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01/04/2022 | LUXEMBOURG | N°45132

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 avril 2022, 45132


Tribunal administratif N° 45132 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2020 1re chambre Audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 Recours formé par Monsieur A et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45132 du rôle et déposée le 27 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Ti

nti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 45132 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2020 1re chambre Audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 Recours formé par Monsieur A et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45132 du rôle et déposée le 27 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le … à … (Sénégal), et de son épouse B, née le … à … (Sénégal), agissant en leur nom personnel, ainsi qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs C, né le … à … (Italie) et D, né le … à Luxembourg, tous de nationalité sénégalaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 septembre 2020 refusant de faire droit à leurs demandes de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Louis Tinti du 10 novembre 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 novembre 2021.

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En date du 11 octobre 2019, Monsieur A et Madame B, accompagnés de leur enfants mineurs C et D, ci-après dénommés « les consorts A », introduisirent auprès du ministère des Affaires étrangères luxembourgeois, direction de l’Immigration, dénommé ci-après « le ministère », leurs demandes de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après dénommée « la loi du 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. »18 décembre 2015 ».

Le même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur A fut encore entendu en date du 13 novembre 2019 par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame B fut entendue pour les mêmes motifs en date des 4 décembre 2019 et 13 janvier 2020.

Par décision du 29 septembre 2020, notifiée aux intéressés par un courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts A que leurs demandes de protection internationale avaient été rejetées comme étant non fondées tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites le 11 octobre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).

Vous êtes accompagnés de vos deux enfants mineurs C, né le … à …/Italie et D, né le … à …/Luxembourg, tous les deux de nationalité sénégalaise.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 11 octobre 2019, les rapports d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 13 novembre 2019, du 4 décembre 2019 et du 13 janvier 2020 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes de protection internationale.

Monsieur, il ressort de vos dires que vous seriez d’ethnie « Sérère », né le … à Dakar au Sénégal et que vous y auriez vécu avec vos parents. Vous auriez fait des études dans le domaine de l’« électrique industrielle ». En 2008, vous seriez allé en Italie muni d’un visa à la recherche d’un emploi et vous y auriez ensuite séjourné de façon illégale et travaillé irrégulièrement jusqu’en 2019. Votre femme vous a rejoint en Italie munie d’un visa « Schengen » en 2016. Vous seriez venu au Luxembourg à plusieurs reprises pour trouver un travail et seriez par la suite retourné brièvement en Italie pour aller chercher votre épouse avant de revenir finalement au Luxembourg en mars 2019.

Une fois arrivé au Luxembourg, vous avez travaillé en tant qu’intérimaire chez « E » et « F » du 7 mars jusqu’au 10 octobre 2019 sous une fausse identité maltaise. Cette usurpation d’identité a été découverte lorsque vous avez sollicité un titre de séjour auprès de la commune de 2 Luxembourg. Vous avez été arrêté par la police et le lendemain de cette arrestation, le 11 octobre 2019, vous avez introduit vos demandes de protection internationale.

Lors de l’entretien avec la police au Luxembourg, vous avez déclaré avoir quitté le Sénégal « weil ich dort nicht arbeiten konnte ich bin Elektriker und fand dort keine Arbeit » (rapport de police). Vous confirmez vos dires sur votre fiche de motifs en indiquant que « J’ai quitté mon pays d’origine pour venir trouver du travail en Europe pour soutenir et maintenir ma famille » (fiche de motifs).

Vous indiquez lors de l’entretien avec l’agent du ministère que vous n’avez pas introduit de demande de protection internationale en Italie pendant les 11 années où vous y avez séjourné parce qu’« Il n’y avait pas un motif pour demander l’asile » (p.6/13 du rapport d’entretien).

Vous continuez votre histoire en disant que vous auriez connu Votre femme depuis 2005 et que vous auriez gardé le contact même après que vous auriez quitté le Sénégal. En novembre 2016, vous auriez épousé par procuration B, tout en sachant que le père de B aurait été opposé à ce mariage en raison de votre ethnie « Sérère ». Votre femme aurait quitté le Sénégal en décembre 2016 après avoir été menacée de mort par son père à cause de ce mariage.

