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20/04/2022 | LUXEMBOURG | N°44209

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 avril 2022, 44209


Tribunal administratif N° 44209 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2020 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par La société anonyme A, … contre des décisions du collège des bourgmestre et échevins, du conseil communal et du bourgmestre de la commune de Hesperange, en présence de la société à responsabilité limitée B, …

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44209 du rôle et déposée le 28 février 2020 au greffe du

tribunal administratif par Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr...

Tribunal administratif N° 44209 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2020 1re chambre Audience publique du 20 avril 2022 Recours formé par La société anonyme A, … contre des décisions du collège des bourgmestre et échevins, du conseil communal et du bourgmestre de la commune de Hesperange, en présence de la société à responsabilité limitée B, …

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44209 du rôle et déposée le 28 février 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation de : « (1) une décision du Bourgmestre et des Échevins d’Hesperange du 4 février 2019, matérialisée par la signature par eux d’un contrat avec la société B, (2) une délibération du Conseil communal du 26 février 2019 approuvant la décision du bourgmestre et des échevins de signer le contrat avec la société B, (3) un refus implicite de retirer les décision mentionnées sub. (1) et (2) née 30 novembre 2019 du silence gardé par le bourgmestre sur un recours gracieux du 29 août 2019 et (4) une décision explicite au recours gracieux exprimée par le mandataire de la commune d'Hesperange, Me Georges PIERRET, par courrier du 6 janvier 2020 » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 6 mars 2020, portant signification de ladite requête à la commune de Hesperange, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant sa maison communale à L-5886 Hesperange, 474, route de Thionville ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 18 mars 2020, portant signification de ladite requête à la société à responsabilité limitée B, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 mars 2020 par Maître Georges Pierret, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la commune de Hesperange, préqualifiée ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 juin 2020 par Maître Serge Marx, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée B, préqualifiée ;

1 Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 août 2020 par Maître Georges Pierret au nom de la commune de Hesperange, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 octobre 2020 par Maître Marc Thewes au nom de la société anonyme A, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 novembre 2020 par Maître Georges Pierret au nom de la commune de Hesperange, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 novembre 2020 par Maître Serge Marx au nom de la société à responsabilité limitée B, préqualifiée ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 mars 2022 par la société à responsabilité limitée Etude d’avocats Pierret & associés SARL, inscrite au tableau V du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1730 Luxembourg, 8, rue de l’Hippodrome, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B263981, représentée par Maître Georges Pierret, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la commune de Hesperange, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes attaqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hicham Rassafi, en remplacement de Maître Marc Thewes, Maître Sébastien Coï, en remplacement de Maître Georges Pierret et Maître Serge Marx, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 mars 2022.

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En date du 4 février 2019, le collège des bourgmestres et échevins de la commune de Hesperange, ci-après désigné par « le collège », signa avec la société à responsabilité limitée B, ci-après désignée par « la société B », un contrat intitulé « contrat d’affichage sur le territoire de la commune Hesperange » et ayant suivant son article 1er l’objet suivant « la commune de Hesperange concède au concessionnaire le droit exclusif de la publicité par voie d’affichage sur le mobilier urbain ; le mobilier urbain comprend les abris d’autobus, les planimètres au format 2 m² ou moindre, les colonnes d’affichage, les panneaux grand format LED/LCD, présents sur le territoire de la commune et énumérés au relevé annexé au présent contrat et qui en fait partie intégrante. La commune garantit au concessionnaire une exclusivité d’exploitation pour les dispositifs publicitaires précités ceci dans un périmètre de 100 m autour des implantations énumérées au relevé annexé précité.

Sont expressément exclus du présent contrat les mobiliers urbains pour lesquels l’apposition de publicité est interdite par une convention antérieure conclue entre commune et un tiers. », ledit contrat prenant effet au 4 février 2019 et étant conclu pour une période de 12 ans respectivement de 15 ans pour les abribus avec caisson digital intégré respectivement de 7 ans à partir de la date de la mise en place du dernier dispositif.

