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01/04/2022 | LUXEMBOURG | N°46615a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 avril 2022, 46615a


Tribunal administratif Numéro 46615a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2021 2e chambre Audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 octobre 2021 par Maître Franç

oise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif Numéro 46615a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2021 2e chambre Audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 octobre 2021 par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Sénégal), de nationalité sénégalaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 octobre 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 2021 ;

Vu le jugement du 22 novembre 2021, inscrit sous le numéro 46615 du rôle, rendu par le vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nankov Lalev, en remplacement de Maître Françoise Nsan-Nwet, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul Reiter en leurs plaidoiries à l’audience publique du 3 janvier 2022.

Le 14 avril 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section …, dans un rapport du même jour.

Les 19 juillet et 11 août 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 7 octobre 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 8 octobre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 14 avril 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains, votre fiche des motifs du 14 avril 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 avril 2021 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 19 juillet et 11 août 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Vous déclarez être né à … au Sénégal, de nationalité sénégalaise, d’ethnie Peul, de confession chrétienne et avoir vécu à …, un quartier de … au Sénégal.

Concernant vos craintes en cas de retour au Sénégal, vous indiquez que vous craindriez d’être « peut-être » (page 12 de votre rapport d’entretien) tué par votre père ou la communauté … au motif que vous seriez bisexuel et que vous auriez volé l’argent récolté pour le pèlerinage du « … » à ….

Quant à votre orientation sexuelle, vous vous qualifiez de bisexuel. Vous ajoutez qu’à l’âge de … ans vous auriez eu une relation homosexuelle avec un dénommé « … ». Vous précisez avoir « eu des relations sexuelles avec …, sur une période d’un près 5-6 ans. On a commencé à plus ou moins … ans, jusqu’à … ans » (page 7 de votre rapport d’entretien). A part « … » personne n’aurait été au courant de votre bisexualité et vous ajoutez que la bisexualité « c’est tabou » (page 8 de votre rapport d’entretien).

En « 2009-2010 » (page 9 de votre rapport d’entretien), vous auriez rencontré la mère de votre fille qui serait née le …. Vous précisez néanmoins au sujet de cette relation que « [n]ous ne sommes pas restés ensemble longtemps, peut-être une année, une année et quelque » (page 9 de votre rapport d’entretien).

Quant aux événements qui se seraient déroulés dans votre pays d’origine avant votre départ, vous expliquez que vos parents auraient été séparés depuis votre plus jeune âge et que vous auriez été élevé par votre mère qui aurait été de confession chrétienne. Après le décès de votre mère en 2002, vous auriez vécu avec votre père, de confession musulmane, qui aurait eu deux femmes au sujet desquelles vous ajoutez qu’elles vous « faisaient la misère, quand je ne priais pas, quand je fumais, elles me contrôlaient partout » (page 6 de votre rapport d’entretien). Vous décrivez votre père comme une personne autoritaire et vous précisez « [i]l m’appelait tout le temps au téléphone, il voulait savoir où j’allais, à quelle heure je rentrais. Il me disait toujours qu’on ne devait pas toucher une femme avant le mariage » (page 10 de votre rapport d’entretien). Vous ajoutez que votre père aurait été « Khalif » (page 7 de votre rapport d’entretien) d’une communauté … et que chaque samedi, « ils avaient une petite réunion qui s’appelle … » (page 6 de votre rapport d’entretien).

Un jour, votre père vous aurait vu avec le chapelet de votre défunte mère et l’aurait pris et découpé. Une bagarre entre vous et votre père s’en serait suivie et vous auriez poussé votre père qui se serait blessé au bras. Le weekend suivant, 5 ou 6 « gros gaillards » (page 6 de votre rapport d’entretien) seraient « venus pour faire le … » (page 6 de votre rapport d’entretien). Ils vous auraient attaché pendant trois jours à « un poteau » (page 6 de votre rapport d’entretien) dans le salon et vous auraient frappé. Vous précisez que vous auriez eu « peut-être 23, 24 ans » (page 10 de votre rapport d’entretien) au moment de ces faits.

Suite à cet évènement, vous auriez pris conscience que « j’étais majeur, que je devais prendre ma vie en main » (page 6 de votre rapport d’entretien), mais vous déplorez que « [j]e n’avais pas assez de moyens financiers pour voyager » (page 6 de votre rapport d’entretien).

Comme vous auriez su que votre père aurait collecté de l’argent pour couvrir les dépenses relatives au pèlerinage du « … » pour la communauté, vous auriez « pris tout l’argent que je pouvais prendre, et j’ai quitté le Sénégal » (page 6 de votre rapport d’entretien).

A l’appui de votre demande, vous présentez une confirmation de rendez-vous pour un examen médical au service des maladies infectieuses du Centre Hospitalier de Luxembourg.

2. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous deux des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

b) « le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 30 de la présente loi; » En effet, tel que défini par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs, le Sénégal doit être considéré comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève.

Tel qu'il ressort des explications fournies ci-dessous, il s'avère par ailleurs que vous n'avancez pas de raisons sérieuses permettant de penser qu'il ne s'agit pas, dans votre chef, d'un pays d'origine sûr en raison de votre situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » Tel qu'il ressort de l'analyse de votre demande de protection internationale ci-dessous développée, il s'avère que le point a) de l'article 27 se trouve également être d'application pour les raisons étayées ci-après.

3. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant à la crédibilité de votre récit Avant tout autre développement, je suis amené à remettre en cause la crédibilité de votre récit.

En effet, Monsieur, il convient de constater, tel que développé ci-dessous, que vos déclarations sont jonchées d'incohérences et de contradictions qui entachent la crédibilité de votre récit.

Premièrement, lors de l'introduction de votre demande de protection internationale, vous avez déclaré que « [j]’ai quitté mon pays pour des problèmes familliaux après le décé de ma mère en 2002 qui m'as élevé jusqua l'âge de 14 ans[…] » [sic] (fiche des motifs).

Le jour-même, vous avez également déclaré à ce sujet que « [j]’ai été obligé de quitter le Sénégal parce que ma mère est décédé quand j'avais 15 ans. […] » [sic] (page 2 du rapport du Service de Police Judiciaire).

Il convient de relever qu'à la mort de votre mère, qui a priori est un évènement marquant dans une vie, vous déclarez une fois avoir été âgé de … ans et une autre fois de 15 ans.

Deuxièmement, vous avez déclaré lors de l'introduction de votre demande de protection internationale que « […] je me suis retrouver chez mon père avec c'est trois épouse qui me fesai la misère à longueur de journée […] » [sic] (fiche des motifs).

Or, lors de votre entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous avez déclaré «[m]ême si un jour mon père mourrait, je ne pourrais pas continuer à vivre avec les deux femmes à mon père. La plus âgée ne me supportait pas. Elle ne pouvait pas me voir, à chaque fois, elle avait quelque chose à me reprocher » (page 11 de votre rapport d'entretien).

Il convient là encore de souligner que vous vous contredisez quant au nombre de femmes de votre père avec qui vous auriez vécu de 2002 à 2016, soit durant 14 ans.

Troisièmement, vous avez déclaré que suite à la mort de votre mère en 2002, vous auriez emménagé chez votre père et vous soulignez que vous n'auriez pas continué à voir « … » une fois que vous auriez vécu chez votre père en déclarant « [n]on, je n'osais pas. Si mon père entendait des échos, ou s'il soupçonnait quelque chose, c'était ma mort assurée » (page 10 de votre rapport d'entretien).

Or, Monsieur, interrogé au sujet de la durée de votre relation avec « … », vous avez déclaré « [j]’ai eu des relations sexuelles avec …, sur une période d'un près 5-6 ans. On a commencé à plus ou moins 12 ans, jusqu'à 18 ans » [sic] (page 7 de votre rapport d'entretien).

Partant, il convient de constater que temporellement, les faits que vous relatez sont impossibles. En effet, Monsieur, vous déclarez d'un côté que de peur que votre père ne vous tue, vous n'auriez pas continué à voir … après votre déménagement en 2002, soit lorsque vous auriez été âgé de … ans et d'un autre côté, vous déclarez que vous auriez eu une relation homosexuelle avec … jusqu'à l'âge de vos … ans.

Au vu de toutes ces contradictions, il paraît évident que vous avez inventé votre récit de toute pièce dans l'espoir de vous voir octroyer le bénéfice d'une protection internationale.

En effet, il est légitime de s'attendre d'une personne qui a réellement vécu des évènements de la sorte, qu'elle ne se contredise pas en relatant les moments clés de sa vie.

Ce constat est d'autant plus renforcé par le fait que vos déclarations selon lesquelles vous seriez bisexuel ne correspondent nullement à vos déclarations faites lors de l'introduction de votre demande de protection internationale lors de laquelle vous avez exposé uniquement des problèmes d'ordre familiaux sur une toile de fond religieuse.

Soulevons à toutes fins utiles que vous seriez arrivé en Europe en 2016 et que vous auriez vécu illégalement à Paris pendant 5 ans sans jamais y introduire de demande de protection internationale.

Vos déclarations selon lesquelles vous vous seriez rendu « deux trois fois » (page 4 de votre rapport d'entretien) à l'OFPRA afin d'y introduire une demande de protection internationale et qu'« il y avait beaucoup de monde, j'ai attendu longtemps. Au bout d'un moment, je me suis découragé » démontrent à suffisance que vous avez-vous-même jugé ne pas nécessiter une protection internationale, alors qu'il vous aurait simplement fallu attendre votre tour comme les quelques 17.000 personnes qui ont introduit une demande de protection internationale à Paris en 2018, car d'après les informations consultées, « [e]n ce qui concerne les départements d'enregistrement, Paris reste le premier guichet unique avec 17 368 demandes [en 2018] ».

