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14/03/2022 | LUXEMBOURG | N°41737

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mars 2022, 41737


Tribunal administratif Numéro 41737 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2018 1re chambre Audience publique du 14 mars 2022 Recours formé par la société d’investissement à capital variable A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41737 du rôle et déposée le 21 septembre 2018 au greffe du tribunal administratif par la soc

iété en commandite simple Bonn Steichen & Partners, établie et ayant son siège social à L-2...

Tribunal administratif Numéro 41737 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2018 1re chambre Audience publique du 14 mars 2022 Recours formé par la société d’investissement à capital variable A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41737 du rôle et déposée le 21 septembre 2018 au greffe du tribunal administratif par la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners, établie et ayant son siège social à L-2370 Howald, 2, rue Peternelchen, Immeuble C2, représentée par son gérant commandité actuellement en fonctions, inscrite à la liste V du tableau de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée par Maître Fabio Trevisan, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société d’investissement à capital variable A, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision d’injonction du 20 août 2018 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2019 par Maître Fabio Trevisan pour compte de la société d’investissement à capital variable A, préqualifiée ;

Vu l’avis du tribunal du 31 janvier 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pol Mellina, en remplacement de Maître Fabio Trevisan, et Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia entendu en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 février 2022.

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1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » Par courrier du 20 août 2018, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la société A, ci-après désignée par « la société A », de lui fournir pour le 24 septembre 2018 au plus tard, certains renseignements concernant Monsieur B en tant que personne physique visée et la société anonyme C ayant son siège social à … en tant que personne morale visée, ladite injonction étant libellée comme suit :

« […] En date du 13 mars 2018, l'autorité compétente de l'administration fiscale française nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et exclu l'absence de pertinence vraisemblable.

La personne physique concernée par la demande est Monsieur B, né le … à … et ayant son adresse au F-…, France.

La personne morale concernée par la demande est la société C, ayant eu son siège social au L-…, Luxembourg.

Considérant que la société liquidée C servait de conseiller en investissements à A, je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2009, les renseignements et documents suivants pour le 24 septembre 2018 au plus tard.

 Veuillez indiquer le nom du conseiller fiscal/comptable fiscaliste de la société C  Veuillez indiquer la nature exacte de l'activité exercée par la société C  Veuillez indiquer les moyens dont disposait la société C pour exercer son activité, soit les locaux utilisés, les matériels utilisés, les moyens humains et notamment le nombre de personnel utilisé et leur fonction.

 Veuillez indiquer les principaux clients de la société C et les principaux fournisseurs.

 Veuillez indiquer si Monsieur B disposait d'une procuration sur les comptes bancaires de la société C et s'il en est le bénéficiaire économique.

 Veuillez fournir des copies de tous les documents pertinents pour les points cités plus haut, y compris :

o Les procès-verbaux d'assemblée générale de la société C ;

o La copie du contrat de bail ou de domiciliation de la société C ;

o La copie des comptes clients et fournisseurs de la société C.

 Veuillez nous informer si Monsieur B était salarié de la société C  Veuillez indiquer où l'emploi a été exercé et veuillez préciser l'adresse de l'emploi.

 Veuillez indiquer les montants de revenus d'emploi perçus par Monsieur B chaque année concernée et veuillez préciser la devise du (des) paiements.

 Veuillez indiquer le montant de l'impôt sur le revenus acquitté au cours de chaque année considérée et veuillez préciser la devise.

 Veuillez fournir le détail et la valeur des avantages de toute nature et des remboursements de dépenses propres à l'employeur et veuillez préciser la devise.

 Veuillez indiquer tout autre revenu reçu connu et le cas échéant, les impôts payés par Monsieur B.

 Dans la mesure où Monsieur B a perçu des salaires de la société C, veuillez nous préciser la nature des activités exercées par Monsieur B.

 Veuillez fournir les copies du contrat de travail et bulletins de salaires et de tout document concernant les modalités de rémunération (montant, date et modalité de paiement).