En sa séance du 25 février 2019, le conseil communal de la commune Hesperange, ci-après désigné par « le conseil », décida d’approuver ledit contrat.

2 Par un courrier de son litismandataire portant la date du 27 août 2019, la société anonyme A, ci-après désignée par « la société A », s’adressa à la commune de Hesperange, ci-après désignée par « la commune », pour l’inviter à « retirer [sa] décision de signer le contrat, matérialisée par la signature même du contrat le 4 février 2019, de bien vouloir prendre toutes les dispositions pour abroger la délibération du 26 février 2019 approuvant [sa] décision de signer le contrat et, enfin, de bien vouloir résilier le contrat actuellement en vigueur conclu entre la commune d’Hesperange et la société B », ledit courrier reposant sur la motivation suivante :

« Je vous reviens dans le dossier ci-dessus référencé suite à notre entrevue du 19 août 2019.

Lors de cet entretien, je vous ai exposé le fait que le contrat que la commune d’Hesperange a conclu le 4 février 2019 avec la société B, approuvé par la délibération du 26 février 2019 du conseil communal et ayant pour objet l’octroi d’un droit exclusif d’exploiter les dispositions publicitaires sur tout le territoire communal, apparaît d’évidence comme étant illégal.

Ce contrat, qui, selon mon analyse, doit être qualifié de convention d’occupation du domaine public - mais qui pourrait également recevoir la qualification de convention sui generis d’octroi d’un droit exclusif d’exercer une activité économique sur le territoire communal - a été conclu sans qu’aucune forme de mise en concurrence préalable ne soit menée.

Selon vos dires, le contrat a été attribué à B après un démarchage commercial actif de cette société.

Le droit de l’Union européenne, tel qu’il résulte notamment de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (aff. C-458/14) impose la mise en concurrence préalable à la délivrance de convention d’autorisations d’occupation du domaine public qui confère à leur titulaire le droit exclusif d’exercice d’une activité économique.

J’attire également votre attention sur le fait que cette même Cour de justice a jugé que :

Selon une jurisprudence constante, pour un régime d’autorisation administrative préalable soit justifié alors même qu’il déroge à une liberté fondamentale, il doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire.

CJCE, 3 juin 2010, Sporting Exchange Ltd, aff. C-203/08.

L’absence de procédure préalable de mise en concurrence entre en contradiction flagrante avec le droit de l’Union européenne, et notamment, le principe de non-

discrimination, la libre prestation de service et, de façon plus générale, les principes fondamentaux de transparence et d’égalité de traitement des opérateurs économiques.

3 En outre, cette procédure heurte également les principes de droit interne d’égalité et le droit de la concurrence, en particulier, mais pas uniquement.

Je porte à votre attention l’appréciation sévère émise par le Conseil de la concurrence dans l’affaire relative au droit exclusif qui s’était octroyé la Ville de Luxembourg pour l’exercice de l’activité de transport de dépouilles mortuaires sur son territoire (décision n° 2015-E-01 du 16 janvier 2015), de même que le contrôle qu’opère le juge administratif sur les décisions relatives aux autorisations d’exercice d’une activité économique que le domaine public (Trib. adm., 14 juillet 2009, n° 25207 du rôle).

Il apparaît donc clairement que la situation ne peut demeurer en l’état.

J’ai d’ores et déjà reçu mandat de ma cliente, la société A, pour exercer toute voie de droit et/ou toute démarche utile à la préservation de ses intérêts et notamment, afin de contester votre décision de signer le contrat avec la société B ainsi que la délibération du Conseil communal qui l’approuve.

En conséquence, je vous demande de bien vouloir retirer votre décision de signer le contrat, matérialisée par la signature même du contrat le 4 février 2019, de bien vouloir prendre toutes les dispositions pour abroger la délibération du 26 février 2019 approuvant votre décision de signer le contrat et, enfin, de bien vouloir résilier le contrat actuellement en vigueur conclu entre la commune d’Hesperange et la société B. ».

