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14/03/2022 | LUXEMBOURG | N°45227

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2022, 45227


Tribunal administratif N° 45227 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 novembre 2020 1re chambre Audience publique du 14 mars 2022 Recours formé par Monsieur A, …, contre une décision du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de l’environnement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45227 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 novembre 2020 par Maître Daniel Baulisch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi

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Tribunal administratif N° 45227 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 novembre 2020 1re chambre Audience publique du 14 mars 2022 Recours formé par Monsieur A, …, contre une décision du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de l’environnement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45227 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 novembre 2020 par Maître Daniel Baulisch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision, ainsi qualifiée, du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du 24 août 2020, Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 février 2021 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daniel Baulisch et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 février 2022.

___________________________________________________________________________

Par un formulaire du 14 novembre 2019, entrée au ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministère », le 22 novembre 2019, Monsieur A introduisit une demande tendant à se voir accorder dans le cadre de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles modifiant 1° la loi modifiée du 31 mai 1999 portant institution d’un fonds pour la protection de l’environnement ; 2° la loi modifiée du 5 juin 2009 portant création de l’administration de la nature et des forêts ; 3° la loi modifiée du 3 août 2005 concernant le partenariat entre syndicats de communes et l’Etat et la restructuration de la démarche scientifique en matière de protection de la nature et des ressources naturelles, en abrégé « la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles », ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », entrée en vigueur le 9 septembre 2019, l’autorisation pour l’« [a]battage de 9 arbres présentant un danger pour le chemin de fer et la piste cyclable/rue de la gare ainsi que pour les usagers et riverains » sur les parcelle inscrites au cadastre de la commune de …, section … de …, sous les numéros … et …, au lieu-dit « … ».

Par une décision du 6 mai 2020, le ministre de de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« […] En réponse à votre requête du 14 novembre 2019 par laquelle vous sollicitez l'autorisation pour l'abattage de 9 arbres sur des fonds inscrits au cadastre de la commune de …, section … de … (…), sous les numéros … et …, j'ai le regret de vous informer qu'en vertu de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne saurais réserver une suite favorable au dossier.

En effet, les arbres en question sont repris à l'inventaire des arbres remarquables et ont une grande valeur écologique et paysagère.

Dès lors, l'abattage de ces arbres remarquables est de nature à porter préjudice à la beauté et au caractère du paysage et sera dès lors contraire aux objectifs énoncés à l'article 1er de la prédite loi du 18 juillet 2018.

Sachez toutefois que, pour autant qu'une expertise sur l'état phytosanitaire de ces arbres, à effectuer par un bureau spécialisé en la matière, constaterait un mauvais état de santé de ces arbres et dès lors un risque imminent pour le public, je ne tarderai pas de revenir sur ma décision. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 août 2020, inscrite sous le numéro 44800 du rôle, Monsieur A fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 6 mai 2020.

Par un courrier du 24 août 2020, le ministre prit position comme suit :

« […] Suite à votre recours n°44800 et après ré-analyse de votre dossier par lequel vous sollicitez l'autorisation pour l'abattage de 9 arbres sur des fonds inscrits au cadastre de la commune de …: section … de … (…), sous les numéros … et …, j'ai l'honneur de vous informer qu'en vertu de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je serais disposé à vous accorder un abattage des arbres.

Toutefois, le regroupement d'arbres en question constitue un biotope protégé au sens de l'article 17 de la prédite loi du 18 juillet 2018.

Dès lors, je vous invite à compléter votre dossier moyennant une identification précise des biotopes protégés, d'habitats d'intérêt communautaire et/ou d'habitats des espèces d'intérêt communautaire pour lesquelles l'état de conservation des espèces a été évalué non favorable à faire élaborer par une personne agréée en la matière ainsi que des mesures compensatoires comprenant la restitution de biotopes de valeur écologique au moins équivalente aux biotopes protégés, aux habitats ou aux habitats des espèces réduits, détruits ou détériorés.

Monsieur […] (email : […], tél: […] ou […]) de l'Administration de la nature et des forêts se tient à votre disposition pour l'élaboration de cette analyse.

Le terrain étant situé à l'intérieur de la zone destinée à être urbanisée, il vous est loisible de réaliser les mesures compensatoires dans le pool compensatoire conformément aux articles 63 et 65 de la prédite loi.

Le dossier complet est à envoyer à l'adresse Ministère de l'Environnement, du Climat et du Développement durable, Service « autorisations protection de la nature » L-2918 Luxembourg.

Contre la présente décision, un recours en annulation peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d'un avocat à la Cour. […] ».

Suivant les explications fournies par le litismandataire de Monsieur A à l’audience des plaidoiries, celui-ci a, par acte notarié du 3 mai 2021, vendu, ensemble avec sa mère Madame B et Monsieur C, à la commune de …, entre autres, l’une des parcelles litigieuses, à savoir celle portant le numéro …, au lieu-dit « … ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2020, inscrite sous le numéro 45227 du rôle, Monsieur A a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision, ainsi qualifiée, du ministre du 24 août 2020.

Compétence du tribunal et recevabilité du recours Le tribunal retient de prime abord que le fait, relevé ci-avant, que Monsieur A a vendu l’une des deux parcelles sur lesquelles a porté sa demande n’est pas de nature à affecter, par principe, son intérêt à agir potentiel - sous la réserve de la question du caractère décisionnel du courrier faisant l’objet du recours qui sera examinée ci-après - dans la mesure où il n’est pas contesté que la parcelle dont il est resté propriétaire est pareillement concernée par la demande d’abatage des arbres.

