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06/04/2022 | LUXEMBOURG | N°47192

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 avril 2022, 47192


Tribunal administratif N° 47192 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2022 3e chambre Audience publique 6 avril 2022 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47192 du rôle et déposée le 16 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscr

ite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Afg...

Tribunal administratif N° 47192 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2022 3e chambre Audience publique 6 avril 2022 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47192 du rôle et déposée le 16 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Afghanistan), agissant en son nom personnel et au nom de son fils mineur…, né le … à … (Italie), les deux de nationalité afghane, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er mars 2022 de la transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications respectives de Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI et de Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER du 4 avril 2022 suivant lesquelles elles marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique de ce jour.

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Le 22 septembre 2021, Madame …, accompagnée de son fils mineur …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1 Le lendemain, Madame … fut entendue par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. A cette occasion, Madame … déclara s’être vue délivrer un visa en Italie dans le cadre d’un regroupement familial avec son mari.

Toujours le 23 septembre 2021, Madame … fut encore entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », entretien au cours duquel elle répéta s’être vue délivrer un visa par les autorités italiennes tout en expliquant ne jamais avoir sollicité une protection internationale dans ce même pays.

Le 8 octobre 2021, l’autorité ministérielle luxembourgeoise adressa aux autorités italiennes une demande de prise en charge de Madame … sur base de l’article 12, paragraphes (1) ou (3) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par les concernées en date du 27 octobre 2021.

Par courrier électronique du 17 novembre 2021 les autorités luxembourgeoises prièrent leurs homologues italiens de réexaminer la demande de prise en charge leurs adressée en date du 8 octobre 2021. Cette demande de réexamen du dossier fut refusée par les autorités italiennes en date du même jour, sur base de la considération qu’il n’existerait pas de preuves suffisantes du séjour de Madame … en Italie.

Suite à une demande de renseignement de la police judiciaire adressée à Interpol Italie, il s’avéra que Madame … est connue en Italie sous le nom de … et qu’elle fut en possession d’un permis de séjour italien valable jusqu’au 28 mai 2021.

Par missives adressées à leurs homologues italiens en date des 7 et 16 décembre 2021, les autorités luxembourgeoises réitèrent leur demande de réexamen du dossier de Madame … et par courrier du 27 décembre 2021, les autorités italiennes acceptèrent finalement la demande de prise en charge de Madame … sur base de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Par décision du 1er mars 2022, le ministre informa Madame … de sa décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 22 septembre 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg 2 n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection international, datés du 23 septembre 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 22 septembre 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 23 septembre 2021.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 8 octobre 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l’article 12(1) du règlement DIII, demande qui fut d’abord refusée par les autorités italiennes en date du 27 octobre 2021. Une première demande de réexamen fut également refusée en date du 17 novembre 2021 faute de preuves suffisantes de votre titre de séjour.

II résulte d’une demande de renseignement auprès de la Police Judiciaire que vous êtes connue en Italie sous le nom …, que vos empreintes ont été enregistrées à Turin en date du 15 septembre 2016 et que vous étiez en possession d’un permis de séjour italien, valable jusqu’au 28 mai 2021.

Conformément à l’article 5(2) du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présenté dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, modifié par le Règlement Dublin III et le Règlement d’exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, la Direction de l’immigration a sollicité en date du 7 décembre 2021 et une nouvelle fois en date du 16 décembre 2021 un réexamen de sa demande de prise en charge, dans le but de faire valoir ces éléments de preuve complémentaires.

En date du 27 décembre 2021, les autorités italiennes ont accepté la demande de prise en charge, sur base de l’article 12(2) du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

3 S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, le Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

L’accord de prise en charge de l’Italie est basé sur l’article 12(2) du règlement DIII qui dispose que le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité au moment de l’Introduction de la demande de protection internationale au Luxembourg et que l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection Internationale.

