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28/03/2022 | LUXEMBOURG | N°47203

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mars 2022, 47203


Tribunal administratif N° 47203 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2022 2e chambre Audience publique du 28 mars 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47203 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2022 par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …

à … (Maroc), de nationalité marocaine, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’u...

Tribunal administratif N° 47203 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2022 2e chambre Audience publique du 28 mars 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47203 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2022 par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 mars 2022 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Naïma El Handouz du 28 mars 2022, informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 mars 2022.

Le 15 janvier 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, Région …, Commissariat …, du 29 février 2020, portant le numéro de référence …, qu’à cette dernière date, Monsieur … fut interpellé par les forces de l’ordre dans le cadre d’un vol à l’aide de violences.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1Le 6 avril 2020, les autorités allemandes contactèrent leurs homologues luxembourgeois en vue de la reprise en charge de Monsieur … dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 16 avril 2020 sur base de l’article 18 (1) b) dudit règlement.

Par courrier du 5 juin 2020, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités allemandes du fait qu’une procédure de transfert n’était plus nécessaire, étant donné que Monsieur … était retourné au Luxembourg par ses propres moyens.

Le 22 janvier 2021, les autorités luxembourgeoises firent droit à une nouvelle demande de reprise en charge de Monsieur … leur adressée par leurs homologues allemands le 18 janvier 2021.

Par courrier du 8 juin 2021, elles informèrent ces derniers du fait que l’intéressé était, à nouveau, retourné au Luxembourg par ses propres moyens, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de procéder à son transfert.

Par décision du 20 juillet 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le surlendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée dans le cadre d’une procédure accélérée, la décision comportant encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard.

Le 13 août 2021, Monsieur … fut placé en détention préventive au Centre pénitentiaire de Luxembourg, ci-après désigné par « le CPL », du chef de vol à l’aide de violences.

Par arrêté du 4 février 2022, notifié à l’intéressé le 8 février 2022, jour de sa libération du CPL, le ministre prononça à l’encontre de Monsieur … une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans.

Par arrêté du même jour, également notifié le 8 février 2022, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois. Ladite décision est basée sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 29 février 2020 établi par la Police grand-ducale ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Vu ma décision de retour du 20 juillet 2021 lui a été notifiée le 23 juillet 2021;

Vu ma décision d’interdiction d’entrée sur le territoire du 4 février 2022;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg;

2Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches; […] ».

Par arrêté du 7 mars 2021, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea ladite mesure de placement en rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification, l’arrêté en question étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 4 février 2022, notifié le 8 février 2022, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 4 février 2022 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 7 mars 2022.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.

En droit, il reproche au ministre de ne pas avoir pris en considération « […] les éléments liés aux faits de l’espèce et à [sa] situation […] ».

A cet égard, il donne à considérer qu’un placement au Centre de rétention équivaudrait à une détention, partant à une mesure privative de liberté, qui ne devrait être prononcée que de manière exceptionnelle.

Tout en admettant qu’en application de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, la simple qualité d’étranger se trouvant illégalement au Grand-Duché de Luxembourg et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement autoriserait le ministre à le placer en rétention dans une structure 3fermée au cas où il existe des circonstances de fait rendant l’exécution de ladite mesure d’éloignement impossible, le demandeur fait valoir que la mesure de placement en rétention devrait être proportionnée à la situation personnelle de l’étranger ainsi visé.

Il conviendrait ainsi de vérifier si, par rapport à la situation de l’étranger concerné, le placement dans une structure fermée serait approprié, le demandeur affirmant à cet égard que non seulement l’opportunité du principe de l’enfermement devrait être examinée, mais également le type de structure fermée retenu par le ministre, afin de pouvoir vérifier si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité. A cet égard, il y aurait lieu de prendre en considération tous les éléments liés à la personne de l’étranger.

