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14/04/2022 | LUXEMBOURG | N°47197

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 avril 2022, 47197


Tribunal administratif N° 47197 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2022 3e chambre Audience publique extraordinaire du 14 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, alias …, alias …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47197 du rôle et déposée le 17 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Pa

scale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 47197 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2022 3e chambre Audience publique extraordinaire du 14 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, alias …, alias …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47197 du rôle et déposée le 17 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Gambie) et être de nationalité gambienne, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité gambienne, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité gambienne, alias … déclarant être né le … et être de nationalité gambienne, alias … déclarant être né le … et être de nationalité gambienne, alias … déclarant être né le … et être de nationalité gambienne, alias … déclarant être né le … et être de nationalité gambienne, alias … déclarant être né le … et être de nationalité gambienne actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 février 2022 « confirmant la décision du 7 octobre 2021 ordonnant son transfert vers l’Italie » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 16 juillet 2021, Monsieur …, alias …, alias …, alias …, alias …, alias …, ci-après dénommé « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement introduit des demandes de protection internationales en Italie le 24 septembre 2015, en Belgique le 29 janvier 2020 et aux Pays-Bas le 28 février 2020.

Toujours le 16 juillet 2021, il fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 22 juillet 2021, Monsieur … fut assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Par décision du 7 octobre 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles des articles 18, paragraphe (1), point b) et 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III, au motif que les autorités italiennes ont tacitement accepté la demande de reprise en charge à son encontre en date du 14 septembre 2021.

Par arrêtés ministériels des 21 octobre 2021 et 21 janvier 2022, l’assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg de Monsieur … fut prorogée à chaque fois pour une durée de trois mois.

Par courrier du 25 janvier 2022, l’ancien mandataire de Monsieur … adressa au ministre une demande d’octroi d’un statut de tolérance en vertu de l’article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par la « loi du 5 mai 2006 », notamment en raison de son état de santé préoccupant, alors qu’il souffrirait de graves problèmes de santé nécessitant un suivi médical, ainsi qu’un traitement médicamenteux adapté afin de guérir.

Par décision du 3 février 2022, notifiée par téléfax le même jour, le ministre refusa de faire droit à la demande d’octroi d’un statut de tolérance, aux motifs suivants :

« (…) Je me permets de revenir vers vous suite à votre télécopie datée du 25 janvier 2022 qui m'est parvenue le 31 janvier 2022, par laquelle vous m'informez que votre mandant vous charge d'introduire une demande d'octroi du statut de tolérance tel que prévu à l'article 22 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Permettez-moi tout d'abord de vous informer que la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection a été abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, et modifiée par la loi du 16 juin 2021. Cette loi ne prévoit pas de statut de tolérance.

En ce qui concerne l'état de santé de votre mandant, il ressort des documents médicaux annexés à votre demande, tous datés du mois d'août 2021, que votre mandant était atteint d'une tuberculose latente contre laquelle un traitement médical de trois mois a été prescrit en date du 27 août 2021. Selon le rapport médical du 17 août 2021, le cliché thoracique est « sans anomalie cardiaque, pleuropulmonaire ou médiastino-hilaire identifiable d'allure évolutive ».

Votre mandant a donc uniquement dû prendre un traitement quotidien pour une tuberculose latente non contagieuse, traitement qui est entretemps venu à terme.

Vous m'informez que votre mandant aurait « besoin d'aide et de soins médicaux », alors que les documents que vous transmettez ne comprennent aucun élément sur son état de santé actuel qui pourraient empêcher un transfert vers l'Italie. Une prise en charge médicale urgente au Luxembourg n'est par conséquent pas nécessaire.

Vous affirmez en outre qu'un transfert vers l'Italie « entraînerait des conséquences catastrophiques sur son état de santé, notamment du fait qu'un traitement approprié ou équivalent y est impossible, et compromettrait fortement toutes les chances de guérison », sans pour autant apporter la moindre preuve pour démontrer qu'en Italie, votre mandant n'aurait pas accès aux soins médicaux dont il aurait besoin.

De tout ce qui précède, je suis au regret de vous informer que je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande et je ne peux que confirmer ma décision de transfert du 7 octobre 2021 dans son intégralité. (…) ».

Par arrêté du même jour, Monsieur … fut placé au Centre de rétention pour une durée de trois mois à compter de la notification de ladite décision.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 3 février 2022 « confirmant la décision du 7 octobre 2021 ordonnant son transfert vers l’Italie », en sollicitant dans son dispositif auquel le tribunal est seul tenu de « constater qu [e] (…) l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg est l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … ».