Madame, il ressort de vos dires que vous seriez d’ethnie « Wolof » et de la caste « Teuga » et que vous seriez née à … au Sénégal où vous auriez vécu avec votre famille. Vous auriez fait des études en « application WEB » et une formation en tant que « visiteuse médicale ». Vous auriez eu un contrat de travail avec la société « … », basée à Dakar.

En décembre 2016, vous auriez rejoint votre époux munie d’un visa « Schengen », et ce « pour rendre visite à mon mari. J’ai vu qu’il n’arriver [sic] pas à avoir des papiers européens, Je suis rester [sic] pour le soutenir et pour l’assister » (fiche de motifs).

Vous indiquez lors de l’entretien avec l’agent du ministère que vous n’avez pas introduit de demande de protection internationale en Italie parce qu’« on n’a jamais pensé à faire cela, car on vivait normalement. On n’était pas contraint à être renvoyé dans notre pays.

Donc il n’y avait pas de besoin » (p.8/19 du rapport d’entretien).

Vous continuez votre récit en évoquant que depuis 2015, votre père aurait voulu vous marier à un petit cousin de la même caste que vous et qu’après votre mariage par procuration et en secret avec votre époux A, votre père vous aurait menacée de mort. Vous seriez ensuite partie chez une amie et auriez introduit une demande de visa avant de quitter le Sénégal le 28 décembre 2016.

A la fin de l’entretien vous mentionnez en outre que vous auriez été abusée sexuellement par un de vos cousins depuis l’âge de cinq ans jusqu’à l’âge de onze ans.

Vous présentez les documents suivants :

-

Trois passeports en cours de validité, -

Un passeport expiré, -

Deux cartes d’identité sénégalaises, -

Un acte de naissance luxembourgeois, -

La copie de l’acte de mariage.

3 2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée la « Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, Monsieur, il y a lieu de constater que vos comportements ne sont manifestement pas ceux de personnes réellement persécutées, que vos demandes de protection internationale sont totalement infondées et qu’elles ne vous servent qu’à vous maintenir sur le sol européen alors que vous y séjournez de manière irrégulière depuis plus de onze ans d’abord en Italie puis ici au Luxembourg sous une fausse identité. Ce n’est qu’après que le pot aux roses ait été découvert et que vous étiez au pied du mur que vous avez en dernier recours introduit des demandes de protection internationale. Vous confirmez d’ailleurs tous les deux ne jamais avoir eu l’intention d’introduire une demande de protection internationale en Italie car vous n’étiez pas menacé d’expulsion et que partant vous n’aviez pas besoin d’une telle demande. Vous déclarez clairement qu’ « Il n’y avait pas un motif pour demander l’asile [Rem. : en Italie » (p.6/13 de votre rapport d’entretien Monsieur). Cette remarque montre indubitablement que vos demandes de protection internationale ne sont dues qu’à votre arrestation en situation irrégulière au Luxembourg et que vous n’avez pas introduit de demandes de protection internationale ni en Italie ni au Luxembourg parce que pendant toutes ces années vous avez pu continuer votre vie clandestine en Europe sans avoir été appréhendés.

Or, on peut s’attendre à ce qu’une personne réellement persécutée dans son pays d’origine introduise une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré, qu’elle introduise cette demande dans les plus brefs délais et surtout qu’elle ne quitte pas le pays sûr sans même introduire une demande de protection internationale en préférant voyager à travers l’Europe et vivre dans la clandestinité et dans l’illégalité dans d’autres pays.

4 En effet ce n’est qu’après avoir été intercepté par la Police grand-ducale sur le territoire luxembourgeois en situation irrégulière respectivement avec des faux papiers que vous nous avez informé de votre souhait d’introduire une demande de protection internationale. Notons en plus qu’une personne réellement persécutée, qui craint de l’être respectivement qui craint de subir des atteintes graves dans son pays d’origine collabore avec les autorités du pays dans lequel elle recherche une protection, elle ne tente pas ostentatoirement de dissimuler son identité et n’attend pas son arrestation pour introduire une demande de protection internationale sous une fausse identité pour se maintenir coute que coute sur le territoire européen.