 Veuillez nous fournir tous les contrats conclus entre Monsieur B et la société C Plus particulièrement :

o Les transactions de … EUR, … EUR, … EUR et …, respectivement en 2006, 2007, 2008 et 2009, sur le compte … de la banque …, ont-ils réellement été conclus entre Monsieur B et la société C ? o Dans quels comptes de la comptabilité de Monsieur B et de la société C ont été enregistrées les transactions de … EUR, … EUR, … EUR et …, respectivement en 2006, 2007, 2008 et 2009, sur le compte … de la banque ….

o Veuillez nous informer si Monsieur B et la société C ont effectué d'autres transactions à part ceux cités plus-haut.

o Veuillez mentionner les personnes ayant signé le contrat.

o Veuillez nous informer si Monsieur B et la société C sont des parties associées.

o Veuillez indiquer le détail de tous les contrats, conventions impliquant directement ou indirectement Monsieur B.

o Veuillez indiquer si Monsieur B disposait d'un compte courant, compte client ou d'un compte fournisseur dans la société C Dans l'affirmative, veuillez nous produire une copie de ce(s) compte(s).

o Veuillez fournir tous les documents pertinents mentionnés plus haut, y compris :

 Les copies des contrats,  Les copies des écritures comptables et paiements,  Les copies de tous les contrats, conventions, avenant signés pa[r] Monsieur B ou pour son compte.

 Veuillez nous informer si la société C la versé les sommes de … EUR, … EUR, … EUR et …, respectivement en 2006, 2007, 2008 et 2009 à Monsieur B. Plus particulièrement :

o Veuillez indiquer s'il existe un contrat entre Monsieur B et la société C o Quel(s) est (sont) le(s) montant(s) payé(s) et reste-t-il des sommes dues ? Veuillez préciser la devise.

o Veuillez indiquer comment le(s) paiement(s) a-t-il (ont-t-il) été effectué(s).

o Veuillez indiquer qui a réellement effectué le(s) paiement(s).

o Veuillez indiquer qui a autorisé le(s) paiement(s).

o Veuillez indiquer tous les paiements, remboursements (de frais…) effectués par la société C au profit de Monsieur B ainsi que les modalités de paiement (date, banque, compte, titulaire) et le nom des personnes ayant autorisé le paiement.

o Veuillez nous indiquer si le boni de liquidation suite à la cession de la société C a été versé aux actionnaires de la société C, soit D et Madame E.

Dans la négative, veuillez nous produire le nom de la personne physique ou morale ayant été bénéficiaire du boni de liquidation et plus précisément si Monsieur B a lors de la liquidation de la société perçu directement ou indirectement (au travers d'une société qu'il détiendrait directement ou indirectement) tout ou partie du boni de liquidation ainsi que les modalités de versement (date, bénéficiaire, compte bancaire, montant).

o Veuillez fournir toutes pièces comptables justifiant tous les versements effectués au profit de Monsieur B, ainsi que toutes écritures comptables de clôture de la société et du versement du boni de liquidation.

 Veuillez fournir les détails des immobilisations incorporelles détenues par la société C Plus particulièrement :

o Veuillez indiquer quel était la date et le prix d'acquisition.

o Veuillez indiquer comment l'investissement a été financé.

o Veuillez indiquer si le rendement sur l'investissement et/ou le prix de vente obtenu sont payés à d'autres personnes que les bénéficiaires d'investissement.

o Veuillez nous produire le détail des immobilisations financières détenues par la société luxembourgeoise.

o Veuillez nous fournir le détail du compte immobilisations financières ainsi que toutes les acquisitions et cessions sur la période concernée.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Conformément à l'article 6 de la loi du 25 novembre 2014 précitée, aucun recours ne peut être introduit à l'encontre de la présente décision d'injonction. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2018, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de ladite décision du 20 août 2018 prise par le directeur.

1) Quant à la recevabilité des recours principal en réformation et subsidiaire en annulation Arguments des parties En ce qui concerne la recevabilité de son recours, la société A estime, suivant sa requête introductive d’instance, pouvoir bénéficier, en dépit de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après la « loi du 25 novembre 2014 », entretemps modifiée mais ayant, en sa version en vigueur au moment de la prise de la décision litigieuse, exclu toute voie de recours contre une décision d’injonction, d’une voie de recours contre la décision d’injonction déférée, en se prévalant (i) de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte », (ii) des enseignements à tirer d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », du 16 mai 20172, ci-après « l’arrêt Berlioz », (iii) de l’application qui en a été faite par la jurisprudence des juridictions administratives et plus particulièrement dans un jugement du tribunal administratif du 26 juin 2018, inscrit sous le numéro 39886 du rôle, et (iv) de la modification apportée à l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 suivant le projet de loi numéro 7223.

Dans sa réponse, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours.