Monsieur, au vu de tout ce qui précède, je suis amené à remettre en cause la crédibilité générale de votre récit et votre réel besoin d'une protection internationale.

Votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Quand bien même votre récit serait crédible, il s'avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l'octroi du statut de réfugié, respectivement pour l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe (2) de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe (1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Premièrement, Monsieur, vous exposez des problèmes que vous auriez eus avec votre père qui aurait appartenu à la communauté … du Sénégal et qui aurait été mécontent du fait que votre défunte mère vous aurait élevé dans la Chrétienté. Vous relatez dans ce contexte que vous auriez été attaché et frappé par des « gros gaillards » (page 6 de votre rapport d'entretien) chez votre père pendant trois jours, suite à une bagarre que vous auriez eue avec votre père qui aurait été en colère contre vous car il aurait trouvé le chapelet que vous auriez gardé en souvenir de votre défunte mère.

Force est de constater que ces problèmes avec votre père sont liés à votre religion et entrent ainsi dans le champ d'application de la Convention de Genève.

Néanmoins, il convient de soulever que les faits dont vous faites état ne sauraient être qualifiés d'actes de persécution alors que vous avez manifestement estimé vous-même qu'ils ne revêtent pas un degré de gravité tel à rendre une vie dans votre pays d'origine intolérable.

En effet, vous affirmez que ces évènements auraient eu lieu quand « j'étais grand…j'avais peut-être 23, 24 ans » (page 10 de votre rapport d'entretien), soit en 2010 ou 2011. Or, ce n'est qu'en 2015 que vous auriez entrepris des démarches infructueuses pour obtenir un visa pour l'Europe et ce n'est qu'en 2016 que vous auriez définitivement quitté le Sénégal. Vous auriez donc continué à vivre 4, 5 voire 6 ans chez vous au Sénégal sans que vous ne relatiez le moindre incident qui vous serait arrivé durant cette période.

Quand bien-même ces faits seraient à considérer comme suffisamment graves pour fonder des actes de persécution, il convient de noter que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des personnes privées peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en espèce.

En effet, Monsieur, il ressort clairement de vos dires que vous n'auriez pas dénoncé ces faits aux autorités sénégalaises, au motif qu'« ils ne m'auraient même pas écouté » ou encore que « si j'avais porté plainte contre mon père, ça aurait été pire que la mort » (page 7 de votre rapport d'entretien).

Force est de constater qu'il s'agit là de raisons purement hypothétiques qui ne sauraient justifier votre inaction, ce que vous confirmez vous-même en avouant « [j]e ne sais pas ce qui aurait pu se passer » (page 7 de votre rapport d'entretien). Or, à défaut d'avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d'aide auprès des autorités étatiques sénégalaises, on ne saurait leur reprocher de ne pas avoir pu ou voulu vous aider.

Ce constat est d'autant plus renforcé par le fait que vous déclarez vous-même que vos parents seraient allés au tribunal quand vous étiez petit pour « trancher par rapport à la religion, car ma mère m'emmenait à l'église, et mon père ne voulait pas » [sic] (page 9 de votre rapport d'entretien). Le juge les aurait informés que vous pourriez choisir votre propre religion à partir de vos 18 ans. Partant, il est indéniable que les autorités de votre pays d'origine tentent de résoudre les litiges lorsque ceux-ci leurs sont soumis et qu'elles respectent la libre pratique des croyances telle qu'inscrite dans la Constitution.

En dernier lieu, il convient de noter que vous êtes majeur et qu'en cas de retour au Sénégal, personne ne vous oblige de retourner vivre chez votre père, de sorte qu'il n'existe aucun risque que ces faits se reproduisent.

Deuxièmement, Monsieur, vous évoquez deuxièmement des craintes liées à votre prétendue bisexualité. Or, il convient de soulever que vous ne faites état d'aucune persécution, ni d'aucun incident à mettre en lien avec l'identité sexuelle à laquelle vous déclarez appartenir. En effet, « [à] part …, personne » (page 8 de votre rapport d'entretien) n'aurait été au courant de votre bisexualité de sorte que vos craintes sont tout au plus à qualifier de craintes hypothétiques qui ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié dans votre chef.

À cela s'ajoute que même si vous déclarez que « [l]a majorité des Sénégalais sont musulmans, donc sont contre l'homosexualité. Et les Mourides en particulier, pour eux c'est un crime » (page 9 de votre rapport d'entretien), il est de jurisprudence constante au Luxembourg que les membres de la communauté LGBTI ne sont pas emprisonnés systématiquement par les autorités sénégalaises et que la seule existence d'une législation pénalisant des actes homosexuels n'est pas suffisante pour constater dans le chef d'un demandeur un risque de persécution lié à son orientation sexuelle.