Il peut clairement être conclu que des motifs économiques sont à l’origine de vos demandes de protection internationale.

Monsieur, vous précisez de manière claire et non équivoque sur votre fiche de motifs que la seule raison pour laquelle vous auriez quitté votre pays d’origine aurait été le fait que vous n’auriez pas trouvé du travail au Sénégal. Vous Madame, ajoutez que vous auriez voulu rendre visite à votre époux et trouver un emploi.

Vous tous les deux n’avez à aucun moment mentionné un quelconque problème familial après votre mariage et des menaces de morts y relatifs comme vous le prétendez soudainement lors de l’entretien avec l’agent du ministère. Il s’agit là d’éléments pourtant absolument clés que vous auriez nécessairement mentionnés s’ils avaient vraiment existé. En effet il est impossible d’ « oublier » de tels éléments essentiels et marquants qui de surcroit auraient été le point de départ de tous vos problèmes.

L’agent en charge de l’entretien vous a questionné afin de comprendre comment il est possible que ce motif n’apparaisse qu’au moment de l’entretien au Luxembourg alors qu’il en a nullement été question antérieurement. Vous Madame répondez que « je ne pouvais pas écrire toute mon histoire sur un bout de papier » (p.15/19 du rapport d’entretien). Cette déclaration n’est absolument pas convaincante, considérant que vous avez en long et en large décrit que vous auriez voulu « rendre visite à mon mari » pour l’aider à obtenir des papiers, que vous auriez l’intention de travailler et votre parcours scolaire.

Madame, Monsieur, il découle de manière claire et non équivoque de vos dires que des motifs économiques sont à l’origine de vos demandes de protection internationale. Monsieur, vous indiquez avoir quitté votre pays d’origine car vous n’auriez pas eu d’emploi et « pour trouver du travail en Europe pour soutenir et maintenir ma famille » (fiche de motifs). Vous continuez en évoquant que vous auriez travaillé de façon illégale en Italie et que vous vous seriez procuré cette fausse carte d’identité maltaise parce que « Les passeports sénégalais ne fonctionnent pas pour travailler ici » (p.3/13 du rapport d’entretien). Vous Madame confirmez les dires de votre époux et ajoutez que vous auriez voulu « rendre visite à mon mari » pour « le soutenir et pour l’assister vue que les conditions étaient dificiles [sic] d’avoir des papiers » et aussi « dans le but d’avoir une formation européenne et de travailler pour une harmonie familiale » (fiche de motifs).

Il s’agit là clairement de motifs sans aucun lien avec l’un des critères définis dans la Convention de Genève, et on ne saurait dès lors retenir dans votre chef l’existence d’une persécution, respectivement d’une crainte de persécution en raison de votre race, de votre 5 nationalité, de votre religion, de votre appartenance à un certain groupe social ou de vos opinions politiques.

Vous évoquez ensuite un prétendu problème familial au cours de l’entretien alors que ce problème n’a jamais été évoqué précédemment bien qu’il aurait déjà existé pendant les années où vous avez séjourné en Italie. Or vous avez-vous-même affirmé qu’il n’y avait pas de raison d’introduire une demande de protection internationale pendant les dernières années. Il est évident que vous avez ajouté cet élément à votre récit pour essayer d’augmenter vos chances d’obtenir une protection en Europe.

Quand bien même votre récit quant aux problèmes familiaux après votre mariage serait crédible, il convient de constater que ces faits tombent sous le champ d’application de la Convention de Genève alors qu’ils sont liés à vos ethnies.

Or, il faut noter que ces faits ne sauraient être qualifiés d’actes de persécution alors que vous avez manifestement vous-même estimé que les faits ne revêtent pas un degré de gravité tel à rendre une vie dans votre pays d’origine intolérable. En effet, vous avez estimé nécessaire introduire une demande de protection internationale que plus de onze respectivement trois ans après avoir quitté votre pays d’origine. A cela s’ajoute que vous avez pris le temps de solliciter des visas avant de quitter votre pays d’origine Madame.

