000 à 2004 et 2012 à 2015) de sorte qu'il ne saurait être question de comptabilité régulière en l'espèce ;

Considérant pour autant que de besoin, que l'instruction menée par la présente instance a encore révélé que les comptes annuels à partir de l'année 2016 n'ont, à ce jour, toujours pas été déposés au registre de commerce et des sociétés en violation des obligations légales des articles 72 et 75 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales et de l'article 75 de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises et modifiant certaines autres dispositions légales ;

Considérant que la réclamante reste en défaut d'établir qu'au courant des années 2001 à 2011 sa comptabilité aurait été régulièrement tenue, nonobstant le fait qu'elle a finalement publié ses comptes relatifs aux années précitées, de sorte qu'elle ne remplit pas la condition énoncée à l'article 114, alinéa 2, n° 2 L.I.R. et au § 9bis, alinéa 2 GewStG ;

5Considérant qu'en l'espèce, la condition de la tenue d'une comptabilité régulière n'est pas remplie durant les exercices 2001 à 2011 au cours desquels les pertes revendiquées sont survenues ; que la confection de la comptabilité de la réclamante ne respecte pas les exigences d'une comptabilité fidèle, complète et continue ; que c'est donc à juste titre que le bureau d'imposition a refusé de déduire les pertes reportables en question ;

Considérant qu'en ce qui concerne plus particulièrement l'année d'imposition 2012, il ressort de la présente requête que la réclamante s'exonère en indiquant que « mon service comptable a remis dans la hâte une déclaration à 0. Je ferai le nécessaire pour qu'une déclaration rectificative vous parvienne très rapidement. » ; qu'à l'instar des déclarations d'impôt afférentes aux années 2013, 2014 et 2015, cette promesse est encore une fois restée lettre morte ;

Considérant encore que la consultation des comptes annuels au 31 décembre 2012 publiés au registre de commerce et des sociétés a de quoi attiser la curiosité de la présente instance ; qu'il s'ensuit que la réclamante a comptabilisé un bénéfice commercial de … euros au titre de l'année 2012 ; qu'il est pour le moins étonnant que, d'un côté, un contribuable revendique la déduction de pertes reportables s'élevant « à environ … € fin 2011 », alors que de l'autre côté, il reste tout à fait muet au sujet d'un important bénéfice commercial afférent à l'année 2012;

Considérant que le constat inéluctable dans la présente affaire se traduit en ce sens que les affirmations non respectées par la réclamante sont de nature à enlever aux quelques données soumises par elle leur caractère fiable et crédible de sorte que la conviction du directeur statuant au contentieux ne se trouve pas emportée ;

Considérant, en guise de conclusion et compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances précédents, que c'est à juste titre, d'une part, que le bureau d'imposition a procédé à la taxation des bénéfices commerciaux des années litigieuses, et d'autre part, qu'il a refusé de déduire les pertes reportables des années 2001 à 2003, ainsi que celles des années 2004 à 2011 ; qu'il y a dès lors lieu de confirmer les impositions pour les années 2013, 2014 et 2015 telles qu'effectuées par le bureau d'imposition ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les dit non fondées ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2020, la société A a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, subsidiairement à l’annulation 1) des bulletins IRC et des bulletins ICC des années 2013, 2014 et 2015 et 2) de la décision du directeur du 28 septembre 2020, précitée.

Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le 6tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt.

En vertu de l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi du 7 novembre 1996, un bulletin d’impôt peut uniquement être directement déféré au tribunal administratif lorsqu’une réclamation au sens du paragraphe 228 AO ou une demande en application du paragraphe 131 AO a été introduite et qu’aucune décision directoriale définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande. Par contre, lorsque le directeur a statué sur la réclamation par une décision définitive, le recours est irrecevable pour autant qu’introduit directement contre ledit bulletin2.

Dans la mesure où, en l’espèce, le directeur a pris position suite à la réclamation introduite en l’espèce, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité des recours en réformation sinon en annulation pour autant qu’ils sont dirigés directement contre les bulletins IRC et les bulletins ICC.

En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du directeur du 28 septembre 2020, ledit recours étant par ailleurs à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours, la demanderesse reproche en substance à l’administration des Contributions directes de ne pas avoir tenu compte, dans le cadre de la taxation d’office des années 1013, 2014 et 2015, de ses déclarations de l’impôt et plus particulièrement de ne pas avoir pris en compte les pertes reportables survenues au cours des années 2000 à 2011, alors que pourtant l’administration aurait pris en compte les mêmes pertes au niveau de l’imposition des années 2011 et 2012.

Comme le bureau d’imposition aurait pris en compte les pertes reportées à travers les bulletins d’imposition pour l’année 2011, ces pertes auraient nécessairement été à la connaissance de l’administration à ce moment-là et devraient partant être prises en compte sur base du paragraphe 217 AO.

En tout cas, l’administration aurait disposé de ses comptes annuels pour les années litigieuses de 2013, 2014 et 2015 depuis le 27, respectivement le 28 juillet 2020.

En ce qui concerne le détail des pertes reportées dont fait état la demanderesse, celle-ci expose que l’imposition de l’année 2011 tiendrait compte d’une perte d'un montant de … euros survenue au cours de l'année 2011.

2 trib. adm. 6 janvier 1999, n° 10357 et n° 10844 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1197 et les autres références y citées.