La responsabilité de l’Italie est également acquise selon l’article 12(4) du règlement DIII qui dispose que, si le demandeur est titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmes depuis moins de deux ans, l’Etat membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection Internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous étiez en possession d’un permis de séjour italien, valable jusqu’au 28 mai 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté Kaboul/Afghanistan en 2017. Vous vous seriez rendue en avion vers l’Italie dans le cadre d’un regroupement familial avec votre mari, Votre mari aurait déjà vécu en Italie pendant 10-12 ans et il s’y trouverait actuellement. Vous auriez vécu ensemble â Turin jusqu’en date du 18 septembre 2021 où vous êtes partie au Luxembourg avec votre enfant commun.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 23 septembre 2021, vous avez fait mention d’avoir des problèmes psychologiques. Cependant, vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un 4 transfert vers l’Italie qui est l’Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons que l’Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés â d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement et des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l’Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1" décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système de protection en matière d’accueil et d’intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d’améliorer l’accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv, torture, de même que les conditions minimales d’accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Madame, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire s l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les 5 autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Italie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte â être transférée. Par ailleurs, si cela, devrait être nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2022, inscrite sous le numéro 47192 du rôle, Madame …, agissant en son nom personnel et au nom de son fils mineur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 1er mars 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision ministérielle litigieuse, le tribunal est compétent pour 6 connaître du recours principal en réformation dirigé contre celle-ci, lequel recours est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose d’abord les faits et rétroactes tels que retranscrits ci-avant, tout en ajoutant que lors de son entretien Dublin III auprès de la direction de l’Immigration, lors duquel elle aurait été entendue « très sommairement », elle n’aurait pu qu’indiquer qu’elle aurait vécu en Italie auprès de son mari, le père de son fils, mais qu’elle n’aurait plus voulu y vivre compte tenu des difficultés auxquelles elle aurait été exposée pour trouver un emploi. Si elle aurait certes encore pu souligner qu’elle souffrirait de problèmes de santé psychologiques, il ne lui aurait toutefois pas été possible d’exposer les détails, la demanderesse précisant à cet égard avoir subi des violences conjugales, lesquelles l’auraient conduit à quitter l’Italie.

En droit, la demanderesse se prévaut en premier lieu d’une violation de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, pour conclure à la réformation de la décision déférée, au motif que le ministre aurait failli à son obligation de procéder à une évaluation des garanties procédurales nécessaires, en raison de son état de santé, Madame … insistant à cet égard sur ses problèmes psychologiques. Elle est ainsi d’avis que le ministre aurait dû, dans un délai raisonnable, ordonner une instruction de sa situation médicale, ce qu’il aurait toutefois omis de faire.

Madame … reproche ensuite une erreur d’appréciation au ministre dans la mesure où la décision litigieuse aurait été prise en violation de l’article 3 du règlement Dublin III au regard des conditions d’accès à la procédure d’asile ainsi qu’aux conditions matérielles d’accueil auxquelles elle et son fils seraient soumis en cas de transfert vers l’Italie.

Dans le cadre de son argumentation fondée sur l’article 3 du règlement Dublin III, Madame … se prévaut de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ci-

après désignée par la « CourEDH », ainsi que de Cour de justice de l’Union européenne, ci-

après désignée par la « CJUE » y relative, pour définir la notion de défaillances systémiques et conclure, par la suite, à l’existence de telles défaillances en Italie.

Elle estime en effet, qu’au regard des informations actuelles en ce qui concerne la situation en Italie des demandeurs transférés en vertu du règlement Dublin III, il ne ferait aucun doute qu’elle s’y retrouverait dans une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique.

