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14/03/2022 | LUXEMBOURG | N°44941

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2022, 44941


Tribunal administratif N° 44941 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 août 2020 1re chambre Audience publique du 14 mars 2022 Recours formé par Monsieur A et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44941 du rôle et déposée le 31 août 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

(1) Monsieur A, né le … à … (Syrie), de...

Tribunal administratif N° 44941 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 août 2020 1re chambre Audience publique du 14 mars 2022 Recours formé par Monsieur A et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44941 du rôle et déposée le 31 août 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

(1) Monsieur A, né le … à … (Syrie), demeurant à L-…, (2) son épouse, Madame B, née le … à …, les deux agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs :

- C, née le … à …, - D, née le … à …, - E, née le … à …, (3) Madame F, née le … à …, (4) Monsieur G, né le … à …, (5) Monsieur H, né le … à …, et (6) Monsieur I, né le … à …, tous de nationalité syrienne, les parties (2), (3), (4), (5) et (6) demeurant tous ensemble à … (Syrie), …, tendant à l’annulation (i) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 mars 2020 en ce qu’elle porte rejet de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame F et Messieurs G, H et I, (2) d’une décision du même ministre du 16 juin 2020 à la suite de l’introduction d’un recours gracieux en date du 8 juin 2020 et en ce qu’elle confirme la décision du 9 mars 2020 en ce qui concerne la demande de regroupement familial dans le chef de Madame F et Messieurs G, H et I, et (3) de la décision du même ministre du 20 juillet 2020 en ce qu’elle porte refus de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame B ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Vu la communication du 30 novembre 2021 de Maitre Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, marquant son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Laurent Thyes en sa plaidoirie à l’audience publique du 1er décembre 2021.

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En date du 17 juin 2019, Monsieur A introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 5 février 2020, notifiée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », lui accorda le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951.

Par courrier daté également du 5 février 2020, Monsieur A introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, une demande de regroupement familial au sens de l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », au profit de son épouse, Madame B, de ses trois enfants mineurs, C, D et E, de sa mère, Madame F et de ses trois frères, Monsieur I, Monsieur H et Monsieur G.

Par décision du 9 mars 2020, le ministre refusa de faire droit à cette demande en ce qui concerne la mère de Monsieur A et ses frères, tout en demandant des documents supplémentaires pour ce qui est de Madame B et des enfants mineurs. Cette décision repose sur la motivation suivante :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 6 février 2020.

I.

Demande de regroupement familial en faveur de l’épouse et des enfants de votre mandant Je tiens à vous informer que j’ai constaté quelques divergences concernant le mariage de votre mandant et son épouse. Selon leur « family book » daté du 18 novembre 2019 joint à la demande, ils se sont mariés en date du 1er février 2014 et le mariage a été enregistré en date du 4 août 2019.

Selon le « civil status record » de Madame B qui a été émis en date du 3 décembre 2019, elle serait « single » et vu le « family civil status record » des parents de votre mandant daté du 3 novembre 2019, leur enfant A serait aussi « single ».

2Je vous prie donc de bien vouloir me livrer des explications quant à ces divergences.

Par ailleurs, je tiens à vous informer que, si Monsieur et Madame AB se sont mariés en date du 1er février 2014, le mariage ne peut être reconnu au Grand-Duché de Luxembourg vu qu’il contrevient à l’ordre public international luxembourgeois étant donné que Madame B était mineure lors de son mariage.

Cependant, au cas où votre mandant a été marié en date du 1er février 2014, une autorisation de séjour pour des raisons privées peut être demandé dans le chef de son épouse sous condition de remplir toutes les conditions requises.

II.

Demande de regroupement familial en faveur de la mère et de la fratrie de votre mandant Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration « l’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ».

Or, il n’est pas prouvé que Madame F est à charge de votre mandant, qu’elle est privée du soutien familial dans son pays d’origine et qu’elle ne peut pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens.

Par ailleurs, votre mandant a mentionné et certifié exact lors de son entretien dans le cadre de sa demande de protection internationale qu’il a encore d’autres frères et sœurs, ce qui a été prouvé par le « family civil status records » joint à votre demande. La mère de votre mandante n’est en conséquence pas privée du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.

Concernant la demande de regroupement familial en faveur des enfants I, H et G, je tiens à vous informer que le regroupement familial de la fratrie n’est pas prévu à l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Par ailleurs, Madame F, Monsieur I, Monsieur H et Monsieur G ne remplissent aucune condition afin de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L’autorisation de séjour leur est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par courrier du 8 juin 2020, Monsieur A introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 9 mars 2020.

