La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/04/2022 | LUXEMBOURG | N°44563

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 avril 2022, 44563


Tribunal administratif N° 44563 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2020 2e chambre Audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44563 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2020 par Maître Ibtihal El Bouyo

usfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 44563 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2020 2e chambre Audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44563 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2020 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 mai 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ainsi que de celle portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 août 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications du 6 décembre 2021 de Maître Ibtihal El Bouyousfi et du délégué du gouvernement suivant lesquelles ceux-ci marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 6 décembre 2021.

Vu l’avis du tribunal administratif du 7 février 2022 prononçant la rupture du délibéré en vue d’un changement de composition ;

Vu la communication de Maître Marc-Olivier Zanowski, en remplacement de Maître Ibtihal El Bouyousfi, du 16 février 2022 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. »Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 février 2022.

Le 16 septembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Toujours le même jour, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

En date du 7 janvier 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 18 mai 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 19 mai 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 16 septembre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 septembre 2019, le rapport d’entretien Dublin III du 16 septembre 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 7 janvier 2020 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de la ville de … dans le gouvernorat … en Irak, d’ethnie arabe et de confession musulmane sunnite.

2 Vous indiquez que vous auriez dû quitter votre domicile à … vers fin 2016 alors que votre maison aurait été touchée lors d’opérations militaires menées contre l’organisation terroriste dénommée « Etat islamique ». Vous auriez déménagé chez votre oncle qui vivrait dans un autre quartier de … et vous seriez resté chez lui pendant quatre ou cinq mois, jusqu’à la libération de la ville par l’armée irakienne. Vous mentionnez en outre que plusieurs milices seraient apparues dans la ville depuis cette date.

Ensuite, vous auriez déménagé dans le quartier « … » [sic] à … en été 2017. Un mois plus tard, en juin ou juillet 2017, des personnes non autrement identifiées barbues en uniforme seraient venues à votre domicile pour procéder à un contrôle d’identité lors duquel auriez été arrêté et détenu pendant une dizaine de jours. Vous ajoutez que vous auriez été libéré moyennant une rançon que votre père aurait payée.

Après votre libération, vous vous seriez immédiatement rendu à Bagdad afin de faire établir un passeport. Vous auriez finalement quitté votre pays d’origine deux mois plus tard, en date du 16 octobre 2017.

Vous vous seriez rendu en Turquie pour ensuite rejoindre la Grèce où vous avez introduit une demande de protection internationale le 24 octobre 2018. Vous avez quitté la Grèce sans attendre une décision relative à votre demande dans le but vous rendre au Luxembourg, afin d’y déposer une demande de protection internationale fin 2019.

Enfin, vous mentionnez que six semaines avant votre entretien du 7 janvier 2020 auprès de la Direction de l’immigration, vous auriez appris que votre père aurait été arrêté lors d’un contrôle et relâché le lendemain. Il aurait ensuite été enlevé peu après, sans néanmoins donner des précisions concrètes quant aux dates et circonstances dans lesquelles ces faits se seraient déroulés. Il serait actuellement toujours entre les mains de ses ravisseurs qui demanderaient une rançon pour sa libération.

Vous présentez votre passeport irakien et des copies de votre carte d’identité irakienne ainsi que celle de votre père. Vous remettez également des copies d’un courrier du Docteur … du 2 décembre 2019, d’une liste de rendez-vous avec la Croix-Rouge luxembourgeoise, un rapport de consultation du Docteur … et un compte-rendu d’examen du Docteur … 2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout 3 ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Vous déclarez qu’en juin ou juillet 2017 vous auriez été enlevé par des personnes non autrement identifiées dont vous supposez qu’elles seraient affiliées à des milices. Vous mentionnez avoir été maltraité pendant votre détention de dix jours. Votre père aurait payé une rançon pour obtenir votre libération.

Monsieur, il convient de noter que ce fait n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires que vous ne connaissiez pas l’identité des auteurs. En effet, vous concédez : « Ich weiß nicht von wem genau, aber bei uns gab es nur die Asaib Ahl al-Haqq, Jaysh al-Mahdi, Kharasany und Saraya Al Salam Miliz » (p.6/13 du rapport d’entretien). Vous supposez uniquement qu’il pourrait s’agir de personnes affiliées à des milices alors qu’elles auraient porté des uniformes et qu’elles vous auraient insulté avec des propos religieux.

Alors que vous ignorez qui auraient été les personnes qui vous auraient enlevé vous ignorez a fortiori également les motivations qui les auraient conduits à vous enlever. Vous vous bornez en effet à émettre des suppositions quant à l’identité de vos agresseurs en indiquant qu’ils devaient appartenir à une milice alors qu’ils étaient vêtus d’uniformes et portaient la barbe.

Ainsi il ne saurait être question de l’existence dans votre chef d’une persécution respectivement d’une crainte de persécution en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques respectivement de votre appartenance à un certain groupe social déterminé.

Les faits dont vous faites état sont à qualifier de simples infractions de droit commun, des personnes non autrement identifiés vous ayant enlevé dans le seul but d’obtenir de l’argent en échange de votre libération.

