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20/04/2022 | LUXEMBOURG | N°44618

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 avril 2022, 44618


Tribunal administratif N° 44618 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juillet 2020 3e chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, en matière de permis de conduire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44618 du rôle et déposée le 2 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Edevi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant, suivant son d...

Tribunal administratif N° 44618 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juillet 2020 3e chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, en matière de permis de conduire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44618 du rôle et déposée le 2 juillet 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Edevi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant, suivant son dispositif, à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du « 9 mai 2020 » portant retrait de son permis de conduire, ainsi qu’à l’annulation de « la procédure d’avis de la Commission médicale du 27 avril 2020 »;

Vu l’ordonnance du juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, du 29 juillet 2020, inscrite sous le numéro 44661 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Edevi AMEGANDJI du 8 novembre 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Cindy COUTINHO en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 novembre 2021.

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Il résulte des éléments du dossier administratif que Monsieur … est titulaire d’un permis de conduire de la catégorie B depuis le 9 août 1999.

Par jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 8 mars 2019, Monsieur … fut condamné à une amende de 700 euros et à une interdiction de conduire de 12 mois, assortie du sursis intégral, pour avoir circulé, le 29 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1mai 2018, sur la voie publique alors que son organisme comportait la présence de tetrahydrocannabinol (THC) dont le taux sérique était supérieur à 1 ng/ml, en l’espèce 12 ng/ml.

Par courrier recommandé du 23 mai 2019, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … de ce qu’en vertu de la prédite condamnation, 6 points avaient été retirés du capital dont est doté son permis de conduire.

Par courrier recommandé du ministre du 27 mai 2019, Monsieur … fut invité à faire parvenir dans les trois semaines les résultats d’analyses toxicologiques des cheveux (drogues) au médecin-président de la commission médicale prévue par l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 modifié portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignés respectivement par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 » et par « la commission médicale ».

Un courrier de rappel fut envoyé à Monsieur … en date du 4 septembre 2019.

Par courrier recommandé du 21 janvier 2020, Monsieur … fut convoqué devant la commission médicale pour le 9 mars 2020 devant laquelle il déclara ne pas consommer régulièrement du cannabis, avoir besoin de son permis de conduire pour des raisons privées et professionnelles et ne pas comprendre pour quelle raison il devrait se soumettre à un test toxicologique des cheveux à la demande du ministre.

Face au refus de Monsieur … de se soumettre aux analyses toxicologiques sollicitées, la commission médicale, dans son avis du 27 avril 2020, retint qu’il y aurait « lieu d’admettre qu’il se trouve en état de dépendance vis-à-vis de substances à action psychotropes ou qu’il en abuse régulièrement, sans être dépendant » et conclut au retrait du permis de conduire de celui-

ci sur base de la considération que l’intéressé « ne satisfait pas aux conditions minima prévues par l’article 77 sous 8.2.a) de l’arrêté grand-ducal [du 23 novembre 1955] et qu’il est dès lors établi qu’il souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».

Par décision du 6 mai 2020, le ministre, en se ralliant à l’avis de la commission médicale du 27 avril 2020, retira à Monsieur … le permis de conduire un véhicule automoteur, ainsi que les permis de conduire internationaux lui délivrés sur le vu du susdit permis national, décision basée sur les considérations suivantes :

« Vu les articles 2 et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques ;

Vu l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques ;

Considérant que pour la raison reprise sous 4) du paragraphe 1er de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 précitée une mesure administrative s’impose à l’égard de Monsieur …, né le … à … et demeurant à L-… ;

Considérant que l’intéressé a été entendu le 09 mars 2020 dans ses explications par la Commission médicale prévue à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 précité ;

2 Considérant que Monsieur … refuse d’exécuter la décision ministérielle l’invitant à produire un screening toxicologique des cheveux;

Vu l’avis du 27 avril 2020 de la Commission médicale précitée ;