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève notamment l’irrecevabilité du recours dirigé contre la décision du 3 février 2022 pour défaut d’objet, alors que ce dernier viserait seulement une prétendue décision confirmative du transfert, sans formuler de moyen concernant le refus de sa demande en obtention d’un statut de tolérance, seul élément décisionnel de la décision déférée, tout en précisant notamment que la décision de transfert du 7 octobre 2021 serait coulée en force de chose décidée depuis l’expiration des délais de recours conformément à l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015.

A titre subsidiaire, la partie gouvernementale soulève encore l’irrecevabilité du recours ratione temporis pour autant que le courrier du 25 janvier 2022 serait qualifié de « recours gracieux » contre la décision initiale de transfert du 7 octobre 2021, alors que non seulement les recours gracieux n’interrompraient pas les délais de recours prévus à l’article 35 de la loi du 18 décembre 2015, mais qu’il ressortirait encore du paragraphe (4) de cet article que le recours contentieux serait à introduire dans un délai de quinze jours à partir de la notification, délai qui n’aurait pas été respecté en l’espèce, de sorte que la décision de transfert du 7 octobre 2021 serait coulée en force de chose décidée avant l’introduction du prétendu « recours gracieux ».

A l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire de Monsieur … conclut au rejet de ces moyens d’irrecevabilité, soulignant que même s’il concède que le courrier du 25 janvier 2022 ne serait pas un recours gracieux dirigé contre la décision de transfert qui serait coulée en force de chose décidée, le ministre aurait néanmoins restatué sur son transfert dans la décision déférée, sans indication des voies de recours, de sorte que son recours devrait être déclaré recevable.

En ce qui concerne le caractère décisionnel de l’acte attaqué, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste.1 Ainsi, l’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l’objet d’un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief.2 Plus particulièrement, n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision.3 Pareillement, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur la situation juridique, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours.4 En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision déférée du 3 février 2022 ne comporte aucune décision de transfert, celle-ci découlant d’une décision du 7 octobre 2021, actuellement coulée en force de chose décidée.

Dans ce contexte, il est à noter que la demande introduite auprès du ministre en date du 25 janvier 2022, visant l’obtention d’un statut de tolérance, n’avait pas pour objet la remise en cause de la décision de transfert du 7 octobre 2021 prise à l’égard de Monsieur …, ce qui est d’ailleurs expressément confirmé par le litismandataire du requérant à l’audience des plaidoiries soulignant que ladite demande du 25 janvier 2022 ne constituait pas un recours 1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 43 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 66 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 78 et les autres références y citées.

gracieux contre la décision de transfert du 7 octobre 2021, mais concernait uniquement l’obtention du statut de tolérance pour des raisons de santé. Si le ministre prend certes position par rapport aux revendications liées à l’état de santé de Monsieur … et si, par une formulation malencontreuse, le ministre affirme confirmer sa décision de transfert prise le 7 octobre 2021, de telles informations données sur la situation juridique de Monsieur … et sur la poursuite de l’exécution matérielle de la décision de transfert du 7 octobre 2021 ne sont pas à qualifier d’éléments décisionnels de nature à faire grief, le seul élément décisionnel de la décision du 3 février 2022 résidant dans le refus du statut de tolérance, décision non déférée par la requête introductive d’instance. A cela s’ajoute qu’il ressort de la requête introductive d’instance du requérant qu’il indique lui-même qu’aucun recours, ni contentieux ni gracieux, n’a été introduit contre la décision de transfert du 7 octobre 2021, de sorte qu’il est malvenu de remettre en cause la force de chose décidée de cette dernière depuis l’écoulement des délais de recours.

Ainsi, le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du 3 février 2022 « confirmant la décision du 7 octobre 2021 ordonnant son transfert vers l’Italie » et en ce qu’il sollicite dans son dispositif de « constater qu [e] (…) l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg est l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … » est à déclarer irrecevable pour défaut d’objet dans la mesure où ladite décision ne comporte pas de décision y relative, étant encore à préciser que la partie requérante n’attaque pas la décision du 3 février 2022 ayant trait au refus d’octroi du statut de tolérance.

Il s’ensuit que le recours est à déclarer irrecevable, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 14 avril 2022 à 9:00 heures par :

Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47197
Date de la décision : 14/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-14;47197 ?

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