Quand bien même ces faits seraient liés à l’un des critères de fond de la Convention de Genève et suffisamment graves pour être qualifiés d’actes de persécution, notons qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

4 Toutefois, il ressort clairement de vos déclarations que vous n’auriez à aucun moment porté plainte auprès des autorités de votre pays d’origine, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que les forces de l’ordre irakiennes n’auraient pas pu respectivement voulu vous apporter une aide et une protection.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Vous laissez en outre entendre que vous craindriez de toujours être dans le collimateur de ces personnes qui pourraient encore être à votre recherche et indiquez que votre père aurait également été victime d’un enlèvement.

Il convient de préciser que votre prétendue crainte que vous puissiez être dans le collimateur de ces personnes n’est qu’une pure spéculation de votre part sans aucun élément concret permettant de corroborer vos dires. Vos craintes sont ainsi purement hypothétiques.

Cependant, des craintes purement hypothétiques ne sauraient suffire pour établir l’existence dans votre chef d’une crainte fondée de persécution dans votre pays d’origine.

Concernant l’arrestation suivi par un enlèvement de votre père, vous déclarez :

« Nach einer erneuten Massendurchsuchung in unserem Viertel …, haben die Männer meinen Vater mitgenommen. Am Tag darauf wurde er wieder auf freien Fuß gesetzt » et vous ajoutez : « Zwei Tage danach kamen andere Milizen Leute zu meinem Vater und nahmen ihn wieder mit. (…) Sie wollen wieder Lösegeld. » (p.9/13 du rapport d’entretien).

Monsieur, il s’agit là indéniablement d’un fait non personnel alors que vos allégations sont une pure spéculation de votre part sans aucun élément concret permettant de corroborer vos dires. En effet, vous n’êtes en mesure de fournir la moindre information concrète sur l’incident en question et sur les personnes qui auraient commis cet acte.

Quand bien même ce fait aurait un lien quelconque avec vous, rappelons que la motivation de cet acte n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires que votre père aurait été enlevé dans le seul but d’obtenir de l’argent en échange de sa libération. Par conséquent, il appert que ce fait n’est pas lié à un des critères de fond énumérés par la Convention de Genève.

En plus, vous affirmez que personne n’aurait à aucun moment saisi les autorités de votre pays d’origine dans le cadre de l’enlèvement de votre père, de sorte qu’aucun reproche ne peut être fait aux forces de l’ordre irakiennes.

Enfin, soulignons que vous faites état de soucis financiers après la libération de … ce qui laisse entendre que des raisons économiques sous-tendent votre demande de protection 5 internationale. En effet, vous déclarez : « Sie sagte mir, ich soll ausreisen. Sie haben mich finanziell unterstützt. Wir hatten sowieso finanzielle Schwierigkeiten nach dem Krieg. Bevor Daesh bei uns einmarschierte, hatte ich eine eigene Arbeit und Einnahmequelle. » (p.7/13 du rapport d’entretien). Or, force est de constater que des raisons économiques n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Monsieur, vous déclarez que vous auriez été enlevé par des personnes dont vous ne connaissez pas l’identité et que vous auriez été torturé pendant dix jours de façon quotidienne jusqu’à votre libération moyennant une rançon.

Ce fait, certes regrettable, revête a priori un degré de gravité tel qu’il puisse être assimilé à une atteinte grave au sens du prédit texte. Or, rappelons que vous n’auriez pas porté plainte ou demandé une protection auprès des autorités de votre pays d’origine, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d’origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

6 Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon l’annulation de la décision précitée du ministre du 18 mai 2020 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 18 mai 2020, prise en son double volet, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique avoir quitté l’Irak le 16 octobre 2017 pour se rendre en Turquie, puis en Grèce avant de continuer son trajet vers le Luxembourg en transitant par l’Italie, la France, la Belgique et l’Allemagne. S’agissant de son statut individuel et de sa situation personnelle, il déclare être de nationalité irakienne, être né dans le gouvernorat de Ninive et avoir vécu à …. Il affirme être musulman de confession sunnite et appartenir au clan Al Jebury. Il aurait suivi des études et aurait travaillé en tant qu’échafaudeur indépendant, puis en tant que salarié. Avant son départ immédiat de l’Irak, il aurait vécu à … avec ses parents qui y résideraient toujours. S’agissant des motifs sous-

tendant sa demande de protection internationale, il explique avoir dû quitter son quartier avec sa famille suite au bombardement par l’armée irakienne durant la bataille pour la libération de la ville de … de l’emprise du groupe terroriste Etat islamique (EI) et s’être installé dans un autre quartier de … auprès de son oncle maternel. Après y avoir vécu pendant une période de 4 ou 5 mois, ils se seraient installés dans le quartier de … suite à la libération totale de la ville de … et sa prise sous contrôle par l’armée irakienne en juillet 2017. Un mois plus tard, des groupes de milices chiites, notamment Asaib Ahl al-Haqq, Jaysh al-Mahdi, Kharasany et Saraya Al Salam, qui auraient participé à la libération de la ville de … aux côtés des forces armées irakiennes, auraient commencé à exercer des représailles sur les habitants sunnites.