Considérant que Monsieur … souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2020 et inscrite sous le numéro 44618 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant son dispositif, à l’annulation sinon à la réformation de l’arrêté précité du ministre du 6 mai 2020, erronément indiqué comme datant du 9 mai 2020, portant retrait de son permis de conduire, ainsi qu’à l’annulation de « la procédure d’avis de la Commission médicale du 27 avril 2020 ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2020 et inscrite sous le numéro 44661 du rôle, il a encore fait introduire un recours tendant à voir ordonner un sursis à l’exécution de la décision ministérielle de retrait du « 9 mai 2020 », en attendant la solution du litige au fond, demande de laquelle il fut débouté par ordonnance du juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, du 29 juillet 2020.

Etant donné que ni la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignée par la « loi du 14 février 1955 », ni l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, ni d’autres dispositions légales ne prévoient de recours au fond en la présente matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation.

Il est en revanche compétent pour connaître du recours principal en annulation.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours en relevant plus particulièrement qu’il serait de jurisprudence constante que les procédures et les actes préparatoires, comme en l’occurrence l’avis de la commission médicale du 27 avril 2020, ne seraient pas des décisions faisant grief, de sorte qu’elles ne pourraient faire l’objet d’un recours contentieux.

Dans la mesure où le fait pour une partie de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation2, il échet au tribunal de procéder à l’analyse de la recevabilité de la requête quant aux formes et délai prévus par la loi.

La recevabilité d’un recours en annulation contre un acte émanant d’une autorité administrative est conditionnée par l’exigence que l’acte attaqué constitue, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-

dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une 2 Trib. adm. 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 842 et les autres références y citées.

3condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l’objet d’un recours, la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief3.

Echappent ainsi au recours contentieux les actes préparatoires qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci. Tel est notamment le cas des avis émis par des organes consultatifs préalablement à une décision administrative, lesquels ne constituent pas des actes finaux dans la procédure, mais ne sont que de simples mesures d’instruction destinées à recueillir des éléments d’information, afin de mettre l’auteur de la décision en mesure de prendre celle-ci. Ces avis ne peuvent donc, en eux-mêmes, faire l’objet d’un recours. Toutefois leur irrégularité propre et les vices dont ils peuvent être affectés, peuvent être analysés dans le cadre du recours dirigé contre la décision administrative. Ces avis sont censés faire partie intégrante de la décision administrative dès que celle-ci y fait expressément référence et un recours intenté contre la décision s’étend nécessairement à l’avis qui en constitue le complément indispensable4.

En l’espèce, l’avis de la commission médicale du 27 avril 2020, qui, au vœu de l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, constitue un acte obligatoire et préalable à la décision du ministre de retirer un permis de conduire aux personnes souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver leurs aptitudes ou capacités de conduire un véhicule automoteur ou cyclomoteur, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, étant donné qu’il ne constitue pas un acte final de la procédure et qu’il n’est pas de nature à faire grief de manière autonome et distinctement de la décision ministérielle de retrait dont il constitue le préalable.

Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre l’avis de la commission médicale du 27 avril 2020.

Il est, par contre, recevable en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre du 6 mai 2020, pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle les faits et rétroactes à la base de la décision litigieuse, tels que retranscrits ci-avant.

En droit, il se prévaut tout d’abord d’une erreur manifeste d’interprétation de la loi, en reprochant au ministre d’avoir entamé à son encontre une procédure administrative préparatoire en vue du retrait de son permis de conduire en se fondant non seulement sur des faits ayant déjà fait l’objet d’une sanction pénale et administrative, mais également sur des textes inapplicables au cas en l’espèce.

Après avoir cité les dispositions des articles 4 de la loi du 14 février 1955 et 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, il soutient que ces dispositions ne s’appliqueraient pas en l’espèce dans la mesure où, d’une part, il ne souffrirait d’aucune infirmité ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire, et où, d’autre part, il ne serait pas demandeur d’un renouvellement de permis, ni ne serait-il « dépossédé de son sésame ».