La demanderesse s’appuie, à cet égard, plus particulièrement sur des extraits d’un rapport de l’organisation Asylum Information Database (AIDA), intitulé « Country Report :

Italy, update 2020 », mis à jour le 4 juin 2020, d’un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) de janvier 2020, intitulé « Conditions d’accueil en Italie. Rapport actualisé sur la situation en Italie des personnes requérantes d’asile et des bénéficiaires d’une protection, en particulier des personnes renvoyées dans le cadre de Dublin », et d’un rapport de l’OSAR du 17 juin 2021, intitulé « Conditions d’accueil en Italie : pas d’amélioration en vue », dont il se dégagerait qu’il existerait toujours en Italie des défaillances permanentes dans le système d’accueil des demandeurs de protection internationale. Il se dégagerait plus particulièrement de ces rapports que si les ressortissants 7 de pays tiers faisant l’objet d’une décision de transfert dans le cadre du règlement Dublin III avaient en principe un droit à un hébergement après leur transfert en Italie, dans la pratique, un nombre important d’entre eux se retrouverait dans la rue ou, au mieux, dans des centres d’hébergement temporaires. Il s’en dégagerait, par ailleurs, que les temps d’attente en ce qui concerne l’accès à la procédure d’asile seraient plus longs en raison de la pandémie et que cet accès serait particulièrement difficile pour les personnes qui, pour diverses raisons, seraient exclues du système d’accueil public ou n’y seraient pas admises, parce que les services de police, contrairement à ce que prévoirait la loi, exigeraient la preuve d’un logement privé.

Ainsi, et même si le « décret Salvini » ne serait plus en vigueur, ses répercussions se feraient encore nettement sentir.

La demanderesse estime ainsi qu’il ressortirait de ces sources, lesquels seraient fiable set pertinentes, que le système d’asile italien présenterait un certain nombre d’obstacles susceptibles d’entraver son accès immédiat, ainsi que celui de son fils, à la procédure d’asile, ainsi qu’aux prestations d’accueil.

Il s’ensuivrait qu’il y aurait lieu de conclure à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour elle et son fils, d’être systématiquement exposés à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique, au point que leur transfert vers l’Italie constituerait un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH ».

Elle conclut de tout ce qui précède qu’il appartiendrait au tribunal de constater l’existence de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III en Italie.

En troisième lieu, la demanderesse reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en ne faisant pas application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et ce, en dépit de sa vulnérabilité, qui résulterait de son statut de femme seule avec un enfant, ainsi que de ses problèmes psychologiques, et de la situation qui prévaudrait en Italie. En se prévalant d’une jurisprudence de la CourEDH, elle fait valoir que les demandeurs de protection internationale auraient besoin d’une « protection spéciale », protection qui s’imposerait d’autant lorsque les personnes concernées sont, tel que ce serait le cas en l’espèce, des enfants. Ainsi les conditions d’accueil des enfants des demandeurs de protection internationale devraient être adaptées à leur âge afin de leur éviter une situation de stress et d’angoisse et d’entraîner des conséquences particulièrement graves pour leur psychisme, faute de quoi il y aurait lieu de conclure à une violation de l’article 3 de la CEDH.

Or, il ne serait pas établi que l’Italie garantisse la prise en charge adaptée à l’âge des enfants, de sorte qu’il y aurait lieu de demander les garanties y afférentes, la demanderesse ajoutant qu’il ne s’agirait là pas d’une simple modalité de mise en œuvre du transfert, mais d’une « condition matérielle de conformité de [l’hébergement] aux engagements du Luxembourg relevant du droit international ».

Elle ajoute qu’il résulterait des prédits rapports de l’OSAR et de l’AIDA que si l’accès à des soins d’urgence serait en principe garanti immédiatement à toutes les personnes qui sont transférées en Italie, il en irait différemment de l’accès aux soins spécialisés ou à l’hébergement des demandeurs de protection internationale transférés en Italie en vertu du règlement Dublin III lesquels se heurteraient fréquemment à de sérieux obstacles 8 administratifs qui retarderaient leur accès tant à la procédure d’asile qu’au système d’accueil.

Il ne saurait dès lors être exclu que, malgré la transmission par le ministre aux autorités italiennes des informations concernant l’état de santé des personnes transférées, ces mêmes personnes devraient attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant de pouvoir effectivement accéder au système d’accueil, respectivement au système national de santé. En outre, pour les personnes transférées en Italie qui auraient, lors de leur premier séjour dans ce pays, quitté volontairement un centre d’hébergement avant la fin de leur procédure d’asile, l’accès au système d’accueil ne serait pas garanti.

