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20/04/2022 | LUXEMBOURG | N°44994

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 avril 2022, 44994


Tribunal administratif N° 44994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 septembre 2020 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par la société A, …, en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44994 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 septembre 2020 par la société coopérative KPMG Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 39, avenue John F. Kennedy, inscrit au

registre de commerce et des sociétés sous le numéro B149133, représentée par Monsieur B et ...

Tribunal administratif N° 44994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 septembre 2020 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par la société A, …, en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44994 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 septembre 2020 par la société coopérative KPMG Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 39, avenue John F. Kennedy, inscrit au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B149133, représentée par Monsieur B et Monsieur C, au nom de la société anonyme A, ayant son siège à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 17 juin 2020, inscrite sous le numéro …;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 décembre 2020 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 janvier 2021 par la société KPMG Luxembourg pour compte de la société A, préqualifiée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport à l’audience, ainsi que Monsieur C et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 novembre 2021 ;

Vu l’avis du tribunal du 26 novembre 2021 accordant des mémoires supplémentaires ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2022 par la société KPMG Luxembourg pour compte de la société A, préqualifiée ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 janvier 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte critiqué ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience, ainsi que Monsieur B, Monsieur C et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 mars 2022.

En date du 13 novembre 2019, le bureau d'imposition sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l'égard de la société anonyme A, ci-après désignée par « la société A », les bulletins de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités visant l'année 2015.

Par une décision du 17 juin 2020, le directeur de l'administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », rejeta comme étant non fondé la réclamation introduite par la société A le 18 décembre 2019.

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 septembre 2020, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du directeur du 17 juin 2020.

Quant à la recevabilité du recours Arguments des parties Si dans son mémoire en réponse, l’Etat s’est rapporté à prudence de justice quant à la recevabilité du recours en la pure forme, étant relevé que le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, sans autrement préciser cette contestation, à l’audience des plaidoiries du 24 novembre 2021, le délégué du gouvernement a soulevé l'irrecevabilité du recours au motif que la requête introductive d’instance n’aurait pas été signée par l’organe social habilité à engager la société coopérative KPMG Luxembourg, ci-après désignée par « la société KPMG », ayant déclaré représenter la société A aux fins de l’introduction du présent recours. A cet égard, il a relevé que les deux signataires de la requête introductive d’instance pour compte de la société KPMG n’auraient ni la qualité de gérant ni ne feraient-ils partie du conseil de gérance de la société KPMG, et ne seraient habilités ni par les dispositions statutaires, ni par la loi pour représenter cette dernière.

Par un avis du 26 novembre 2021, le tribunal a accordé à chacune des parties la possibilité de déposer un mémoire additionnel pour prendre position sur le moyen d’irrecevabilité ainsi soulevé par la partie étatique, moyen d’ailleurs d’ordre public que les parties ont ainsi pu discuter librement.

Dans son mémoire additionnel, la société A fait état d’une possibilité de régularisation en cours d’instance, régularisation qui serait admise tant par les juridictions administratives que par la procédure civile. Elle se réfère à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 13 mai 2013, inscrit sous le numéro 30503 du rôle, dont elle déduit qu’une action en justice introduite par une personne morale pourrait être ratifiée ultérieurement par l’organe compétent et cela jusqu’à la prise en délibéré de l’affaire. La requérante fait valoir que comme l’organe compétent serait libre de conférer ou non une autorisation d’agir en justice, il n’appartiendrait pas au tribunal de passer outre cette volonté clairement exprimée ayant avalisé une action en justice. Les juridictions administratives auraient confirmé ces principes tant en ce qui concerne les communes qu’en ce qui concerne les établissements publics, les copropriétés, les associations sans but lucratif ou encore les fondations, jurisprudence qui serait soutenue tant par la doctrine luxembourgeoise que par la Cour de cassation française. Elle souligne encore que les juridictions administratives auraient même reconnu qu’une personne morale dénuée de personnalité juridique au moment de l’introduction du recours serait autorisée à apporter une régularisation en cours d’instance. La société A s’appuie sur diverses jurisprudences des juridictions administratives, en l’occurrence sur un arrêt de la Cour administrative du 22 avril 2021, inscrit sous le numéro 45192C et 45193C du rôle, à partir desquelles elle conclut que l’autorisation d’ester en justice pourrait être délivrée en cours d’instance. Ainsi, en l’espèce, s’il devait y avoir un problème au niveau du pouvoir de ceux ayant signé la requête introductive d'instance, une régularisation serait d’après la société A possible.