Ceci montre clairement que la gravité de votre situation n’est manifestement pas celle que vous tentez de dépeindre au moment de l’introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg.

Dans le cas où ces faits seraient suffisamment graves pour constituer une persécution, notons que s’agissant d’actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, cela n’est pas le cas en l’espèce. En effet, vous n’avez aucunement porté plainte contre votre père qui vous aurait menacée de sorte qu’on ne saurait reprocher une quelconque défaillance aux forces de l’ordre qui n’ont jamais été mises en mesure d’effectuer leur mission.

Il s’impose de porter votre attention aux dispositions relatives au mariage forcé prévues dans le cadre légal sénégalais. L’article 108 du Code de la Famille relatif au consentement des époux énonce que « chacun des futurs époux. même mineur, doit consentir personnellement au mariage ». Le gouvernement sénégalais interdit donc clairement l’arrangement de mariages forcés.

Selon la représentante de l’AJS (Association des Juristes Sénégalaises) « la personne victime de mariage forcé peut effectivement demander aide et protection des autorités policières et/ou judiciaires et toute personne ayant connaissance de ce mariage forcé peut le dénoncer auprès de l’autorité compétente ».

Il ressort de ces informations que selon la loi sénégalaise vous Madame auriez pu dénoncer la volonté de votre père de vous marier avec votre cousin.

6 Concernant les menaces de mort de la part de votre père Madame, notons que suivant les article 290 et 291 du code pénal sénégalais, « Quiconque aura menacé, par écrit anonyme ou signé, image, symbole ou emblème, d’assassinat, d’empoisonnement ou de tout autre attentat, contre les personnes, qui serait punissable d’une peine criminelle, sera dans le cas où la menace aurait été faite avec ordre de déposer une somme d’argent dans un lieu indiqué ou de remplir tout autre condition, puni d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d’une amende de 25.000 à 200.000 francs […] Si cette menace n’a été accompagnée d’aucun ordre ou condition, la peine sera d’un emprisonnement d’une année au moins et de trois ans au plus et d’une amende de 20.000 à 100. 000 francs ».

Ceci montre clairement que vous auriez aussi pu dénoncer les menaces de mort proférées à votre égard de la part de vote père, respectivement obtenir une protection en vous adressant aux autorités.

Par ailleurs, il est primordial de retenir que vous êtes tous les deux majeurs et êtes donc parfaitement capables de vivre indépendamment de vos familles respectives dans une autre ville de votre pays d’origine.

De plus, soulignons qu’en vertu de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi précitée, le Sénégal constitue un pays d’origine sûr où il n’existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève. Notons qu’un pays peut être qualifié de pays d’origine sûr uniquement lorsqu’il est formellement établi que cet Etat est démocratique et qu’il s’agit d’un Etat de droit qui respecte les droits de l’Homme.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutés, que vous auriez pu craindre d’être persécutés respectivement que vous risquez d’être persécutés en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

7 L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Vos demandes de protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Sénégal, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2020, les consorts A ont fait déposer un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 29 septembre 2020 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision déférée du ministre du 29 septembre 2020, prise en son double volet, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale A l’appui de leur recours et en fait, les consorts A affirment être de nationalité sénégalaise.

Ils précisent avoir déposé des demandes de protection internationale après la révélation du caractère frauduleux de la carte d’identité maltaise que Monsieur A aurait possédée et qu’il aurait toujours considérée comme étant authentique pour l’avoir acquise au prix de 6.000 euros à des personnes l’ayant convaincu de la possibilité d’obtenir pour ce prix un tel document authentique.