7Les bulletins d’imposition émis en date du 13 août 2020 au titre de l'année 2012 constateraient la réalisation d’un bénéfice dans son chef d’un montant de … euros, dont un montant de … euros aurait été déduit au titre de pertes reportables des années précédentes, de sorte que le montant des pertes reportables sur l’année 2013 devrait s’élever au montant de … euros.

Son bénéfice de l’année 2013 étant de … euros, le montant des pertes reportables sur l’année 2014 serait alors de … euros.

Son bénéfice pour l'année 2014 étant à son tour de … euros, les pertes reportables sur l’année 2015 seraient alors de … euros. Au titre de l’année 2015, elle aurait accusé une perte d’un montant de … euros.

La demanderesse donne encore à considérer que les bulletins de l’impôt émis le 28 octobre 2020 pour les années 2016 à 2019 retiendraient par ailleurs une perte survenue lors de l'année 2015 pour le montant de … euro, la demanderesse précisant qu’elle entendrait introduire une réclamation auprès du directeur contre les bulletins de l’impôt des années 2016 à 2019 en ce qu’ils omettraient de tenir compte des pertes survenues au cours de l’année 2011 d’un montant de … euros, alors qu’ils prendraient au contraire en compte les pertes reportables survenues au cours des années 2000 à 2010, ainsi qu’au cours de l’année 2015.

La demanderesse reprend ensuite en détail le montant des pertes reportables et bénéfices tels qu’ils ont été retenus par le bureau d’imposition et tels qu’ils ont été déclarés par elle.

La demanderesse est d’avis qu’en application de l’article 114 la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », et du paragraphe 9 de la loi du 1er décembre 1936 concernant l'impôt commercial communal (GewStG), les pertes subies jusqu’en 2011 devraient pouvoir être reportées sur les années suivantes, y compris sur les années actuellement litigieuses.

Face aux reproches du directeur quant à la régularité de sa comptabilité, la demanderesse donne à considérer que les pertes reportables litigieuses, non acceptées par le bureau d’imposition, seraient survenues au cours des années 2000 à 2011 et qu’au moment de l’établissement des bulletins de taxation d’office litigieux, l’administration aurait disposé de l’intégralité de ses déclarations fiscales visant ces années en question.

S’y ajouterait que le bureau d’imposition aurait émis le 13 août 2020 les bulletins d’imposition pour l’année 2012 prenant justement en compte les pertes reportables survenues au cours des années 2000 à 2011, ce dont la demanderesse déduit qu’elle aurait fourni la preuve qu’elle aurait tenu sa comptabilité de façon régulière pour les exercices en question.

Elle reproche ainsi une incohérence à l’administration en acceptant la déduction de ces pertes plus particulièrement au titre de l’année 2012, alors qu’au titre des années 2013, 2014 et 2015, elle aurait dénié à sa comptabilité toute force probante en raison de son dépôt tardif.

Pour le surplus, la demanderesse réitère ses critiques en ce qui concerne les bulletins d’imposition émis le 28 octobre 2020 au sujet des années 2016 à 2019, qui omettraient de prendre en compte les pertes survenues au cours de l’année 2011 quand bien même les bulletins émis le 13 août 2020 et portant sur l’année 2012, les prendraient en compte. Cette omission 8témoignerait encore d’un « manque patent de rigueur » de l’administration dans la gestion de son dossier fiscal. Au-delà de ce constat, la demanderesse donne encore à considérer qu’en prenant en compte la perte survenue lors de l’année 2015 et déclarée le 28 juillet 2020 dans les bulletins émis le 28 octobre 2020, l’administration aurait encore consenti d’accorder à sa comptabilité toute sa force probante.

En guise de conclusion, la demanderesse demande la réformation de la décision directoriale de manière à tenir compte de ses déclarations de l’impôt et à retenir, pour l’année 2013 des pertes reportables de … euros et un bénéfice de … euros, pour l’année 2014 des pertes reportables de … euros et un bénéfice de … euros, et pour l’année 2015 des pertes reportables de … euros et une perte de … euros, au lieu des taxations opérées et n’ayant retenu aucune perte reportée et ayant retenu un bénéfice de … euros pour 2013, de … euros pour 2014 et … euros pour 2015.

Dans sa réponse, l’Etat insiste sur la considération que la demanderesse aurait de façon systématique déposé ses comptes annuels avec des années de retard, ce dont il déduit une absence de comptabilité régulière pour les exercices antérieurs, de sorte que les pertes réalisées ne qualifieraient pas de « pertes reportables ».

Le délégué conclut encore au caractère justifié de la taxation opérée par le bureau d’imposition conformément au paragraphe 217 AO à défaut par la demanderesse d’avoir réservé une suite aux divers rappels l’invitant au dépôt des déclarations fiscales des années 2012 et 2013, ainsi qu’au dépôt de la déclaration de la fortune au 1er janvier 2013.