A titre subsidiaire, elle s’empare encore d’une jurisprudence du Bundesfinanzhof allemand, acceptant la régularisation ex post d’une irrégularité au niveau de la signature de la requête introductive d’instance, plus particulièrement en ce qui concerne la représentation du litismandatire, pour souligner qu’elle aurait expressément accepté que Monsieur B et Monsieur C mènent le procès, tout en précisant qu’il était jugé nécessaire, elle pourrait fournir une déclaration écrite portant sur l’autorisation d’introduire l’action.

La société A prend ensuite position sur la question du pouvoir pour agir en justice devant les juridictions administratives des experts-comptables, en renvoyant à l’article 3 de la loi modifiée du 10 juin 1999 portant organisation de la profession d'expert-comptable, ci-après désignée par « la loi du 10 juin 1999 », qui n’imposerait pas que les actes passés par les experts-

comptables exerçant sous la forme de sociétés de capitaux soient spécifiquement signés par les membres de l’organe représentatif de la société. Un parallèle pourrait être fait avec les avocats exerçant sous forme de société pour lesquels il ne serait pas requis que ce soit le conseil d’administration ou l’administrateur délégué de la société d’avocats qui signe les actes de procédure. La loi du 10 juin 1999 imposerait uniquement que les documents établis au nom de la société soient signés par une personne physique remplissant les conditions d’honorabilité et de qualification professionnelle pour l’exercice de la profession prévue par la loi modifiée du 28 décembre 1988 sur le droit d'établissement, ci-après désignée par « la loi du 28 décembre 1988 », sans exiger que le signataire des documents soit lui-même en possession d’une autorisation d’établissement. Il suffirait ainsi que le signataire soit honorable et qualifié, ce qui serait le cas en l’espèce puisque Monsieur B posséderait une ancienne autorisation d’établissement portant le numéro …, dont il aurait demandé en décembre 2021 le renouvellement, en vue de la régularisation de la présente procédure. Par ailleurs, l’extrait du casier judiciaire numéro 3 produit en cause établirait que celui-ci remplirait la condition d’honorabilité.

Pour le surplus, la société A se prévaut de l'article 109 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », et souligne que la société KPMG serait expert-comptable, inscrite comme tel à l’ordre des experts-comptables à Luxembourg et serait partant dûment habilitée à la représenter en justice et cela peu importe l’identité des personnes ayant signé le recours, du moment que cette personne exerce au sein de la société KPMG conformément aux dispositions de la loi du 10 juin 1999.

Ensuite, la société A souligne que la situation aurait de toute façon été régularisée puisque la société KPMG aurait par le biais de son conseil de gérance et de son président approuvé le recours formé par les sieurs B et C pour son compte, dans la mesure où au cours de sa réunion du 30 novembre 2021, le conseil de gérance de la société KPMG aurait conféré des pouvoirs de signature en faveur des signataires autorisés, dont Monsieur B, afin que chacun d’entre eux pris individuellement puisse conclure, modifier, céder ou résilier au nom de la société KPMG les accords d’engagement professionnel avec ses clients et signer tous les documents de travail, des certificats et des propositions.

En plus, le conseil de gérance de la société KPMG aurait conféré des pouvoirs de signature notamment à Monsieur B afin d’accomplir tous les actes, demandes, requêtes, procédures et représentations auprès des autorités publiques y compris les organes judiciaires et administratifs au nom de la société KPMG.

La société A explique encore que le 31 décembre 2021, la société KPMG aurait modifié sa forme sociale sans changement de personnalité juridique pour adopter la forme de la société anonyme avec une refonte complète de ses statuts. En vertu de l'article 9 de ces nouveaux statuts, la société serait engagée envers des tiers en cas de pluralité d’administrateurs par la signature individuelle du président.

Ainsi, en vue de la régularisation, la société A fait état d’une procuration spéciale du président de KPMG en faveur de Monsieur B ayant approuvé et ratifié tous les engagements entrepris par celui-ci, y compris le présent recours.

La société A en conclut qu’il n’existerait en tout état de cause aucune irrégularité justifiant l’irrecevabilité du recours.