Notons également que: « Si, au Sénégal, il y a une loi homophobe et une perception sociale négative de l'homosexualité, cela ne suffit pas pour que tout homosexuel soit reconnu réfugié ».

Il convient de souligner dans ce contexte que le président sénégalais Macky SALL, qui après avoir été poussé par le président américain Barack OBAMA à décriminaliser l'homosexualité en 2013, a exprimé: « Despite the law, Sall maintained that gays were not persecuted in Senegal, saying they were only prosecuted if they engaged in acts that violated the law ». Un constat qui est d'ailleurs confirmé par le Département d'Etat américain qui indique dans ses rapports relatifs aux pratiques en matière de droits de l'homme que « While LBGTI individuals faced hardships, there were no high-profile arrests of LGBTI individuals during the year [Rem.: 2017]. This was a change from previous years, which saw several high-profile arrests of LGBTI individuals. […] LGBTI activists indicated [furthermore] that the overall situation in the country was calm with respect to the LGBTI community, and had improved slightly over the previous year ». Aussi en 2018, « LGBTI activists indicated the overall situation in the country remained calm with respect to the LGBTI community for a second consecutive year ».

A cela s'ajoute qu'Amnesty International indique dans son rapport annuel qu'en janvier 2017 « the … Court of Appeal acquitted seven men of "acts against nature." They had been arrested in July 2015 and sentenced in August 2015 to 18 months' imprisonment with 12 months suspended ».

De ce qui précède, on ne saurait conclure à l'existence dans votre chef d'un risque fondé de persécution en raison de votre prétendue bisexualité.

Troisièmement, Monsieur, vous exprimez des craintes en relation avec de l'argent que vous auriez subtilisé à votre père. En effet, vous expliquez que vous auriez financé votre voyage en Europe en subtilisant « presque 16 millions CFA » (page 11 de votre rapport d'entretien), soit plus ou moins … euros, que votre père aurait collectés auprès de la communauté … afin de couvrir les frais du pèlerinage du … à ….

Il convient tout d'abord de noter que ces faits ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié dans votre chef alors qu'il ressort clairement de vos dires que ceux-ci ne sauraient être liés à votre race, à votre religion, à votre nationalité, à votre appartenance à un groupe social ou à vos opinions politiques.

A cela s'ajoute que les faits que vous évoquez ne sauraient être qualifiés d'actes de persécution. En effet, ces faits font référence à un acte pour lequel vous pourriez devoir répondre devant les autorités compétentes en cas de plainte de la part de votre père. Or, il ne ressort nullement de vos dires que votre père aurait porté plainte et quand bien même une plainte aurait été portée à votre encontre, les procédures visant à obtenir une protection internationale n'ont pas pour finalité de vous permettre de vous soustraire à la justice et aux lois en vigueur dans votre pays d'origine. Le simple fait de risquer d'être condamné pour une infraction commise, infraction que vous avouez de surcroit, ne saurait être qualifié d'acte de persécution.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

En effet, tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 27 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Sénégal, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2021, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 7 octobre 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

En application de l’article … (2) de la loi du 18 décembre 2015, le vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, a, par jugement rendu en date du 22 novembre 2021, portant le numéro 46615 du rôle, déclaré le recours, pris en son triple volet, recevable en la forme et a jugé que le recours dirigé contre la décision ministérielle du 7 octobre 2021 de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée n’était pas manifestement infondé, tout en renvoyant l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif pour statuer sur le recours en question.

A titre liminaire, le tribunal tient à relever que tout jugement non susceptible d’appel est frappé de l’autorité de chose jugée et que cette dernière s’attache tant au dispositif d’un jugement, qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. Par contre, les considérations qui ne sont pas nécessaires à la solution - les obiter dicta - ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée2.

Il convient ensuite de constater qu’il résulte des enseignements de la Cour administrative que : « La Cour estime qu’il se dégage de la systémique instituée par l’article …, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015 que l’autorité de chose jugée attachée au jugement rendu dans une première phase par le juge unique vise sa seule appréciation quant au caractère manifestement infondé ou non du recours introduit par le demandeur de protection internationale. Il est évident qu’en cas d’un débouté de pareille demande, le juge unique doit rejeter tous les moyens présentés par le demandeur. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant la formation collégiale qui elle est appelée à statuer sur le fond du litige et non plus à refaire une nouvelle fois l’appréciation quant à la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué dans le cadre d’une procédure accélérée, cet examen étant épuisé par le jugement rendu par le juge unique.3 ».

