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14/04/2022 | LUXEMBOURG | N°47196

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 avril 2022, 47196


Tribunal administratif N° 47196 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2022 3e chambre Audience publique extraordinaire du 14 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47196 du rôle et déposée le 17 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif N° 47196 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2022 3e chambre Audience publique extraordinaire du 14 avril 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47196 du rôle et déposée le 17 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Burkina Faso) et être de nationalité burkinabé, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité burkinabé, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er mars 2022 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la France, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Marcel Marigo du 11 avril 2022 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie à l’audience publique du 13 avril 2022.

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Le 26 janvier 2022, Monsieur …, alias …, ci-après dénommé « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement introduit des demandes de protection internationales en Allemagne le 17 novembre 2014 et en France les 15 novembre 2018 et 8 décembre 2020.

Toujours le 26 janvier 2022, il fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 27 janvier 2022, Monsieur … fut assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Le 28 janvier 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues français en vue de la reprise en charge de Monsieur … en exécution du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée en date du 10 février 2022.

Par décision du 1er mars 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles des articles 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 26 janvier 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 26 janvier 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 26 janvier 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit des demandes de protection internationale en Allemagne en date du 17 novembre 2014 et en France en date des 15 novembre 2018 et 8 décembre 2020.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 26 janvier 2022.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 28 janvier 2022 une demande de reprise en charge aux autorités françaises sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 10 février 2022, sur base de l'article 18(1)b.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 26 janvier 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 17 novembre 2014 et deux demandes en France en date des 15 novembre 2018 et 8 décembre 2020.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Burkina Faso en 2013 afin de vous rendre au Maroc. En 2014, vous seriez monté à bord d'une embarcation en direction de l'Espagne.

Vous auriez ensuite vécu en Espagne et en France pendant plusieurs mois avant d'introduire une demande de protection internationale en Allemagne. Celle-ci aurait été rejetée et vous seriez retourné volontairement au Burkina Faso en 2016. En 2018, vous auriez répété votre trajet vers l'Europe. Vous auriez vécu dans un foyer pour demandeurs de protection internationale à Paris pendant environ cinq ans, mais vous affirmez que vos deux demandes de protection internationale auraient été rejetées. En date du 14 janvier 2022, vous auriez pris le bus pour vous rendre au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 26 janvier 2022, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos doits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 1er mars 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, un recours au fond a valablement pu être introduit à l’encontre de celle-ci. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes exposés ci-dessus, le demandeur explique qu’il serait de nationalité burkinabé et qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine une deuxième fois.

Il affirme qu’au cours de son entretien Dublin III, il n’aurait pas eu l’opportunité d’exposer convenablement et pleinement son parcours. Il soutient qu’en France, il aurait, à plusieurs reprises, sollicité l’accès à un médecin, sans succès, alors qu’il serait pourtant diabétique, tel que l’attesterait son certificat médical. Il fait ensuite état d’un environnement précaire où il aurait été livré à lui-même, où il aurait éprouvé des difficultés à se nourrir au quotidien et où il aurait dormi sous les ponts par temps hivernal dans la région parisienne. Dans les « restos du cœur » on aurait refusé de le servir en tant que migrant et sans papiers. Tous ses éléments expliqueraient qu’il soit venu au Luxembourg.

En droit, le demandeur se prévaut d’une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde de droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dénommée ci-après « la CEDH », 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », 3, paragraphe (2), alinéa 2, et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que 2, point b), point j) et 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.

Quant à la violation alléguée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il critique tout d’abord le ministre pour avoir retenu dans sa décision du 1er mars 2022 qu’il n’aurait pas fourni d’éléments sur son état de santé ou d’autres problèmes généraux empêchant son transfert vers la France. Il fait valoir que cette motivation résulterait d’une appréciation erronée de sa situation individuelle, notamment en raison de sa maladie du diabète documentée, rendant son transfert vers la France impossible.

Le demandeur donne encore à considérer que la France n’aurait pas respecté les prescriptions de la directive (UE) n°2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« la directive Accueil ») en ce qu’elle ne lui aurait pas fourni une assistance médicale adéquate et effective dès lors que son état de santé nécessiterait une prise en charge médicale urgente. Après avoir cité les dispositions des articles 17, 19 et 21 de la directive Accueil, il soutient que les demandes de prise en charge médicale soumises aux autorités françaises n’auraient pas été prises en compte, tout en soulignant que cette situation aurait entraîné l’aggravation de son état de santé, de sorte que son transfert vers la France constituerait une violation manifeste des dispositions des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte. Si la France serait liée par la directive Accueil et bénéficierait de la présomption de confiance mutuelle et de la présomption de respect de ses obligations tirées du droit international public, comme notamment le respect du principe de non-refoulement, l’actualité récente relayée par la presse locale française démontreraient à suffisance que la France ne respecterait pas les instruments juridiques internationaux, ce dont témoignerait encore le traitement lui réservé par les autorités françaises, ainsi que les carences constatées et documentées par les associations en charge de l’accueil des migrants.