Comme il aurait été en possession d’un document établissant sa nationalité maltaise, il n’aurait jamais vu l’intérêt de présenter une demande de protection internationale. Monsieur A fait valoir, à cet égard, que les motifs à la base de sa demande de protection internationale seraient apparus suite à son mariage religieux qui aurait été célébré par procuration en date du 25 novembre 2016 avec Madame B. Celle-ci aurait été contrainte de quitter rapidement son pays, après avoir été menacée de mort par son père, pour aller rejoindre son époux en Italie, où il aurait séjourné depuis 2008. Son père aurait, en effet, considéré son mariage avec un homme de l’ethnie Sérère comme un déshonneur, alors qu’il aurait eu dans l’idée de l’unir avec un cousin de la même ethnie et caste,à savoir l’ethnie Walhof et la caste Teuga. Lorsqu’il aurait appris le mariage entre Monsieur A et sa fille, le père de Madame B aurait téléphoné à son épouse pour l’informer de sa découverte du mariage secret de sa fille et l’aurait à ce moment indirectement menacée de mort. La mère de Madame B lui aurait alors demandé de fuir de la maison, de peur que son époux n’exécute ses menaces. Madame B se serait alors rendue chez une collègue jusqu’à l’obtention de son visa pour l’Italie. Elle fait encore valoir que si son père ne mettait pas en œuvre ses menaces, elle risquerait d’être tuée par d’autres membres de sa famille, qui considéreraient son mariage avec un inconnu comme une honte. Les consorts A font encore valoir que toute protection serait impossible de la part des autorités en place, de même que la possibilité d’une fuite interne en invoquant, à cet égard, le fait que la famille de Madame B aurait fini par la retrouver.

En droit, après avoir cité l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs soutiennent que dans le cadre de l’appréciation du bien-fondé de leurs demandes de protection internationale, le ministre aurait dû évaluer les faits lui soumis, et plus particulièrement les faits de violence auxquels Madame B pourrait être exposée suite à son refus de se conformer aux normes de comportements imposées aux femmes sénégalaises en fonction de leur appartenance à une caste déterminée, en ayant notamment refusé de se soumettre au mariage décidé par son père et en s’étant unie avec un autre homme contre la volonté de ce dernier. Après avoir expliqué les différences entre les castes, les demandeurs renvoient à un article publié sur le site internet Wikipédia, intitulé « Les groupes ethniques du Sénégal », à un document publié sur le site internet « www.seneplus.com » le 21 décembre 2017, intitulé « Le mariage à l’épreuve des castes », à un rapport du Département d’Etat américain de 2019, intitulé « Rapport 2019 sur les droits de l’Homme – Sénégal », et à un « Rapport du Groupe de travail chargé de la question de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique sur sa mission au Sénégal » déposé auprès de l’assemblée générale des Nations unies du 7 avril 2016, pour faire valoir que ce système au Sénégal serait particulièrement rigide et empêcherait l’union de personnes de différentes castes. Ils ajoutent que les difficultés auxquelles les femmes sénégalaises seraient confrontées en raison de ces règles traditionnelles entraîneraient la commission d’actes de persécutions sinon des atteintes graves à leur encontre, sans qu’elles ne fassent valoir leurs droits auprès des autorités, de peur ou de honte. En renvoyant à un document de l’Office français pour les réfugiés et apatrides du 29 septembre 2016, intitulé « Les mariages forcés au Sénégal », les demandeurs donnent à considérer que la plupart des mariages forcés ne seraient pas contestés et que les victimes de tels actes se résigneraient.

