La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/04/2022 | LUXEMBOURG | N°44552

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 avril 2022, 44552


Tribunal administratif N° 44552 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2020 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de port d’armes

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44552 du rôle et déposée le 18 juin 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Fränk Rollinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au no

m de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la J...

Tribunal administratif N° 44552 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2020 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de port d’armes

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44552 du rôle et déposée le 18 juin 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Fränk Rollinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 2019 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2020 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 5 novembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Fränk Rollinger, au nom de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2020 par le délégué du gouvernement ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fränk Rollinger et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty entendu en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 octobre 2021.

___________________________________________________________________________

Par demande introduite au ministère de la Justice en date du 11 octobre 2017, Monsieur … sollicita l’octroi d’un permis de port d’armes de sport.

Par courrier du 25 janvier 2018, le ministre de la Justice, ci-après « le ministre », après avoir constaté qu’il résulte de l’enquête administrative que Monsieur … semblerait connaître des troubles psychiques, sollicita la production d’un certificat médical délivré par un médecin-

psychiatre attestant que son état de santé est compatible avec la possession d’armes à feu.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1Par décision du 23 juillet 2019, le ministre refusa de faire droit à cette demande aux termes de la motivation suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer par la présente à votre demande entrée au Ministère de la Justice le 11 octobre 2017, demande par laquelle vous sollicitez l’octroi d’un permis de port d’armes de sport.

L’enquête administrative d’usage menée suite à votre demande a révélé qu’à l’époque où vous étiez élève au Lycée … (L…), vous vous êtes fait remarquer par des affirmations inquiétantes selon lesquelles vous feriez exploser l’école et que vous feriez exécuter la monarchie. En outre, vous avez ordonné à deux enseignants de sauter par la fenêtre.

Ces faits, combinés avec le fait qu’à l’école vous aviez un comportement plutôt solitaire et que vous vous passionnez beaucoup pour tout ce qui touche à la guerre, ont amené la direction de l’école à contacter la Police. Vous avez d’ailleurs été renvoyé du L… au courant de l’année 2016. Il résulte encore du rapport de police établi suite à votre audition que vos propos ont été jugés si inquiétant[s] que la Police a surveillé pendant deux jours au mois de septembre 2016 l’école par crainte d’un acte inconsidéré et dangereux de votre part.

Etant donné que votre père avait indiqué, lors de l’audition auprès de la Police suite à votre demande précitée, que vous souffrez en plus du syndrome d’Asperger, la présentation d’un certificat médical a été sollicité par le Service des armes par courrier du 25 janvier 2018.

Or, il résulte du certificat médical du Dr … du 13 mars 2018 notamment ce qui suit :

« Ich denke, dass zur Zeit nichts dagegen spricht, dass der oben genannte Patient den Waffenschein erhalte. » Or, force est de constater que le certificat, dressé par un homme de l’art spécialisé ene la matière, est fort prudent dans sa teneur et ne permet pas d’écarter à suffisance de droit le danger que représenterait des armes à feu entre vos mains.

Eu égard à ces faits, il importe de relever que, de façon générale, les juridictions administratives ont jugé qu’en matière d’autorisation de port d’armes, la gravité de la décision d’accorder une autorisation de porter une arme impose au ministre de faire application de critères très restrictifs pour la reconnaissance de motifs valables y relatifs. Et que, pour ce faire, le ministre peut avoir égard, par ailleurs, à la généralité du comportement et de l’état mental du demandeur pour juger si le port d’arme par celui-ci risque de constituer un danger pour autrui voire pour lui-même.

En considération de l’ensemble de ce qui précède, et étant donné qu’il est à craindre que compte tenu de votre comportement, de votre état mental et de vos antécédents, vous ne représentiez un danger pour vous-même, autrui, ou pour l’ordre et la sécurité publics, l’autorisation sollicitée est refusée en application de l’article 16, alinéa 2, de la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions. (…) ».

Par courrier du 24 octobre 2019, Monsieur … introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, un recours gracieux contre la décision, précitée, du 23 juillet 2019.

Par décision du 25 janvier 2020, le ministre confirma sa décision du 23 juillet 2019.