La société A reproche encore au délégué du gouvernement de faire preuve d’un formalisme excessif qui serait sanctionné par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (« CourEDH »), en faisant valoir que le droit d’accès à un tribunal se trouverait atteint dans sa substance lorsque sa réglementation cesserait de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et limiterait ainsi l’accès des justiciables aux juridictions. En se référant à un arrêt de la CourEDH du 26 juillet 2007, numéro 35787/03 du rôle, la société A donne à considérer que le recours aurait été déposé le 16 septembre 2020 tandis que le délai aurait expiré le 22 septembre 2020, de sorte que dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et d’une garantie effective des droits de la défense, une correction d’un éventuel vice de forme aurait pu être demandé dans les six jours restants. Le fait que le vice de forme n’avait pas été évoqué par le délégué du gouvernement dans le mémoire en réponse et qu’il n’avait pas non plus été signalé par le tribunal lors de l’audience publique témoignerait que le vice ne serait pas suffisamment grave pour entraîner l’irrecevabilité du recours.

Enfin, la société A fait état d’un défaut de préjudice dans le chef de l’Etat, tout en soulignant qu’une exception de nullité ne pourrait aboutir que dans l’hypothèse où celui qui l’invoque établit avoir subir un préjudice.

Par ailleurs, la société A se prévaut du principe suivant lequel il ne pourrait y avoir de nullité sans texte et fait valoir que la loi du 21 juin 1999 ne sanctionnerait pas expressément de nullité les vices de forme de la requête introductive d'instance, l’article 29 de la loi prévoyant expressément un tempérament à cet égard.

Ainsi, comme la problématique liée au pouvoir et à la capacité pour agir pour compte de la société KPMG aurait été régularisée en cours d'instance, elle ne porterait pas à conséquence, aucun préjudice au niveau des droits de la défense de l’Etat n’étant vérifié. Dans ce contexte, la société A fait encore valoir que l’objectif de la vérification de la représentation devant les juridictions administratives serait celui de s’assurer que le justiciable soit bien assisté par une personne ayant autorité pour le représenter. Comme la société KPMG l’aurait bien assisté et serait comme expert-comptable habilitée par la loi à représenter ses clients pour les besoins des recours fiscaux, le moyen d'irrecevabilité devrait être rejeté.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conteste la possibilité d'une régularisation ex post en renvoyant à diverses jurisprudences du tribunal administratif à cet égard2, de même qu’à la doctrine administrative.

Il fait encore valoir que les jurisprudences citées par la société A ne seraient pas transposables en l’espèce. Pareillement, l’enseignement donné par la Cour administrative dans son arrêt du 22 avril 2021 ne serait pas non plus pertinent en l’espèce puisqu’il s’agirait d’une irrecevabilité pour défaut d’autorisation accordée par le conseil de gérance pour ester en justice.

En l’espèce, le point litigieux ne serait pas une autorisation statutaire qui ferait défaut, mais il serait question du pouvoir de représentation légal relevant de l’ordre public.

Sans contester la qualité pour agir de la société KPMG en tant qu’expert-comptable en matière fiscale, le délégué du gouvernement donne à considérer que cette société devrait néanmoins être valablement représentée par ses organes, alors que suivant ses statuts elle aurait dû être représentée par un ou des gérants mais non pas par des associés.

Par rapport à la volonté de régularisation en cours d'instance, le délégué du gouvernement fait valoir que la modification de la forme sociale de la société KPMG en cours de procédure ne porterait pas à conséquence dans la mesure où il faudrait apprécier la régularité de la requête au moment de son dépôt.

En ce qui concerne la décision du conseil de gérance du 30 novembre 2021 dont fait état la société A, il critique celle-ci pour ne pas être signée, de sorte à ne pas avoir une quelconque valeur. S’y ajouterait que les décisions prises ne vaudraient que pour l’avenir, mais ne sauraient régulariser une situation ex post. Le document ne serait en tout état de cause opposable aux tiers qu’à partir de la publication au registre du commerce et des sociétés et uniquement pour l’avenir.

La même remarque vaudrait pour le pouvoir de représentation et la procuration spéciale du 13 janvier 2022, sauf que contrairement au procès-verbal de la réunion du conseil de gérance du 30 novembre 2021, ce document serait effectivement signé, sans toutefois être publié, de sorte à ne pas être opposable aux tiers. Le délégué du gouvernement remarque encore que suivant l’article 9 des nouveaux statuts de la société KPMG, le conseil d’administration pourrait accorder des procurations spéciales, tandis que la procuration n’aurait été signée que par leur président du conseil d’administration.