En ce qui concerne le refus du statut de réfugié, les consorts A relèvent que les faits relatés démontreraient une certaine gravité au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où le père de Madame B les aurait menacés de mort et qu’ils risqueraient de ce fait des représailles violentes de sa part au seul motif que la demanderesse aurait refusé d’épouser son petit cousin tel qu’il l’avait décidé. Ils soutiennent, à cet égard, que ces mêmes faits seraient liés aux violences dont les femmes sénégalaises seraient victimes et plus spécialement celles ayant fait l’objet d’un mariage forcé. Madame B fait valoir être ainsi directement victime d’une persécution de genre et, à ce titre, considère qu’elle ferait partie d’un groupe social au sens de l’article 43, point d) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir celui composé par les personnes qui refusent de suivre les règles coutumières de la société sénégalaise et que son époux serait indirectement soumis à cette même forme de persécution, de sorte à pouvoir tous les deux bénéficier du statut de réfugié. En s’appuyant sur un commentaire d’un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge du 20 décembre 2018, portant le numéro 214 378 du rôle, les demandeurs donnent à considérer que ce dernier aurait accordé le statut de réfugié à uneCamerounaise victime de violences domestiques après avoir constaté que celle-ci s’était réellement efforcée d’étayer sa demande par des preuves documentaires, que ses déclarations étaient cohérentes et plausibles, que les femmes camerounaises constituaient un groupe social, qu’il n’y avait pas de bonnes raisons de penser qu’elle ne subirait pas de représailles en cas de retour au domicile conjugal, et qu’elle n’a pas pu accéder à une protection dans son pays d’origine, étant donné que cet accès serait difficile, que les autorités camerounaises considéreraient les violences domestiques comme relevant du domaine familial et que son époux aurait eu des amis dans la police. Les demandeurs en concluent que cette affaire serait similaire à la leur, même si les auteurs des persécutions subies par Madame B sont des personnes privées. Ils soulignent, à cet égard, que la société sénégalaise serait marquée par un traditionalisme qui se substituerait très souvent à l’application de la loi ordinaire, de sorte qu’il leur serait difficile d’obtenir une protection suffisante de la part des autorités de leur pays d’origine, avant de renvoyer aux divers documents versés à l’appui de leur requête et qui dépeindraient les difficultés auxquelles les femmes sénégalaises seraient confrontées dans leurs rapports avec la justice. Ainsi, leur inaction auprès des autorités sénégalaises serait justifiée. En s’emparant de la présomption prévue à l’article 37, paragraphe (4) de la prédite loi du 18 décembre 2015, les consorts A estiment qu’il n’existerait aucune « bonne raison » de penser que les actes de persécution subis ne se reproduiraient pas.

En ce qui concerne le refus de protection subsidiaire, les consorts A invoquent l’« Affaire grecque » par laquelle la « Commission européenne » aurait retenu que les traitements considérés comme dégradants seraient ceux qui humilient gravement la personne aux yeux d’autrui ou l’incitent à agir contre sa volonté ou sa conscience. Dans l’affaire Irlande contre Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », aurait retenu qu’un traitement infligé devrait, pour pouvoir être qualifié de torture, causer de « forts graves et cruelles souffrances » au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ». Dans une affaire « Selmouni c/ France », la CourEDH se serait réservée une certaine souplesse dans l’examen des actes illicites en fonction du niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ils craindraient de ce fait de subir des traitements dégradants au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, en raison de l’humiliation ressentie en étant contraints dans leur pays d’origine « à un comportement contraire à la volonté consistant à rompre leur union afin que le père de la requérante puisse recouvrer son honneur perdu ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Quant au bien-fondé de la décision déférée, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« (…) a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Ensuite, le tribunal est amené à préciser que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit des consorts A ne serait pas crédible en ce qui concerne les motifs invoqués pour la première fois dans le cadre de leurs entretiens et que des motifs économiques sous-

tendraient leurs demandes de protection internationale.

A cet égard, le tribunal est amené à partager les conclusions étatiques en ce sens, en relevant que tant le comportement des demandeurs que leur récit fragilisent la vraisemblance des motifsayant trait aux problèmes issus de leur mariage et tendent à démontrer que leurs véritables motivations lors du dépôt de leurs demandes de protection internationale étaient liés à des critères économiques et de convenance personnelle.

En effet, il échet tout d’abord de relever que Monsieur A a reconnu être resté en Italie pendant plus d’une décennie sans y avoir déposé de demande de protection internationale. Si ses prétendus problèmes ont commencé après son mariage avec Madame B, soit en 2016, force est de constater qu’il est resté plus de trois années en Italie, toujours en estimant qu’il n’était pas nécessaire de déposer de demande de protection internationale. Dans ce contexte, force est également de relever que Madame B n’a pas non plus estimé opportun de déposer une demande de protection internationale en Italie ni à son arrivée en 2016, bien qu’elle affirme avoir fui les menaces de son père, ni pendant les trois années qui ont suivies.