Ladite décision est libellée comme suit :

2 « (…) J'ai l'honneur de me référer par la présente au recours gracieux du 24 octobre 2019 que vous avez introduit au nom et pour compte de votre mandant, Monsieur …, né le …, demeurant à L-…, par lequel vous demandez de reconsidérer la décision de refus du 23 juillet 2019.

Dans ce contexte, je ne saurais partager vos arguments y développés tirés d'une prétendue interprétation erronée des faits en question. Dans le cadre de la présente affaire, il y a lieu de constater que votre mandant a fait preuve d'un comportement particulièrement irresponsable qui n'est guère compatible avec la possession d'armes à feu, alors qu'il s'est fait remarquer par des affirmations inquiétantes selon lesquelles, en résumé, il ferait exploser l'école et qu'il ferait exécuter la monarchie. En outre, il avait ordonné à deux enseignants de sauter par la fenêtre. Il résulte du rapport de police établi suite à l'audition de votre mandant que ses propos ont été jugés si inquiétants que la Police a surveillé pendant deux jours au mois de septembre 2016 l'école, par crainte d'un acte inconsidéré et dangereux de la part de votre mandant.

La question relative à la façon suivant laquelle l'école a pu gérer cette situation est d'ailleurs étrangère à la motivation de la décision de refus du 23 juillet 2019.

Il y a lieu de relever qu'il est de jurisprudence administrative constante que, tout comme la gravité de la décision d'accorder une autorisation de porter ou de détenir une arme impose au ministre de faire application de critères très restrictifs pour la reconnaissance de motifs valables y relatifs, celle de refuser ou de révoquer pareille autorisation appelle une démarche également rigoureuse de la part de l'autorité administrative amenée à statuer (cf. en ce sens notamment : Trib. adm. 25 juin 2008, n° 23663, Pas. adm. 2016, V° Armes prohibées, n° 19). Le comportement dont a fait preuve votre mandant témoigne d'une méconnaissance manifeste de la loi et est, dès lors, incompatible avec le comportement que le ministre est en droit d'exiger d'un détenteur d'armes prohibées, quelle que soit la catégorie d'armes concernées.

En l'espèce, force est de constater qu'il existe un risque de mauvais usage d'armes dans le chef de votre mandant, compte tenu de son comportement qui est incompatible avec le comportement responsable et serein qu'on est en droit d'exiger d'un détenteur d'armes prohibées. Si le rôle du ministre ne consiste certes pas à sanctionner un fait déterminé, il lui appartient, en effet, en application du principe de précaution, compte tenu du comportement de l'individu, de tout mettre en œuvre afin de veiller à ce que le détenteur d'armes prohibées ne puisse pas, dans le futur, faire un mauvais usage de ces armes (Trib. Adm. 30 janv. 2017, numéro 37363 du rôle). Il est d'ailleurs établi que, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le ministre peut se baser sur des considérations tirées du comportement du demandeur telles que celles-ci lui ont été soumises à travers des procès-verbaux et rapports des forces de l'ordre, qui constituent des moyens licites et appropriés pour puiser les renseignements de nature à asseoir sa décision, et cela indépendamment de toute poursuite pénale (Trib. Adm. 31 mai 2000 (11602, c. 23 novembre 2000, 12102C) ; Trib.

Adm. 11 novembre 2002 (14888, c. 4 février 2003, 15655C) ; Trib. Adm. 29 septembre 2003 (16127, c. 3 février 2004, 17114C) et autres).

Par ailleurs, même si les certificats médicaux relatifs au syndrome d'Asperger de votre mandant pourraient attester que ce syndrome, en tant que tel, ne causerait pas de risques dans le chef de votre mandant, toujours est-il que le comportement de votre mandant, qu'il soit directement causé par le syndrome ou non, est incompatible avec la possession d'arme à feu dans son chef.

3En considération de ce qui précède, ensemble les moyens et arguments développés dans la décision de refus du 23 juillet 2019 qui font partie intégrante de la présente décision, votre recours gracieux précité du 24 octobre 2019 est rejeté. Conformément à l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, copie de la présente est adressée à votre mandant, pour son information.

(…) ».

Par requête déposée en date du 18 juin 2020, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle de refus du 23 juillet 2019.