Pour ce qui est de l’impôt sur le revenu des collectivités, le délégué du gouvernement se prévaut de l’article 114 LIR ainsi que pour ce qui est de l’impôt commercial communal du paragraphe 9bis GewStG et souligne que la déductibilité des pertes reportables serait subordonnée à la tenue d’une comptabilité régulière durant l’exercice d’exploitation au cours duquel la perte est survenue, tout en renvoyant aux dispositions des articles 197 et 205 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, des articles 9 à 11 du Code de commerce et des paragraphes 160 et suivants AO, soumettant les sociétés à l’obligation de la tenue d’une comptabilité régulière selon un système de livre et de comptes usuels ainsi que d’une comptabilité en double partie, ce qui impliquerait plus particulièrement que les factures émises et reçues devraient être comptabilisées sans retard, de manière fidèle, complète et continue dans une stricte chronologie et d’après les faits réels, l’entreprise étant obligée d’enregistrer de manière claire, précise et ordonnée toutes ses opérations et de prendre en considération de façon exacte l’intégralité des faits comptables.

A défaut de respecter ces conditions de régularité formelles, la comptabilité perdrait sa force probante et ne bénéficierait plus de la présomption de véracité.

En l’espèce, la demanderesse, bien que soumise à ces obligations, aurait publié ses comptes annuels avec un retard manifeste. Ainsi, les comptabilités auraient, à deux reprises, été confectionnées en bloc, en l’occurrence pour les années 2000 à 2004 et 2012 à 2015, de sorte qu’il ne saurait être question de comptabilité régulière en l’espèce. Plus particulièrement, la condition de la tenue d’une comptabilité régulière ne serait pas respectée durant les exercices 2001 à 2011 au cours desquels les pertes revendiquées seraient survenues. Le bureau d’imposition et par suite le directeur, auraient dès lors refusé à juste titre de déduire les pertes reportables en question.

9Il s’ensuivrait qu’à défaut d’établir, pour les années 2001 à 2011, la tenue d’une comptabilité régulière, la demanderesse ne pourrait bénéficier des dispositions de l’article 114 LIR et du paragraphe 9bis (2) GewStG.

L’Etat renvoie encore à la formulation employée par la demanderesse dans sa réclamation, suivant laquelle son service comptable aurait « remis dans la hâte une déclaration à 0 » pour l’année 2012 et suivant laquelle une déclaration rectificative parviendrait au bureau d’imposition très rapidement. Cette formulation serait reprochable dans la mesure où (i) elle témoignerait d’une potentielle fausse déclaration susceptible d’avoir des conséquences fiscales, (ii) la demanderesse s’octroierait unilatéralement une prolongation du délai de dépôt de sa déclaration, déjà en retard, (iii) le fait qu’en 2017, la demanderesse ne disposait pas encore d’une comptabilité claire, précise, chiffrée attesterait d’un non-respect de l’obligation d’une comptabilité régulière en la forme et (vi) le fait que les déclarations des années 2013 à 2015 ont été déposés en 2020, corroborerait encore davantage l’assertion d’un manque patent de la tenue d'une comptabilité régulière.

Il serait encore curieux que la demanderesse ait comptabilisé un bénéfice commercial de … euros au titre de l’année 2012, alors qu’elle revendique la déduction de pertes reportables s’élevant à … euros fin 2011 et resterait tout à fait muette au sujet d’un important bénéfice commercial afférent à l’année 2012.

Le directeur aurait ainsi à bon droit retenu que les affirmations non respectées par la demanderesse sont de nature à enlever aux quelques données soumises par elle leur caractère fiable et crédible.

Enfin, l’Etat conteste l’indemnité de procédure de l’ordre de 3.800 euros réclamée par la demanderesse.

Dans sa réplique, erronément intitulée « mémoire en duplique », la demanderesse réitère en substance les contestations telles que développées dans sa requête introductive d’instance, tout en reprochant en l’occurrence à l’administration de revenir de manière arbitraire sur le caractère déductible des pertes reportables, bien qu’elle ait consacré à différentes reprises tant l’existence que le caractère déductible des pertes reportables survenues au cours des années 2000 à 2010, et qu’elle ait accepté la déductibilité des pertes reportables survenues au cours de l’année 2011. En ce faisant, l’administration aurait non seulement violé la loi, mais encore les principes de sécurité juridique et de bonne administration Analyse du tribunal En l’espèce, il n’est pas contesté que la société demanderesse n’avait pas remis au bureau d’imposition ses déclarations de l’impôt des années 2013, 2014 et 2015, litigieuses en l’espèce, avant l’émission des bulletins visant ces années en date du 13 septembre 2017, ni n’avait-elle déposé ses comptes annuels afférents à cette date au RCS.

A défaut de déclaration de l’impôt, aucun reproche ne saurait ainsi être adressé au bureau d’imposition pour avoir procédé à la taxation d’office, la demanderesse ne contestant d’ailleurs pas non plus le principe même de l’application faite par le bureau d’imposition du paragraphe 217 AO, en vertu duquel « (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschließlich solcher Besteuerungsgrundlagen, für die eine gesonderte Feststellung nicht 10vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.

(2) Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das Gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ».