Après divers échanges de correspondance, le litismandataire de la commune s’adressa par voie de courrier officiel daté du 6 janvier 2020 au litismandataire de la société A pour l’informer que la commune « n’[était] pas en mesure de réserver une suite favorable à [sa] demande ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 février 2020, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation (i) d’une décision ainsi qualifiée du collège du 4 février 2019 « matérialisée par la signature […] d’un contrat avec la société B », (ii) d’une délibération du conseil du 26 février 2019 approuvant ladite « décision » de signer le contrat avec la société B et (iii) d’un refus implicite ainsi qualifié de retirer ces décisions en raison du silence gardé par le bourgmestre de la commune de Hesperange, ci-après désigné par « le bourgmestre », à la suite d’un courrier du litismandataire de la société A du 27 août 2019 et (iv) d’une décision de refus ainsi qualifiée du 6 janvier 2020 sur recours gracieux.

1) Quant à la compétence du tribunal et quant à la recevabilité du recours Arguments des parties A l’appui de son recours, la société A souligne que la qualification du contrat signé en l’espèce serait importante pour déterminer la compétence du tribunal, tout en soulignant que son intention ne serait pas celle d’attaquer des stipulations contractuelles en tant que telles.

Au niveau des stipulations pertinentes du contrat, la société requérante relève que, premièrement, la société B se verrait conférer un droit exclusif de faire de la publicité par voie d’affichage sur le mobilier urbain de la commune, deuxièmement, que la commune 4 prendrait à sa charge les frais d’installation des dispositifs publicitaires, troisièmement, la société B lui verserait mensuellement des redevances, quatrièmement, la commune bénéficierait d’une remise de 30 % sur le tarif usuel d’affichage pour ses propres besoins, cinquièmement, la convention serait conclue pour une durée déterminée de 12 ou 15 ans suivant des modalités que la requérante qualifie comme aboutissant à une durée « quasiment ad vitam aeternam » et sixièmement, les dispositifs publicitaires relevant du mobilier urbain continueraient à appartenir à la société B.

A partir de ces stipulations contractuelles elle conclut que comme aucun prix ne serait versé, la qualification de marché public serait à exclure.

Par ailleurs, comme la commune ne confierait aucune mission de service public à la société B pour son compte ou pour ses administrés, contre rémunération, la qualification de concession serait pareillement exclue.

Au contraire, la commune autoriserait la société B à occuper privativement le domaine public afin d’exercer une activité économique sans être soumise au contrôle de la commune quant à la nature des affichages réalisés, la société B se rémunérant sur la vente des espaces publicitaires. La société requérante en conclut que la convention présenterait tous les critères d’une convention d’occupation du domaine public.

La société B conclut, quant à elle, à l’incompétence ratione materiae du tribunal administratif en reprochant à la société requérante de demander en réalité au tribunal de contrôler la légalité d’un contrat purement civil conclu entre elle et la commune, mettant en jeu des droits subjectifs relevant en vertu de l’article 84 de la Constitution du ressort exclusif des juridictions de l’ordre judiciaire. Elle poursuit que la compétence du tribunal administratif ne pourrait pas non plus être fondée sur la théorie des actes détachables, tout en soulignant qu’une manifestation de volonté d’une autorité administrative sur une question patrimoniale relevant du droit de propriété ne comporterait pas de décision donnant lieu à l’application de la théorie de l’acte détachable.

La société B conclut encore à l’incompétence du tribunal administratif pour connaître des reproches en matière de concurrence, une telle compétence relevant de son avis de la compétence exclusive du conseil de la concurrence.

Par ailleurs, elle conclut à l’irrecevabilité du recours, d’une part, ratione temporis, et d’autre part, pour défaut d’intérêt à agir.

En ce qui concerne la recevabilité ratione temporis, elle déclare se rapporter à prudence de justice dans la mesure où la délibération litigieuse du conseil daterait du 26 février 2019, alors que le recours aurait été introduit le 29 août 2019 et déclare se rapporter à prudence quant au respect des autres formalités.