Etant donné que ni la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, ci-après désignée par « la loi du 15 mars 1983 », ni aucune autre disposition légale ne prévoient de recours de pleine juridiction contre une décision de refus de port d’armes, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit par Monsieur ….

Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité dudit recours.

Quant à la recevabilité du recours en annulation et au vu de la contestation du délégué du gouvernement, il échet de rappeler que selon l’article 13 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », « le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée ».

Or, dans la mesure où en l’espèce Monsieur … a introduit en date du 24 octobre 2019 un recours gracieux à l’encontre de la décision du 23 juillet 2019 lui notifiée en date du 25 juillet 2019, le point de départ du délai du recours contentieux a été reporté à la date de la notification de la nouvelle décision statuant sur cette réclamation2, à savoir le 28 janvier 2020, étant encore précisé que les deux décisions des 23 juillet 2019 et 25 janvier 2020 forment un seul ensemble, de sorte que le fait que le recours contentieux a été dirigé contre la seule décision initiale n’implique pas l’irrecevabilité du recours3.

Le tribunal relève encore que le délai pour introduire le recours a été suspendu par le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 », pendant l’état de crise en raison de la situation sanitaire liée au Covid-19.

Dans la mesure où il n’est pas contesté qu’au vu de l’état de crise en raison de la situation sanitaire liée au Covid-19, les délais prescrits devant les juridictions administratives étaient suspendus du 26 mars au 23 juin 2020, il échet de constater que le délai pour introduire un recours devant le tribunal administratif prévu par l’article 13 de la loi du 21 juin 1999 était suspendu à partir du 26 mars 2020 et que le délai de 3 mois a coulé qu’entre le 28 janvier et le 26 mars 2020.

2 Trib. adm. 29 octobre 1997, n° 9835 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 254 et les autres références y citées.

3 Cour adm. 25 avril 2017, n° 38943C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 379 et les autres références y citées.

4Il s’ensuit que le recours introduit en date du 18 juin 2020 pendant la suspension des délais est recevable ratione temporis.

Ledit recours en annulation ayant encore été introduit selon les formes prévues par la loi est dès lors recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche en premier lieu au ministre d’avoir violé la loi, alors que la décision attaquée ne dénoterait pas quelles seraient les circonstances liées au comportement, à la santé mentale et aux antécédents qui ont donné lieu au refus de lui octroyer l’autorisation de port d’armes de sport. Il précise que la décision ne reposerait sur aucune crainte réelle et fondée.

Il soutient dans ce contexte que, dans la mesure où le ministre se baserait exclusivement sur le syndrome d’Asperger dont il est atteint, il se poserait « la question de la violation de la loi du 28 novembre 2006 sur l’égalité de traitement ». Il précise, en se basant sur l’article 1er de cette loi, qu’une discrimination directe se produirait lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre personne ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, ce sur base notamment de son handicap, tel que le syndrome d’Asperger.

Ainsi, il se verrait reprocher un comportement et une santé mentale qui s’avèreraient incompatibles avec l’octroi de l’autorisation de port d’armes, sans que ces motifs ne soient développés par des explications concrètes. Les dispositions législatives exigeraient cependant une motivation.

Le demandeur conclut ensuite à un excès, respectivement un détournement de pouvoir en reprochant au ministre d’avoir rendu une décision disproportionnée par rapport aux motifs invoqués et ne reposant pas sur des critères objectifs et clairs. Au contraire, la décision se baserait sur des considérations subjectives « laissant entrevoir un caractère s’approchant de l’arbitraire ».

Dans son mémoire en réplique, le demandeur soutient que le dossier administratif ne contiendrait qu’un seul rapport de police exprimant un avis défavorable tout en relevant que le commissaire en charge de la rédaction dudit procès-verbal aurait étayé divers faits sans en apporter des preuves tangibles. Il s’étonne encore qu’au vu de la gravité des faits aucun procès-

verbal n’aurait été établi à son encontre et qu’il n’aurait eu le moindre problème avec les autorités judiciaires. Il se réfère à cet égard à un courrier du Parquet près du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg informant le ministre qu’aucun procès-verbal ou rapport le visant n’aurait été dressé par la police ou l’administration des Douanes et Accises au courant des années 2015 à 2018 et à son casier judiciaire vierge.