Une nuit, il aurait été enlevé à son domicile sous les yeux de sa mère par des inconnus, certains en uniforme militaire et d’autres en tenue de police et ils auraient tous porté de longues barbes. Les bras ligotés derrière le dos et les yeux bandés, il aurait été embarqué dans une voiture pick-up et emmené dans une maison située dans un lieu inconnu où il aurait été enfermé pendant dix jours dans une pièce exiguë avec une vingtaine d’autres Arabes sunnites de …. Durant leur détention, ils auraient tous été quotidiennement roués de coups et auraient fait l’objet d’insultes et d’injures de la part des milices chiites qui leur auraient reproché d’avoir laissé les islamistes de l’EI entrer dans le pays, de n’avoir rien entrepris contre les Afghans, les Tchétchènes et les Russes, et d’avoir violé leurs sœurs et leurs mères. Ils auraient tous été torturés et, lors d’une séance de torture, il aurait été suspendu au plafond avant d’être frappé, ce qui lui aurait causé des douleurs à l’épaule, de laquelle il souffrirait toujours. Après avoir été décroché, il aurait reçu un coup au visage, ce qui lui aurait brisé le nez, et il aurait perdu connaissance. Lorsqu’il aurait repris ses esprits, il aurait constaté que ses vêtements auraient été tâchés de sang. Tous les jours, il, ainsi que ses codétenus, auraient été obligés d’aboyer, de se tenir sur un pied durant des heures et de se comporter comme un âne ou un chat. Ils auraient également été insultés et menacés d’être massacrés et leurs enfants tués. Après ces mauvais traitements, il aurait été emmené dans un bureau pour être interrogé par un imam sur les terroristes présents dans son quartier. Ce dernier aurait affirmé que les sunnites seraient des combattants de l’EI et des wahhabites et que si la ville de … venait à tomber entre les mains de l’EI, les sunnites seraient « grillés » et la ville de … effacée. Le demandeur aurait précisé, à cet égard, que les miliciens auraient porté une bande verte sur le front et un ruban vert sur leur bras droit, et qu’un blason sur le mur du bureau où il aurait été interrogé aurait porté l’inscription « Asaib Ahl al-Haq ». Il aurait été finalement libéré après paiement d’une rançon de … dollars américains par son père. S’il a pu être libéré, d’autres Arabes sunnites de … auraient été portés disparus après avoir été enlevés par des milices chiites.

Il ajoute ne pas avoir cherché une protection auprès des autorités irakiennes, alors qu’une telle recherche aurait été vaine dans la mesure où un simple soldat d’une milice pourrait frapper ou injurier publiquement un officier de police. Par ailleurs, il n’aurait pas pu s’installer dans une autre ville en Irak, où l’insécurité règnerait sur tout le territoire. Enfin, il affirme craindre d’être arrêté et tué en cas de retour dans son pays d’origine. Pour le surplus, il renvoie à son rapport d’entretien avant de conclure qu’au vu de ses déclarations concernant sa situation personnelle et la situation sécuritaire et des droits humains dans son pays d’origine, il devrait pouvoir bénéficier de la protection internationale au Luxembourg.

En droit, après avoir exposé les conditions d’octroi du statut de réfugié au sens des articles 2 (f) de la loi du 18 décembre 2015 et 1 (A) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », il fait valoir que ces conditions devraient être associées à l’article 37 (5) de la même loi, qui prévoirait un allègement de la preuve des déclarations des demandeurs de protection internationale. Dans ce contexte, il renvoie à une analyse juridique de l’European Asylum Support Office (EASO), à présent dénommé European Union Agency for Asylum (EUAA), de 2018, intitulée « Évaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen commun », dans laquelle l’EASO aurait rappelé, en reprenant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09, que les membres des juridictions devraient souvent fonder leur décision sur des preuves minimes pour statuer sur des questions comme la nationalité ou l’absence de nationalité du demandeur, mais aussi pour déterminer si un demandeur a une crainte fondée d’être persécuté ou s’il court un risque réel de subir desatteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine. En outre, selon cette institution, les affaires de protection internationale devraient être traitées avec une diligence et un soin particuliers.

Après avoir rappelé les faits tels que repris ci-avant, le demandeur estime que ses déclarations seraient précises, cohérentes et plausibles. Comme le ministre n’aurait pas remis en cause leur crédibilité, ses déclarations permettraient d’établir à suffisance que ses craintes de persécution vis-à-vis des milices chiites, du fait de sa confession religieuse musulmane sunnite, d’être ressortissant de …, d’y avoir vécu pendant l’occupation de l’EI et durant les combats pour la libération de la ville, seraient avérées et fondées. En outre, ses déclarations s’inscriraient dans un contexte plausible et documenté par plusieurs sources publiques, pertinentes et toujours actuelles, qui exposeraient la manière dont les milices chiites, qui seraient alliées au gouvernement irakien dans la lutte contre l’EI, se seraient livrées à des violations des droits humains telles que la disparition forcée et l’enlèvement de milliers d’hommes et de garçons majoritairement sunnites, la torture et les exécutions extrajudiciaires ainsi qu’à la destruction injustifiée de biens.

A cet égard, et concernant la situation générale dans son pays d’origine, le demandeur renvoie à diverses sources, notamment à des notes et rapports d’Amnesty International, à un article du journal Le Monde, à un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), à des rapports de l’EASO, à un rapport du United States Department of State, à un article du Centre de recherche international de Science Po, à un article de Middle East Eye, à un rapport du Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides belge et à un document de l’Observatoire du monde arabo-musulman et du Sahel, pour faire valoir que ses craintes d’être persécuté en cas de retour en Irak en raison de sa confession religieuse musulmane sunnite et du fait d’appartenir aux personnes ayant vécu à … pendant l’occupation de cette ville par l’EI seraient justifiées. Il aurait ainsi le profil parfait des personnes susceptibles d’être soupçonnées par les milices chiites de collaborer ou de soutenir l’EI.