2 Voir M. Leroy, Contentieux administratif, 4e éd., Bruylant, p.759.

3 Cour adm., 11 février 2020, n° 43796C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

Il s’ensuit que le tribunal n’examinera plus la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée et limitera par conséquent son analyse au fond du litige, à savoir le rejet de sa demande de protection internationale dans son double volet, ainsi que l’ordre de quitter le territoire.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique être originaire du Sénégal et être de confession chrétienne. Il fait valoir avoir toujours eu des doutes quant à sa sexualité et que ses premières relations homosexuelles lui auraient permis d’accepter son orientation sexuelle sans qu’il ne puisse la vivre librement. A cela s’ajouterait le fait qu’il aurait été particulièrement fragilisé par le décès de sa mère, survenu lorsqu’il aurait eu quatorze ans. A partir de ce moment, il aurait été dans l’obligation de quitter la communauté chrétienne dans laquelle il aurait vécu pour rejoindre son père, qui aurait été chef religieux au sein de la communauté …. Son père aurait été une personne tyrannique, qui aurait toujours soupçonné son orientation sexuelle, et, de ce fait, l’aurait encadré avec une autorité excessive. Il se serait ainsi trouvé piégé dans un environnement malveillant, dans lequel, outre la difficulté pour accepter sa propre homosexualité, il aurait également eu à composer avec la vie dans une communauté musulmane, où l’homosexualité aurait été réprimée. Son père ayant été le leader de la communauté religieuse, il aurait été dans une position encore plus délicate et particulièrement exposée. Il aurait été, de ce fait, soumis à la pression constante de l’ensemble de la communauté religieuse et aurait été contraint de fuir son pays. Il fait valoir, à cet égard, que l’exil aurait été pour lui source de nouveaux traumatismes : isolé et coupé de tout contact, il se serait senti très vulnérable. Il ajoute que la société sénégalaise serait hostile à l’égard de la minorité homosexuelle, hostilité qui serait consacrée sur le plan législatif par des dispositions anti-homosexualité, et qu’il ne pourrait, par conséquent, pas vivre librement son orientation sexuelle dans son pays d’origine. Pour ces raisons, il aurait rejoint l’Europe via la France et introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

En droit, le demandeur estime tout d’abord que le ministre aurait, à tort, statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

En premier lieu, en ce qui concerne l’absence de crédibilité de son récit qui lui est reproché par le ministre, Monsieur … fait valoir que la minorité homosexuelle au Sénégal serait soumise à des actes d’oppression, de violence et des menaces par les autorités ainsi que par la société sénégalaise, qui serait très intolérante vis-à-vis des homosexuels. Il se qualifie, à cet égard, de bisexuel et fait valoir avoir entretenu une relation homosexuelle pendant plusieurs années.

En ce qui concerne les doutes ministériels sur la réalité de cette relation, le demandeur affirme avoir vécu toute sa vie dans une société homophobe où le fait d’entretenir une relation homosexuelle pourrait le conduire en prison ou l’exposer à des menaces et des agressions graves. Il aurait ainsi intégré depuis toujours la nécessité de cacher son orientation sexuelle afin de préserver sa sécurité. Il ajoute que sa relation avec le dénommé Émile aurait commencé lorsqu’il aurait été âgé de … ans. Il souligne que, si cela peut paraître jeune, ce fait démontrerait en réalité qu’il aurait toujours eu conscience de son orientation sexuelle. Il précise que l’homosexualité serait une caractéristique innée et qu’il ne serait pas rare que des pré-

adolescents se sachent déjà attirés par des personnes du même sexe, même à un jeune âge.

Dans ce contexte, il donne à considérer que sa relation avec une femme serait la conséquence d’une tentative pour rentrer dans la norme et de renier son orientation sexuelle. Il se prévaut, à cet égard, de la pression sociale qui existerait, dans certains pays, sur les minorités LGBTQ+, qui serait si forte que des personnes homosexuelles entretiendraient des relations hétérosexuelles dans le seul but d’apparaître en conformité avec les normes sociales. Il soutient que le fait d’avoir eu un enfant avec une femme relèverait de cette volonté de se rendre « normal » aux yeux des Sénégalais, dans la mesure où le fait d’avoir un enfant prouverait que le mariage a été consommé. Cette relation hétérosexuelle serait ainsi le résultat de la perception négative de l’homosexualité dans la société sénégalaise.

Ensuite, il justifie le fait de se définir comme bisexuel plutôt qu’homosexuel, comme une autre tentative de se rendre « normal », étant donné que la bisexualité serait pour lui un moyen « d’édulcorer » la situation et de la rendre davantage acceptable. Il donne à considérer, à cet égard, que même s’il avait pu parler en toute liberté de son orientation sexuelle et des persécutions qu’il aurait subies devant les autorités luxembourgeoises, il aurait eu le réflexe, par peur, de cacher de nouveau son orientation sexuelle.