3 Trib.adm., 27 décembre 2007, n° du rôle 22838, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 46 et les autres références y citées.

4 Trib.adm., 19 février 2009, n° rôle 24649, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 74 et les autres références y citées.

4Il avance que le point 4, paragraphe 1er de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 invoqué dans l’acte querellé du 6 mai 2020 ne figurerait, par ailleurs, pas à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, l’excluant ainsi de la procédure administrative lancée à son encontre.

Deuxièmement, le demandeur invoque une violation par la décision ministérielle litigieuse de l’autorité de la chose jugée au pénal. Il reproche, à cet égard, au ministre d’avoir entamé une autre procédure administrative à son encontre quand bien même il aurait été confronté à une décision coulée en force de chose jugée ayant déjà eu une répercussion sur le plan administratif, à savoir le retrait automatique des points dont est doté le capital de son permis de conduire, et ce en l’absence de faits nouveaux lui imputables.

Troisièmement, le demandeur reproche au ministre une violation du principe de « non bis in idem », consacré par les dispositions de l’article 4 du Protocole n°7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », pour avoir entamé, à la suite du jugement pénal du 8 mars 2019 ayant débouché sur la réduction de six points de son permis de conduire, l’ouverture d’une nouvelle procédure administrative tendant au retrait de ce même permis.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la décision ministérielle du 6 mai 2020 encourrait l’annulation.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, estime que la décision serait fondée en fait et en droit et conclut au rejet du recours sous analyse.

Le tribunal relève tout d’abord que, lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinés à protéger des intérêts privés. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en un dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée.

Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité5.

Quant au reproche que la décision déférée se baserait sur des dispositions non applicables en l’espèce, il échet de relever qu’aux termes de l’article 2, paragraphe 1er de la loi du 14 février 1955, « Le ministre ayant les Transports dans ses attributions, désigné ci-après « le ministre », délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé:

5 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 52 et les autres références y citées.

5[…] 4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire; […] ».

Il suit de l’article 2 de la loi du 14 février 1955, précité, que le ministre peut retirer les permis de conduire civils et refuser leur restitution, notamment, quand l’intéressé souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.

L’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 dispose ce qui suit : « En vue de l’obtention ou du renouvellement d’un permis de conduire, l’intéressé doit se soumettre à un examen médical destiné à établir s’il ne souffre pas d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire et s’il ne présente pas de signes d’alcoolisme ou d’autres intoxications. Sur avis de la commission médicale prévue à l’article 90, le titulaire d’un permis de conduire peut de même être obligé par le ministre des Transports à se soumettre à un examen médical, s’il existe des doutes sur ses aptitudes ou capacités de conduire.

L’examen médical porte notamment sur la capacité visuelle, l’audition, les affections cardiovasculaires, les troubles endocriniens, les maladies du système nerveux, les troubles mentaux, l’alcoolisme, la consommation de drogues et de médicaments, les maladies du sang et les maladies de l’appareil génito-urinaire ainsi que sur l’état de santé général et les incapacités physiques. ».

Le point 8.2 de l’article 77 précité, intitulé « Drogues et médicaments », ajoute sous son point a), intitulé « Abus », que « Le permis de conduire n’est ni délivré ni renouvelé si l’intéressé se trouve en état de dépendance vis-à-vis de substances à action psychotrope ou s’il en abuse régulièrement, sans être dépendant. […] ».

Il ressort des dispositions légales qui précèdent, qu’en vue de l’obtention ou du renouvellement d’un permis de conduire, l’intéressé doit se soumettre à un examen médical destiné à établir s’il ne souffre pas d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire et s’il ne présente pas de signes d’alcoolisme ou d’autres intoxications, le ministre pouvant, par ailleurs, toujours, en cas de doutes sur les aptitudes ou capacités de conduire d’un titulaire d’un permis de conduire, et sur avis de la commission médicale, obliger la personne en question à se soumettre à un tel examen médical, qui peut notamment porter sur la consommation de drogues et de médicaments de l’intéressé. S’il ressort de cet examen que l’intéressé se trouve en état de dépendance vis-à-vis de substances à action psychotrope ou s’il en abuse régulièrement, sans être dépendant, le ministre peut, sur avis motivé de la commission, refuser l’obtention ou le renouvellement du permis de conduire sollicité.