Force est ensuite de constater que, tel que les parties à l’instance en ont été informées préalablement à travers un avis du 27 janvier 2022, le tribunal a à l’audience des plaidoiries soulevé d’office la question du caractère décisionnel du courrier du 24 août 2020 faisant l’objet du présent recours et par voie de conséquence celle de la recevabilité du recours en réformation, sinon en annulation introduit à travers la requête inscrite sous le numéro 45227 contre ledit courrier.

A l’audience des plaidoiries, Monsieur A a conclu à la recevabilité du recours, en insistant sur le fait que ledit courrier lui causerait un préjudice et qu’il indiquerait qu’un recours en annulation contre celui-ci serait ouvert devant le tribunal administratif sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de sa notification.

Le délégué du gouvernement a estimé, de son côté, que le courrier ministériel du 24 août 2020 serait dépourvu de tout caractère décisionnel, étant donné qu’il s’agirait d’une simple mesure d’instruction devant permettre au ministre de recueillir les éléments d’information nécessaires à une future prise de décision. A travers ledit courrier, le ministre n’aurait en aucun cas pris une décision définitive ni surtout rejeté la demande d’abattage, le délégué du gouvernement affirmant, par ailleurs, que l’indication des voies de recours dans le courrier du 24 août 2020 constituerait une erreur matérielle.

Aux termes de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame.

Plus particulièrement, n'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l'administration, tout comme les déclarations d'intention ou les actes préparatoires d'une décision2 qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci3. Pareillement, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur la situation juridique, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation4.

Dans cet ordre d’idées, il convient encore de rappeler que pour valoir décision administrative, un acte doit constituer la décision définitive dans la procédure engagée et non pas une simple mesure d’instruction destinée à permettre à l’autorité compétente de recueillir les éléments d’information en vue de sa décision ultérieure5.

Le tribunal relève encore que si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l’objet d’un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief6, étant précisé que le recours étant nécessairement déclaré irrecevable à défaut par le requérant de justifier d’un intérêt à agir en ce sens que l’acte attaqué lui fait grief.

En l’espèce, au regard du libellé du courrier du ministre du 24 août 2020, cité in extenso ci-avant, force est de constater que le ministre, après réexamen du dossier à la suite de l’introduction d’un recours contentieux contre le refus initial du 6 mai 2020, n’a pas rejeté 1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

2 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par un arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 66 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 22 janvier 1998, n° 9647C, 9759C, 10080C et 10276C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 65 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 78 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 6 janvier 1998, n° 10138 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 91 et les autres références y citées.

6 Trib. adm. 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n° 46 et les autres références y citées.

la demande introduite par Monsieur A par laquelle celui-ci a sollicité l'autorisation pour l'abattage de 9 arbres, ni n’a-t-il réitéré le refus antérieur, mais l’a informé qu’il était par principe disposé à autoriser l’abattage des arbres litigieux, revenant ainsi sur son refus antérieur. Cette position du ministre a encore été confirmée par le délégué du gouvernement dans sa réponse, qui confirme que le ministre était disposé à accorder une autorisation pour l’abatage des arbres dans un but d’utilité publique consistant concrètement en des considérations d’ordre de sécurité comme les arbres se trouvent à proximité des chemins de fer et d’une piste cyclable, répondant justement aux considérations avancées par Monsieur A pour appuyer sa demande.

S’agissant d’une ouverture en sens favorable à Monsieur A, celui-ci n’a en tout état de cause aucun intérêt à agir contre ce chef du courrier du 24 août 2020.

Au-delà de cet accord de principe en vue de l’octroi d’une autorisation d’abatage des arbres, le ministre a, par ailleurs, renvoyé à l’article 17 de la loi du 18 juillet 2018, aux termes duquel « (1) Il est interdit de réduire, de détruire ou de détériorer les biotopes protégés, les habitats d’intérêt communautaire ainsi que les habitats des espèces d’intérêt communautaire pour lesquelles l’état de conservation des espèces a été évalué non favorable. […] », et a constaté que le regroupement d’arbres serait un biotope protégé, et a invité Monsieur A à « compléter » le dossier moyennant une identification précise des biotopes protégés à faire élaborer par une personne agréée en la matière ainsi que des mesures compensatoires. En guise de conclusion, il a invité Monsieur A à renvoyer le dossier ainsi complété au ministère.

Le tribunal est amené à retenir qu’au-delà de la déclaration du ministre d’être disposé à réserver une suite favorable à la demande de Monsieur A, aucune position définitive n’a été prise par le ministre quant aux modalités concrètes de cet accord, celui-ci ayant laissé ouverte sa position dans l’attente de l’analyse des pièces à communiquer.

Le courrier du 24 août 2020 n’est ainsi pas à qualifier de décision définitive dans la procédure engagée par le demandeur, mais doit s’analyser en une simple mesure d’instruction visant à obtenir les informations nécessaires pour pouvoir instruire utilement la demande d’abattage telle que soumise au ministre et prendre une décision qui elle seule sera susceptible de recours.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’indication des voies de recours figurant au courrier litigieux, alors que la simple indication erronée dans un courrier d’une autorité administrative de voies de recours ne saurait créer un droit ni conférer un quelconque caractère décisionnel à l’acte en question7.

Il s’ensuit que les recours principal en réformation et subsidiaire en annulation tel qu’introduits par Monsieur A contre le courrier du 24 août 2020 sont à déclarer irrecevables pour être dirigés contre un acte qui n’est pas à qualifier de décision administrative de nature à faire grief.

Eu égard à l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 4.500.- euros telle que formulée par le demandeur sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.

7 Trib. adm., 19 juin 2018, n°39513 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Actes administratifs, n°67.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée Monsieur A ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi délibéré par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Carine Reinesch, juge, et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2022 par le vice-président en présence du greffier Luana Poiani.

s. Poiani s. Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mars 2022 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 45227
Date de la décision : 14/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-14;45227 ?

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