Après avoir cité l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur donne à considérer qu’il aurait fait l’objet d’un enlèvement, d’une détention de dix jours pendant lesquels il aurait subi des tortures, aurait été régulièrement frappé, et aurait fait l’objet d’injures et insultes graves liées à sa confession religieuse. Il soutient, ensuite, que ces faits seraient à considérer comme persécutions en ce qu’ils constitueraient, d’une part, une violation suffisamment grave des droits de l’Homme sous forme de violences physiques et mentales au sens du prédit article 42 de la loi du 18 décembre 2015 et, d’autre part, une violation suffisamment grave d’autres droits fondamentaux, en l’occurrence, l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », et le droit à la liberté et à la sûreté au sens de l’article 5 (1) de la CEDH.

S’agissant des acteurs de persécution, après avoir cité l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … indique avoir été persécuté et craindre d’être encore persécuté par des milices chiites, notamment les milices Asaib Ahl al-Haqq, Jaysh al-Mahdi, Kharasany et Saraya al Salam. Ces milices auraient commis de graves violations des droits humains en Irak et particulièrement à … dont il est originaire. Il réitère, à cet égard, qu’il aurait été enlevé et persécuté par la milice chiite Asaib Ahl al-Haqq, qui jouerait, selon une fiche thématique sur l’Irak publiée par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) le 15 avril 2016 et intitulé « Les milices chiites », un rôle actif dans la répression de1’opposition sunnite. Il renvoie, dans ce cadre à deux rapports de l’EASO, respectivement de novembre 2018, intitulé « Iraq : les acteurs de la protection », et de juin 2019, intitulé « Country Guidance: Iraq. Guidance note and common analysis », pour soutenir que les milices chiites seraient des institutions étatiques et des acteurs de la sécurité irakienne, de sorte que la milice Asaib Ahl al-Haqq serait à considérer comme acteur étatique contre laquelle aucune protection ne serait possible. Il soutient que cette incapacité des autorités irakiennes à lui fournir une protection à l’égard de cette milice devrait conduire, à la lecture d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 2 mars 2010, Aydin Salahadin Abdulla e.a. c. Bundesrepublik Deutschland, affaires jointes C-175/08, C-176/08, C-178/08 et C-179/08, à l’octroi d’un statut de réfugié dans son chef.

En s’emparant d’un jugement du tribunal administratif du 6 mai 2019, portant le numéro 40423 du rôle, Monsieur … estime que les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies, instaureraient une présomption que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine au sens de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’il aurait appartenu au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de penser que les actes de persécution dont il a fait état ne se reproduiraient plus en cas de retour en Irak, ce qu’il serait resté en défaut de faire.

Il donne encore à considérer que l’EASO, dans son rapport de 2019, intitulé « Country Guidance: Iraq. Guidance note and common analysis », aurait indiqué que les individus ayant le profil d’Arabe sunnite pouvaient avoir une crainte fondée de persécution en relation avec certaines circonstances augmentant les risques, notamment la région d’origine, l’appartenance tribale, les facteurs liés au risque d’affiliation à l’EI, les liens familiaux (perçus) avec les membres de l’EI, le lieu d’origine et/ou de résidence dans une zone anciennement détenue par l’EI pendant leur contrôle, l’affiliation tribale (perçue) à l’EI et le nom de famille. Dans la mesure où son profil, en l’occurrence celui d’un Arabe sunnite, originaire et ayant vécu à … pendant l’occupation par l’EI et sa libération, et ayant son nom, correspondrait à cette énumération, il estime être particulièrement exposé à des persécutions au sens des dispositions de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, de la part de milices chiites pour des motifs religieux en lien avec sa confession musulmane sunnite ou pour des motifs politiques qui pourraient lui être imputés par les milices en le soupçonnant d’être collaborateur ou sympathisant de l’EI.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, et après avoir examiné les dispositions des articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015 et l’interprétation de la portée de la protection subsidiaire au regard de la jurisprudence de la CJUE, le demandeur fait valoir que le ministre aurait dû vérifier au cas par cas et de manière objective et approfondie si les exigences d’une ou de plusieurs des trois catégories d’atteintes graves visées par ces dispositions sont remplies dans son chef.

Il fait ainsi valoir qu’il risquerait des atteintes graves au sens de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la peine de mort qui serait expressément prévue par « the Iraqi Penal Code (Law No. 111 of 1969) », « the Anti-Terrorism Law N°13 of 2005 », « the Military Penal Code No. 19 of 2007 » et « the Iraqi Internal Security Forces Penal Code of 2008 ». Il indique, à ce propos, que la peine de mort serait prévue pour plusieurs infractions criminelles, notamment les atteintes à la sécurité intérieure ou extérieure et aux institutions de l’Etat, les actes de terrorisme, les enlèvements, les viols, le trafic de drogue entraînant la mort, la prostitution, le meurtre « aggravé » et la traite des êtres humains entraînant la mort et que, en s’appuyant sur le rapport de l’EASO de 2019, intitulé « Country guidance : Irak.

