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23/03/2022 | LUXEMBOURG | N°47194

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mars 2022, 47194


Tribunal administratif N° 47194 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2022 3e chambre Audience publique du 23 mars 2022 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47194 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2022 par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant

être né le … et être de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétenti...

Tribunal administratif N° 47194 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2022 3e chambre Audience publique du 23 mars 2022 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47194 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2022 par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … et être de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 mars 2022 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Eric SAYS du 17 mars 2022 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu la communication de Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN du 21 mars 2022 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 22 mars 2022.

Il se dégage du dossier administratif et plus particulièrement d’un rapport de la police grand-ducale, circonscription régionale Luxembourg, commissariat de police Luxembourg -

groupe Gare, référencé sous le numéro …, du 6 mars 2022, qu’à cette même date, Monsieur … fut appréhendé par les forces de l’ordre dans le quartier de la gare à Luxembourg-Ville lors d’un contrôle d’identité. Il s’avéra, à cette occasion, que Monsieur … n’était pas en mesure de présenter des documents d’identité, qu’il était signalé dans le SIS par les autorités italiennes 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1avec la mention « Refuser l’entrée sur le territoire » et qu’il était en possession d’une « Verfahrenskarte gemäß § 50 AsylG 2005 » délivrée par les autorités autrichiennes.

Le 6 mars 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté, notifié à l’intéressé le même jour, constatant son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et lui ordonnant de quitter ledit territoire sans délai.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également en date du 6 mars 2022, le ministre prit encore à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question. Ledit arrêté est basé sur les motifs et considérations suivants:

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport numéro … du 6 mars 2022 établis par la Police grand-ducale ;

Vu ma décision de retour du 6 mars 2022 ;

Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un document de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les meilleurs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

En réponse à une demande leur adressée le 7 mars 2022 par le Centre de coopération policière et douanière du Luxembourg (CCPD), les autorités françaises informèrent les autorités luxembourgeoises que Monsieur … « […] ressort dans le fichier national des étrangers mais la nature du document sollicité n’y est pas mentionnée. Seule la validité du document allant du 17/02/2022 au 16/12/2022 y figure. […] ».

Une recherche effectuée le 8 mars 2022 dans la base de données EURODAC révéla, par ailleurs, que Monsieur … avait auparavant introduit des demandes de protection internationale en Italie, le 9 octobre 2015, en Autriche, le 25 décembre 2021, et en France, le 17 février 2022.

En date du 10 mars 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités autrichiennes en vue de la reprise en charge de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

2Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 6 mars 2022 ordonnant son placement en rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en droit, Monsieur … se rapporte d’abord à prudence de justice en ce qui concerne la compétence du ministre pour prendre la décision litigieuse.

Il conclut ensuite à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement. Il donne à considérer qu’il serait en possession d’une attestation de demandeur d’asile délivrée par le ministère de l’Intérieur français, valable jusqu’au 16 décembre 2022, et qu’il résiderait officiellement en France et plus précisément à Nancy, où il disposerait d’une adresse officielle et où il souhaiterait partir de manière volontaire et par ses propres moyens.

Il fait ensuite valoir qu’aucune « proposition de retour » ne lui aurait été faite jusqu’à présent et qu’« aucune date de son extradition [ne lui aurait] été proposée depuis le 6 mars 2022 ».

En affirmant encore que ni le manque de diligences des autorités ministérielles ni l’absence de vols ne sauraient justifier une « prorogation » de son placement en rétention, le demandeur conclut que son placement en rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Force est de prime abord de constater que c’est à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre, étant donné qu’en vertu de l’article 3 g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit le ministre de l’Immigration et de l’Asile, aux termes de l’arrêté grand-ducal du 28 mai 2019 portant constitution des ministères.

S’agissant ensuite du bien-fondé de la décision litigieuse, l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose que : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

3Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Le tribunal relève qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le demandeur ne dispose ni d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg, ni de documents d’identité et de voyage en cours de validité et qu’il se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, celui-ci ayant, en effet, fait l’objet d’une décision de retour en date du 6 mars 2022. En vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, respectivement s’il ne peut pas justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage valables, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni encore d’une autorisation de travail, et s’il se trouve donc en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, le risque de fuite est présumé dans le chef du demandeur, sans qu’il ne se dégagent du dossier soumis au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption de ce risque de fuite, étant relevé que le fait que Monsieur … est demandeur de protection internationale en France et qu’il souhaite y retourner par ses propres moyens n’est non seulement pas pertinent par rapport à l’arrêté de placement en rétention, alors qu’il s’agit d’une argumentation ayant trait à la décision de retour et son exécution, qui ne fait pas l’objet du présent recours2, mais dégage également une volonté 2 Trib. adm., 1er décembre 2021, n° 46721 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

4de se soustraire à son éloignement vers l’Autriche, tel que projeté par les autorités luxembourgeoises, de nature à conforter l’existence d’un risque de fuite dans son chef, étant précisé que le risque de fuite se définit comme risque de se soustraire à la mesure d’éloignement et non point comme le risque de quitter le territoire luxembourgeois.

Au vu de ces considérations, le ministre pouvait donc a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, précité, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

En qui concerne, enfin, les démarches concrètement entreprises, en l’espèce, par le ministre pour organiser l’éloignement du demandeur, le tribunal relève tout d’abord qu’il s’agit de la première mesure de placement en rétention de Monsieur …, de sorte que l’allégation du demandeur quant à une prétendue prorogation de ladite mesure de placement tombe à faux.

Le tribunal constate ensuite qu’en date du 7 mars 2022, soit le lendemain du placement du demandeur au Centre de rétention, la direction de l’Immigration a demandé à la police grand-ducale de lui fournir les empreintes digitales de Monsieur …. Le même jour, elle s’est encore adressée au CCPD aux fins d’obtenir des informations sur l’intéressé par les autorités des pays limitrophes au Luxembourg. Suite à une recherche effectuée le 8 mars 2022 dans la base de données EURODAC, les autorités luxembourgeoises ont encore contacté les autorités autrichiennes en date du 10 mars 2022 en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base des dispositions de l’article 18, point b) du règlement Dublin III.

Ainsi, au vu des diligences déployées par le ministre depuis le placement du demandeur au Centre de rétention et dans la mesure où les autorités luxembourgeoises sont actuellement en attente d’une réponse de la part des autorités autrichiennes qui disposent jusqu’au 24 mars 2022 pour accepter ou refuser la demande de reprise en charge de l’intéressé, le tribunal est amené à constater que la procédure d’éloignement du demandeur est toujours en cours et que les démarches entreprises à cet égard par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées, à ce stade, comme suffisantes pour justifier son placement en rétention.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

5Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mars 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 mars 2022 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47194
Date de la décision : 23/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-23;47194 ?

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