En ce qui concerne le fait que son homosexualité aurait été secrète, il précise avoir vécu dans une communauté restreinte où il aurait été sujet à une surveillance constante. La communauté … aurait ainsi été au courant de son orientation sexuelle, étant donné qu’aucune épouse ne lui aurait été présentée malgré les traditions. Quant au fait qu’il ne se soit pas exprimé sur le sujet, préférant prétendre qu’il n’avait pas subi de persécutions, il explique, en se référant à un document publié par Médecins du Monde en date du 15 mars 2019 et intitulé « Reconnaître le trauma psychique des réfugiés », que les victimes de lourds traumatismes livreraient fréquemment une histoire qui serait à première vue considérée comme peu crédible à cause des incohérences qu’elle contiendrait. Il concède, à cet effet, que cette situation serait évidemment paradoxale, mais s’expliquerait par les traumatismes subis, d’une gravité telle qu’ils laisseraient la mémoire du demandeur de protection internationale troublée. Il dénonce le fait que ces symptômes dissociatifs caractéristiques du lourd bagage psychologique des demandeurs d’asile seraient souvent occultés par les autorités compétentes. Il en conclut que le fait de se fier uniquement aux déclarations faites lors du dépôt de sa demande de protection internationale pour la rejeter, sans tenir compte du trauma qu’il aurait vécu, ne permettrait pas une appréciation complète de sa situation. Il ajoute que l’accuser de manquer de crédibilité et de spontanéité, voire de mentir, constituerait une pratique violente qui aboutirait à nier sa souffrance psychique. À cet égard, il renvoie à une « Evaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen commun », publié en 2018 par l’European Asylum Support Office (EASO), qui démontrerait qu’en raison du caractère traumatique des événements vécus, il serait plausible qu’un demandeur de protection internationale puisse confondre le déroulement des choses, voire qu’il fournisse des déclarations contradictoires. Il fait valoir qu’il serait question de cohérence interne et que les différentes déclarations faites par un demandeur de protection internationale devraient former un ensemble cohérent. A ce sujet, il ressortirait de la prédite évaluation que la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », aurait indiqué que le récit d’un demandeur de protection internationale devait être cohérent tout au long de la procédure, même si certains aspects du récit pouvaient être incertains ou apparaître quelque peu invraisemblables, pour autant qu’ils ne nuisent pas à la crédibilité de l’ensemble des allégations. Elle aurait également considéré que, lors de l’examen de la crédibilité générale des déclarations, une parfaite exactitude concernant les dates et les événements ne pourrait être réclamée. Le demandeur en conclut que ses déclarations ne devraient pas être lues comme lacunaires et incohérentes, mais qu’elles devraient être comprises comme étant celles d’un homme terrifié ayant appris très jeune que les relations entre personnes du même sexe seraient interdites et contre-nature.

Ensuite, Monsieur … ajoute qu’il aurait été exclu de sa communauté pour son orientation sexuelle et pour ses convictions religieuses et qu’une fois parti de cette communauté, il n’aurait plus été en mesure d’en intégrer une autre. Il explique, dans ce contexte, que la société sénégalaise aurait une hiérarchie stricte et, en renvoyant à un article publié sur « www.jeuneafrique.com » le 10 février 2018, intitulé « Sénégal : l’incontournable influence des mourides sur la vie politique », que les communautés religieuses musulmanes, en particulier la communauté …, auraient un fort poids politique. Par ailleurs, il affirme ne jamais avoir pu trouver sa place dans la société sénégalaise en raison de ses deux prénoms, qui évoqueraient à la fois l’appartenance à l’islam de son père et à la religion chrétienne de sa mère, ce qui aurait fait de lui une personne différente d’emblée, ne pouvant appartenir à aucune de ces communautés religieuses.

En deuxième lieu, en ce qui concerne la qualification par le ministre du Sénégal comme pays d’origine sûr, si le demandeur reconnaît que son pays d’origine figure sur la liste des pays d’origine sûrs établie par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûr, ci-après désigné par le « règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », c’est-à-dire d’un pays où il n’y aurait, de manière générale et uniformément, pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », il soulève cependant le fait qu’en vertu de l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre serait tenu d’examiner régulièrement l’évolution de la situation dans les pays sûrs.

Après avoir cité l’article 31 de la même loi, il donne à considérer que le Conseil d’Etat français, dans un arrêt du 2 juillet 2021 portant le numéro 437141 du rôle, aurait décidé de retirer le Sénégal de cette liste en raison de l’existence de dispositions législatives qui pénaliseraient les relations homosexuelles et de la persistance de comportements encouragés, favorisés ou qui seraient simplement tolérés par les autorités sénégalaises conduisant à ce que des personnes puissent effectivement craindre d’y être exposées à des risques de persécution ou de traitements inhumains et dégradants. Monsieur … fait valoir, à cet effet, qu’une appréciation actualisée du ministre aurait permis de relever ces mêmes éléments, et aurait dû entraîner le retrait du Sénégal de la liste des pays d’origine sûrs.