A l’audience des plaidoiries, les parties ont discuté sur les enseignements à tirer de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 20203 - en l’attente duquel la présente affaire a été tenue en suspens sur demande conjointe des parties à l’instance - et de deux arrêts de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrits sous les numéros 41487C et 41486C du rôle, cette question ayant par ailleurs été soulevée par le tribunal suivant avis du 31 janvier 2022 ainsi qu’à l’audience des plaidoiries.

Le litismandataire de la société A a estimé que sur base des principes retenus par la CJUE dans son arrêt du 6 octobre 2020, le recours introduit par elle devrait être déclaré 2 CJUE (grande chambre) du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. Etat luxembourgeois, C-682/15.

3 CJUE (grande chambre) du 6 octobre 2020, B e. a. c. Etat luxembourgeois, affaires jointes C-245/19 et C 246/19.

recevable, tandis que le délégué du gouvernement a expliqué les considérations à la base des contestations de l’Etat de la recevabilité du recours telles que développées dans son mémoire en réponse, qui se seraient justifiés devant le contexte de l’époque, mais qui ne seraient plus d’actualité au regard de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 intervenu entretemps.

Analyse du tribunal A titre liminaire, le tribunal constate que la demande d’échange de renseignements des autorités françaises est exclusivement basée sur la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après désignée par « la directive 2011/16/UE », transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, tandis que la décision d’injonction du 20 août 2018, quant à elle, est fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

Le tribunal relève ensuite qu’en date du 5 mars 2019 a été publiée au Mémorial A, N°112, la loi du 1er mars 2019, modifiant la loi du 25 novembre 2014 avec effet au 9 mars 2019, en ce qu’elle prévoit notamment la possibilité de l’introduction d’un recours en annulation contre la décision d’injonction par le détenteur des renseignements dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés, tandis que dans sa version précédente, la loi du 25 novembre 2014 prévoyait qu’« aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction visées à l’article 3, paragraphes 1er et 3. ».

La loi du 1er mars 2019 a été publiée au Mémorial en date du 5 mars 2019 avec prise d’effet au 9 mars 2019, sans prévoir de dispositions transitoires relatives aux questions de compétence et de procédure ou quant aux voies de recours.

Une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été prise. En résumé, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée4.

En l’espèce, la décision déférée a été prise le 15 janvier 2019, soit avant l’entrée en vigueur de la loi du 1er mars 2019. Ainsi, à défaut par le législateur d’en avoir autrement disposé, l’existence et la nature des recours ouverts en l’espèce sont régies par la loi du 25 novembre 2014, telle que publiée au Mémorial A, N° 214, en date du 27 novembre 2014 sans prendre en compte la modification intervenue postérieurement à travers la loi du 1er mars 2019, entrée en vigueur le 9 mars 2019.

L’article 3, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, dispose que : « Si l’administration fiscale compétente ne détient pas les renseignements demandés, le directeur de l’administration fiscale compétente ou son délégué notifie par lettre recommandée adressée au détenteur des renseignements sa décision portant injonction de fournir les renseignements demandés. La 4 Trib. adm., 8 janvier 2016, n° 37265 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Lois et Règlements, n° 101 et les autres références y citées.

notification de la décision au détenteur des renseignements demandés vaut notification à toute autre personne y visée. ».

L’article 5, paragraphe (1) de la même loi, également dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, dispose que : « Si les renseignements demandés ne sont pas fournis endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés, une amende administrative fiscale d’un maximum de 250.000 euros peut être infligée au détenteur des renseignements.

[…] ».

L’article 6 de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, dispose encore qu’« (1) Aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction visées à l’article 3, paragraphes 1er et 3.

(2) Contre les décisions visées à l’article 5, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. […] ».

L’article 6, paragraphe (1), précité, de la loi du 25 novembre 2014 exclut donc formellement l’exercice d’un recours juridictionnel à l’encontre d’une décision d’injonction, de sorte que les recours principal en réformation et subsidiaire en annulation sont a priori irrecevables.