Elle est dès lors d’avis qu’au moment de prendre la décision litigieuse, le ministre aurait dû disposer d’une garantie concrète et individuelle d’une possibilité d’hébergement adéquate dans son chef et de celui de son fils. Or, et faute de telles garanties, le ministre aurait dû se déclarer compétent pour l’examen de sa demande de protection internationale, et ce sur base de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-

même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés2.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne 2 Trib. adm. 17 septembre 2018, n° 40026 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

9 concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 12 du règlement Dublin III dispose que « 1. Si le demandeur est titulaire d’un titre de séjour en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

2. Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas. Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

[…] 4. Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres […] ».

Le tribunal constate de prime abord que s’il est effectivement constant que la demanderesse n’a pas déposé de demande de protection internationale en Italie, la responsabilité des autorités italiennes se base sur le fait non contesté que la demanderesse s’était vue délivrer un titre de séjour par les autorités italiennes lequel était valable jusqu’au 28 mai 2021. Dans la mesure où la demanderesse a introduit sa demande de protection internationale au Luxembourg en date du 22 septembre 2021, c’est l’article 12, paragraphe (4) du règlement Dublin III qui a vocation à s’appliquer en l’espèce.

Force est ensuite de constater que par courrier du 27 décembre 2021, les autorités italiennes ont expressément accepté de prendre en charge la demanderesse de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de la transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Il échet d’ailleurs de relever que la demanderesse ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais soutient, en substance, que la décision déférée violerait l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que les article 3 paragraphe (2) et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, et les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il échet tout d’abord de prendre position par rapport à l’argumentation développée par la demanderesse quant à son état de vulnérabilité. En effet, la demanderesse estime tomber sous le champ d’application de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, au vu des problèmes psychologiques dont elle souffrirait.

L’article 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 est libellé comme suit :

« Suite à la présentation d’une demande de protection internationale, le ministre est chargé de procéder dans un délai raisonnable et avant qu’une décision ne soit prise en première 10 instance, à une évaluation des garanties procédurales spéciales qui peuvent s’avérer nécessaires pour certains demandeurs du fait notamment de leur âge, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, d’un handicap, d’une maladie grave, de troubles mentaux, ou de conséquences de tortures, de viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle. Cette évaluation peut également se faire par l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration (OLAI) dans le cadre de l’examen de vulnérabilité du demandeur afin de déterminer le cas échéant ses besoins particuliers en matière d’accueil. Les informations recueillies concernant les garanties procédurales spéciales sont transmises par l’OLAI, avec l’accord du demandeur, au ministre ».

Force est toutefois de constater que c’est pour la première fois dans le cadre de sa requête introductive d’instance que la demanderesse fait état de son prétendu état de vulnérabilité, alors qu’au cours de son entretien précité du 23 septembre 2021, effectué dans le cadre de la détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III, et interrogée quant à son état de santé, elle s’est contenté de déclarer « Je ne vais pas bien psychologiquement à cause des problèmes que j’ai eu dans la vie. Je ne suis pas suicidaire ». Si elle a certes encore déclaré suivre un traitement médical, elle a également affirmé ne pas en connaître le nom.

Au vu de ces déclarations générales non autrement circonstanciées, la demanderesse ne saurait reprocher au ministre de ne pas avoir poussé plus loin son examen quant à un prétendu état de vulnérabilité qui existerait dans son chef, en considération des critères fixés par l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, à défaut pour celle-ci de lui avoir fourni une quelconque indication précise à cet égard.

Cette conclusion s’impose d’autant plus que les déclarations de la demanderesse quant à son prétendu état de vulnérabilité restent à l’état de simples allégations de sa part, celle-ci restant en effet en défaut de verser un quelconque certificat médical susceptible de corroborer ses dires et n’ayant, par ailleurs, toujours pas indiqué la nature du prétendu traitement médical qu’elle devrait suivre.

Il échet partant de conclure de l’ensemble de ces considérations, que la demanderesse n’est pas à considérer comme une personne vulnérable au sens de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que ce moyen est à rejeter.