A cet égard, il convient de relever que si à la lecture du seul point 8.2, intitulé « Drogues et médicaments », de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, le point a) « Abus » semble, en effet, viser uniquement la délivrance et le renouvellement du permis de conduire, il convient cependant de le placer dans le contexte général du point « C.- Les conditions médicales à remplir par les conducteurs » de la section II. du chapitre IV. dudit arrêté grand-ducal, dans lequel s’inscrit l’article 77 précité, et de le lire en combinaison avec les dispositions finales, notamment de l’avant-dernier paragraphe dudit article 77, qui disposent que : « Si par ailleurs, le titulaire d’un permis de conduire ne satisfait pas aux conditions 6minimales précitées au présent article, le permis de conduire peut être retiré […] et sa restitution peut être refusée. […] ».

Dans la mesure où les conditions minimales visées sont celles énumérées sous les points 1) à 12) de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, dont notamment le point 8), c’est à tort que le demandeur estime que l’article 77 en question ne lui serait pas applicable.

Le moyen afférent est dès lors rejeté.

En ce qui concerne ensuite l’argumentation du demandeur que le cas prévu à l’article 2, paragraphe 1er, point 4) de la loi du 14 février 1955, à savoir celui d’une personne souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ne serait pas visé par l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, il échet de relever que si le paragraphe 1er dudit article 90, aux termes duquel « Les mesures administratives à prendre à l’égard de requérants ou de titulaires de permis de conduire sous les conditions prévues sous 1), 2), 3), 5) et 6) de l’article 2 modifié de la loi du 14 février 1955 précitée exigent au préalable une enquête administrative effectuée par la police grand-ducale à la demande du ministre ayant les Transports dans ses attributions ainsi qu’un avis motivé de la commission spéciale des permis de conduire. […] », ne vise certes pas le point 4) de l’article 2, paragraphe 1er de la loi du 14 février 1955, son paragraphe 2 vise toutefois expressément les personnes souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver leurs aptitudes ou capacités de conduire et prévoit ce qui suit : « Afin d’examiner les personnes souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver leurs aptitudes ou capacités de conduire un véhicule automoteur ou cyclomoteur, il est institué une commission médicale dont les membres sont nommés par le ministre des Transports.

Avant de pouvoir restreindre l’emploi ou la validité des permis de conduire, refuser leur octroi, leur renouvellement ou leur transcription, les suspendre ou les retirer, le ministre des Transports adresse quinze jours au moins avant la séance de la commission une convocation par lettre recommandée à l’intéressé, l’invitant à s’y présenter soit seul, soit assisté par un médecin de son choix. Si l’intéressé ne comparaît pas devant la commission médicale malgré deux convocations par lettre recommandée, la procédure est faite par défaut.

La commission, composée pour chaque affaire de trois membres, a pour mission d’entendre l’intéressé dans ses explications, de dresser procès-verbal et d’émettre un avis motivé pris à la majorité des voix. Elle donne un avis motivé au ministre des Transports. Dans cet avis elle indique également les cas où le port d’un appareil spécial ou l’aménagement spécial du véhicule s’impose et se prononce sur le mode d’aménagement du véhicule.

La commission se prononce sur les inaptitudes ou incapacités permanentes ou temporaires d’ordre physique ou psychomental des personnes visées à l’alinéa qui précède en se basant sur le résultat de son examen médical ainsi que sur les rapports d’expertise fournis par des médecins-experts spécialement chargés ou sur des certificats médicaux versés par les personnes examinées.