En l’espèce, il se dégagerait de son rapport d’audition dressé le 2 juillet 2021 dans le cadre de l’instruction de sa demande de protection internationale qu’il serait arrivé en Europe en 2018 en tant que mineur non accompagné. Il aurait quitté le Maroc, où il aurait vécu avec sa mère et sa sœur à …, au motif que leur situation y aurait été précaire, dans la mesure où sa mère aurait été sans emploi et n’aurait pas possédé de maison.

Il se dégagerait du même rapport qu’il aurait subi des traumatismes au cours de son enfance, étant donné que son père aurait été un alcoolique violent.

Ayant vécu un an et demi en Espagne et quelques mois en France et en Belgique, il serait arrivé au Luxembourg en janvier 2020. Sa demande de protection internationale introduite le 15 janvier 2020 aurait été rejetée par décision ministérielle du 20 juillet 2021.

Cependant, il ne se dégagerait pas du dossier administratif que cette décision, par laquelle le ministre l’aurait informé du caractère irrégulier de son séjour au Luxembourg et lui aurait ordonné de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours, lui aurait bien été notifiée.

Or, cette décision préciserait que le susdit délai de 30 jours courrait à compter du jour où la décision en question serait devenue définitive.

Ainsi, en l’absence de notification, ladite décision ne serait pas devenue définitive, de sorte que le ministre n’aurait pu ordonner son placement au Centre de rétention.

Par ailleurs, le demandeur donne à considérer que le placement en rétention devrait être considéré comme un ultime remède, alors qu’il porterait atteinte à sa liberté de mouvement, de sorte à ne constituer qu’une simple faculté pour le ministre, laquelle ne serait pas discrétionnaire, mais devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en admettant que l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales prévoirait expressément la possibilité du placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, le demandeur insiste sur le fait que cette mesure, équivalant à une détention, devrait rester exceptionnelle.

Il en déduit, en substance, que le ministre aurait dû recourir à une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, telle qu’une assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (« SHUK »).

4Par ailleurs, le demandeur fait valoir qu’un placement en rétention supposerait qu’une procédure d’éloignement soit en cours, qu’elle soit menée avec la diligence requise et, surtout, qu’elle ait des chances d’aboutir.

Or, en l’espèce, il ne se dégagerait pas du dossier administratif que le ministre aurait contacté les autorités marocaines. En effet, au jour de la communication dudit dossier au litismandataire du demandeur, en l’occurrence le 23 février 2022, soit plus de deux semaines après la notification de l’arrêté de placement en rétention initial, aucune demande n’aurait été adressée aux autorités consulaires du Maroc, en vue de l’identification de l’intéressé, respectivement de l’obtention d’un laissez-passer, afin d’écourter la rétention au strict minimum.

En conclusion, le demandeur soutient que l’arrêté ministériel déféré devrait encourir la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En ce qui concerne la légalité externe de l’arrêté ministériel déféré, et plus particulièrement, le moyen tiré d’une insuffisance de motivation dudit arrêté, le tribunal relève que dans la mesure où aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention – l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision –, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

Quant au fond, le tribunal précise qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux 5reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, s’agissant de l’argumentation du demandeur selon laquelle la décision ministérielle du 20 juillet 2021 portant rejet de sa demande de protection internationale et portant décision de retour à son égard ne lui aurait pas été notifiée, de sorte qu’elle ne serait pas devenue définitive et que, dès lors, le ministre n’aurait pas valablement pu le placer en rétention, le tribunal constate qu’il ressort du relevé « Track and Trace » de l’Entreprise des postes et télécommunications, tel que figurant au dossier administratif, que le courrier recommandé portant notification, au demandeur, de ladite décision du 20 juillet 2021 a été expédié le 22 juillet 2021 et que le lendemain, l’intéressé a été avisé de retirer l’envoi en question.

S’il ressort des mentions apposées sur l’enveloppe dudit courrier, dont une copie a été versée par la partie étatique, que ce dernier a dû être retourné, étant donné qu’il n’avait pas été réclamé par son destinataire, il n’en reste pas moins que dans la mesure où la notification d’une décision ministérielle est réputée faite le jour du dépôt de l’avis par l’agent des postes, sous peine de vider le mécanisme des notifications postales régulièrement faites de toute sa 6substance,2 la notification a valablement été accomplie à l’égard du demandeur en date du 23 juillet 2021.