Le délégué du gouvernement conteste encore les reproches de la société A tenant à un formalisme excessif, de même que ceux visant la nécessité de prouver un préjudice, tout en insistant qu’il ne conviendrait pas de confondre la nullité de l’acte et l’irrecevabilité du recours, tout en soulignant que l’article 29 invoqué par la société requérante ne serait pas applicable en présence d'un moyen d’irrecevabilité d’ordre public.

2 Trib. adm., 24 novembre 2021, n° 44181 du rôle, trib. adm., 17 mars 2021, n° 43496 du rôle, trib. adm. 31 août 2020, n° 44943 du rôle Enfin, il demande le rejet de l’autorisation d’établissement du 14 janvier 2022 pour n’avoir été déposée que le 20 janvier 2022, partant postérieurement au délai accordé pour le dépôt des mémoires, tout en soulignant que ce ne serait pas Monsieur B qui aurait déposé le recours mais que ce serait la société KPMG représentée par ce dernier.

Analyse du tribunal Le tribunal relève de prime abord que, contrairement à ce qui est soutenu par la partie étatique, il aura égard à toutes les pièces déposées avant le rapport à l’audience, y compris celles déposées après le délai fixé pour produire des mémoires additionnels, l’article 8, paragraphe (6) de la loi du 21 juin 1999, aux termes duquel « toute pièce versée après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt est ordonné par le tribunal. », n’imposant le rejet que des pièces déposées après le rapport à l’audience.

Le tribunal relève ensuite que la question litigieuse en l’espèce n’est pas celle de la validité d’une décision prise par la société A d’agir en justice, voire de la capacité de celle-ci pour agir tenant à l’existence de sa personnalité juridique, respectivement à l’organe ou à la personne habilitée en son sein à la représenter, mais c’est en substance la régularité de sa représentation par un litismandatire qui est remise en question par la partie étatique.

Dans ces conditions, le tribunal est d’emblée amené à retenir que les différentes jurisprudences, dont se prévaut la société A pour faire admettre une régulation ex post du vice épinglé par la partie étatique, pour autant qu’elles ont trait à la question de la capacité à agir du recourant, non pertinente en l’espèce, ne sont pas de nature à assoir les prétentions de la requérante.

Force est ensuite de constater que les règles de représentation devant les juridictions administratives en matière fiscale sont les suivantes:

Aux termes de l’article 1er de la loi du 21 juin 1999, « tout recours, en matière contentieuse, introduit devant le tribunal administratif […] est formé par requête signée d’un avocat inscrit à la liste I des tableaux dressés par les conseils des Ordres des avocats », la désignation d’« avocat inscrit à la liste I » ayant, par ailleurs, été remplacée par la loi du 31 mai 1999 portant modification de la loi du 10 août 1991 sur la profession d’avocat, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1991 », par les termes « avocat à la Cour ».

L’article 56 de la loi du 21 juin 1999 dispose quant à lui qu’« En matière fiscale, les dispositions prévues aux titres I et II sont applicables, sauf les exceptions qui sont prévues aux dispositions des articles suivants. », l’article 57 de la même loi prévoyant à son tour que « La requête introductive d’instance signée par le requérant ou son mandataire contient outre les indications prévues à l’article 1er une élection de domicile au Grand-Duché lorsque le requérant ou son mandataire demeurent à l’étranger. ».

L’article 2 de la loi du 10 août 1991 dispose que : « (1) Les avocats seuls peuvent assister ou représenter les parties, postuler et plaider pour elles devant les juridictions de quelque nature qu’elles soient, recevoir leurs pièces et titres afin de les représenter aux juges, faire et signer les actes nécessaires pour la régularité de la procédure et mettre l’affaire en état de recevoir jugement.

Les dispositions de l’alinéa précédent ne font pas obstacle à l’application de dispositions législatives spéciales et à la faculté: […] c) des justiciables d’agir par eux-mêmes ou de se faire représenter ou assister par un expert-comptable ou un réviseur d’entreprises, dûment autorisé à exercer sa profession, devant le tribunal administratif appelé à connaître d’un recours en matière de contributions directes; […] ».