En ce qui concerne toutefois la question de la compatibilité de cette exclusion avec l’article 47 de la Charte, invoquée par la société A, il convient de se référer aux enseignements à tirer de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020. En effet, dans cet arrêt la CJUE s’est penchée sur la question de la compatibilité de l’exclusion d’un recours contre la décision d’injonction avec l’article 47 de la Charte dans l’hypothèse où cette exclusion vise le détenteur des informations sollicitées, le contribuable visé, respectivement un tiers intéressé, alors que dans l’affaire Berlioz, citée par la société A dans sa requête introductive d’instance, la CJUE avait statué par rapport à une situation factuelle et légale différente, à savoir celle où un recours contentieux avait été introduit par le détenteur de renseignements seulement à un second stade de la procédure d’échange de renseignements dans l’Etat requis à l’encontre d’une décision lui infligeant une sanction administrative pour ne pas s’être conformé à la décision d’injonction lui adressée antérieurement et non pas, à un premier stade contre la décision d’injonction elle-même en raison de l’exclusion formelle d’un recours direct contre la décision d’injonction par la loi du 25 novembre 2014. En l’espèce, la société A entend justement former un recours contentieux directement contre l’acte formel pris au premier stade de la procédure d’échange de renseignements dans l’Etat requis, à savoir contre la décision d’injonction.

Dans son arrêt du 6 octobre 2020, la CJUE a distingué suivant que le recours est exercé par le détenteur des informations auquel l’injonction est adressée, d’une part, et le contribuable visé et un tiers intéressé, d’autre part, et a estimé que l’exclusion de tout recours contre la décision d’injonction se heurte à l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec les articles 7 et 8 de la Charte, et à l’article 51, paragraphe (1) de la Charte, en ce qu’elle vise la personne détentrice des informations à laquelle la décision d’injonction est adressée, mais ne s’y heurte pas en ce qu’elle vise le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction, voire les tiers intéressés par les informations.

En ce qui concerne plus spécifiquement le destinataire de la décision d’injonction, la CJUE a reconnu en substance que le détenteur des informations auquel l’injonction est adressée peut se prévaloir du principe général du droit de l’Union européenne de la protection des personnes, tant physiques que morales, contre des interventions de la puissance publique dans leur sphère d’activité privée, qui seraient arbitraires ou disproportionnées et qu’il doit se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celle en cause au principal5. Après avoir relevé que les Etats membres peuvent limiter l’exercice du droit à un recours effectif, à condition de respecter les exigences prévues par l’article 52, paragraphe (1) de la Charte6, elle a encore précisé que le contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte - contenu essentiel que toute limitation y apportée doit respecter - inclut, entre autres éléments, celui consistant, pour la personne titulaire de ce droit, à pouvoir accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits que le droit de l’Union européenne lui garantit. Elle a en outre relevé que pour accéder à un tel tribunal, cette personne ne saurait être contrainte d’enfreindre une règle ou une obligation juridique et de s’exposer à la sanction attachée à cette infraction7. Après avoir constaté qu’au vœu de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014, dans sa teneur initiale, correspondant à celle applicable aussi au présent litige, un détenteur de renseignements s’étant vu adresser une décision d’injonction de communication d’informations qui serait arbitraire ou disproportionnée ne peut pas accéder à un tribunal, à moins d’enfreindre cette décision en refusant d’obtempérer à l’injonction qu’elle comporte et de s’exposer, ainsi, à la sanction attachée au non-respect de celle-ci, la CJUE a conclu qu’un détenteur de renseignements ne peut pas être regardé comme jouissant d’une protection juridictionnelle effective par l’effet de cette disposition8.

En conséquence, la CJUE a dit pour droit que « l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu conjointement avec les articles 7 et 8 ainsi qu’avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens : – qu’il s’oppose à ce que la législation d’un État membre mettant en œuvre la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE, telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014, exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente de cet État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, puisse faire l’objet d’un recours formé par une telle personne ».

En l’espèce, si la société A conteste certes disposer des renseignements demandés, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas contesté qu’elle est le destinataire de la décision d’injonction et que celle-ci lui a été adressée exclusivement en tant que détenteur potentiel des renseignements demandés et non pas en tant que contribuable visé et qu’en tant que tel, elle se voit imposer une obligation de faire suite à cette décision et plus loin, à défaut d’y 5 Considérants n° 57 à 59.

6 « Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. » 7 Considérant n° 66.

8 Considérant n° 68.

obtempérer, court le risque de se voir infliger les sanctions prévues par l’article 5, précité, de la loi du 25 novembre 2014.

La situation de la société A correspond dès lors à celle envisagée par la CJUE dans son arrêt du 6 octobre 2020 à propos du détenteur des informations auquel une décision d’injonction est adressée, celui-ci n’ayant pas d’autre possibilité, pour faire valoir son droit à un recours effectif, que de provoquer une sanction en ne répondant pas à la décision d’injonction, ce qui est constitutif d’une violation du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte.

Or, suivant les enseignements de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, le recours judiciaire n’est plus effectif si l’intéressé ne peut l’exercer qu’en violant une obligation s’imposant à lui et en s’exposant à une sanction.