10 Guidance Note and common analysis », précité, les Arabes sunnites seraient particulièrement soupçonnés d’avoir des liens avec l’EI et de risquer, de ce fait, la peine de mort. Etant donné qu’il serait un Arabe sunnite ayant vécu à … pendant l’occupation par l’EI et la libération de cette ville, et qu’il a immédiatement fui son pays d’origine après avoir été enlevé par une milice chiite, il risquerait d’être arrêté en cas de retour en Irak pour être un collaborateur de l’EI et d’être condamné à la peine de mort.

En ce qui concerne les conditions de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur se réfère à ce même rapport de l’EASO de 2019, en ce qui concerne les recommandations à prendre en considération pour évaluer une demande de protection internationale. Il fait valoir, dans ce cadre, que devraient notamment être prises en compte l’indisponibilité des soins de santé et les conditions socio-économiques, la violence criminelle, les arrestations arbitraires, la détention illégale et les conditions de détention. En ce qui concerne plus particulièrement ces trois derniers éléments, il renvoie à un rapport de l’United States Department of State, intitulé « Iraq 2019 Human rights report », pour soutenir qu’il existerait des sources crédibles faisant état de tortures et d’abus durant les arrestations, les détentions et après une condamnation, plus particulièrement sur des Arabes sunnites, et que ces derniers feraient souvent l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires.

Ces faits seraient confortés par un rapport de Human Rights Watch de 2020, intitulé « World Report 2020 », un rapport d’Amnesty International publié le 22 février 2018, intitulé « Report 2017/18 – Iraq » et un rapport de l’EASO de novembre 2018, intitulé « Iraq : les acteurs de la protection », précité. Il en conclut qu’en tant qu’Arabe sunnite ayant vécu à … pendant l’occupation de l’EI et la libération de sa ville, il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves sous forme de torture ou de traitements ou sanctions inhumains et dégradants en cas de retour en Irak, alors qu’il serait certainement soupçonné de collaboration avec l’EI et arrêté de ce seul fait. A cet encontre, il soutient qu’il pourrait être immédiatement arrêté lors de son passage à l’aéroport de la capitale irakienne pour des raisons d’enquête, sinon après sa sortie de l’aéroport pour retourner à …, en renvoyant à cet effet à une note publiée sur le site de la chaîne de télévision ARTE le 3 octobre 2017, intitulée « Le retour interdit des sunnites à … », selon laquelle les autorités irakiennes seraient toujours réticentes au retour des Arabes sunnites à … car ils seraient généralement suspectés de collaboration avec l’EI. Dans ces circonstances, il estime avoir fait état de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour à …, où il aurait toujours vécu, il courrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

Le demandeur fait ensuite état d’un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle ou en cas de conflit armé interne ou international, en faisant valoir que le bien-fondé de sa demande de protection internationale devrait également être apprécié au regard du contexte sécuritaire général prévalant actuellement en Irak et particulièrement dans le gouvernorat de Ninive, d’où il est originaire.

En ce qui concerne la notion de conflit armé interne, Monsieur … se prévaut des arrêts de la CJUE du 30 janvier 2014, affaire C-285/12 et du 17 février 2009, affaire C-465/07, et plus particulièrement de son point 43, pour conclure que l’absence de preuve qu’il puisse individuellement subir des atteintes graves en cas de retour en Irak ne représenterait pas nécessairement un obstacle à l’octroi d’une protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, pour autant que son origine soit établie « sans que l’intensité 11 des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné ». Il estime, sources d’information diverses à l’appui, que la situation dans le gouvernorat de Ninive devrait être regardée comme celle d’une zone où prévaudrait une situation de violence aveugle mais dont le niveau ne serait pas tel que toute personne serait exposée, du seul fait de sa présence sur le territoire concerné, à une atteinte grave au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015. Il soutient, néanmoins, que les facteurs pouvant fonder des risques d’atteinte grave dans le pays d’origine devraient être durablement éliminés, ce qui ne serait pas le cas actuellement alors que l’EI serait toujours actif en Irak et particulièrement à Ninive. Il réitère le fait qu’il serait un Arabe sunnite ayant vécu à … dans le gouvernorat de Ninive pendant l’occupation par l’EI, avoir été personnellement persécuté par l’une des principales milices chiites siégeant actuellement dans la ville de … avant de fuir l’Irak, et qu’au vu de son profil, il devrait être considéré comme étant personnellement exposé à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités irakiennes. Il ajoute encore que, dans la mesure où la situation resterait fortement instable sur tout le territoire irakien, il ne serait pas prudent de l’y renvoyer tant que la situation en matière de sécurité et des droits de l’Homme ne s’y sera pas améliorée de manière tangible.

En outre, eu égard aux déplacements internes massifs combinés avec une crise humanitaire de grande ampleur, il estime qu’un refus de protection subsidiaire en se fondant sur l’existence d’une possibilité de fuite ou de réinstallation à l’intérieur de l’Irak ne serait ni justifié ni fondé, en renvoyant dans ce contexte à l’arrêt de la CJUE du 2 mars 2010, Aydin Salahadin Abdulla e.a. c. Bundesrepublik Deutschland, précité.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