Il résulte des dispositions qui précèdent que si le ministère d’avocat est en principe obligatoire devant les juridictions administratives, en matière de contentieux des contributions directes, les justiciables peuvent soit agir directement par eux-mêmes, soit se faire représenter ou assister par un avocat, respectivement un expert-comptable ou un réviseur d’entreprises, étant relevé qu’en l’espèce, la société A a choisi de ne pas agir directement par elle-même, mais de se faire représenter par un expert-comptable devant le tribunal administratif.

Le tribunal relève que les juridictions administratives ont eu l’occasion de prononcer sur les conséquences à déduire sur la recevabilité d’un recours dans l’hypothèse où la requête introductive n’a pas été signée par le litismandataire affirmant agir pour compte du requérant.

A cet égard, la jurisprudence des juridictions administratives a eu l’occasion de retenir qu’en rendant obligatoire, hormis en matière de contributions directes, le ministère d’avocat à la Cour devant les juridictions administratives, le législateur a pour objectif d’assurer aux justiciables la qualité de leur défense, de concourir à une bonne administration de la justice et d’assurer que l’administration et le justiciable soient placés sur un pied d’égalité quant à leur connaissance de la procédure et du droit applicable, dans la mesure où, dans la majorité des cas, l’administration, auteur de l’acte administratif querellé, dispose d’une meilleure connaissance du droit et des règles procédurales que l’administré, destinataire dudit acte3, que le respect de cette exigence relative au recours à un avocat à la Cour se matérialise par l’apposition manuscrite sur l’acte introductif d’instance de la signature de l’avocat à la Cour constitué et que cette formalité de la signature de l’acte introductif d’instance relève, au même titre d’ailleurs que le ministère d’avocat à la Cour obligatoire, d’une condition substantielle de la procédure contentieuse applicable4.

La jurisprudence a encore retenu que c’est uniquement par la signature de l’acte introductif d’instance que le litismandataire, avocat à la Cour, seul habilité à signer un tel acte au regard de l’exigence telle qu’imposée par l’article 1er de la loi du 21 juin 1999, peut être considéré comme manifestant valablement par rapport à la juridiction saisie être le mandataire de la partie en cause et comme accordant élection de domicile à ses mandants en son étude, de sorte que l’apposition de cette signature est une condition substantielle de recevabilité de la procédure contentieuse applicable5 et que toute insuffisance y relative constitue un vice entachant la requête introductive d’instance qui ne saurait, en tout état de cause, être régularisé a posteriori, dans la mesure où l’article 1er de la loi du 21 juin 1999 précise que tout recours, en matière contentieuse, introduit devant le tribunal administratif « est formé » par requête signée d’un avocat à la Cour, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que lorsqu’aucun des exemplaires de la requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal administratif 3 Trib. adm. 26 avril 2018, n°39425 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n°505 et les autres références y citées.

4 Trib. adm 6 février 2017, n° 38947 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n°505 et les autres références y citées..

5 En ce sens : Trib. adm 14 juillet 2004, n°17658 du rôle, c. Cour adm. 11 novembre 2004, n°18469C du rôle, Pas.

adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 511 et les autres références y citées.

ne comporte la signature de l’avocat à la Cour constitué, le tribunal n’a pas été valablement saisi dans les formes et cela endéans le délai de la loi d’un acte introductif d’instance.

Plus récemment encore, la Cour administrative a retenu dans un arrêt du 13 octobre 20206 à propos d’une requête introductive d’instance qui n’a pas été signée par le litismandataire, (i) que le juge ne peut pas s’autosaisir, mais qu’il doit être saisi par le recourant et ce dans les formes et délai requis, la signature d’un recours devant le juge administratif authentifiant l’identité du recourant, (ii) qu’en présence d’une obligation de représentation par un avocat, la signature par l’avocat identifie encore par elle-même le recourant, de sorte que cette signature est nécessaire à la perfection de l’acte, dont le juge doit contrôler l’authenticité. A partir de ce constat, elle a retenu qu’en l’absence de signature, la requête est nécessairement irrecevable, en soulignant que (i) cette irrecevabilité n’est pas susceptible d’être tenue en échec par l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 dans la mesure où il s’agit d’une formalité substantielle, le grief engendré étant par ailleurs patent, dès lors que l’identité du recourant n’est pas authentifiée et (ii) qu’elle ne n’est pas non plus régularisable en dehors du délai légal de recours.