En ce qui concerne l’intérêt à agir, elle reproche à la société A de poursuivre une autre finalité que celle de faire contrôler la légalité des prétendues décisions entreprises. A cet égard, elle précise que le recours aurait été introduit de façon concomitante à une prise de contact par la société A de ses associés en vue de l’acquisition de leurs parts sociales, en renvoyant à des échanges de courriers à cet égard. Ainsi, si l’objet apparent du recours consisterait en un contrôle de la légalité, la véritable motivation semblerait être celle d’inciter ses associés à vendre leurs parts sociales, de sorte à reprocher à la société A de procéder par 5 un détournement de procédure sur base de considérations qui ne pourraient justifier son intérêt à agir.

En ce qui concerne la qualification du contrat litigieux, après avoir constaté de concert avec la société requérante qu’il ne s’agit ni d’un marché public, ni d’une concession, la société B conteste que le contrat puisse être qualifié de « convention d'occupation du domaine communal ». Au contraire, elle estime qu’il s’agirait d’un simple « contrat de mobilier urbain » en vertu duquel elle pourrait procéder à l’affichage de publicités sur un nombre limitativement énuméré de mobiliers urbains, tout en contestant qu’un monopole lui ait été attribué dans la mesure où le droit d’exploiter des dispositifs publicitaires ne viserait que ceux limitativement énumérés au relevé annexé au contrat, qui par ailleurs, exclurait le mobilier urbain faisant l’objet de conventions antérieures avec d’autres tiers, de sorte que la commune conserverait la liberté de conférer à tout autre opérateur économique le droit d’installer des dispositifs publicitaires à d’autres endroits que ceux limitativement énumérés au contrat.

Dans sa réplique, et après avoir pris position sur la question de la qualification du contrat conclu en l’espèce, en maintenant que la qualification de contrat d’occupation du domaine public devrait être retenue et non pas celle de concession de service telle que préconisée par la commune, la société requérante conclut à la compétence du tribunal pour connaître de la légalité de la décision du collège de signer le contrat litigieux. A cet égard, elle souligne qu’elle n’aurait pas demandé l’annulation du contrat, mais celle de la décision intellectuellement et chronologiquement antérieure de le signer et de créer un droit civil au profit d’un tiers. Tout en admettant que le tribunal administratif n’est, en application de l’article 84 de la Constitution pas compétent pour annuler un contrat, elle se prévaut de la théorie des actes détachables en se référant à cet égard à la jurisprudence des juridictions administratives.

Par ailleurs, la société requérante fait valoir que la décision de signer le contrat ne pourrait être qualifiée d’acte préparatoire, tout en soulignant que la jurisprudence sur laquelle la commune s’appuie pour arriver à cette qualification ne permettrait pas de tirer les conclusions que la commune en entend déduire. Ainsi, dans cette affaire, le tribunal administratif aurait uniquement rappelé que la signature d’une convention par le collège échevinal sans autorisation préalable du conseil communal serait illégale et ne serait pas susceptible de créer un droit.

Si dans son mémoire en réponse, la commune n’a pas pris position sur la question de la compétence du tribunal, ni quant à l’intérêt à agir de la société requérante et s’est limitée à prendre position quant à la qualification du contrat signé en l’espèce, ainsi que par rapport aux moyens développés au fond et tenant à une incompétence alléguée de l’auteur des décisions, une violation alléguée du droit de la concurrence et du principe d’égalité de traitement, elle conclut dans son mémoire en duplique à l’incompétence ratione materiae du tribunal pour connaître du présent recours en reprenant en substance les contestations afférentes de la société B.