Conformément au principe de la primauté du droit de l’Union européenne, les dispositions des traités de l’Union européenne et des actes des institutions de l’Union directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, de rendre inapplicable de plein droit toute disposition contraire de la législation nationale existante9. Par voie de conséquence, le juge administratif luxembourgeois, en sa qualité de « juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure »10. Il lui incombe également « d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l’effet direct des dispositions du droit communautaire »11.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, le tribunal est tenu de faire abstraction de la disposition de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version originale applicable en l’espèce et excluant tout recours contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction, par rapport à la situation de la société A en tant que détenteur - du moins potentiel- de renseignements s’étant vu adresser une décision d’injonction sur base d’une procédure d’échange de renseignements régie par la directive 2011/16/UE et d’assurer à celle-ci le plein exercice de son droit d’accéder à un recours juridictionnel effectif lui garanti par l’article 47 de la Charte à l’égard de la décision d’injonction litigieuse.

Le tribunal est dès lors amené à laisser inappliquées les limitations procédurales prévues par ledit article 6 de la loi du 25 novembre 2014 au profit de la voie de recours de droit commun prévue par l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif12, ci-après la « loi du 7 novembre 1996 », qui dispose qu’un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

Etant donné que l’article 3 de la même loi limite la voie du recours en réformation aux seules hypothèses où « les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif » 9 CJUE 15 juillet 1964, Flaminio Costa, aff. C-6/64.

10 CJUE 9 mars 1978, Simmenthal, aff. C-106/77.

11 CJUE 19 juin 1990, Factortame, aff. C-231/89.

12 En ce sens cf. considérant n° 21 de l’arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, n° 41486Ca du rôle.

pour connaître d’un tel recours et qu’en l’espèce, aucune telle loi spéciale n’existe, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Le recours subsidiaire en annulation en revanche à déclarer recevable, ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

2) Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours, la demanderesse se prévaut d’un moyen unique, à savoir d’une contestation de sa qualité de détenteur des renseignements demandés. A cet égard, elle souligne qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 25 novembre 2014, le champ d’application personnel de cette disposition serait clairement limité dans la mesure où l’administration ne disposerait de la prérogative de demander des renseignements que vis-à-vis d’un détenteur de renseignements, tout en se référant à l’avis du Conseil d’Etat par rapport au projet à la base de la loi du 25 novembre 2014.

Ainsi, la demanderesse fait valoir que si la décision lui avait été adressée par référence à une demande émanant des autorités fiscales françaises, il n’en resterait pas moins que l’ensemble des renseignements requis auraient trait à la vie sociale, aux documents comptables et contractuels d'une personne morale différente, à savoir la société anonyme C.

Or, comme il s’agirait de documents et/ou d’informations ne lui appartenant pas et ne l’impliquant pas non plus, elle-même ne serait pas à considérer comme « détenteur de renseignements » au sens de la loi.

Dans sa réponse, le délégué du gouvernement décrit la finalité poursuivie par la demande d’échange de renseignements des autorités françaises, en expliquant que l’administration fiscale française aurait entamé le contrôle de Monsieur B, qui serait résident fiscal français pour les années 2006 à 2009.

Le contribuable visé aurait, dans le cadre d’un dossier de régularisation de sa situation fiscale pour la période 2006-2009, déclaré des revenus correspondant, selon lui, à des distributions de la société anonyme C, en l’occurrence des versements en espèces versées depuis le compte bancaire de la société C et encaissées sur son compte bancaire luxembourgeois non déclaré. A défaut de justificatifs quant à l’origine et à la nature de ces sommes, un lien juridique entre la société C et Monsieur B n’ayant pu être vérifié, l’administration fiscale française s’interrogerait sur la nature des sommes ainsi versées et sur les liens existant entre Monsieur B et la société luxembourgeoise C. L’administration fiscale française s’interrogerait encore sur la nature de l’activité exercée par la société luxembourgeoise et sur les moyens dont elle dispose pour exercer cette activité. Les renseignements demandés seraient ainsi nécessaires à l’administration fiscale française pour corroborer les déclarations du contribuable quant à l’origine, la nature et le montant des sommes déclarées.

Par ailleurs, le délégué du gouvernement donne à considérer que la décision d’jonction se fonderait sur une demande suffisamment motivée des autorités fiscales requérantes portant sur des informations qui n’apparaîtraient, de manière manifeste, pas être dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie.