Le demandeur insiste ensuite sur le fait que les propos relatifs à un danger quant à une fusillade en son lycée seraient infondés. La direction dudit lycée lui aurait au contraire conseillé de changer de voie professionnelle et de se réorienter en usant de tous les moyens, à savoir notamment en lui refusant l’accès au stage. Il n’aurait ainsi pas été renvoyé du lycée, mais se serait résigné à partir de son propre gré.

Monsieur … s’insurge encore contre le fait qu’à part la référence dans le rapport de police figurant au dossier administratif à un entretien téléphonique avec le service psychologique de la police, aucun document y relatif serait contenu dans le dossier administratif. Au contraire, il aurait versé deux certificats médicaux qui attesteraient sa bonne santé et l’absence de danger en relation avec une autorisation de port d’armes.

5 Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours.

Aux termes de l’article 16 de la loi du 15 mars 1983 sur le fondement duquel le ministre a basé son refus : « L’autorisation d’acquérir, d’acheter, d’importer, de transporter, de détenir, de porter, de vendre, de céder des armes et munitions est délivrée par le Ministre de la Justice ou son délégué, si les motifs invoqués à l’appui de la demande sont reconnus valables. L’autorisation peut être refusée lorsqu’il est à craindre que le requérant, compte tenu de son comportement, de son état mental et de ses antécédents, ne représente un danger pour soi-même, autrui, ou pour l’ordre et la sécurité publics. » Il résulte de la disposition légale précitée que le ministre peut refuser une autorisation de porter ou de détenir des armes et munitions, d’une part, lorsqu’il est établi que l’intéressé n’a pas ou plus de motifs valables pour requérir l’autorisation de port ou de détenir d’armes, et, d’autre part, même au cas où des motifs valables persisteraient, sur base de considérations fondées sur le comportement, l’état mental ou les antécédents de l’intéressé portant à craindre que le titulaire représente un danger pour soi-même, autrui, ou pour l’ordre et la sécurité publics, étant relevé que le législateur a clairement visé trois situations distinctes et indépendantes l’une de l’autre permettant au ministre de refuser une autorisation de port ou de détention d’armes4.

Il s’ensuit que le ministre est juge de l’opportunité d’octroyer ou de refuser l’autorisation de port d’armes, à condition que son appréciation repose sur des critères objectifs et s’opère d’une manière non arbitraire5.

Quant au contrôle à exercer par le tribunal à cet égard, il convient de relever que si les considérations de pure opportunité d’une décision administrative échappent certes au contrôle du juge de l’annulation, celui-ci garde néanmoins un droit et un devoir de contrôle portant sur l’existence du motif de refus concrètement invoqué6. Il appartient, en effet, au juge administratif de vérifier si les faits à la base du motif de refus retenu par le ministre sont établis, ce contrôle faisant partie, avec la recherche de l’erreur de droit, de l’erreur manifeste d’appréciation et du détournement de pouvoir, du contrôle minimum pesant sur les actes, même sur ceux pris en vertu d’un pouvoir discrétionnaire. Ce contrôle ne saurait toutefois avoir pour but de priver le ministre, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale, alors qu’il appartient au seul ministre de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence, en assumant tant à l’égard des intéressés qu’à l’égard de l’opinion publique la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence7.

Il convient encore de relever qu’en matière d’autorisation de port d’armes, la gravité de la décision d’accorder une autorisation de porter une arme impose au ministre de faire application de critères très restrictifs pour la reconnaissance de motifs valables y relatifs8.

4 Trib. adm. 19 janvier 2015, n°33748 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

5 Trib. adm. 29 juin 2015, n° 34774 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Armes prohibées, n° 2, et les autres références y citées.

6 Cour adm.12 juin 2007, n° 22626C, disponible sous www.jurad.etat.lu.

7 Trib. adm. 22 février 2008, n° 24108 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

8 Trib. adm. 11 novembre 2002, n° 14888, confirmé par arrêt du 4 février 2003, n° 15655C, Pas. adm. 2021, V° Armes prohibées, n° 4.