Il ajoute, à ce propos, en renvoyant à un « rapport 2020/21 » d’Amnesty International intitulé « La situation des droits humains dans le monde », que la législation sénégalaise contiendrait des dispositions criminalisant l’homosexualité, en prévoyant des peines allant d’un an à cinq ans de prison ainsi que des amendes et que le 6 novembre 2020, sept hommes auraient été condamnés par les juridictions nationales à six et trois mois d’emprisonnement, ce qui démontrerait que ses craintes d’être condamné pour son homosexualité ne seraient pas hypothétiques. Toujours dans ce contexte et en renvoyant à un article publié sur le site internet « www.forumrefugies.org » le 10 septembre 2021, intitulé « La criminalisation de l’homosexualité au Ghana et au Sénégal », il fait valoir que les personnes homosexuelles vivraient dans un climat de haine et de peur qui serait favorisé par l’existence des prédites dispositions légales, climat contre lequel les autorités compétentes sénégalaises n’interviendraient pas, malgré les demandes fréquentes de la communauté internationale auprès desdites autorités en vue de supprimer les dispositions relatives à l’homosexualité dans leur code pénal. Les personnes homosexuelles feraient ainsi face à des discriminations, à l’intolérance généralisée et seraient également victimes de menaces, de chantage et d’actes de violence, parmi lesquels des vols, des expulsions et des viols, le demandeur renvoyant à cet égard à un rapport « 2020 Country Reports on Human Rights Practices, Senegal » de l’US Department of State.

Le demandeur en conclut, qu’en rejetant sa demande par le biais de la procédure accélérée sans vérifier si le Sénégal remplissait les critères pour être qualifié de pays d’origine sûr, où il pourrait être renvoyé sans risque, le ministre aurait violé le principe de non-

refoulement consacré par l’article 33 de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant en substance les motifs de refus à la base des décisions déférées, notamment en ce qui concerne les différents points de crédibilité, tout en réfutant comme non pertinentes les explications complémentaires de la requête introductive d’instance.

En vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f), de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Ensuite, le tribunal est amené à préciser que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En ce qui concerne tout d’abord les motifs invoqués par le demandeur ayant trait à son orientation sexuelle, il se dégage du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit du demandeur à ce propos ne serait pas crédible.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.4 En l’espèce, le tribunal partage les doutes de la partie étatique quant à la crédibilité du récit du demandeur lié à sa prétendue bisexualité.

En effet, si, au cours de ses auditions ayant suivi le dépôt des demandes de protection internationale au Luxembourg, le demandeur a fait état de sa bisexualité et de sa relation homosexuelle avec un dénommé …, force est de constater qu’au cours de son audition devant un agent de police en date du 14 avril 2021, le demandeur, interrogé sur les raisons pour lesquelles il a quitté son pays d’origine, n’a pas fait la moindre allusion à sa bisexualité en relatant simplement que « (…) J’ai été obligé de quitter le Sénégal parce que ma mère est décédé quand j'avais … ans. Mon père est musulman pratiquant. Comme j’ai été élevé par ma mère qui était chrétienne. Mon père ne l’a jamais accepté. Il m’a d’ailleurs envoyé de forçe dans un internat. J’ai notammant été frappé par mon père. ».

Lors du dépôt de sa demande de protection internationale, Monsieur … a inscrit dans sa fiche manuscrite remplie également le 14 avril 2019 : « Jai quitté mon pays pour Des problème familliaux après le décé de ma Mère en 2002 qui m'as élevé jusqua l'âge de 14 ans et qui m’as apris la religions Crétienne ce que mon père nas jamais accepté raison de leurs divorce je me suis retrouver chez mon père avec c’est trois épouse qui me fesais la Misère à longueur de journée 5 priére par jour et à la Mosqué en plus alors que Javais promis à ma maman que je resterias crétien Jusqua la Fin de Ma vie……. », sans non plus faire mention de sa prétendue bisexualité, et faisant ainsi uniquement état des conditions familiales difficiles dans lesquelles il a vécu.

4 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 138 et les autres références y citées.

Ainsi, Monsieur … a non seulement omis de mentionner un des éléments clefs de son récit, à savoir sa bisexualité, devant les agents de police l’ayant entendu mais également au moment de remplir sa fiche de motifs de sa demande de protection internationale.