En tout état de cause, il ressort de l’article 12 (3) de la loi du 18 décembre 2015 qu’en matière de demande de protection internationale, toute notification est réputée valablement faite trois jours après l’envoi sous pli recommandé à la poste soit au lieu de la résidence habituelle soit au domicile élu, de sorte qu’en l’espèce, la notification est intervenue au plus tard le lundi 26 juillet 2021.

Par ailleurs, le tribunal constate qu’il se dégage du susdit relevé « Track and Trace » que la décision en question a encore été notifiée au litismandataire de l’époque du demandeur en date du 23 juillet 2021.

Il suit des constats faits ci-avant que l’argumentation sous analyse est à rejeter pour manquer en fait, indépendamment de la question, soulevée par le délégué du gouvernement, de savoir si ladite argumentation, tendant, en réalité, à remettre en cause la légalité de l’arrêté de placement en rétention initial, entretemps coulé en force de chose décidée, peut valablement être invoquée à l’appui du présent recours dirigé à l’encontre de l’arrêté ministériel du 7 mars 2022 ordonnant la prorogation de la mesure de placement en rétention.

Le tribunal relève ensuite qu’il est établi, au vu des pièces versées en cause, que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, ayant notamment fait l’objet, en date du 20 juillet 2021, d’une décision de retour.

Etant donné que le 4 février 2022, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite est présumé […] si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Le ministre pouvait donc a priori valablement, sur base de l’article 120 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et maintenir son placement, le demandeur ne contestant d’ailleurs pas le risque de fuite présumé dans son chef.

S’agissant de l’argumentation de Monsieur … selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer des mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, il échet de rappeler que cette disposition légale dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

2 Trib. adm., 20 octobre 2003, n° 16463 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 232 et les autres références y citées.

7 a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.3 En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant. Il est, en effet, constant qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, 3 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 935 et les autres références y citées.

8nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, s’impose, étant encore précisé que la SHUK ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y serait pas concevable.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence, ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

En ce qui concerne les diligences entreprises par le ministre pour procéder à l’éloignement du demandeur et ainsi écourter la durée de son placement en rétention, le tribunal constate que le 8 février 2022, soit le jour même de la notification de l’arrêté de placement en rétention initial, les autorités luxembourgeoises ont contacté le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège, en vue de l’identification du demandeur et de la délivrance d’un laissez-passer dans son chef. En réponse à un rappel leur adressé le 1er mars 2022 par les autorités luxembourgeoises, les services dudit consulat ont, par courrier électronique du 3 mars 2022, informé ces dernières du fait que la demande d’identification de Monsieur … avait été adressée aux autorités marocaines compétentes en date du 14 février 2022. Par courrier du 17 mars 2022, les autorités luxembourgeoises ont, à nouveau, relancé leurs homologues marocains.

Au vu des démarches déployées concrètement par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire de la collaboration des autorités marocaines, le tribunal retient que la procédure d’éloignement du demandeur est toujours en cours, mais qu’elle n’a pas encore abouti, et que les démarches ainsi entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées, à ce stade, comme suffisantes pour justifier une première prorogation de la mesure de rétention litigieuse, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est exécutée avec toute la diligence requise. Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Pour autant que le demandeur, en insistant sur le fait que la procédure d’éloignement devrait avoir des chances d’aboutir, ait entendu soutenir que tel ne serait pas le cas en l’espèce, le tribunal retient que l’argumentation afférente est, elle aussi, à rejeter, étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient vouées à l’échec, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que contrairement à l’argumentation du demandeur, la prorogation de la mesure de placement en rétention litigieuse n’est pas disproportionnée.

En l’absence d’autres moyens et au vu des développements faits ci-avant, le recours sous analyse est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

9reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 28 mars 2022 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 mars 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47203
Date de la décision : 28/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-28;47203 ?

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