A cet égard et quant aux principes régissant la taxation d’office, il convient de relever que conformément à sa dénomination allemande (« Schätzung »), la taxation d’office consiste « à déterminer et à utiliser une valeur probable et (ou) approximative, lorsque la détermination de la valeur réelle et exacte n’est pas possible »3. Ce procédé comporte nécessairement et par définition une marge d’incertitude et d’inexactitude, tandis que la prise en compte pour l’administration d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération. Il est ainsi vrai que le principe d’ordre public de la détermination exacte des bases d’imposition oblige les autorités fiscales à mettre tout en œuvre pour arriver à une imposition sur des bases qui correspondent le plus exactement possible à la réalité. Cependant, le paragraphe 217 AO permet au bureau d’imposition de recourir à une estimation des bases d’imposition notamment dans l’hypothèse où il a dû constater le caractère incomplet ou irrégulier de la comptabilité lui présentée par le contribuable4, respectivement lorsque le contribuable, malgré rappels et moyens de contrainte restés infructueux, se soustrait à son obligation de collaboration en omettant soit de remettre une déclaration d'impôt5, soit même en cas de remise d’une déclaration s’il n’a pas élucidé convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition6, mettant ainsi le bureau d'imposition dans l’impossibilité de déterminer de manière exacte le revenu imposable. Dans ce cas, il est censé se contenter de cette approximation, qu’elle opère en sa faveur ou en sa défaveur, et il ne saurait utilement réclamer devant le directeur contre un bulletin d'impôt établi par voie de taxation au seul motif que la cote d'impôt fixée ne correspond pas exactement à sa situation réelle. Il ne saurait dans une telle hypothèse prospérer dans sa réclamation que s’il rapporte la preuve que ses revenus s’écartent de manière significative des bases d’imposition fixées par le bulletin d’impôt7, étant relevé que dans le cadre de la preuve à rapporter ainsi, ses déclarations ne bénéficient cependant d’aucune présomption de véracité8.

Dans ce contexte, la Cour administrative a toutefois eu l’occasion de retenir que si la réclamation s’appuie sur une comptabilité irrégulière ne pouvant pas bénéficier de la présomption de régularité, cette comptabilité n’est pas dépourvue de toute valeur probante dans la mesure où de tels documents sont néanmoins à prendre en considération en tant que pièces susceptibles de prouver les prétentions du contribuable auxquelles l’administration des Contributions directes et à sa suite le juge administratif accordent le crédit qu’ils jugent nécessaire dans le cadre de leur pouvoir de libre appréciation des preuves leur présentées par 3 J. Olinger, « La procédure contentieuse en matière d’impôts directs », Etudes fiscales, n° 31 à85, p 117, n° 190.

4 Rappelé dans un arrêt de la Cour adm. du 15 janvier 2019, n° 41547C du rôle.

5 Cour adm. 19 février 2009, n° 24907C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 914 et les autres références y citées.

6 Trib. adm. 12 janvier 2009, n° 24135 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 910 et les autres références y citées.

7 Trib adm. 19 avril 2010, n° 26049 du rôle, confirmé par Cour adm. 18 janvier 2011, n° 26959C du rôle, Pas.

adm. 2021, V° Impôts, n° 912 et les autres références y citées.

8 Cour adm. 19 février 2009, n° 24907C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 914 et les autres références y citées.

11le contribuable à l’appui de ses critiques dirigées contre la hauteur des bases d’imposition fixées par voie de taxation par le bureau d'imposition9.

En l’espèce, il n’est pas contesté que même au moment de l’introduction de sa réclamation en date du 12 décembre 2017, la demanderesse n’avait toujours pas soumis à l’administration les déclarations de l’impôt des années 2013 à 2015 ni les bilans afférents. Elle est au contraire en aveu que ses bilans des années litigieuses n’étaient à cette date même pas encore confectionnés, la demanderesse expliquant qu’elle aurait été en train de finaliser les comptes annuels en souffrance pour les trois années litigieuses, qui seraient disponibles au plus tard pour le 15 janvier 2018. Par ailleurs, elle indique dans la même réclamation qu’une déclaration pour l’année 2012 aurait certes été déposée, mais qualifiant celle-ci en substance de provisoire puisqu’elle indique avoir remis « dans la hâte » une déclaration « à 0 » tout en annonçant d’ores et déjà une déclaration rectificative.

Toujours est-il qu’au moment où le directeur a pris sa décision, à savoir le 28 septembre 2020, la demanderesse avait remis au bureau d’imposition ses déclarations de l’impôt visant les années litigieuses et avait déposé les bilans afférents au RCS, ces dépôts ayant en l’occurrence été faits les 27 et 28 juillet 2020. A cet égard, le tribunal relève que s’il est vrai que ces déclarations ont été adressées, suivant les explications du délégué du gouvernement, au bureau d’imposition et non pas au directeur, qui à ce moment était toujours saisi de la réclamation, il n’en reste pas moins qu’en vertu du principe de l’unicité de l’administration, le directeur n’a pas pu les ignorer au moment où il a pris sa décision en date du 28 septembre 2020, étant relevé qu’il mentionne d’ailleurs le dépôt tardif des bilans des années 2013 à 2015 dans sa décision.

Il convient toutefois encore d’analyser, de manière générale, quel est le crédit que le directeur aurait dû accorder aux pièces et déclarations à sa disposition. De manière plus particulière, il convient également de se pencher sur la question de savoir si la demanderesse répond aux conditions de déductibilité des pertes reportées survenues au courant des années 2000, voire 2001 et suivantes, que le directeur a refusé de prendre en compte au motif que les conditions de l’article 114 LIR n’étaient pas remplies à défaut de comptabilité régulière.