6 En l’espèce, la décision déférée est motivée par le fait que Monsieur … s’est fait remarquer par des affirmations inquiétantes selon lesquelles il ferait exploser l’école qu’il fréquentait et qu’il ferait exécuter la monarchie, propos ayant conduit à la surveillance de l’école par les autorités de police pendant deux jours, de sorte à être, contrairement à l’allégation du demandeur, motivée par des circonstances liées à son comportement et non pas par le syndrome d’Asperger dont il est atteint.

Il suit de ce constat que le moyen relatif à une violation de la loi modifiée du 28 novembre 2006 portant 1. transposition de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique ; 2. transposition de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ; 3. modification du Code du travail et portant introduction dans le Livre II d'un nouveau titre V relatif à l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ; 4. modification des articles 454 et 455 du Code pénal ; 5. modification de la loi du 12 septembre 2003 relative aux personnes handicapées, ci-après désignée par « la loi du 28 novembre 2006 », qui dans son article 1er prévoit que « (1) Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur (…) l’handicap (…) est interdite. (2) Aux fins du paragraphe (1) : a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés au paragraphe (1) ; b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes (…) d’un handicap (…) par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectifs soient appropriés et nécessaires », est d’ores et déjà à rejeter pour ne pas être pertinent et ce indépendamment de la question de savoir si le syndrome d’Asperger est à considérer comme handicap, respectivement de celle de savoir si ledit syndrome est à l’origine du comportement du demandeur.

Le tribunal constate ensuite qu’il ressort du dossier administratif et plus particulièrement du rapport numéro … contenant le questionnaire rempli par le commissaire en chef du commissariat de police de l’… en date du 20 décembre 2017 que : « Hiesige Dienststelle kann und muss unbedingt gegen das Erlangen der nachgesuchten Ermächtigung sprechen ! Nachforschungen haben ergeben, dass der Antragsteller besorgniserregende Aussagen tätigte. Bei diesen handelte es sich zum Beispiel um eine wo er angibt er würde die Schule in die Luft jagen, ebenfalls würde er die Monarchie hinrichten.

… ist ebenfalls als Einzelgänger bekannt und angeblich äusserst kriegsfanatisch und – orientiert.

… befahl zwei seiner Lehrer, dieselben sollen aus dem Fenster springen.

Laut dem Vater von … leide … unter dem ASBERGER-Syndrom.

Wegen diesen Aussagen usw. wurde … der Erzieherschule verwiesen, dies Mitte des Jahres 2016.

7 Ebenfalls wurde befürchtet, dass … Sven eventuell einen Amoklauf oder Ähnliches am 15. September 2016 oder am 19. September 2016 im L… durchziehen könnte.

Die Polizei war an den besagten Tagen vor der Schule präsent, doch … tauchte nicht auf.

Die section de recherche et enquête criminelle aus … ist mit dem Fall … beschäftigt.

(…) Ebenfalls hat Amtierender Kontakt mit dem service psychologique der Polizei aufgenommen, wobei der Psychologe … angab, dass die Psychologin … Kenntnis über … habe und dieselben würden ebenfalls gegen den Antrag sprechen. ».

Le tribunal est amené à retenir qu’indépendamment de la question de savoir si le syndrome d’Asperger dont le demandeur est atteint est la cause des menaces ayant été exprimées par le demandeur à l’égard du personnel enseignant du lycée en cause, respectivement des membres de la famille grand-ducale, menaces dont la réalité n’a à aucun moment été contestée par le demandeur, un tel comportement fait craindre que des armes à feu entre ses mains peuvent constituer un danger au sens de l’article 16 de la loi du 15 mars 1983.

Si le demandeur tente d’expliquer ledit comportement par une mauvaise prise en charge de sa personne et de sa condition audit lycée en précisant qu’il n’aurait pas été renvoyé, il n’en reste toutefois pas moins qu’il ressort d’un courrier du 26 juillet 2016 du directeur de ce lycée qu’il lui avait été « vivement recommandé, une toute dernière fois, de [se] réorienter vers d’autres études », qu’ « une poursuite des études d’… au L… est absolument contre-indiquée », qu’ « une éventuelle 2e tentative en 2016-2017 serait absolument vaine », qu’au vu du « comportement inapproprié sur le plan social et de la communication » du demandeur il avait été « décidé de ne pas [l’] autoriser à faire un stage de formation » et qu’il ne figurerait « plus sur la liste des élèves du L… » ». Or, ces explications contredisent cette thèse du demandeur et sont de nature à conforter la conclusion du commissaire inscrite au questionnaire précité, même à admettre que le comportement du demandeur ait eu comme origine un encadrement inadapté au sein du lycée, il n’en reste pas moins que le fait de riposter par des menaces ayant inspiré auprès du personnel enseignant une crainte ou du moins un souci sérieux, de sorte à avoir troublé la tranquillité au sein de l’établissement scolaire, consiste en tout état de cause en un comportement inadapté.