3Par décision du 16 juin 2020, le ministre prit position dans les termes suivants :

« (…) J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 8 juin 2020.

I. Demande de regroupement familial en faveur de l’épouse et des enfants de votre mandant Il y a tout d’abord lieu de soulever que contrairement à vos dires une autorisation de séjour au sens de l’article 69 n’a pas été refusée à l’épouse et aux enfants de votre mandant, mais des explications quant au mariage ont été demandées. Veuillez noter qu’une enquête administrative afin de vérifier la validité de l’acte de mariage de Monsieur A et de Madame B est actuellement en cours.

II. Demande de regroupement familial en faveur de la mère et de la fratrie de votre mandant Je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 9 mars 2020 en ce qu’elle refuse une autorisation de séjour à Madame F, Monsieur I, Monsieur H et Monsieur G. (…) ».

Par courrier du 13 juillet 2020, Monsieur A transmit de nouvelles pièces au ministre.

Par décision du 20 juillet 2020, le ministre refusa la demande de regroupement familial dans le chef de Madame B aux termes de la motivation suivante :

« (…) I. Demande de regroupement familial en faveur de l’épouse de votre mandant Je me permets de revenir à mon courrier du 16 juin 2020 par le biais duquel je vous ai informé qu’une enquête administrative afin de vérifier la validité de l’acte de mariage de Monsieur A et de Madame B serait en cours.

Je tiens à vous informer qu’un avis du Substitut Principal auprès du Parquet du Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg a été sollicité. Je vous prie de bien vouloir trouver en annexe ledit avis du 3 juillet 2020 m’informant que le mariage ne peut être reconnu.

Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Or, le mariage n’étant pas reconnu, Monsieur A et Madame B ne sont pas mariés et il n’existe donc pas de lien familial entre eux.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

La présente décision est susceptible de faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif. La requête doit être déposée par un avocat à la Cour dans un délai de 3 mois à 4partir de la notification de la présente décision.

Cependant, comme déjà soulevé dans mon courrier du 9 mars 2020, je suis disposé à considérer l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée à condition de me faire parvenir un engagement de prise en charge en bonne et due forme souscrit par votre mandant en faveur de Madame B ainsi que la preuve qu’il dispose d’un logement approprié sur le territoire luxembourgeoise et l’accord écrit, accompagné d’une pièce d’identité à y loger Madame B.

II.Demande de regroupement familial en faveur des enfants de votre mandant Avant tout progrès en cause et sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la prise de décision, je vous prie de bien vouloir me faire parvenir l’original ou une copie certifiée conforme d’un jugement de droit de garde octroyant la garde des enfants mineurs à votre mandant où une autorisation notariée de la mère marquant son accord que les enfants puissent établi leur résidence auprès de leur père au Luxembourg au cas où votre mandant n’est pas en mesure de me faire parvenir les documents requis pour l’obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons privées en faveur de Madame J. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 août 2020, Monsieur A, son épouse, Madame B, les deux agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs C, D et E, ainsi que Madame F, Monsieur G, Monsieur H et Monsieur I, ont fait introduire un recours tendant à l’annulation (i) de la décision du ministre du 9 mars 2020 en ce qu’elle porte rejet de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame F et Messieurs G, H et I, (ii) de la décision du même ministre du 16 juin 2020 à la suite de l’introduction d’un recours gracieux en date du 8 juin 2020 et en ce qu’elle confirme la décision du 9 mars 2020 en ce qui concerne la demande de regroupement familial dans le chef de Madame F et Messieurs G, H et I, et (iii) de la décision du même ministre du 20 juillet 2020 en ce qu’elle porte refus de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame B.

A la suite de l’introduction du présent recours, par courrier du 2 octobre 2020, le ministre prit la décision suivante :

« (…) Après avoir procédé au réexamen du dossier de votre mandant, je tiens à vous informer qu’un Visa D d’une validité de 6 mois a été accordé à Madame B.

Je vous prie dès lors de l’informer de bien vouloir se présenter auprès de la représentation diplomatique ou consulaire du Luxembourg de son pays d’origine muni de l’original de la présente afin de solliciter la délivrance d’un Visa D.

Concernant la demande de regroupement familial en faveur des enfants de votre mandant, je vous prie de bien vouloir trouver en annexe les autorisations de séjour temporaire. (…) ».

5Dans la mesure où aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus de regroupement familial, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit contre les décisions ministérielles déférées.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour défaut d’objet et d’intérêt à agir en ce qu’il tend à l’annulation des décisions précitées en ce qui concerne leur volet visant la demande de regroupement familial dans le chef de Madame B et des enfants mineurs C, D et E.