Les frais d’expertise sont à charge des personnes intéressées.

Le ministre des Transports prend sa décision sur le vu de l’avis de la commission médicale ».

7Cette disposition prévoit dès lors la procédure devant la commission médicale afin d’examiner les personnes souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver leurs aptitudes ou capacités de conduire un véhicule automoteur ou cyclomoteur, procédure pouvant, le cas échéant, aboutir à un retrait du permis de conduire par le ministre.

C’est dès lors également à tort que le demandeur estime que le cas prévu à l’article 2, paragraphe 1er, point 4) de la loi du 14 février 1955 ne serait pas visé par à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, de sorte que le moyen afférent est rejeté.

En ce qui concerne ensuite la contestation du demandeur qu’il souffrirait d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire au sens de l’article 2 de la loi du 14 février 1955, il convient de se référer au point 8.2 de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, intitulé « Drogues et médicaments », lequel en son point a), intitulé « Abus », dispose que « Le permis de conduire n’est ni délivré ni renouvelé si l’intéressé se trouve en état de dépendance vis-à-vis de substances à action psychotrope ou s’il en abuse régulièrement, sans être dépendant. […] ».

Il s’ensuit qu’une personne doit être considérée comme souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire si elle se trouve en état de dépendance vis-à-vis de substances à action psychotrope ou si elle en abuse régulièrement, sans être dépendante.

En l’espèce, il est constant en cause pour résulter, par ailleurs, du jugement, précité, du 8 mars 2019, que Monsieur … avait été arrêté pour avoir circulé, en date du 29 mai 2018, sur la voie publique alors que son organisme comportait la présence de tetrahydrocannabinol (THC) avec un taux sérique de 12 ng/ml, l’intéressé ayant de ce fait été condamné à une amende de 700 euros et à une interdiction de conduire de 12 mois, assortie du sursis intégral.

Au vu du taux sanguin ainsi relevé lequel était de 12 fois le taux légal maximum autorisé, il ne peut être reproché au ministre d’avoir eu des doutes quant à la consommation de drogues de Monsieur … et d’avoir mis en question son aptitude de conduire d’un point de vue médical.

Il se dégage ensuite du dossier administratif que le demandeur a été invité à deux reprises, sur base de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 et des articles 77 et 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, de présenter les résultats d’analyses toxicologiques des cheveux (drogues) au médecin-président de la commission médicale, invitations auxquelles il a toutefois refusé de donner suite et ce en dépit du fait qu’il a été rendu attentif par le ministre dans les courriers des 27 mai et 4 septembre 2019 que le fait de ne pas se soumettre à ces analyses pourrait entraîner le retrait du permis de conduire. Par courrier du 21 janvier 2020, le demandeur a été convoqué pour le 9 mars 2020 devant la commission médicale.

Dans l’arrêté ministériel du 6 mai 2020 sous analyse, le ministre a formellement retenu que Monsieur … « souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire », tout en s’appuyant, à cet égard, sur l’avis de la commission médicale du 27 avril 2020 duquel il ressort notamment que l’intéressé, entendu dans ses explications, « Ne présente pas de test » et qu’il « Fume de temps en temps du Cannabis », de sorte que comme « l’intéressé a refusé d’exécuter la décision du [ministre] l’invitant à produire des analyses toxicologiques des cheveux (drogues), il y a lieu d’admettre qu’il se trouve en état de 8dépendance vis-à-vis de substances à action psychotropes ou qu’il en abuse régulièrement, sans être dépendant ».