Il convient ensuite de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III dispose que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme 11 responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

A cet égard, il convient de prime abord de souligner que dans la mesure où il résulte des déclarations de la demanderesse-même, ainsi que des pièces figurant au dossier administratif, que cette dernière n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Italie, elle n’est en tout état de cause pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’elle aurait personnellement pu y rencontrer.

S’agissant ensuite des obligations découlant pour le ministre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3.

C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son 3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

4 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

12 arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore à cet égard que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.

En effet, le tribunal relève encore que suivant la jurisprudence des juridictions administratives10, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE11, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans un arrêt du 16 février 201712.

Quant à la preuve à rapporter par la demanderesse à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201913 que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine14. Ledit seuil 6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, point. 95.

7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.jurad.etat.lu 8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10 Trib. adm. 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur : www.jurad.etat.lu.

11 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

12 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

13 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point. 91.

14 Ibid., point. 92.

13 ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant15.

La demanderesse, semblant, à travers ses développements, remettre en question la présomption du respect par l’Italie des droits fondamentaux, puisqu’elle affirme y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

En l’espèce, s’il est certes exact qu’il ressort des articles et rapport invoqués par la demanderesse que les autorités italiennes connaissent toujours certains problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui implique que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, aux soins et des conditions de vie en général, il ressort néanmoins également du rapport OSAR précité ainsi que des développements non contestés du délégué du gouvernement que depuis octobre 2020, l’Italie est revenu sur le durcissement récent de sa politique migratoire sous l’ère « Salvini », par le décret-loi de l’actuel ministre de l’intérieur italien ayant rapporté de nombreuses restrictions dans le cadre de l’accueil des demandeurs de protection internationale, notamment par la possibilité d’utiliser à nouveau des centres d’accueil plus petits pour héberger les demandeurs d’asile, ainsi que par la possibilité pour les demandeurs d’asile de s’inscrire sur les registres de l’état civil et donc de posséder un domicile légal leur permettant de bénéficier des prestations sanitaires ou d’ouvrir un compte en banque.

Si, d’après les observations du rapport OSAR, ce retour à la normale prend un certain temps avant de porter des fruits sur le terrain, force est de constater que ce constat est insuffisant pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Le tribunal tient encore à relever que la demanderesse n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. La demanderesse ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie de ressortissants afghans dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au 15 Ibid., point. 93.

14 sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, même s’il ressort des considérations du rapport OSAR, tels qu’invoquées par la demanderesse, que la situation des demandeurs de protection internationale en Italie n’est pas encore tout à fait retournée à la normale, il y a cependant lieu de constater qu’aucun indice sérieux n’indique que sa procédure d’asile n’y serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure »).

Force est dès lors de constater qu’en l’espèce, la demanderesse, qui n’avait pas encore déposé de demande de protection internationale en Italie avant de venir au Luxembourg, n’apporte aucun élément concret de nature à établir qu’elle risquerait personnellement des mauvais traitements en cas de retour en Italie. En effet, elle n’établit pas que, personnellement et concrètement, ses droits ne seraient pas garantis en Italie, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale transférés en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ces derniers n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Ainsi, la demanderesse est restée en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités italiennes n’analyseraient pas correctement sa demande de protection internationale et qu’elle n’aurait pas accès à la justice italienne pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision sur sa demande de protection internationale ou avec son accès aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Finalement, et en ce qui concerne le risque mis en avant par le rapport OSAR d’un retrait du droit à un hébergement en cas de retour en Italie, force est de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif ni des déclarations de la demanderesse qu’elle ferait l’objet d’un tel retrait en Italie, alors qu’il est constant qu’elle n’y avait pas encore déposé de demande de protection internationale, de sorte qu’il ne saurait d’ores et déjà être reproché auxdites autorités, dans le cadre de leurs obligations découlant la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »), de ne pas mettre à sa disposition un logement ou un hébergement.