Les demandeurs n’ont pas pris position quant à ce moyen d’irrecevabilité.

La recevabilité d’un recours est en principe conditionnée par l’existence et la subsistance d’un objet qui s’apprécie sur la période allant de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement. Si, suite à l’introduction du recours, l’acte dont l’annulation ou la réformation est recherchée par le dépôt du recours disparaît, le recours devient sans objet, le demandeur n’ayant par ailleurs a priori et sauf circonstances particulières, plus aucun intérêt à poursuivre un recours contre un acte inexistant qui, par définition, ne lui fait plus grief.

En l’espèce, il se dégage du dossier administratif et tel que cela a été relevé ci-avant, que le ministre a fait droit par décision du 2 octobre 2020 à la demande visant le regroupement familial dans le chef de Madame B et des trois enfants mineurs C, D et E.

Il s’ensuit que le recours a perdu son objet en cours d’instance et est partant à rejeter pour défaut d’objet en ce qu’il tend à l’annulation des décisions précitées en ce qu'elles visent la demande de regroupement familial dans le chef de Madame B et des enfants mineurs C, D et E.

Le tribunal n’analysera dès lors pas les moyens développés par les demandeurs dans le contexte de cette demande y compris la question préjudicielle formulée par les demandeurs à poser à la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE ».

Le recours en annulation est recevable pour le surplus pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire, en ce qui concerne la demande de communication du dossier administratif formulée au dispositif de la requête introductive d’instance, force est de constater que concomitamment à son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a versé au greffe du tribunal administratif une copie du dossier administratif et que les demandeurs n’ont pas fait état d’éléments qui leur feraient défaut ni d’éléments qui leur permettraient d’affirmer qu’ils n’auraient pas eu communication de l’intégralité du dossier administratif à la base du présent litige, de sorte que cette demande est à rejeter pour défaut d’objet.

Toujours à titre liminaire, de l’entendement du tribunal, le recours vise le seul refus de regroupement familial contenu dans les trois courriers déférés sans viser les demandes de renseignements contenues dans ces mêmes actes.

A l’appui de leur recours, après avoir rappelé les faits et rétroactes de l’affaire, tel qu’ils ont été relevé ci-avant, les demandeurs soutiennent que Monsieur A serait le seul à supporter 6financièrement sa famille et qu’avant de quitter son pays d’origine, il aurait laissé toutes ses économies à sa famille et aurait vendu toute la marchandise de son magasin en confiant l’argent et le magasin à sa famille.

Si les demandeurs ne contestent pas que Madame F a d’autres enfants en Syrie que ses trois fils I, H et I, il n’en resterait pas moins que ses filles K, L, M et N seraient toutes mariées et femmes au foyer, de sorte qu'elles ne seraient pas en mesure d'aider financièrement leur mère et leur fratrie. Monsieur I ne pourrait actuellement pas travailler, alors qu’il aurait un handicap au niveau de sa jambe, Monsieur H, de son côté, se trouverait en Turquie et G serait encore mineur.

Les demandeurs font valoir que Madame F serait veuve et aurait vécu avec Monsieur A ainsi que son fils I souffrant d'un handicap suite à un bombardement aérien et avec G, qui serait encore mineur.

Il y aurait dès lors lieu d’annuler les décisions ministérielles pour mauvaise appréciation des faits, abus de pouvoir, et violation de la loi, alors que Madame F et Messieurs I, H et G resteraient privés de tout autre soutien familial.

Aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au moment de la prise des décisions déférées, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes:

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

Aux termes de l’article 70, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 , « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

7b) le partenaire (…) ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans du regroupant (…) ».

Le paragraphe (5) de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 dispose, quant à lui, que : « (5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

(…) a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine (…) ».

Les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent dès lors les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 concerne les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille, susceptible de faire l’objet d’un regroupement familial.

Il ressort encore de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille, tel que défini à l’article 70 de la même loi, dans un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du premier paragraphe de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-

même et pour les membres de sa famille.

En l’espèce, il s’ensuit que dans la mesure où Monsieur A a obtenu le statut de réfugié par décision du 5 février 2020 et qu’il a introduit sa demande de regroupement familial à la même date, soit moins de trois mois après avoir obtenu le statut de réfugié, il ne doit pas remplir les conditions prévues à l’article 69, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008, énoncées ci-

avant.

Le tribunal constate que le volet de la demande de regroupement familial formulée par Monsieur A par rapport auquel il n’a pas obtenu satisfaction, vise, d’une part, sa mère et, d’autre part, ses frères restés en Syrie.