A cela s’ajoute que le récit de Monsieur … reste peu détaillé et confus, notamment sur la durée de sa relation avec le dénommé …, qui aurait été le seul homme qu’il ait connu, et à propos duquel le demandeur a indiqué dans un premier temps que « J’ai eu des relations sexuelles avec …, sur une période d'un près 5-6 ans. On a commencé à plus ou moins … ans, jusqu'à … ans. (…) »5 et qu’il n’aurait plus fréquenté … après avoir déménagé chez son père à l’âge de … ans6, soit en 2005, avant d’indiquer qu’il aurait vu … pour la dernière fois « (…) peut-être 2002-2003, peut-être 2006-2007. (…) »7 et qu’il a été vivre chez son père en 2002 à l’âge de … ans8, incohérences que le demandeur manque, en outre, d’expliquer dans sa requête introductive d’instance.

Partant, le tribunal retient que ces omissions, contradictions et incohérences sont de nature à ébranler la crédibilité du récit de Monsieur … ayant trait à sa bisexualité, de sorte que ce dernier ne saurait, sur base de ce même récit, bénéficier du statut de réfugié.

Quant aux motifs familiaux invoqués par le demandeur sur une toile de fond religieuse, le tribunal est amené à constater que les faits relatés sont emprunts d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur ayant été agressé et attaché à un poteau pendant plusieurs jours.

Cependant, étant donné qu’en application de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, l’analyse du tribunal doit porter sur l’évaluation du risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine, force est de relever que Monsieur …, âgé actuellement de … ans et pouvant subvenir à ses propres besoins, ce qu’il a d’ailleurs fait pendant plusieurs années en Europe avant de déposer une demande de protection internationale au Luxembourg, n’est pas dans l’obligation de retourner vivre au domicile familial ni de côtoyer son père.

Par ailleurs, force est de relever que (i) si le demandeur soutient avoir eu « peut-être 17 ans »9 et donc avoir été mineur au moment de son arrivée au domicile de son père, il a cependant atteint la majorité l’année d’après et n’a jamais cherché à se soustraire à l’oppression exercée par son père et ses belles-mères au domicile familial de 2003 jusqu’en 201610, et (ii) il ne s’est pas adressé aux autorités de son pays d’origine lorsque son père et les individus invités chez lui l’ont agressé et attaché à un poteau pendant plusieurs jours.

A ce propos, les auteurs de ces violences sont des personnes privées qui peuvent être qualifiées comme acteurs seulement dans le cas où les autorités sénégalaises ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions, ou que le demandeur a de bonnes raisons de ne pouvoir ou vouloir se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Or, il échet de constater que Monsieur … n’a pas souhaité déposer de plainte, en soutenant simplement que les policiers ne l’auraient pas écouté11. Or, à défaut d’avoir au moins 5 Page 7 du rapport d'entretien.

6 Page 6 du rapport d'entretien.

7 Page 8 du rapport d'entretien.

8 Page 9 du rapport d'entretien.

9 Page 9 du rapport d'entretien.

10 Page 11 du rapport d’entretien.

11 Page 7 du rapport d’entretien.

tenté de porter plainte auprès de la police ou d’avoir sollicité une forme quelconque d’aide aux autorités étatiques sénégalaises, le demandeur ne saurait, dès lors, leur reprocher de ne pas avoir pu ou voulu l’aider.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale12.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par le demandeur comme étant non fondée, de sorte que le recours du demandeur est, pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié, à rejeter.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur du statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine, étant encore relevé, tout comme pour le statut de réfugié, que s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, cette 12 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p. 21, n° 100.

présomption pouvant être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Comme il n’y a pas de conflit armé au Sénégal et que le demandeur n’allègue pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans son pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les traitements dont il fait état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants.

Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, force est de constater que les risques invoqués par le demandeur de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour au Sénégal du chef des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre de la demande en reconnaissance du statut de réfugié sont dénués de fondement, dans la mesure où il a plus particulièrement été retenu ci-avant que le récit de Monsieur … ayant trait à sa bisexualité n’était pas crédible et que, par ailleurs, il ne se dégageait pas des éléments de la cause qu’il lui serait impossible de requérir et d’obtenir la protection des autorités sénégalaises, étant rappelé ici encore que le demandeur, étant majeur et pouvant subvenir à ses besoins par ses propres moyens, n’est, par ailleurs, pas dans l’obligation de côtoyer son père ni ses belles-mères.

Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que Monsieur … n’a pas non plus fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2, point g), de ladite loi.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire A l’appui de ce volet du recours, le demandeur estime que l’ordre de quitter le territoire doit être réformé en tant que conséquence de la réformation de la décision lui refusant une protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit, partant, des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties et sur renvoi par jugement du 22 novembre 2021, inscrit sous le numéro 46615 du rôle, rendu par le vice-président du tribunal administratif présidant la deuxième chambre;

vidant ledit jugement du 22 novembre 2021 ;

déclare non justifié le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 7 octobre 2021 portant refus d’une protection internationale ;

déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;

déclare non justifié le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 46615a
Date de la décision : 01/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-01;46615a ?

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