Ensuite, à admettre la compétence ratione materiae du tribunal administratif, elle fait valoir que la décision du collège du 4 février 2019 ne serait qu’un acte préparatoire de la décision du conseil du 25 février 2019, de sorte que la demande d’annulation d’un tel acte préparatoire devrait être déclarée irrecevable, à défaut de faire grief à la société requérante, la commune renvoyant à cet égard à l’article 14 du contrat litigieux, et soulignant qu’en 6 application de l’article 28 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après désignée par « la loi communale», la décision finale appartiendrait au conseil.

Enfin, elle donne à considérer que la société requérante resterait en défaut de démontrer que ses intérêts particuliers aient été bafoués. En l’occurrence, il n’existerait aucune preuve que son activité économique ait été entravée à la suite du contrat litigieux, de sorte qu’un préjudice économique resterait théorique à défaut de preuve d’avoir manifesté un quelconque intérêt à se voir attribuer le contrat litigieux. Bien au contraire, la société A aurait été sollicitée par le passé, mais aurait manifesté un clair désintérêt à la conclusion d’un tel contrat, la commune reprochant encore à la société A de s’ériger en procureur d’Etat en charge de la protection de l’intérêt général et de s’investir d’une mission de police de la publicité respectivement de l’implantation publicitaire.

Pour ce qui est de la qualification du contrat, la commune est d’avis qu’alors même que la société B lui payerait une redevance, il s’agirait d’une concession de service, et ce au regard de « l’évolution jurisprudentielle opérée par le Conseil d'Etat en France », la commune renvoyant à des arrêts du Conseil d’Etat français des 15 mai 2013, n°364593 du rôle, et 25 mai 2018, n°416825 du rôle.

A l’audience des plaidoiries, le tribunal a encore soulevé d’office la question de l’existence - indépendamment des questions de compétence et de recevabilité soulevées par les parties à l’instance - d’une décision implicite de refus sur recours gracieux tiré du silence gardé par le bourgmestre, dans la mesure où suivant les explications de la partie requérante, une décision explicite aurait été prise le 6 janvier 2020.

Analyse du tribunal Les contestations soulevées par la commune et par la société B soulèvent tant la question de la compétence ratione materiae du tribunal, que celle de la recevabilité du recours plus particulièrement en ce qui concerne l’intérêt à agir de la société A.

En ce qui concerne la compétence ratione materiae des juridictions de l’ordre administratif, il y a tout d’abord lieu de rappeler qu’en vertu de l'article 84 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux judiciaires, tandis que l'article 95bis, paragraphe (1) de la Constitution attribue le contentieux administratif aux juridictions administratives.

Ainsi, la compétence des juridictions administratives en droit luxembourgeois est une compétence d’attribution, celles-ci ne connaissant que du contentieux administratif qui leur est attribué par la loi.

Le tribunal administratif étant en effet une juridiction d’exception, sa compétence ratione materiae doit résulter d’une disposition légale spécifique sinon entrer dans les prévisions de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », suivant lequel « le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », étant relevé que le tribunal administratif est encore compétent pour connaître des actes à caractère 7 réglementaire sur le fondement de l’article 7, paragraphe (1) de la même loi, en vertu duquel « le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. ».

S’agissant de la notion de « droits civils », telle que figurant à l’article 84 de la Constitution, il y a lieu de l’employer au sens le plus large, de sorte à englober tous les droits, tous les intérêts, à l’exception de ceux qui, par une loi, ont été spécialement soustraits à la connaissance de la juridiction ordinaire, de sorte à comprendre les contrats1, en ce compris les contrats passés par l’administration qui relèvent, de la sorte, de la compétence des tribunaux judiciaires2.

En ce qui concerne en particulier les recours contre les décisions administratives individuelles, l’article 2, paragraphe (1), précité, de la loi du 7 novembre 1996 limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés. Il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste3, étant souligné que l’acte doit émaner d’une autorité relevant, du moins pour cet acte, de la sphère du droit administratif, et participant à un titre quelconque à l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire exerçant des prérogatives de droit public, investie pour l’acte considéré de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, en d’autres termes du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte4. Force est encore de relever que le seul fait que l’acte émane d’une autorité administrative est insuffisant, étant donné que la répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives s'opère, non pas en fonction des sujets de droit - personnes privées ou autorités administratives - mais en fonction de l'objet du droit qui engendre une contestation portée devant le juge5.