A titre superfétatoire, force est encore de constater qu’il ressort des explications et pièces versées au dossier administratif que la demanderesse était titulaire d’un titre de séjour italien valable jusqu’au 28 mai 2021 et qu’elle a, malgré cette circonstance, quitté volontairement l’Italie, de sorte que le seuil particulièrement élevé de gravité que doivent atteindre les défaillances systémiques pour pouvoir être considérées comme étant constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant, lequel requiert que l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence « qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix 15 personnels16, dans une situation de dénuement matériel extrême », n’est pas atteint en l’espèce.

Au vu de ce qui précède, le moyen de la demanderesse basé sur l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III entraînant une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est rejeté.

Néanmoins, dans ce cadre, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable17.

Il échet dès lors d’analyser le moyen de la demanderesse tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte pris isolément.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte18, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant19.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé20, étant relevé que la demanderesse a mis en 16 Souligné par le tribunal.

17 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

18 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

19 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

20 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

16 avant sa vulnérabilité alors qu’elle aurait des problèmes psychologiques, ainsi que le fait qu’elle serait une femme seule avec un enfant en bas âge.

En ce qui concerne plus particulièrement l’état de santé de la demanderesse, il y a lieu de souligner tel que retenu ci-avant, qu’il ne ressort par ailleurs ni du dossier administratif, ni d’un quelconque autre élément soumis au tribunal, tel un certificat médical, que la demanderesse souffrirait de problèmes mentaux, respectivement que son état de santé serait tel qu’il constituerait un obstacle à son transfert vers l’Italie, les affirmations afférentes restant à l’état de pures allégations.

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage de toute façon d’aucun élément tangible soumis à son appréciation que, de manière générale, les demandeurs de protection internationale, voire les migrants en situation irrégulière en Italie n’auraient aucun accès à des traitements médicaux en cas de besoin.

En ce qui concerne le fait que Madame … est la mère d’un enfant en bas âge, il y a lieu de constater que si l’intéressée affirme certes qu’il ne serait pas établi en cause qu’en cas de transfert vers l’Italie, elle pourrait disposer d’un hébergement adapté, elle n’a toutefois avancé aucun élément suffisamment concret et plausible tenant à sa situation personnelle de nature à démontrer qu’en cas d’exécution de la décision ministérielle litigeuse, elle serait personnellement exposée au risque que ses besoins existentiels minimaux, ainsi que ceux de son enfant, ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à leur transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités italiennes avant de les transférer.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si la demanderesse devait estimer que le système d’aide italien serait à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si la demanderesse devait estimer que le système italien ne serait pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il appartiendrait à la demanderesse de faire valoir ses droits sur base de la directive Procédure, ainsi que de la directive Accueil, directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates.

Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à l’autorité ministérielle de ne pas avoir sollicité des autorités italiennes des garanties individuelles quant à une prise en charge adaptée à la situation de la demanderesse et de son enfant.

Au vu de ce qui précède et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il échet de conclure que Madame … n’a pas démontré que le transfert vers l’Italie l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal 17 relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres21, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201722. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge23, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration24.

En l’espèce, la demanderesse invoque sa vulnérabilité pour soutenir que le ministre aurait dû faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Or, étant donné que le tribunal vient de rejeter les moyens tirés d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III et des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte et que, tel que retenu ci-avant, il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que la demanderesse se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière - la simple affirmation qu’elle souffrirait d’un problème psychologiques, sans être sous-tendue par un quelconque document probant, tel, par exemple, un certificat médical établissant des souffrances physiques respectivement mentales, étant, en tout état de cause insuffisante à cet égard -, voire qu’elle et son enfant seraient exposés au risque que leurs besoins existentiels minimaux ne seraient pas garantis, il n’entrevoit pas d’éléments de nature à justifier dans le cas de la demanderesse le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation par le ministre de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est à son tour à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

21 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

22 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

23 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

24 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

18 reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond le dit non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 avril 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Benoît Hupperich, attaché de justice délégué, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47192
Date de la décision : 06/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-06;47192 ?

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