Force est encore de constater que Monsieur A a reconnu avoir payé la somme de 6.000 euros à des individus pour l’obtention d’une pièce d’identité maltaise, qu’il a utilisée au Luxembourg pour travailler pendant plusieurs mois, durée pendant laquelle il n’a pas non plus estimé nécessaire de requérir une protection internationale, à l’instar de Madame B.

Ce n’est qu’une fois la supercherie de la pièce d’identité maltaise de Monsieur A découverte que les consorts A ont décidé de déposer des demandes de protection internationale.

Si le fait de ne pas déposer de demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré, même s’ils en avaient l’occasion pendant de nombreuses années, n’est pas à lui seul suffisant pour établir un défaut de crédibilité des déclarations des consorts A, il échet de constater qu’un tel comportement fait naître des suspicions quant au sérieux de leurs demandes en vue d’obtenir une protection de la part de l’Etat luxembourgeois.

S’y ajoute que lors de leurs entretiens devant un agent de police, les consorts A ont expliqué que « Ich habe Senegal 2008 verlassen mit einem VISA für Italien mit einem Flug von Senegal bis nach Mailand. Ich war von 2008 bis Januar 2019 in Italien in Brescia und Bergamo.

Meine Frau kenne ich seit 2010. 2016 kam sie nach Italien mit einem VISA aus Spanien.

Unser ältester Sohn ist in Italien geboren, der jüngere in Luxemburg.

In Italien durfte ich nicht arbeiten manchmal nur schwarz.

Wir kamen im Januar nach Luxemburg nach 2 Wochen ging ich wieder nach Italien um meine Sachen abzuholen. Im März kam ich wieder zurück. Wir haben bei einem Freund in Bonnevoie gelebt, ich weiss den Namen nicht. » et que « Ich habe Senegal verlassen weil ich dort nicht arbeiten konnte ich bin Elektriker und fand dort keine Arbeit. » S’y ajoute encore que lors du dépôt de leurs demandes de protection internationale, Monsieur A a rédigé les motifs à la base de sa demande de protection internationale comme étant les suivants :

« J’ai quitté mon pays d’origine pour venir trouver du travail en Europe pour soutenir et maintenir ma famille dont je suis l’ainé. J’ai fais ma formation en tant que électricien industriel / bâtiment du CPFP (Centre polyvalent de formation professionnel) à Dakar ; mais je n’arrivé pas a trouver du travail au Sénégal raison pour laquel j’ai quitté mon pays d’origine. » Madame B, quant à elle, a rédigé les siens comme étant les suivants :

« J’ai quitté mon pays d’origine pour rendre visite a mon mari, j’ai vu qu’il n’arriver pas a avoir des papiers européens, je suis rester pour le soutenir et pour l’assister vu que les conditions étaient dificiles d’avoir des papiers et retourner au pays pour notre foyer.

J’ai eu mon baccalauréat avec un diplôme universitaire de 2 ans en dévelloppement et d’applications web et visiteuse médicale et aussi dans le but d’avoir une formation européene et de travailler pour une harmonie familliale. » Il ressort clairement de ces déclarations que tant Monsieur A que Madame B - qui serait pourtant la principale concernée par les problèmes dans leur pays d’origine - ont fondé leurs demandes de protection internationale sur des motifs économiques et de convenance personnelle et qu’ils n’ont à aucun moment fait mention, que ce soit dans les motifs rédigés de leurs mains ou lors de l’entretien devant l’agent de police, (i) de leur mariage en secret (ii) du refus de ce mariage par le père et la famille de Madame B (iii) des menaces de mort qui auraient été proférées par le père de cette dernière à son encontre ou même (iv) des problèmes résultant de leur appartenance à différentes castes.