a) Quant au statut de réfugié La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou 12 b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, il ressort des déclarations du demandeur telles qu’actées dans son rapport d’audition qu’il a quitté son pays d’origine en raison de l’enlèvement subi en juillet 2017 et de la détention illégale pendant dix jours lors desquels il a fait l’objet de tortures, lors desquelles il a été blessé à l’épaule. Il a également été victime de coups dont l’un lui a notamment causé une fracture du nez, ainsi que d’insultes et de menaces de la part de miliciens chiites. A ce propos, si la partie étatique soutient qu’il s’agirait d’individus non autrement identifiés et que le demandeur resterait en défaut de démontrer une quelconque appartenance de ces individus à une milice chiite, force est de constater que Monsieur … a précisé, lors de son audition devant un agent du ministère, que « Sie hatten einen grünen Streifen auf der Stirn. Auch auf dem rechten Arm hatten sie ein grünes Band. Im Haus wo man uns festhielt, hinter dem Bürotisch des Imams, sah ich ein Wappen auf der Mauer. Dort stand: „Asaib Ahl al-Haqq“ drauf. »2, de sorte qu’il y a lieu de retenir qu’il a été enlevé, séquestré et qu’il a subi des mauvais traitements de la part de miliciens chiites appartenant à Asaib Ahl al-Haqq.

Par ailleurs, il ressort encore de ses déclarations que lorsque les miliciens l’ont emmené, ils lui ont reproché d’être sunnite et de ce fait d’avoir des liens avec l’Etat islamique3, d’avoir contribué à l’émergence et la présence de ce groupe terroriste en Irak4 et ils ont insulté les sunnites5, de sorte qu’il convient de relever que ces faits sont en lien avec la Convention de Genève pour avoir une toile de fond politico-religieuse.

En outre, les actes subis par le demandeur, tels que relevés ci-avant, revêtent indéniablement le degré de gravité prescrit à l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne les acteurs de persécution, il ressort des sources citées par le demandeur, notamment le rapport de l’EASO de novembre 2018, intitulé « Iraq : Les acteurs de la protection », que les milices chiites avaient acquis en 2018 une place quasi officielle dans le maintien de la sécurité en Iraq, en raison de leur implication dans la lutte contre l’EI, qu’elles étaient de plus en plus impliquées dans les aspects politiques et économiques des 2 Page 6 du rapport d'audition.

3 « (…) “Alle Sunniten sind Daesh, Wahhabiten.” (…) », page 6 de son rapport d'audition.

4 Page 5 du rapport d'audition.

5 « (…) “ Ihr Sunniten seid Schwanz” [sic] Was er damit gemeint hat, weiß ich nicht. Sie haben alle Sunniten beleidigt, auch die Nachfolger des Propheten. (…) » Page 6 de son rapport d'audition.structures de gouvernance du pays6 et qu’elles étaient sous l’autorité du Premier ministre irakien, de sorte que le demandeur pouvait se prévaloir d’une absence de confiance dans le fonctionnement des autorités policières de son pays à cette époque.

Dans ce contexte, il échet de souligner que l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption - réfragable - en faveur de la victime qui a déjà été persécutée ou a déjà subi des atteintes graves, que sa crainte d’être à nouveau persécutée en cas de retour dans son pays d’origine est fondée, à moins qu’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas, la preuve de « telles bonnes raisons » appartenant au ministre.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient à ce propos que les sources fournies par le demandeur seraient obsolètes et ne reflèteraient pas la situation actuelle, alors que celle-ci aurait nettement changé, dans la mesure où la ville de … aurait été libérée de l’emprise de l’EI en 2017 grâce à l’intervention des forces irakiennes, et que la reconstruction de … aurait commencé et se serait poursuivie depuis lors.

Il échet dès lors d’analyser si la situation a suffisamment changé à … pour retenir que les craintes de persécution mises en avant par Monsieur … ne sont plus actuelles et réelles.

En l’espèce, il ressort du rapport, invoqué par le demandeur, de l’EASO de novembre 2018, précité, que « (…) Durant la bataille de … en 2016-2017, des arrestations arbitraires et quelques cas de disparitions forcées par les forces de sécurité kurdes, ainsi que d’actes de représailles contre des Arabes sunnites, ont été rapportés dans le cadre d’opérations de reconquête du territoire occupé par l’EIIL. (…) » et que « (…) Le département d’État des États-Unis a indiqué que les forces gouvernementales, y compris les FSI, les UMP et les forces kurdes, arrêtaient et détenaient des personnes soupçonnées de soutenir Daech, y compris des personnes déplacées, et s’en prenaient «régulièrement» à des hommes sunnites, surtout après la libération des zones occupées par l’EIIL. (…) »7.

A cet égard, force est au tribunal de constater que ce rapport démontre que les milices chiites, ainsi que les forces étatiques irakiennes, ont commis des exactions pendant les années 2016 à 2018, soit pendant la bataille et après la libération de la ville de …, pour se venger des Arabes sunnites en raison des actions commises par l’EI lors de son occupation de la prédite ville. Sans aucunement cautionner les actes hautement répréhensibles commis par ces dernières, il échet cependant de relever qu’elles ont agi dans un contexte particulier, à savoir pendant la bataille et après la libération de la ville de … de l’emprise de l’EI.

Or, dans la mesure où (i) cette ville a été libérée depuis près de cinq années (ii) les documents auxquels renvoie le demandeur sont essentiellement basés sur des faits ayant eu lieu pendant la période de 2017 à 2018 et (iii) ce dernier n’apporte aucun élément permettant de retenir qu’il risquerait actuellement, en cas de retour dans son pays d’origine, de subir des actes similaires, qui étaient à la base motivés par la vengeance des miliciens chiites et des autorités irakiennes à l’encontre des membres sunnites de l’EI, il s’ensuit que les craintes de persécutions exprimées par le demandeur ne peuvent être considérées comme étant actuelles et fondées, de sorte que le ministre a, à bon droit, refusé de lui octroyer le statut de réfugié.