En effet, au-delà de la demande de prise en compte de ses revenus réels, à savoir les bénéfices dont elle fait état dans ses déclarations qui sont inférieurs à ceux retenus par le bureau d’imposition par voie de taxation d’office, la demanderesse critique le refus de prise en compte de pertes reportées, soulevant ainsi la question de la déductibilité - et par suite aussi celle de la réalité - des pertes reportées des années ayant précédé les années d’imposition litigieuses, étant relevé que suivant les explications de la demanderesse, les pertes reportées en cause sont celles antérieurement à l’année 2012.

En ce qui concerne de prime abord le refus de tenir compte des pertes reportées litigieuses au titre des années d’imposition 2013, 2014 et 2015, celui-ci repose exclusivement sur le constat qu’en raison du dépôt tardif systématique des bilans au RCS, la comptabilité de la demanderesse au titre des années 2001 à 2011 ne bénéficierait pas de la présomption de véracité et qu’à défaut de régularité de cette comptabilité, les conditions de déductibilité des pertes reportées au sens de l’article 114 LIR ne seraient pas remplies.

9 Cour adm. 22 décembre 2016, n° 37950C du rôle, disponible sous ja.etat.lu.

12Le tribunal retient de prime abord que son analyse est limitée aux années d’imposition 2013, 2014 et 2015, mais ne saurait porter sur l’imposition des années ultérieures que la demanderesse semble critiquer aussi de façon incidente.

En ce qui concerne le principe de la déductibilité des pertes antérieures, il convient de se référer à l’article 109, paragraphe (1), point 4 LIR, qui dispose que :

« Sont déductibles du total des revenus nets, dans la mesure où elles ne sont à considérer ni comme dépenses d’exploitation ni comme frais d’obtention, les charges et dépenses suivantes, qualifiées de dépenses spéciales:

[…] les pertes antérieures reportées pour autant qu’elles répondent aux conditions fixées à l’article 114 ».

Les conditions dans lesquelles les pertes accusées durant un exercice fiscal peuvent être reportées sont ainsi énoncées à l’article 114 LIR, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu des collectivités, aux termes duquel, le contribuable peut « déduire à titre de dépenses spéciales, les pertes survenues au cours des exercices d’exploitation clôturés après le 31 décembre 1990 dans son entreprise commerciale (…) », cette déduction étant soumise suivant l’alinéa (2) de l’article 114 LIR notamment à la condition que « les exploitants ou autres personnes entrant en ligne de compte doivent avoir tenu une comptabilité régulière durant l’exercice d’exploitation au cours duquel la perte est survenue ».

Le paragraphe 9bis GewStG, disposant que « le bénéfice d’exploitation est réduit à concurrence des pertes qui ont été constatées lors du calcul du résultat d’exploitation en 1991 et des exercices suivants par application des dispositions des paragraphes 7 à 9 de la loi.

N’entrent en ligne de compte que les pertes qui n’ont pas été déduites du bénéfice d’exploitation. L’exploitant doit avoir tenu une comptabilité régulière durant l’exercice d’exploitation au cours duquel la perte est survenue », comporte également en matière d’impôt commercial communal la même condition de la tenue d’une comptabilité régulière durant l’exercice ayant donné lieu à la perte en question.

Il découle du libellé de cette disposition que le législateur a entendu ériger l’exigence de la présentation d’une comptabilité régulière pour l’exercice de survenance de la perte à reporter en une condition tant de forme, relative à une certaine présentation des comptes de l’entreprise ou de l’exploitation, que de fond, relative à la prise en compte de tous les éléments patrimoniaux et flux en relation avec l’entreprise ou l’exploitation, et qu’il était dans son intention de réserver le report en avant de pertes aux contribuables qui se plieront à cette exigence de preuve de la réalité de la perte, l’exigence d’une comptabilité régulière étant justifiée par les travaux parlementaires de la LIR comme étant une « mesure de simple prudence du fisc qui n’accorde des allégements qu’aux contribuables qui peuvent fournir la preuve de leur droit, cette preuve se dégageant de comptes réguliers »10.

Dès lors, une perte subie par un contribuable et non compensée par d’autres revenus nets positifs de la même année d’imposition ne peut faire l’objet d’un report sur le revenu imposable d’une année d’imposition subséquente au titre de dépense spéciale que si le 10 Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 571-4, ad art. 127, p. 350.

13contribuable a tenu, durant l’année d’imposition au cours de laquelle la perte est survenue, une comptabilité régulière11.

En ce qui concerne ensuite la question du caractère régulier d’une comptabilité, le paragraphe 208 (1) AO, en disposant que « Bücher und Aufzeichnungen, die den Vorschriften des § 162 entsprechen, haben die Vermutung ordnungsmäßiger Führung für sich und sind, wenn nach den Umständen des Falls kein Anlass ist, ihre sachliche Richtigkeit zu beanstanden, der Besteuerung zugrunde zu legen », instaure en faveur d’une comptabilité tenue conformément aux principes énoncés au paragraphe 162 AO une présomption de véracité en cas d’absence de raison permettant de contester sa régularité au fond.

Le paragraphe 162 AO comporte dans ses alinéas (2) à (7) des prescriptions de base quant au caractère régulier d’une comptabilité. En l’occurrence, cette disposition consacre le principe de la comptabilisation continue qui implique la comptabilisation chronologique des opérations et ce dans un délai rapproché après leur survenance, ainsi que le principe de vérité qui impose l’enregistrement de toutes les opérations et leur enregistrement correct.