Il échet encore de rappeler que les menaces exprimées par le demandeur ont causé une impression de terreur ou d’alarme chez le personnel enseignant, à tel point que des agents de police ont procédé à la surveillance du lycée autour de la rentrée scolaire 2016 après que la direction du lycée avait informé les forces de l’ordre du comportement du demandeur. Dans ce contexte, il échet de préciser que si le comportement du demandeur n’a pas conduit à des poursuites pénales et si son casier judiciaire reste vierge, respectivement le parquet près du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a indiqué qu’aucun procès-verbal ou rapport n’a été dressé par la police ou la douane au courant des années 2015 à 2018, il n’en reste pas moins que le ministre peut se baser sur des considérations tirées du comportement du demandeur telles que celles-ci lui ont été soumises à travers des rapport des forces de l’ordre, y compris celui figurant au dossier administratif contenant le questionnaire établi en vue de la délivrance d’une autorisation de port d’armes, qui constituent des moyens licites et appropriés 8pour puiser les renseignements de nature à asseoir sa décision et cela indépendamment de toute poursuite pénale9.

Le tribunal est dès lors amené à retenir, au vu du comportement particulièrement inapproprié du demandeur consistant en des menaces d’un attentat contre les personnes et les propriétés dont la réalité n’a à aucun moment été contestée par le demandeur, à part l’affirmation que les craintes d’ « un danger quant à une fusillade du type « amok » sont infondé[e]s », et au vu du fait qu’un éventuel passage à l’acte ne saurait être exclu de manière certaine, que la décision ministérielle du 23 juillet 2020 n’est pas à considérer comme étant disproportionnée.

Il s’ensuit que le ministre a valablement et sans violer la loi ou le principe de proportionnalité pu conclure à partir du seul comportement du demandeur que celui-ci est susceptible de faire un mauvais usage de son arme, étant rappelé que le rôle du ministre ne consiste pas à sanctionner un fait déterminé, mais en application du principe de précaution, compte tenu du comportement de l’individu, à mettre tout en œuvre afin de veiller à ce que le détenteur d’armes prohibées ne puisse pas, dans le futur, faire un mauvais usage de ces armes10.

Ce constat n’est pas infirmé par les certificats médicaux du docteur … des 13 mars 2018, respectivement 30 juillet 2019, étant donné que, d’un côté, ces derniers s’expriment sur l’état de santé du demandeur, qui n’a pas été mis en doute par le ministre et, d’un autre côté, ils ne sont pas de nature à remettre en cause le comportement affiché par le demandeur et relaté à travers le questionnaire précité.

Il s’ensuit que le ministre a valablement pu décider, par précaution, de refuser le permis de port d’armes au demandeur.

Eu égard à l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000.- euros telle que formulée par le demandeur sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 encourt le rejet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure présentée par le demandeur ;

met les frais et dépens à charge du demandeur.

Ainsi délibéré par :

9 Trib. adm. 31 mai 200, inscrit sous le numéro 11602 du rôle, confirmé par Cour adm, 23 novembre 2000, inscrit sous le numéro 12102C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Armes prohibées, n° 22 et les autres références y citées.

10 Trib. Adm., 30 juin 2019, n° 26411 du rôle, confirmé par Cour adm., 7 décembre 2010, n° 27162C du rôle, Pas.

adm. 2021, V° Armes prohibées, n° 7 et l’autre référence y citée.

9 Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Carine Reinesch, juge, et prononcé à l’audience publique du 20 avril 2022 par le vice-président en présence du greffier Luana Poiani.

s.Luana Poiani s.Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 44552
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-20;44552 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award