A ce propos, tant les explications de Madame B lors de son entretien devant un agent du ministère, selon lesquelles elle ne pouvait pas indiquer les motifs liés à son mariage « (…) parce que je ne pouvais pas écrire toute mon histoire sur un bout de papier, j’ai juste écrit que je suis venue en Europe pour visiter mon mari. », que celles rédigées dans son courrier daté du 5 octobre 2020 adressé au ministre selon lesquelles elle aurait eu une bonne situation économique dans son pays d’origine et que « (…) si on ne m’avaient pas menacés de mort sous aucun prétexte je n’aurais quitté mon pays, ma maman, mes soeurs, mon emplois, mes amis, pour venir m’installer définitivement en europe dans des conditions précaires. Dans ce contexte, concernant ce qui a été dit sur le fiche de motifs, je tenais a préciser que les conditions de détention, je n’arrivais pas à dormir avec mes enfants, car ces conditions nous étaient pas favorable, j’avais une céphalée, raison pour laquelle je confirme que « je ne pouvais pas écrire toute mon histoire sur un bout de papier » (p.4/6,7), donc pour conclure que, c’était pas de l’oublie. (…) » manquent de convaincre le tribunal. En effet, force est de constater que Madame B a entièrement rempli, de sa main, - ce qu’elle ne conteste d’ailleurs pas -, l’espace dédié aux motifs à la base de sa demande de protection internationale en faisant uniquement valoir le fait qu’elle voulait rejoindre son époux en Europe et en indiquant ses compétences professionnelles. Or, ni le fait qu’elle ait eu une céphalée ni les déclarations selon lesquelles elle n’aurait jamais eu l’intention de quitter son pays si elle n’avait pas été menacée de mort n’expliquent le fait qu’elle ait pu remplir le prédit espace sans jamais faire mention des réelles raisons qui l’auraient prétendument poussée à quitter son pays d’origine et qui seraient pourtant d’une gravité telle que les demandeurs ne pourraient plus retourner dans leur pays d’origine. Le fait que Madame B ait demandé un visa pour l’Italie et qu’elle ait attendu que les autorités sénégalaises le lui délivrent appuie également la thèse selon laquelle elle voulait simplement rejoindre son époux en Italie et que ses motifs sont liés à des considérations de convenance personnelle.

Partant, au vu de ces considérations, le tribunal constate que les contradictions dans les différentes déclarations des demandeurs additionnées aux explications approximatives et invraisemblables, d’autant plus que ces derniers ne tentent pas de les redresser dans leur requête introductive d’instance, portent atteinte à la crédibilité de leur récit en ce qui concerne les problèmes qu’ils auraient eu ou auraient pu avoir avec la famille de Madame B après leur mariage.

Ainsi, étant donné que les considérations économiques et de convenance personnelle n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », pour ne pas être motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social, celles-

ci ne peuvent justifier l’octroi du statut de réfugié.

Concernant le refus de la protection subsidiaire, le tribunal précise que l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 fait état de traitements ou de sanctions « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’atteintes graves lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable.2 Le simple fait qu’une atteinte soit liée d’une façon ou d’une autre à l’activité humaine n’est pas suffisant à cet égard. Pour pouvoir être considérée comme étant « infligée », elle doit, en effet, être le résultat voulu d’une intervention humaine. Or, tel n’est manifestement pas le cas des difficultés économiques invoquées par les consorts A, qui sont dès lors, de par leur nature, étrangères à la notion d’atteinte grave, telle que définie par l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.

Ces difficultés ne sont, dès lors, pas de nature à justifier l’octroi, aux demandeurs, d’une protection subsidiaire.

Par conséquent, le tribunal retient que c’est à bon droit que le ministre a rejeté les demandes de protection internationale de consorts A, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Les demandeurs invoquent, dans le cadre de leur recours contre l’ordre de quitter le territoire, l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, consacrant le principe de non-refoulement repris en droit interne luxembourgeois par l’article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2) précité de la loi du 18 décembre 2015, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

2 Trib. adm. 14 janvier 2008, n° 23556 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 237 et les autres références y citées.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour des demandeurs dans leur pays d’origine ne les expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non-refoulement, tel qu’invoqué par les consorts A.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 29 septembre 2020 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 29 septembre 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 45132
Date de la décision : 01/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-01;45132 ?

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