L’article 11 du Code de commerce requiert que « Toute comptabilité est tenue selon un système de livres et de comptes conformément aux règles usuelles de la comptabilité en partie double » et que « Toutes les opérations sont inscrites sans retard, de manière fidèle et complète et par ordre de dates, soit dans un livre journal unique, soit dans un système de journaux spécialisés. Dans ce dernier cas, toutes les données inscrites dans les journaux spécialisés sont introduites, avec indication des différents comptes mis en mouvement, par voie de centralisation dans un livre de centralisateur unique. ».

La comptabilité qui a été établie dans l’entier respect de ces règles peut partant bénéficier de cette présomption et cela alors même qu’elle a été présentée par le contribuable non pas au premier stade de procédure, mais à l’appui de sa réclamation contre une imposition effectuée par la voie de la taxation de revenus dans la mesure où il convient de distinguer entre la confection et la présentation d’une comptabilité et où ce sont essentiellement les conditions dans lesquelles elle a été confectionnée qui sont pertinentes pour vérifier le respect des règles du paragraphe 162 AO12.

C’est dans cette logique suivant laquelle la présentation des comptes annuels n’est pas érigée par le paragraphe 162 AO en condition dirimante pour l’admission de la régularité formelle que la Cour administrative a eu l’occasion de retenir que le respect du délai légal pour le dépôt des comptes annuels au RCS, prévu par l’article 75 de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises et modifiant certaines autres dispositions légales, ci-après désignée par « la loi du 19 décembre 2002 », ne peut pas non plus être qualifié de condition pour la reconnaissance de la régularité formelle d’une comptabilité, et qu’en conséquence une comptabilité ne pouvait pas se voir dénier son caractère régulier au seul motif plus particulièrement que le délai légal pour le dépôt des comptes au RCS n’a pas été respecté13.

11 En ce sens Cour adm. 8 janvier 2009, n° 24702C du rôle, disponible sous ja.etat.lu.

12 Cour adm. 22 décembre 2016, n° 37950C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 895, rappelé par un arrêt du 27 juin 2019, n° 42059C du rôle.

13 Cour adm. 29 août 2018, n° 40097C du rôle, Pas. adm 2021, V° Impôts, n° 892.

14Dans ce même contexte, la Cour administrative a encore retenu que la question de l’incidence sur la régularité formelle du délai dans lequel les comptes annuels ont été dressés par rapport aux opérations de l’activité de l’appelante à leur base doit plutôt être examinée sur base du paragraphe 162 AO, précité, consacrant le principe de la comptabilisation continue, dont le respect doit, suivant les enseignements de la Cour administrative, être apprécié en fonction de l’objet social et des activités de la société concernée et tenir compte du nombre et de la complexité des transactions à inscrire, de sorte que l’exigence d’une comptabilisation des opérations dans un délai rapproché après leur survenance doit être appliquée avec une rigueur différente à une société dont l’activité implique une partie substantielle des recettes en des paiements en numéraire par rapport à une société dont l’objet social et l’activité consistent en la prise et la gestion de participations et le financement intragroupe, de sorte à impliquer que ses comptes sociaux ne doivent refléter qu’un nombre limité de transactions et mouvements comptables14.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la demanderesse est soumise à l’obligation de tenue d’une comptabilité régulière.

Il se dégage des explications non contestées de la partie étatique et tel que cela ressort du tableau repris dans la décision directoriale critiquée que de façon régulière, la demanderesse n’a pas déposé en temps utile ses bilans, mais au contraire les a déposés au RCS à diverses reprises en bloc pour plusieurs exercices, à savoir les exercices 2000 à 2004 (dépôt le 4 février 2005), les exercices 2005 et 2006 (dépôt le 31 juillet 2008) et les exercices 2012 à 2015 (dépôt en juillet 2020). Au-delà du constat d’un dépôt tardif des bilans au RCS, le tribunal relève que la demanderesse n’a par ailleurs fourni aucune explication quant à l’établissement proprement dit de sa comptabilité à partir des années 2000. En tout cas, il n’est pas contesté que la confection des bilans, pour le moins en ce qui concerne les années 2012 à 2015, a été faite avec retard, tel que cela ressort de la réclamation du 12 décembre 2017, dans laquelle la demanderesse reconnaît ne pas encore avoir confectionné à ce moment-là les bilans des années en question, annonçant, d’une part, une déclaration rectificative pour l’année 2012 au motif que celle déposée, provisoire, aurait été établie à la hâte avec un revenu zéro, et promettant, d’autre part, le dépôt des déclarations dans les meilleurs délais, étant relevé que les déclarations des années 2012, 2013, 2014 et 2015 ne sont finalement parvenues au bureau d’imposition et que les bilans afférents n’ont été déposés au RCS qu’en juillet 2020.

Par ailleurs, la demanderesse n’a fourni aucune explication permettant de nuancer en l’espèce, au regard de la jurisprudence précitée de la Cour administrative, le délai endéans lequel des opérations étaient à comptabiliser en fonction de son activité, ni n’a-t-elle fourni des explications quant aux raisons concrètes l’ayant empêché de déposer ses bilans en temps utile au RCS.

S’il est ainsi vrai que la jurisprudence précitée retient que le seul dépôt tardif des comptes au RCS n’implique pas le constat d’une irrégularité formelle de la comptabilité, le constat s’impose que la demanderesse n’a fourni aucune explication quant aux modalités concrètes de la tenue de sa comptabilité qui permettrait de retenir que malgré le dépôt tardif des comptes des années par rapport auxquelles elle entend faire état de pertes reportées, sa comptabilité a été tenue de façon régulière, notamment quant à l’exigence d’une comptabilisation des opérations dans un délai rapproché après leur survenance.