6 EASO, « Iraq : Les acteurs de la protection », novembre 2018, page 14.

7 EASO, « Iraq : Les acteurs de la protection », novembre 2018, page 57. Cette approche est également confortée par le fait que le demandeur a lui-même déclaré que l’imam l’ayant interrogé lors de sa détention lui a confié, un jour avant sa libération, que « (…) “ Wir haben alles über dich überprüft. Wir haben festgestellt, dass du keine Probleme mit uns hast. Dein Name steht nicht auf unserer Fahndungsliste. Du kannst jetzt nach Hause gehen. Wir entschuldigen uns für unser schlechtes Verhalten, dir gegenüber“ »8.

Il échet, en outre, de préciser que cette conclusion n’est pas ébranlée par les déclarations du demandeur selon lesquelles son père aurait été enlevé par des miliciens chiites après son départ, étant donné qu’il ressort de ces mêmes déclarations que (i) le demandeur n’a pas été informé des circonstances de son enlèvement9, de sorte qu’il ne peut qu’émettre des suppositions sur les auteurs de cet acte, et que (ii) une rançon aurait été réclamée par la suite, révélant la motivation purement financière des auteurs de l’enlèvement, raisons étrangères au statut de réfugié.

En ce qui concerne les motivations religieuses, voire politiques, des autorités irakiennes, qui, selon le demandeur, le condamneraient à la peine de mort en cas de retour pour être un Arabe sunnite originaire de …, si celles-ci entrent dans le champ d’application de la Convention de Genève, force est de relever que Monsieur … n’invoque aucun élément concret permettant de retenir que les autorités de son pays d’origine condamneraient, de manière systématique, les Arabes sunnites à la peine de mort, de sorte que les craintes du demandeur à ce propos sont purement hypothétiques.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que le ministre a valablement pu retenir que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié, de sorte que le recours, pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur le statut de réfugié, est à déclarer non fondé.

b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire En ce qui concerne la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 (…) et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ 8 Page 7 de son rapport d'audition.

9 Page 9 de son rapport d'audition. d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

i) Quant au risque de subir les atteintes graves définies à l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Irak Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Or, dans la mesure où le tribunal a retenu dans les développements qui précèdent que les craintes de Monsieur … d’être victime de persécutions des milices chiites ou des autorités irakiennes pour être un Arabe sunnite originaire de … n’étaient pas actuelles et fondées, il ne saurait se départir de cette conclusion dans le cadre du recours contre le refus d’une protection subsidiaire en ce qui concerne les craintes de ce dernier de subir des atteintes graves pour les mêmes raisons.

Partant, il résulte des développements qui précèdent qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens échangés de part et d’autre, que Monsieur … n’a pas démontré qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015.

ii) Quant au risque de subir les atteintes graves découlant de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Irak Quant au risque de subir des atteintes graves en application de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé au demandeur conformément à cet article, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doiventremplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH10.

Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji du 17 février 2009 rendu par la CJUE, qui distingue deux situations: (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »11 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « (…) plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »12.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

Dans ce contexte, la CJUE a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2021, « CF et DN c.

Bundesrepublik Deutschland », C-901/19, que lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive 2011/95/UE, il peut notamment être tenu compte de la proportion entre le nombre total de civils vivant dans la région concernée et les victimes effectives des violences perpétrées par les parties au conflit contre la vie ou l’intégrité physique des civils dans cette région13, l’intensité des affrontements armés, du niveau d’organisation des forces armées en présence, de la durée du conflit, de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle, de la destination effective du demandeur en cas de renvoi dans le pays ou la région concernés et de l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants, en tant qu’éléments entrant en ligne de compte dans l’appréciation du risque réel d’atteintes graves14.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la 10 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

11 Ibid., paragraphe 35.

12 Ibid., paragraphe 39.

13 CJUE, 10 juin 2021, CF et DN c. Bundesrepublik Deutschland, C-901/19, paragraphe 32.

14 Ibid., paragraphe 43.situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

Partant, une analyse de la situation sécuritaire s’impose pour pouvoir apprécier l’existence, dans le chef d’un demandeur, d’un risque réel au sens de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE.

A cet égard, le demandeur concède que la situation dans le gouvernorat de Ninive, d’où il est originaire, devrait être regardée comme celle d’une zone où prévaudrait une situation de violence aveugle mais dont le niveau ne serait pas tel que toute personne serait exposée, du seul fait de sa présence sur le territoire concerné, à une atteinte grave au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015. Il soutient à cet égard qu’au vu de son profil, il devrait être considéré comme étant personnellement exposé à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

En l’espèce, il y a lieu de constater que Monsieur … n’apporte aucun indice permettant de conclure à l’existence d’une réelle situation de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international dans le gouvernorat de Ninive, ce dernier s’appuyant en effet sur des sources manquant d’actualité.

Il se dégage partant de tout ce qui précède et en l’absence d’autres éléments, que c’est également à juste titre que le ministre a refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le recours en ce qu’il est dirigé à l’encontre du refus dudit statut est à rejeter pour être non fondé.

2) Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire A l’appui de son recours, le demandeur avance qu’eu égard aux circonstances personnelles et particulières de l’espèce, notamment au vu de son profil d’Arabe sunnite originaire du gouvernorat de Ninive, la décision du ministre lui enjoignant de quitter le territoire encourrait la réformation pour violation des articles 2 et 3 de la CEDH, et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en ce que la protection offerte par ces dispositions serait rendue illusoire si l’Etat luxembourgeois était amené à le renvoyer en Irak en dépit de son profil et de la situation sécuritaire et humanitaire catastrophique qui y régnerait actuellement.

Il se réfère, à cet égard, plus particulièrement à un arrêt de la CourEDH du 11 janvier 2007 dans une affaire Salah Sheekh c. Pays-Bas dans le cadre duquel il aurait été retenu que l’expulsion d’un étranger par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de ladite convention, lorsqu’il y aurait des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, s’il était expulsé vers le pays de destination, y courrait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH. En pareil cas, cette disposition impliquerait l’obligation de ne pas expulser la personne concernée vers ce pays. Dans ce même arrêt, la CourEDH aurait encore retenu qu’il faudrait apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 de la CEDH, ce qui impliquerait que, pour apprécier la réalitédans le chef d’étrangers menacés d’expulsion ou d’extradition d’un risque allégué de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, il serait nécessaire de se livrer à un examen complet et ex nunc de la situation régnant dans le pays de destination, cette situation pouvant changer au fil du temps.

Il se réfère encore à un arrêt de la CourEDH du 7 juillet 1989 dans une affaire Soering c. Royaume-Uni dans lequel il aurait été retenu que l’objet et le but de la CEDH, à savoir la protection des êtres humains, appelleraient à comprendre et à appliquer ses dispositions d’une manière telle qu’elle rende les garanties concrètes et effectives, ainsi qu’à un arrêt rendu dans une affaire T.I. c/ Royaume-Uni, dans lequel la CourEDH aurait tranché que l’application de la procédure du pays tiers sûr ne dispenserait pas un pays de ses obligations en vertu de l’article 3 de la CEDH en ce qui concerne les traitements inhumains et dégradants.

Il demande, en conséquence, au tribunal de conclure que son éloignement vers l’Irak violerait les articles 2 et 3 de la CEDH, de même que 4 de la Charte.

A cela s’ajouterait que son renvoi vers son pays d’origine emporterait également une violation des articles 33 (1) de la Convention de Genève et 19 de la Charte interdisant le refoulement des demandeurs de protection internationale déboutés vers leur pays d’origine, le demandeur faisant valoir que même s’il ne devait pas se voir accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale, il devrait néanmoins pouvoir bénéficier de la protection contre l’expulsion vers un pays dans lequel il risquerait de subir des atteintes contre sa vie et son intégrité physique et morale, sous forme de torture, d’assassinat ou d’autres formes de traitements inhumains et dégradants du fait de sa confession musulmane sunnite et d’avoir vécu à …, le demandeur s’appuyant à cet égard sur un arrêt de la CJUE du 18 décembre 2014, dans une affaire Abdida, C-562/13 ainsi que sur un arrêt de la CourEDH du 15 novembre 2011, dans une affaire Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine, n° 48205/09.

Finalement, il fait valoir qu’en raison de la pandémie de la COVID-19, les autorités luxembourgeoises auraient décidé de la suspension de liaisons aériennes et de mesures en vue de limiter la propagation de ce virus, à l’instar des autorités irakiennes, de sorte qu’il lui serait impossible d’organiser son retour dans son pays d’origine. A cet effet, il requiert du tribunal qu’il ordonne la suspension temporaire de l’exécution de l’ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné que le tribunal vient de retenir ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’invocation d’une violation, par la décision déférée, du principe de non-refoulement, de même que des articles 2 et 3 de la CEDH, ainsi que 4 de la Charte, le demandeur se prévalant, à cet égard, de son profil d’Arabe sunnite originaire du gouvernorat de Ninive, respectivement de la situation sécuritaire et humanitaire actuelle en Irak, qui lui feraient courir un grave risque pour sa vie et son intégrité physique.

En effet, il y a lieu de constater, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par le demandeur en cas de retour en Irak, que le tribunal a conclu ci-avant que le demandeur n’a pas fait état d’une crainte de subir des persécutions ou d’être exposé à des atteintes graves au sens de la loi, respectivement que ses craintes en relation avec la situation sécuritaire et humanitaire ne constituaient pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire et qu’en conséquence, il ne saurait dès lors prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH15, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Irak soit dans ces circonstances incompatible avec les articles 3 de la CEDH, ainsi que 4 de la Charte, voire avec l’article 2 de la CEDH et le principe de non-

refoulement.

Enfin, en ce qui concerne la demande de Monsieur … de suspension temporaire de l’ordre de quitter le territoire en raison de la COVID-19, force est au tribunal de relever qu’il s’agit d’une question ayant trait à l’exécution de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître de cette demande.

Partant, le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 18 mai 2020 portant refus d’une protection internationale en la forme ;

au fond, déclare ledit recours principal en réformation non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit le recours principal en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

15 CEDH, arrêt du 4 février 2003, n° 52750/99, Lorsé et autres c/ Pays-Bas, §59.Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique extraordinaire du 1er avril 2022 par le premier vice-

président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 22


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44563
Date de la décision : 01/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-04-01;44563 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award