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31/03/2022 | LUXEMBOURG | N°45020

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2022, 45020


Tribunal administratif N° 45020 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 septembre 2020 2e chambre Audience publique du 31 mars 2022 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45020 du rôle, et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 septembre 2020 par Madame …, demeurant à L-…, dirigée contre une dÃ

©cision du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 juillet 2020 porta...

Tribunal administratif N° 45020 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 septembre 2020 2e chambre Audience publique du 31 mars 2022 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45020 du rôle, et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 septembre 2020 par Madame …, demeurant à L-…, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 10 juillet 2020 portant rejet de sa demande de remise gracieuse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 décembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Madame … du 28 juin 2021 suivant laquelle celle-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 juin 2021 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 9 février 2022 ayant ordonné la rupture du délibéré et refixé l’affaire au 7 mars 2022 en vue de sa reprise en délibéré sous une autre composition ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 3 mars 2022 refixant l’affaire au 14 mars 2022 en vue de sa reprise en délibéré ;

Vu les communications respectives de Madame … du 4 mars 2022 et du délégué du gouvernement du 14 mars 2022 suivant lesquelles ceux-ci marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 14 mars 2022.

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1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers ».

En date du 19 février 2020, le bureau de recette … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau de recette », émit à l’encontre de Madame … un extrait de compte l’informant qu’un montant total de ….- euros au titre de l’impôt sur le revenu de l’année 2019 serait dû, dont ….- euros avaient déjà été payés et ….- euros étaient impayés.

Par courrier du 24 février 2020, réceptionné par la direction de l’administration des Contributions directes en date du 2 mars 2020, Madame … introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », une demande de remise gracieuse visant l’impôt sur le revenu de l’année 2019.

Par décision du 10 juillet 2020, référencée sous le numéro … du rôle, le directeur rejeta la demande de remise gracieuse du 24 février 2020, dans les termes suivants :

« […] Vu la demande présentée le 2 mars 2020 par la dame …, demeurant à L-…, ayant pour objet une remise d'impôts par voie gracieuse de l'année 2019 ;

Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu'il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;

Considérant que d'après le paragraphe 131 AO une remise gracieuse n'est envisageable que dans la mesure où la perception d'un impôt dont la légalité n'est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l'équité soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;

Considérant que la demande est motivée par des considérations qui mettent en cause une situation financière difficile ;

Considérant qu'une remise pour rigueur subjective n'est justifiée que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l'impôt compromet son existence économique et le prive de moyens de subsistance indispensables ;

Considérant qu'une rigueur excessive, incompatible avec le principe d'équité au sens du paragraphe 131 AO, ne peut être admise au vu de la situation financière présentée par la requérante ;

Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ;

Considérant aussi que la dette fiscale est apurée ;

PAR CES MOTIFS, DÉCIDE :

La demande en remise gracieuse est rejetée. […] ».

Par requête déposée le 23 septembre 2020 au greffe du tribunal administratif, Madame … a introduit un recours contentieux, non autrement qualifié, contre la décision précitée du directeur du 10 juillet 2020.

A titre liminaire, le tribunal relève que si la requête introductive d’instance est certes formulée en allemand, et si les articles 3 et 4 de la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues prévoient dans le chef des administrations une obligation de répondre dans la mesure du possible dans la langue choisie par l’administré dans sa requête, cette obligation ne s’applique toutefois pas aux autorités juridictionnelles devant lesquelles s’applique le seul principe de la liberté dans le choix de la langue. Ainsi, le tribunal est libre de faire usage de la langue française qui est employée traditionnellement en matière de rédaction des actes de procédure, et notamment des jugements2.

Ensuite, il y a lieu de relever que lorsque la requête introductive d’instance omet, comme en l’espèce, d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que le demandeur a entendu introduire le recours admis par la loi3.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée par « AO », et de l’article 8, paragraphe (3), 1 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Madame …, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose qu’elle recevrait une aide de l’office social pour subvenir à ses besoins et notamment des bons lui permettant d’acheter de la nourriture, qui serait cependant périmée, respectivement de consulter un médecin.

Elle indique encore obtenir une pension allemande de … euros, une pension luxembourgeoise de … euros et la somme de … euros à titre d’aide sociale, de sorte à disposer d’un revenu mensuel de … euros.

La demanderesse poursuit en exposant comme dépenses mensuelles les montants suivants :

- loyer : ….- euros ;

- frais d’électricité : ….- euros ;

- prime d’assurance tous risques : … euros ;

- prime d’assurance responsabilité civile : … euros ;

- frais d’internet et de télévision : ….- euros ;

- prestations d’un kinésithérapeute, respectivement activités sportives : … euros ;

- crédit : … euros ;

- nourriture : ….- euros ;

- essence : ….- euros ;

- articles de soins et médicaments : ….- euros - impôts luxembourgeois : ….- euros ;

- impôts allemands : ….- euros ;

2 Trib. adm., 14 juillet 2003, n°29747 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Langues, n° 3 et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1181 et les autres références y citées.