Ces mêmes considérations ont encore été confirmées par un arrêt de la Cour administrative du 6 mai 20217 à propos d’une requête d’appel non signée par le litismandataire, avocat à la Cour, la Cour ayant souligné que l’exigence de signature de la requête constitue une des rares formalités substantielles dans le cadre de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives, par ailleurs peu formaliste.

S’il est certes vrai que ces principes jurisprudentiels ont été dégagés dans des matières dans lesquelles le recours au ministère d’avocat est obligatoire, et que, tel que relevé ci-avant, en matière fiscale le ministère d’avocat n’est pas obligatoire, ces principes sont néanmoins transposables en cette matière, en ce sens que la signature de la requête introductive constitue une formalité substantielle et qu’une requête non signée, que ce soit par le contribuable lui-

même, ou lorsque, comme en l’espèce il a choisi de se faire représenter, par un mandataire, en l’occurrence un expert-comptable, est à déclarer irrecevable, étant souligné qu’en matière fiscale, l’article 57 de la loi du 21 juin 1999 requiert expressément que la requête introductive d’instance soit « signée par le requérant ou son mandataire »8.

En conséquence, en l’absence de signature, la requête introductive d’instance est nécessairement irrecevable, sans que cette irrecevabilité ne puisse être tenue en échec par l’article 29 de la loi du 21 juin 1999, voire régularisée ex post.

Le tribunal est ensuite amené à retenir qu’une irrégularité au niveau de la signature de la requête introductive d’instance par le litismanadatire, qu’il soit avocat ou, comme en l’espèce, expert-comptable, est à assimiler à un défaut de signature de la requête instructive d’instance, une irrégularité au niveau de la représentation équivalant nécessairement à un défaut de représentation valable.

A cet égard, il se dégage en l’espèce de la requête introductive d’instance que celle-ci n’a pas été signée par la société A elle-même, encore qu’elle aurait en la présente matière pu agir pour elle-même, mais que le recours a été introduit par la société A, représentée par la société KPMG, elle-même « vertreten durch den Partner B und mit Untervollmacht an C », la 6 Affaire inscrite sous le numéro 44626C du rôle.

7 Affaire inscrite sous le numéro 44913C du rôle.

8 Trib. adm. 21juillet 2021, n° 45056 du rôle, disponible sous ja.etat.lu.

requête introductive d'instance ayant été signée par ces derniers déclarant agir pour compte de la société KPMG.

S’il n’est pas contesté que la société KPMG a la qualité d’expert-comptable et répond partant aux exigences de l’article 2 de la loi du 10 août 1991, précité, force est de constater que les contestations de la partie étatique portent sur la représentation valable de la société KPMG au motif que les signataires de la requête introductive d’instance n’auraient pas eu qualité pour représenter celle-ci.

Le tribunal relève de prime abord qu’afin d’apprécier la représentation valable de la société KPMG, il convient de se référer à la forme sociale de celle-ci au moment de l’introduction du recours, indépendamment de la modification de sa forme sociale intervenue par après. Les explications afférentes de la requérante à cet égard sont dès lors à rejeter.

Il n’est pas contesté qu’à cette date, la société KPMG avait la forme sociale d’une société coopérative. Il se dégage des statuts soumis à l’appréciation du tribunal que celle-ci est gérée par un conseil de gérance composé d’au moins 5 et au maximum 7 membres, appelés gérants. Force est encore de constater qu’il n’est pas contesté que ni Monsieur B ni Monsieur C ne faisait partie du conseil de gérance, l’extrait du registre de commerce et des sociétés soumis à l’appréciation du tribunal ne renseignant aucun des deux en tant que membre du conseil de gérant.

Le constat s’impose dès lors que la requête introductive d’instance a été signée par des personnes qui n’étaient, conformément aux statuts de la société KPMG, pas autorisées à la représenter, de sorte qu’en application des principes retenus ci-avant, une telle irrégularité au niveau de la signature de la requête introductive d’instance équivaut à un défaut de signature.