14 idem 15Le constat s’impose dès lors que la façon de précéder adoptée par la demanderesse ne correspond a priori pas aux exigences de tenue régulière d’une comptabilité et plus particulièrement celle de la comptabilisation chronologique des opérations et ce dans un délai rapproché après leur survenance.

Le tribunal retient toutefois encore que la situation est particulière en l’espèce, dans la mesure où bien que le directeur, confirmant en cela le bureau d’imposition, n’ait pas accordé crédit aux bilans de la demanderesse au titre de l’imposition des années 2013 à 2015, qui de façon non contestée reprennent les pertes reportables des années 2000 et suivantes litigieuses en l’espèce, et ait dénié l’admissibilité des pertes reportées survenues au courant des années 2000 et suivantes en tant que dépenses spéciales au motif que la comptabilité des années afférentes n’aurait pas été tenue de façon régulière, de sorte que les conditions de l’article 114 LIR ne seraient pas remplies, il n’est pas contesté que le bureau d’imposition a néanmoins accepté la déductibilité des pertes reportées des années 2000 et suivantes au niveau de l’imposition des années 2011, 2012 et 2016 à 2019, de manière qu’il convient d’en déduire que celui-ci a considéré la comptabilité des années afférentes comme répondant aux conditions posées par l’article 114, paragraphe (1), point 4 LIR tenant à la tenue d’une comptabilité régulière tant quant à la forme que quant au fond.

En effet, les bulletins IRC et ICC visant l’année 2011, émis le 24 avril 2014, prennent en compte les pertes reportées se dégageant des bilans des années 2000 à 2010. De même, les bulletins IRC et ICC de l’année 2012, émis le 13 août 2020, soit environ un mois avant la prise de la décision directoriale déférée, reprennent les pertes reportées des années 2000 à 2011, d’un montant total de … euros, face à un bénéfice commercial de … euros. Pareillement, les bulletins IRC et ICC des années 2016 à 2019, émis le 28 octobre 2020 (soit postérieurement à la prise de la décision directoriale déférée) reprennent notamment les pertes reportées survenues au cours des années 2005 à 2010, certes en revenant sur la prise en compte de la perte survenue au courant de l’année 2011 telle que déclarée par la demanderesse.

Sur base de ce constat, le tribunal est amené à rejoindre la partie demanderesse en sa conclusion que l’administration, en ce faisant, a nécessairement reconnu la régularité tant formelle que quant au fond aux comptes afférents en ce qui concerne les exercices 2000 à 2011 – qui correspondent aux exercices au cours desquels les pertes reportées litigieuses en l’espèce sont survenues, la demanderesse déclarant avoir réalisé un bénéfice au courant des années 2012, 2013 et 2014 -, de sorte qu’elle n’est pas admise, au risque de se contredire et d’adopter une attitude non conforme au principe de cohérence et de bonne administration, de refuser la déductibilité des pertes reportées litigieuses au seul titre des années 2013 à 2015 au motif d’une comptabilité irrégulière pour les années 2000 à 2011 au cours desquelles les pertes sont survenues, alors qu’elle a pourtant admis la régularité de la comptabilité visant ces mêmes années au titre de l’imposition des exercices 2011, 2012 et 2016 à 2019.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que si la demanderesse avait fait état uniquement de pertes reportées survenues à partir de l’année 2012, l’administration aurait pu refuser leur déductibilité au motif que les conditions de l’article 114 LIR ne sont pas remplies, la demanderesse n’ayant pas rapporté la preuve de la tenue d’une comptabilité régulière pour ces exercices - condition à laquelle leur déductibilité est toutefois soumise au vœu de l’article 114 LIR, précité -, cette même conclusion ne saurait, au regard de ce que le tribunal vient de retenir, été retenue pour ce qui est des pertes reportées litigieuses en l’espèce, qui sont justement survenues au courant des années 2000 à 2011. Ainsi, au regard de l’acceptation des comptes jusqu’à l’exercice 2011 compris par le bureau d’imposition, la 16déductibilité des pertes survenues au cours de ces exercices et reportées ne sauraient être déniée au seul motif du dépôt tardif des comptes au RCS et de la déclaration tardive des revenus afférents, de sorte que c’est à tort que le directeur a retenu que les conditions de l’article 114 LIR n’étaient pas remplies en ce qui concerne les pertes reportées litigieuses.