Au vu des circonstances qui précèdent et dans la mesure où il n’est pas contesté que le demandeur a systématiquement refusé de se soumettre à un screening toxicologique des cheveux, témoignant d’une mauvaise foi certaine dans son chef, et qu’il n’a, par ailleurs, pas rapporté la moindre preuve de nature à établir l’absence dans son chef d’une dépendance vis-à-vis de substances à action psychotropes, voire de prouver qu’il est un consommateur seulement occasionnel de cannabis, la commission médicale a valablement pu retenir, dans son avis du 27 avril 2020, que les conditions minimales prévues à l’article 77, point 8.2.a) de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 ne sont pas remplies en l’espèce.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a conclu, sur base dudit avis, que Monsieur … souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire au sens de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 et qu’il lui a retiré son permis de conduire, étant encore souligné à cet égard que la finalité primordiale du retrait administratif d’un permis de conduire est de protéger la sécurité de l’usager lui-même et surtout celle des autres usagers de la route.

Cette conclusion ne saurait être ébranlée par la violation alléguée par la décision ministérielle litigieuse de l’autorité de la chose jugée au pénal alors que le retrait du permis de conduire litigieux n’est pas la conséquence de la condamnation de Monsieur … au pénal, mais le résultat pour ne pas avoir donné suite à l’invitation du ministre de présenter dans le délai lui imparti les résultats d’analyses toxicologiques des cheveux en vue de faire établir s’il satisfait aux conditions minima prévues à l’article 77, point 8.2.a) de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955.

En effet, il échet, à cet égard, de relever que si le juge répressif prend nécessairement en compte différents aspects du comportement et de la personnalité du conducteur, aboutissant le cas échéant à aménager la sanction pénale à prononcer d’un sursis, une décision administrative de suspension, voire de retrait d’un permis de conduire, loin de constituer une décision arbitraire, est à entrevoir comme une peine complémentaire après la survenance d’une succession d’écarts au Code de la route, et constitue l’aboutissement d’une approche préventive s’inscrivant dans un choix politique de sécurité routière prenant également en considération, mais de façon plus abstraite, le comportement et la personnalité du conducteur, ceci sur une plus longue période, tout en donnant à celui-ci, le cas échéant, la possibilité de reconstituer son capital de points.

Il s’ensuit que la procédure administrative, aboutissant le cas échéant à la sanction complémentaire de la suspension ou du retrait du permis de conduire, n’est pas incompatible avec le prononcé d’une sanction pénale unique moins lourde, étant relevé que le cas inverse d’une sanction pénale plus sévère que la décision administrative est également susceptible de se produire pour l’hypothèse où le juge pénal prononce une interdiction de conduire ferme pour une infraction à la législation sur la circulation routière et que le même fait n’entraîne au niveau administratif qu’un simple retrait de points du capital de points d’un permis de conduire sans pour autant entraîner une décision de suspension du droit de conduire un véhicule automoteur6.

6 Voir en ce sens : Cour adm., 1er mars 2016, n° 37134C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Transports, n° 77 et l’autre référence y citée.

9Quant au moyen tiré d’une violation alléguée par la décision déférée du principe de « non bis in idem », consacré par les dispositions de l’article 4 du Protocole n°7 de la CEDH, il y a lieu de souligner, tel que le tribunal vient de le retenir ci-avant, que le retrait du permis de conduire litigieux ne résulte pas de la condamnation de Monsieur … au pénal pour avoir conduit sous l’influence de drogues, mais trouve sa cause dans le fait que le demandeur, par son refus systématique de se soumettre à un screening toxicologique des cheveux et en l’absence de toute autre pièce permettant de conclure à l’absence de dépendance vis-à-vis de substances à action psychotropes, n’a pas établi qu’il satisfait aux conditions minima prévues à l’article 77, point 8.2.a) de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, permettant dès lors au ministre de lui retirer son permis de conduire.

Il s’ensuit que les moyens basés sur une violation par la décision déférée de l’autorité de la chose jugée au pénal, respectivement du principe de « non bis in idem » sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Au vu de tout ce qui précède, aucune critique ne peut être retenue à l’encontre du ministre pour avoir retiré le permis de conduire du demandeur.

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

déclare le recours principal en annulation irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre l’avis de la commission médicale du 27 avril 2020 ;

le déclare recevable pour le surplus ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 avril 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn 10Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 44618
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-20;44618 ?

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