Reste à vérifier si une régularisation ex post est possible, la société A faisant état d’une réunion de son conseil de gérance du 30 novembre 2021 conférant des pouvoirs de signature en faveur des signatures de la requête introductive d’instance, de même que d’une procuration spéciale du président de la société KPMG, ayant entre-temps pris la forme sociale de la société anonyme, en faveur de Monsieur B en relation avec le présent recours. Il convient également de vérifier, tel que cela est affirmé par la société A, si en application de l’article 3 de la loi du 10 juin 1999, la requête introductive d’instance a pu être signée au nom de la société KPMG par des personnes qui certes ne sont pas habilitées par les statuts à représenter celle-ci, mais qui néanmoins remplissent les conditions d’honorabilité et de qualification professionnelle pour l’exercice de la profession.

Au regard des principes retenus ci-avant, une régularisation ex post n’est pas possible, l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 n’étant pas non plus susceptible de couvrir le vice afférent, étant relevé, tel que le tribunal vient de le retenir ci-avant, que les jurisprudences citées par la société A ne sont pas pertinentes dans la mesure où elles sont (i) relatives à la question de la capacité d’ester en justice d’une partie à l’instance et au pouvoir d’agir de celle-ci, alors qu’en l’espèce, ce n’est pas la capacité à agir de la société A qui est en jeu, mais, tel que relevé ci-

avant, la régularité de sa représentation en justice par une des personnes énumérées à l’article 2 de la loi du 10 août 1991, ou (ii) ont trait à des nullités d’un acte de procédure, non invoquée en l’espèce par la partie étatique.

En ce qui concerne le reproche de la société A tenant à un formalisme excessif en ce qu’elle entend en substance voir dans la condition tenant à la signature valable de la requête introductive d’instance une condition de recevabilité restreignant son droit d’accès effectif au juge, celui-ci est à rejeter. En effet, d’une part, l’obligation de signature de la requête introductive d’un recours devant le juge administratif - tant son existence que sa validité -

poursuit le but légitime de l’identification du recourant9. D’autre part, si cette conclusion paraît a priori sévère, elle est toutefois le garant de la représentation valable par les seules catégories de personnes habilitées à ce faire énoncées à l’article 2 de la loi du 10 août 1991.

Enfin, en ce qui concerne la considération avancée par la société A, suivant laquelle Monsieur B aurait pu signer la requête introductive d’instance pour compte de la société KPMG au motif qu’il aurait l’honorabilité professionnelle au sens de l’article 3 de la loi du 10 juin 1999, en se référant par analogie aux modalités de représentation des avocats exerçant sous forme de personne morale, le tribunal relève que (i) l’article 8 de la loi du 10 août 1991 concernant les personnes morales exerçant la profession d’avocat prévoit des dispositions particulières visant la représentation de cette personne morales pour les actes de procédure, dispositions qui ne sauraient être transposées telles quelles aux experts comptables non visés par ces dispositions, (ii) la question de la représentation au niveau statutaire des personnes morales exerçant la profession d’avocat se pose au même titre dans la mesure où l’exigence suivant laquelle les actes relevant de la profession d’avocat doivent être signés par un avocat de la liste I ne préjudicie pas l’application des règles de représentation au niveau du droit des sociétés, et (iii) indépendamment de la question de la pertinence de l’argumentation fondée sur l’article 3 de la loi du 10 juin 1999, il n’est en tout état de cause pas établi que Monsieur B a, au moment de l’introduction du recours, rempli les conditions d’honorabilité et de qualification professionnelle pour l’exercice de la profession prévues par la loi du 28 décembre 1988, par la suite abrogée et remplacée par la loi du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d'artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, dans la mesure où une demande de renouvellement d’une ancienne autorisation n’a, suivant les pièces versées par la société A, été introduite que postérieurement à la signature de la requête introductive d’instance et où il se dégage d’un courrier électronique du ministère de l’Economie du 7 mars 2022 que l’autorisation d’établissement de 2007 dont bénéficiait Monsieur B n’était plus valable depuis le 9 mai 2011.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la recours est à déclarer irrecevable pour non-respect de la formalité substantielle tenant à la rédaction de la requête introductive d’instance, celle-ci n’ayant pas été valablement signée par le litismandataire.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare irrecevable le recours déposé au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2020 ;

condamne la société A aux frais et dépens de l’instance.

9 En ce sens Cour adm. 13 octobre 2020, n° 44626C du rôle, précité.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 avril 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 44994
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-20;44994 ?

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