Il est admis que le contentieux des contrats conclus par l’administration, impliquant des actes unilatéraux accomplis par l’administration relatif à la conclusion, l’exécution ou la résiliation des contrats, relève en principe des juridictions judiciaires, non seulement dans la mesure où l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996 vise uniquement des manifestations unilatérales de volonté, alors que les contrats, produits d’un concours plus ou moins réel de consentements, n’en font pas partie, mais encore dans la mesure où un contrat donne naissance, dans le chef des parties, à des droits subjectifs dont le juge est celui de l’ordre judiciaire6 ; tel est le cas du contentieux relatif à la formation du contrat ; il en va de même du contentieux de l’exécution ou de la réalisation des contrats, qui met en jeu des droits subjectifs et qui est du ressort exclusif des tribunaux de l’ordre judiciaire7.

1 Alex Bonn, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, 1966, n°101.

2 André Buttgenbach, Manuel de droit administratif, Bruylant, 1959, n°383.

3 Trib. adm. 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n°4 et les autres références y citées.

4 Trib. adm. 30 octobre 2000, n°11798 du rôle, confirmé par Cour adm. 29 novembre 2001, n°12592C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 8 et les autres références y citées.

5 Trib. adm. 15 décembre 1997, n° 10282, Pas. adm. 2021, V° Compétence, n° 36, et les autres références y citées.

6 Michel Leroy, Contentieux administratif, Bruylant, 2008, p.231.

7 idem, p.234.

8 Aussi, lorsqu’un litige porte sur le respect ou le non-respect d’un contrat, respectivement sur sa résiliation, l’objet du litige consistant alors respectivement en la réformation ou l’annulation d’une décision par laquelle un particulier reproche à une autorité administrative d’avoir méconnu des obligations contractuellement assumées par elle, respectivement d’avoir procédé à une résiliation abusive d’un contrat, la connaissance de pareil litige relève des tribunaux judiciaires qui, dans ce cas, en imposant le respect du contrat, respectivement en accordant des dommages et intérêts, ont le pouvoir de procurer au particulier un résultat pratique équivalent à l’annulation de l’acte incriminé8.

Ce principe suivant lequel le contentieux contractuel, même impliquant une autorité administrative, relève des juridictions judiciaires, reçoit un tempérament en faveur de la théorie des actes détachables du contrat, qui veut que, par exception aux règles de compétence fixées par les articles 84 et 95bis de la Constitution, les juridictions administratives restent compétentes pour connaître de la régularité d’un acte de nature administrative intervenant comme préalable au support nécessaire à la réalisation d’un rapport de droit privé9. Tel est l’hypothèse plus particulièrement en matière de marchés publics, les décisions de refus d’octroi d’un marché, respectivement d’attribution d’un marché, préalables à la conclusion du contrat, étant susceptibles d’un recours devant le tribunal administratif. Tel est encore le cas en matière d’exercice du droit de préemption10.

En l’espèce, la société A entend attaquer non pas le contrat conclu avec la société B en tant que tel, mais une décision qui aurait été prise préalablement de procéder à la signature de ce contrat, respectivement la délibération du conseil d’approuver cette convention, voire le refus lui opposé par la suite de retirer cette décision, sinon de résilier ce contrat, de sorte que se pose la question de savoir si elle est fondée à les qualifier d’actes détachables de la conclusion de ce contrat susceptibles de recours devant les juridictions administratives. Dans ce contexte, se pose la question de savoir si le collège, respectivement le conseil a pris une décision, en dehors de la conclusion proprement dite du contrat, ayant pour effet d’affecter l’ordonnancement juridique, soit en le modifiant par ajout de dispositions soit par leur disparition ou encore par maintien de dispositions et qu’elle a exercé dans le cadre de la mise en œuvre de ses prérogatives de puissance publique de nature à porter grief à un administré11, qui justifierait la compétence des juridictions administratives. Autrement dit, se pose la question de savoir si ces décisions sont rattachables à l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire à l’exercice des prérogatives de puissance publique de nature à porter grief à un administré.