Il considère également que la décision ministérielle aurait été prise en violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en reprochant plus particulièrement au ministre de s’être déclaré incompétent pour examiner sa demande de protection internationale malgré le fait qu’il aurait été au courant de sa situation de particulière vulnérabilité, respectivement de son état de santé. Il ajoute qu’il serait ressortissant d’un pays actuellement en proie au terrorisme djihadiste et au risque d’enlèvement très élevé, relevant que le ministère des affaires étrangères français classerait intégralement le Burkina Faso en zone rouge depuis le 16 juin 2021, sauf quelques villes qui seraient classés en zone orange. Il explique que les attaques terroristes seraient fréquentes et généralisées sur l’ensemble du pays depuis plusieurs années, de sorte qu’une fuite interne ne serait pas envisageable. Il rappelle enfin qu’il serait volontairement rentré dans son pays d’origine en 2016 et que cette époque coïnciderait précisément au début de la déstabilisation politique et sociale, le pays ayant fait l’objet d’un coup d’état militaire depuis.

Il ajoute que dans la mesure où il n’aurait jamais bénéficié d’une prise en charge médicale en France, les autorités luxembourgeoises ne pourraient pas invoquer les dispositions des articles 31 et 32 du règlement Dublin III.

Concernant la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le demandeur reproche au ministre d’avoir décidé de le transférer en France en se fondant sur le principe de confiance mutuelle entre Etats membres, sans avoir pris le soin d’examiner la situation prévalant en France qui présenterait, selon le demandeur, des risques de mauvais traitements contraires à l’article 4 de la Charte.

Enfin, il conclut à une violation de l’article 2, point b) et point j) et 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, alors que sa région natale serait depuis 2016 une zone à très haut risque terroriste, de sorte que les craintes pour sa vie en cas de retour au Burkina Faso seraient légitimes.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés2 Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu'un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu'à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l'Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

2 Trib. adm. 17 septembre 2018, n° 40026 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a également été prise dispose, quant à lui, que « 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, à la lecture de la décision ministérielle déférée, celle-ci est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a introduit des demandes de protection internationale en Allemagne le 17 novembre 2014 et en France les 15 novembre 2018 et 8 décembre 2020 et, d’autre part, par le fait que les autorités françaises ont accepté sa reprise en charge en date du 10 février 2022. C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg, étant souligné que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Etat français, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il soutient, en substance, que son transfert serait contraire aux articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, 3, paragraphe (2), alinéa 2, et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que 2, point b), point j) et 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, et ce en raison des défaillances qui existeraient dans les conditions d’accueil en France et, en particulier, dans l’accès aux soins de santé des demandeurs de protection internationale, ce qui serait d’autant plus grave dans son chef au vu de son état de santé, à savoir son diabète.

Il convient ensuite de préciser que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent3.

En ce qui concerne les moyens tenant à une violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et des dispositions relatives à la protection subsidiaire, il y a d’abord lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, invoqué par le demandeur alors qu’il remet en cause sa prise en charge médicale en France, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre.

3 Trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 494 et les autres références y citées.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose dès lors à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé4.

S’agissant de prime abord des obligations découlant pour le ministre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard5. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants6. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées7. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux 4 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, point. 92.

5 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

6 Ibidem, point. 79 ; Voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

7 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

par les Etats participant au système européen commun d’asile8, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore à cet égard que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés.

S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives9, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE10, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201711.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201912 que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine13. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant14.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par la France des droits fondamentaux, puisqu’il affirme y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, pareilles défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France atteignant un tel seuil 8 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, point. 95.

9 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.jurad.etat.lu 10 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

11 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

12 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point. 91.

13 Ibid., point. 92.

14 Ibid., pt. 93.

particulièrement élevé de gravité ne résultent ni théoriquement, ni concrètement, des éléments soumis au tribunal.

En effet, le demandeur est resté en défaut de soumettre à l’appréciation du tribunal un quelconque élément duquel découlerait qu’il aurait rencontré des problèmes d’accès aux soins en tant que demandeur de protection internationale, d’autant plus qu’il ne résulte, contrairement aux affirmations du demandeur, ni du rapport de police du 26 janvier 2022, ni du rapport d’entretien Dublin III du même jour qu’il ait, à un quelconque moment, sollicité l’aide ou l’assistance des autorités françaises en raison de son état de santé, le demandeur, ayant, au contraire, affirmé qu’il avait été « en quarantaine à cause du COVID-19 (…) » et qu’il ne suivait aucun traitement. Il ne résulte, de surcroît, d’aucun élément du dossier administratif que le demandeur ait informé le ministre, respectivement les services ministériels compétents, de ses prétendus problèmes de santé et des prétendus refus de soins lui opposés par les autorités françaises, étant encore relevé qu’aucune pièce censée établir son état de santé n’est versé au tribunal.