S’agissant ensuite de manière plus générale de la taxation d’office opérée pour les années 2013 à 2015 par le bureau d’imposition et confirmée par le directeur - la demanderesse ne remettant en effet pas seulement en question le refus de tenir compte des pertes reportées des années antérieures à l’année 2012, mais critiquant aussi le quantum des revenus tels que retenus par le bureau d’imposition pour les années 2013 à 2015 - le tribunal constate que le directeur, au moment où il a pris sa décision, était dans la situation où les déclarations de l’impôt visant les années litigieuses 2013 à 2015 ainsi que les bilans afférents étaient remis, certes avec retard, au bureau d’imposition. Comme (i) le directeur a l’obligation de procéder à un réexamen du dossier, le paragraphe 243 (1) AO lui attribuant la mission d’instruire d’office le cas d’imposition lui soumis et la situation factuelle à sa base, le paragraphe 244 AO lui conférant à cet effet les mêmes pouvoirs que les bureaux d'imposition pour la fixation de la cote d’impôt ou des bases d’imposition, le paragraphe 217 AO obligeant l’administration à prendre en compte les « Umstände […] die für die Schätzung von Bedeutung sind », de sorte que lorsqu’il est saisi d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt établi par voie de taxation, le directeur ne saurait refuser de plano un examen de la situation patrimoniale effective du contribuable toutes les fois que le contribuable lui rend l’exercice de son pouvoir fiscal d’imposition possible en lui présentant des données chiffrées, ensemble les preuves suffisantes à l’appui, relatives à l’ensemble des bases d’imposition pour la ou les années d’imposition en question15 - le procédé de la taxation d’office n’étant, en effet, pas un instrument destiné à sanctionner un contribuable récalcitrant et peu respectueux de ses obligations, mais un procédé autorisant le bureau d’imposition à estimer les revenus imposables à défaut de disposer d’autres éléments, cette estimation devant toutefois être aussi proche que possible des revenus réels -, et (ii), tel que retenu ci-avant, même une comptabilité irrégulière ne pouvant pas bénéficier de la présomption de régularité n’est pas dépourvue de toute valeur probante dans la mesure où de tels documents sont néanmoins à prendre en considération en tant que pièces susceptibles de prouver les prétentions du contribuable, le tribunal est amené à retenir qu’en l’espèce, le directeur n’était pas autorisé à refuser de plano de prendre en compte les comptes annuels et déclarations que la demanderesse avait soumis, certes avec retard, au bureau d’imposition au titre des années d’imposition 2013 à 2015 litigieuses, mais il lui aurait incombé d’examiner les déclarations fiscales ainsi remises et lesdits comptes annuels afin de vérifier si ces derniers ne présentaient pas des lacunes ou des incohérences permettant de contester leur régularité au fond et, au cas où rien ne lui aurait permis de ne pas admettre cette régularité au fond, de vérifier si les revenus ainsi déclarés, y compris les pertes reportées survenues au cours des années 2000 à 2011 dont le tribunal vient de retenir la déductibilité, n’aboutissent pas à un revenu s’écartant de manière significative des revenus issus de la taxation d’office effectuée par le bureau d’imposition.

Or, le directeur n’a pas procédé à cet examen complet au fond de la réclamation de la demanderesse, le délégué du gouvernement n’ayant d’ailleurs pas non plus présenté au cours de la procédure contentieuse des argumentations et conclusions y relativement, mais a conclu au caractère non fondé du recours sur base de sa seule argumentation concernant la régularité de la comptabilité.

15 Cour adm. 29 mars 2018, n° 39536C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 912 et 1071.

17Il s’ensuit que l’affaire n’a pas été instruite par les parties dans toute la mesure nécessaire pour permettre au tribunal de statuer utilement sur le caractère justifié ou non de la prétention de la demanderesse dans sa globalité16.

Dans ces conditions, le recours est à déclarer justifié en ce qu’il y a lieu d’invalider les motifs avancés par le directeur pour refuser la déductibilité des pertes reportées survenues au courant des années 2000 à 2011, et en ce que le directeur a refusé de plano à examiner la comptabilité présentée par la demanderesse au titre des années 2013 à 2015 et il convient de renvoyer l’affaire devant le directeur afin de lui permettre de procéder à l’examen au fond de la réclamation, compte tenu des principes retenus ci-avant.

Dans la mesure où la société demanderesse a certes obtenu gain de cause pour l’essentiel de ses prétentions, mais où la façon de procéder du bureau d’imposition trouve sa cause dans le défaut par la société demanderesse d’avoir satisfait ab initio à ses obligations déclaratives, il y a lieu de faire masse des dépens et de les mettre pour moitié à charge de la société demanderesse et pour l’autre moitié à charge de l’Etat.

La société demanderesse sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure à hauteur de 3.800 euros. Cette demande est cependant à rejeter, étant donné qu’il n’appert des éléments en cause en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens à sa charge.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare les recours en réformation, sinon en annulation irrecevables pour autant qu’ils sont dirigés contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2013, 2014 et 2015 ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 septembre 2020;

au fond, le déclare justifié ;

partant, réforme la décision déférée du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 septembre 2020 en ce sens que c’est à tort que celui-ci a refusé la déductibilité des pertes reportées survenues au courant des années antérieures à l’année 2012, au motif que la condition de la tenue d'une comptabilité régulière n’était pas remplie durant les exercices au cours desquels les pertes reportables revendiquées sont survenues, et en ce que le directeur a refusé de plano d’examiner la comptabilité présentée par la demanderesse au titre des années 2013 à 2015 ;

renvoie l’affaire devant ledit directeur en vue de l’examen au fond de la réclamation de la demanderesse conformément aux motifs ci-avant repris ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

16 En ce sens Cour adm. 28 août 2018, n° 40097C, précité 18rejette la demande de la société demanderesse en allocation d’une indemnité de procédure de 3.800 euros ;

fait masse des frais et dépens et les impose pour moitié à la partie étatique et pour moitié à la société demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 avril 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Poiani s. Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 45436
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-20;45436 ?

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