S’agissant ensuite plus particulièrement de la question du grief causé par un acte et qui justifie l’intérêt à agir, se pose encore en l’espèce la question de l’intérêt à agir de la société requérante, contesté en l’occurrence, la commune remettant dans sa duplique en question toute atteinte au droit de la société requérante et lui reprochant de défendre en réalité l’intérêt général, tandis que la société B reproche à la société requérante de poursuivre un intérêt personnel qui serait sans rapport avec la légalité des actes attaqués en tant que telle, 8 Trib. adm. 11 octobre 2001, n° 12729 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Compétence, n° 77 et les autres références y citées.

9 Cour adm. 12 mars 1998, n° 10497C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Compétence, n° 76 et autres références y citées.

10 Cour adm. 21 janvier 2020, n° 43240C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Logement, n° 47, en matière de droit de préemption 11 idem 9 mais qui reposerait sur des considérations stratégiques afin de faire en substance pression sur les associés de la société B afin qu’ils réservent une suite favorable à une demande de la société A à leur adresse de vendre leurs parts sociales.

A cet égard, il y a lieu de relever que la recevabilité d’un recours est conditionnée par l’existence d’un acte de nature à faire grief et ayant produit cet effet sur la personne du demandeur. Il importe donc que l’intérêt qui doit non seulement être né et actuel, effectif et légitime12, soit non pas impersonnel et général, mais personnel13. Ainsi, il faut que la décision querellée entraîne des conséquences fâcheuses pour le demandeur, de nature matérielle ou morale14 et qu’elles l’atteignent à un titre particulier, en tant qu’appartenant à une catégorie définie et limitée d’administrés. L’annulation poursuivie doit pouvoir mettre fin à ces conséquences15. A défaut de grief, le demandeur ne peut se prévaloir de conséquences fâcheuses à son encontre. Eu égard à la circonstance que les juridictions ne sont pas instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations, il appartient au tribunal de s’assurer qu’au moment de la requête introductive d’instance la condition d’intérêt soit bien remplie.

En tout état de cause, il appartient à la partie requérante d’expliquer et de justifier son intérêt à agir, étant relevé qu’il n’appartient pas au tribunal de rechercher par ses propres moyens quel pourrait le cas échéant être l’intérêt à agir dont pourrait se prévaloir une partie requérante à défaut de toute explication fournie par celle-ci.

En l’espèce, force est de constater que la requête introductive d’instance est muette en ce qui concerne l’intérêt à agir de la société A, celle-ci, après avoir exposé les faits et rétroactes tels que retranscrits ci-avant, affirmant de façon péremptoire que le recours serait introduit dans les formes et délai de la loi et qu’il serait partant recevable pour ensuite se concentrer sur des développements relatifs à la qualification du contrat et aux irrégularités qu’elle entend voir dans les actes attaqués.

Dans sa réplique, la société A reste toujours muette en ce qui concerne son intérêt à agir et continue à se concentrer sur la question de la qualification de la convention litigieuse et des conséquences qu’il conviendrait d’en déduire, de même que sur les illégalités invoquées par elle, sans toutefois fournir une quelconque explication sur la question de savoir en quoi les actes attaqués - à supposer qu’ils sont susceptibles d’être qualifiées d’actes détachables de la conclusion proprement dite du contrat - lui feraient grief et surtout quelle serait la satisfaction personnelle qu’une annulation pourrait lui procurer.

Par ailleurs, bien que confrontée aux contestations afférentes développées par la société B dans sa réponse, certes intervenue après le dépôt du mémoire en réplique, et celles développées par la commune dans sa duplique, la société requérante n’a pas demandé une autorisation pour déposer un mémoire additionnel afin de prendre position sur les contestations ainsi soulevées quant à son intérêt à agir.