- frais de télécommunication : … euros, soit un total de … euros, de sorte qu’elle ne disposerait mensuellement que de … euros.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse.

Aux termes du paragraphe 131 AO, une remise gracieuse se conçoit « […] dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable […] ».

Il résulte de cette disposition qu’une remise gracieuse n’est envisageable que, soit objectivement ratione materiae, si objectivement l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur, soit subjectivement ratione personae dans le chef du contribuable concerné, si la perception de l’impôt apparaît comme constituant une rigueur incompatible avec le principe d’équité, sa situation personnelle étant telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables.

Une demande de remise d’impôt s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette. La fonction de la remise en équité ne saurait être d’abolir les délais pour exercer un droit.4 En l’espèce, force est de prime abord de constater que la demanderesse n’invoque aucune rigueur objective dans son chef, la demanderesse n’affirmant en effet pas que l’application de la loi fiscale aurait conduit, en l’espèce, à un résultat contraire à l’intention du législateur, mais se contente d’invoquer une rigueur subjective résultant de sa situation financière.

A cet égard, et en ce qui concerne les éventuelles raisons subjectives pouvant justifier une remise gracieuse, dont l’existence s’apprécie au jour où le tribunal est amené à statuer, il échet de constater qu’il ne saurait y être fait droit que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables. Outre son état d’indigence, il faut que le contribuable soit digne de la remise gracieuse, ce qui suppose que sa situation économique difficile ne lui est pas imputable et qu’il a toujours rempli consciencieusement ses obligations fiscales.5 En effet, la fonction de la remise en équité ne saurait être de permettre au contribuable, ayant agi fautivement, de se voir libérer de sa charge d’impôt.

Il convient toutefois de constater que Madame …, sur laquelle repose la charge de la preuve, s’est limitée à verser, outre des pièces relatives à une reconnaissance de dette à hauteur de ….- euros à l’égard de la Croix-Rouge, somme que cette dernière a avancée pour le règlement d’une dette de l’impôt allemand et que la demanderesse s’est engagée à rembourser par des mensualités de ….- euros, un extrait bancaire pour le mois de janvier 2020 ainsi qu’une sélection de dépenses inscrites sur un extrait bancaire du mois de juin 2020, et ce alors que différentes dépenses énumérées dans le cadre de la demande de remise gracieuse diffèrent dans leur 4 Trib.adm., 17 octobre 2001, n° 13099 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 773 (2e tiret) et les autres références y citées.

5 A. Steichen, Manuel de droit fiscal, Luxembourg, Editions Saint Paul, 2006, Tome 1, p. 746.

montant par rapport à celles énumérées dans le cadre du recours. Ainsi, le loyer se serait élevé à ….- euros aux termes de la demande de remise gracieuse et s’élèverait à ….- euros selon les précisions figurant dans la requête introductive d’instance. En outre, les montants relatifs à l’électricité, à l’assurance responsabilité civile, à la nourriture et aux impôts diffèrent considérablement. Il en résulte que les différences des dépenses constatées entre le mois de janvier 2020, date des extraits bancaires, et le mois de septembre 2020, date du recours en réformation s’élèvent à environ ….- euros par mois, somme considérable pour une personne estimant se trouver dans une situation économique précaire. En outre, des dépenses supplémentaires telles que celles se rapportant aux prestations d’un kinésithérapeute, à des activités sportives, à des frais d’essence et à des articles de soins et médicaments, ont été ajoutées dans le cadre du recours en réformation sans aucune pièce justificative à l’appui, de sorte que ces dépenses restent à l’état de pures allégations. La demanderesse reste dès lors en défaut d’étayer concrètement, pièces à l’appui, sa situation financière exacte, étant encore souligné que Madame … a payé l’intégralité de la somme lui réclamée au titre de l’impôt sur le revenu dû pour l’année 2019. Il ressort effectivement de l’extrait de compte émis par le bureau de recette en date du 19 février 2020 qu’elle avait déjà payé le montant de ….- euros, de sorte qu’il restait uniquement le montant de ….- euros à titre d’impayés. Il ressort encore du dossier administratif que le solde restant dû a également déjà été réglé. Il y a, partant, lieu d’admettre que le paiement de l’impôt dû n’est pas de nature à compromettre l’existence économique de la demanderesse.

Il s’ensuit qu’à défaut de tout autre moyen, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse n’a pas rapporté la preuve d’une rigueur subjective dans son chef du fait de l’obligation de paiement de l’impôt sur le revenu de l’année 2019 par elle redû, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en réformation recevable ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 31 mars 2022 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er avril 2022 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45020
Date de la décision : 31/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-31;45020 ?

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