Ensuite et de manière plus générale en ce qui concerne les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France, le tribunal constate que le demandeur ne produit aucun rapport international ou autre source qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée l’existence de défaillances systémiques en France au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en France seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte. Ainsi, les critiques afférentes du demandeur reposent sur des simples affirmations tout à fait générales et vagues suivant lesquelles il ne pourrait recevoir aucune aide médicale ni aucun logement en cas de transfert en France.

Le tribunal tient encore à relever que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France de ressortissants burkinabé dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, il y a lieu de constater qu’aucun indice sérieux n’indique que sa procédure d’asile en France ne serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. En effet, il n’établit pas que, personnellement et concrètement, ses droits ne seraient pas garantis en France, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale transférés en France ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ces derniers n’auraient en France aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que la France est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés - comprenant le principe de non-

refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Ainsi, le demandeur est resté en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités françaises n’analyseraient pas correctement sa demande de protection internationale et qu’il n’aurait pas accès à la justice française pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision sur sa demande de protection internationale ou avec son accès aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Dans ces circonstances et à défaut d’autres éléments, le tribunal ne saurait conclure à l’existence de défaillances systémiques en France au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, entrainant une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Néanmoins, dans ce cadre, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable15.

Il échet dès lors d’analyser le moyen du demandeur tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte pris isolément.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte16, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant17.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des 15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

16 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

17 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé18.

En ce qui concerne plus particulièrement l’état de santé du demandeur, tel que mis en avant par celui-ci, cet état n’est, à défaut de tout élément de preuve y relatif, pas de nature à justifier l’existence d’un obstacle quelconque à son transfert, le demandeur ne fournissant aucun indice ni que le voyage en tant que tel risquerait de l’exposer à des traitements inhumains ou dégradants, ni que ses problèmes de santé allégués ne puissent pas être traités en France, à supposer qu’ils existent et qu’ils nécessitent un traitement. Il importe, en effet, à ce sujet de rappeler que le demandeur a seulement déclaré dans le cadre de son entretien Dublin avoir été « en quarantaine à cause du COVID-19 (…) » et ne suivre aucun traitement.

Il s’ensuit que le demandeur n’établit pas courir en France un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en raison de son état de santé ou d’une situation de particulière vulnérabilité.

Dans ce contexte, et au regard des conclusions retenues ci-avant au sujet des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France, le demandeur laisse d’établir qu’il n’aurait pas accès, le cas échéant, à des soins en France, respectivement qu’il ne puisse pas y faire valoir ses droits y relatifs, d’autant plus que le demandeur reste en défaut non seulement d’expliquer quels seraient concrètement ses besoins, mais également de démontrer que l’absence d’une prise en charge desdits besoins serait telle qu’elle entraînerait une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il s’ensuit que le ministre n’était pas, et n’est d’ailleurs toujours pas, confronté à des éléments suffisants qui lui auraient imposé de s’assurer auprès des autorités françaises des conditions d’accès aux soins médicaux du demandeur au-delà, le cas échéant, de la prise en compte de son état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France notamment par l’information des autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III.

Le moyen tiré d’une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est dès lors à rejeter.

En ce qui concerne, le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.(…) », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir 18 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

d’appréciation étendu aux Etats membres19. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge20, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée21, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu de réformer la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités françaises.

En ce qui concerne, dans ce contexte, le moyen du demandeur quant à la situation générale de son pays d’origine et quant à une violation des articles 2, points b) et j) et 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, force est de relever que dans la mesure où il vient d’être retenu ci-avant que c’est la France qui est l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, celui-ci encourt à son tour le rejet, alors qu’il appartiendra aux autorités françaises de connaître du fond de sa demande de protection internationale dont l’analyse est toujours en cours, la demande de reprise en charge ayant été acceptée sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III précité.

Le moyen relatif à la violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est dès lors également à rejeter pour être non fondé.

Dans la mesure où il vient d’être retenu ci-avant qu’il n’est pas établi que l’état de santé du demandeur requiert un traitement médical spécifique et qu’il n’a pas fourni d’éléments quant à une particulière vulnérabilité dans son chef, il ne saurait pas non plus être reproché au ministre de ne pas avoir fait application des articles 31 et 32 du règlement Dublin III qui sont relatifs à l’échange, entre Etats membres, d’informations pertinentes, respectivement de données concernant la santé d’une personne avant l’exécution d’un transfert. Le moyen afférent est dès lors rejeté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours en réformation est à rejeter pour être non fondé.

19 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

20 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

21 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 14 avril 2022 à 9:00 heures par :

Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47196
Date de la décision : 14/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-14;47196 ?

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