12 Trib. adm. 11 octobre 1999, n°11243 et 11244, confirmé par Cour adm. 17 février 2000, n° 11608C, Pas.

adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 17 et les autres références y citées.

13 En ce sens « Le contentieux administratif en droit luxembourgeois » par Rusen Ergec mis à jour par Francis Delaporte, Procédure contentieuse, n° 114, Pas. adm. 2021, p. 68.

14 Précis de droit administratif belge, André Mast, Edition entièrement adaptée et complétée par André Alen et Jean Dujardin, E. Story-Scientia, 1989, n° 650 p. 592.

15 Op. cit.

10 Enfin, encore que le litismandataire de la société B ait réitéré en termes de plaidoirie orale à l’audience des plaidoiries ses contestations quant à l’intérêt à agir, le litismandataire de la société A n’a, à l’audience des plaidoiries, pas non plus pris position sur la question de l’intérêt à agir de la société requérante.

A défaut d’une quelconque explication fournie par la société requérante en ce qui concerne son intérêt à agir, face aux contestations pourtant très concrètes soulevées tant par la commune que par la société B, le tribunal est dans l’impossibilité de vérifier l’intérêt à agir de la société requérante, étant relevé qu’il ne lui appartient pas de rechercher d’office en quelle mesure la société A pourrait être affectée par les actes qu’elle entend attaquer -

indépendamment de la question de leur qualification - et plus loin quelle pourrait être la satisfaction qu’elle désire tirer d’une annulation de ces actes. Il s’ensuit que le tribunal ne peut que constater que la société requérante n’a pas justifié à suffisance son intérêt à agir, pourtant érigé en condition de recevabilité du recours tel que cela été retenu ci-avant.

A titre superfétatoire et uniquement afin d’être complet, le tribunal relève encore qu’à admettre que la société requérante ait entendu se prévaloir d’un intérêt de concurrence, certes non expressément invoqué mais qui pourrait le cas échéant être déduit de ses contestations soulevées au fond, la société requérante reprochant en l’occurrence à la commune de ne pas avoir respecté les règles en matière de mise en concurrence, le tribunal relève que les reproches formulés par la société B suivant lesquels le présent recours s’inscrirait en réalité dans le contexte d’une réaction au refus opposé à la société requérante à une tentative d’acquérir les parts sociales de la société B n’ont pas autrement été commentés par la société A, ni d’ailleurs contestés par celle-ci. Celle-ci n’a pas non plus remis en question les déclarations de la commune dans sa duplique suivant laquelle la société A aurait été approchée par elle dans l’optique d’une mise à disposition du mobilier urbain pour des fins de publicité et que celle-ci aurait manifesté clairement son désintérêt. Dans ces conditions, à défaut d’éléments permettant de retenir que la société A ait présenté un réel intérêt à se voir attribuer le contrat conclu en l’espèce avec la société B, l’intérêt à agir de la société A ne se trouve pas vérifié pour autant qu’il soit concurrentiel.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et indépendamment de la question de savoir si les actes critiqués par la société requérante sont susceptibles d’être qualifiés d’acte administratifs détachables de la conclusion proprement dite du contrat et partant indépendamment de la question de la compétence rationne materiae du tribunal, que la société requérante n’a en tout état de cause pas justifié à suffisance son intérêt à agir, de sorte que le recours est déclaré irrecevable, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens d’irrecevabilité soulevés.

Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie requérante sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives d’un montant de 1.000 euros est rejetée.

La demande de la commune en paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros sur le même fondement est encore rejetée en ce qu’il n’est pas justifié à suffisance en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.

11 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

rejette les demandes respectives en paiement d’indemnités de procédure formulées par la société requérante et par la commune ;

condamne la partie requérante aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 avril 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, en présence du greffier.

s. Poiani s. Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 44209
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-20;44209 ?

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