Force est de constater que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne vise pas la fratrie au titre de membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg2, de sorte que les moyens et arguments afférents laissent d’être fondés et sont à écarter.

Le refus du ministre pour autant qu’il vise les frères de Monsieur A est dès lors pas sujet à critique.

2 Cour adm., 29 novembre 2018, n° 41394C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

8Il s’ensuit que la seule question qui reste encore litigieuse en l’espèce est celle de savoir si les conditions figurant au point a) du cinquième paragraphe de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 sont remplies en l’espèce, à savoir que la mère de Monsieur A, l’ascendant direct qui figure parmi les membres de famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg aux termes de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, est à charge du regroupant et qu’elle est privée du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.

En ce qui concerne la première des deux conditions inscrites à l’article 70 de la loi du 29 août 2008, le tribunal considère que si le ministre dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, il n’est pas moins obligé de respecter le principe général de proportionnalité et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire n’échappe pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire.

L’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 se limitant à imposer que l’ascendant y visé soit « à charge » du regroupant, sans autrement préciser la portée exacte de cette notion que ce soit quant au degré de dépendance financière requis ou encore quant à l’époque à laquelle l’intéressé doit être à charge, il est utile, afin d’interpréter la notion d’ascendant « à charge », de relever qu’il appert à la lecture des documents parlementaires relatifs à l’élaboration de la loi du 29 août 2008 et, plus particulièrement, du commentaire de l’article 12 de cette loi concernant le regroupement familial avec un ressortissant communautaire3 que les auteurs de la loi ont entendu par « être à charge », « le fait pour le membre de la famille (…) de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant (…). La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1/05). ».

Il convient d’en dégager que la notion d’« être à charge » est essentiellement à entendre dans le sens d’un besoin de soutien matériel, émanant du regroupant, nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels du bénéficiaire dans son pays de provenance.

La deuxième condition encore posée par l’article 70 de la loi du 29 août 2008 rajoute qu’au-

delà de la prise en charge par le regroupant déclaré, le bénéficiaire doit encore se trouver sans possibilité concrète de trouver un soutien familial adéquat au sein même de son pays d’origine.

En d’autres termes, il se dégage de la combinaison de ces deux conditions que les conditions légales d’un regroupement familial ne sont données que par la preuve de l’existence d’une situation de dépendance économique effective vis-à-vis du regroupant, charge dont la preuve appartient en l’espèce à Monsieur A.

Or, cette preuve n’a pas été rapportée dans le cas d’espèce.

3 Doc. parl. n° 5802, commentaire des articles, p. 61 9En effet, Monsieur A n’établit pas qu’au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial, Madame F se serait personnellement trouvée dans un lien de dépendance financière à l’égard de lui à un tel point que sans ce soutien matériel, elle ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels dans son pays d’origine. En effet, s’il est vrai que la situation sécuritaire en Syrie reste préoccupante, à part l’affirmation du demandeur selon laquelle « J’avais un petit supermarket dans lequel je travaillais. J’ai vendu la marchandise qui était dedans et je leur ai laissé l’argent. Après mon départ, je leur ai lassé le supermarket. Ils n’ont pas su travailler dedans et ils ont arrêté. »4 et le certificat établi par les autorités syriennes en date du 16 décembre 2019 selon lequel il « is the only breadwinner and supporter for his family which consists of six members because his father is dead », indiquant expressément avoir été établi « to facilitate the procedures of A’s reunion family », Monsieur A reste en défaut de rapporter concrètement et matériellement la preuve que par le passé il a fait parvenir à sa mère un quelconque soutien matériel lui permettant de subvenir à ses besoins essentiels en Syrie.

La première des deux conditions cumulatives de l’article 70, précité, ne se trouvant partant pas remplie en l’espèce, il devient surabondant d’examiner la deuxième condition quant au soutien familial auquel la mère du demandeur peut prétendre dans son pays d’origine.

Ainsi, le demandeur n’est pas fondé, en l’état actuel d’instruction du dossier, à mettre en cause la décision du ministre de lui refuser le regroupement familial dans le chef de sa mère, le ministre ayant valablement pu rejeter cette demande basée sur les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

Il suit de tout ce qui précède que le recours est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

rejette le recours en annulation pour défaut d’objet en ce qu’il concerne la demande de regroupement familial dans le chef de Madame B et des enfants mineurs C, D et E ;

rejette la demande de communication du dossier administratif ;

le déclare recevable pour le surplus ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

4 Rapport d’audition du demandeur du 5 août 2019, p. 6.

10Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mars 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 44941
Date de la décision : 14/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-14;44941 ?

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