Dans sa réplique, la demanderesse reproche au délégué de s’être focalisé sur la condition relative à la pertinence vraisemblable des renseignements demandés - qui ne ferait pas l’objet de contestation -, mais de ne pas avoir pris position par rapport à la question centrale soulevée par elle, à savoir celle de savoir si elle peut être qualifiée de « détenteur de renseignements » au sens de la loi du 25 novembre 2018, au regard des renseignements qui lui sont demandés et qui concerneraient exclusivement la vie sociale d’une personne morale différente, à savoir la société anonyme C, la demanderesse se réservant pour le surplus le droit de solliciter l’autorisation de déposer un mémoire supplémentaire dans l’hypothèse où la partie étatique prendrait position dans une duplique par rapport à ce moyen.

Le délégué du gouvernement n’a pas déposé de mémoire en duplique.

A l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement a renvoyé à deux pièces produites par l’Etat, à savoir (i) une mention figurant dans une annexe au bilan au 31 octobre 2008 de la société anonyme C avec siège social à …, tel que déposé au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, et (ii) le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire de la société C ayant décidé la dissolution anticipée de cette société. Il a exposé oralement en substance que la décision d’injonction aurait été adressée à la demanderesse à défaut d’avoir pu être adressée à la société anonyme C, en liquidation depuis 2009 et au regard d’un lien exclusif entre cette société et la demanderesse qui se dégagerait de la mention précitée figurant à l’annexe précitée du bilan.

Le litismandataire de la demanderesse critique que celle-ci aurait dû introduire le présent recours afin de connaître la finalité fiscale et insiste dans ce contexte sur l’indemnité de procédure réclamée.

Par ailleurs, il affirme que la demanderesse ne disposerait pas des informations demandées et conteste tout lien patrimonial avec le groupe A.

Analyse du tribunal En ce qui concerne de prime abord le contrôle à opérer par le tribunal, il convient de relever que l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, en sa version en vigueur au moment de la prise de la décision d’injonction litigieuse, dispose que « L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements.

La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les Conventions et lois ».

Dans son arrêt Berlioz du 16 mai 2017, la CJUE a délimité le champ du contrôle à exercer par le juge compétent saisi dans l’Etat requis par rapport à la demande d’injonction en ce sens que « les limites applicables au contrôle de l’autorité requise s’imposent de la même manière au contrôle du juge » (point n° 85) et que « le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie »13.

13 Considérant n° 86.

Tel que cela a été relevé par la Cour administrative dans son arrêt du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41486Ca du rôle, la CJUE a rappelé dans son arrêt du 6 octobre 2020, affaires jointes C-245/19 et C-246/19, certains des principes déjà énoncés par elle dans l’arrêt Berlioz, dont notamment celui que si l’autorité requérante, qui est maîtresse de l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations, dispose d’une marge d’appréciation pour évaluer, selon les circonstances de l’affaire, la pertinence vraisemblable des informations demandées, elle ne saurait pour autant demander à l’autorité requise des informations ne présentant aucune pertinence pour cette enquête et que des renseignements sollicités à travers une demande d’échange d’informations de l’autorité requérante visant à faire effectuer une recherche d’informations « tous azimuts », telle que visée au considérant 9 de la directive 2011/16/UE14, ne sauraient, en tout état de cause, être considérés comme étant vraisemblablement pertinents au sens de l’article 1er, paragraphe 1 de la directive 2011/16/UE15.

La CJUE a ensuite rappelé que dans l’hypothèse du recours par le destinataire de la décision d’injonction, la juridiction compétente doit contrôler que la motivation de cette décision et de la demande sur laquelle celle-ci se fonde est suffisante pour établir que les informations en cause n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité du contribuable visé, à celle de la personne détenant ces informations et aux besoins de l’enquête en cause.

Au vu des principes énoncés par la CJUE dans son arrêt Berlioz et réitérés dans son arrêt du 6 octobre 2020 quant à la nécessité d’un contrôle du bien-fondé d’une décision d’injonction et de l’étendue de ce contrôle restreint, et tel que la Cour administrative l’a retenu dans son arrêt du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41486Ca du rôle, arrêts ayant été librement discutés par les parties à instance à l’audience des plaidoiries, le tribunal est amené à conclure que l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, précité, en sa version en vigueur au moment de la prise de la décision d’injonction litigieuse, n’était pas conforme aux articles 1er, paragraphe (1) et 5 de la directive 2011/16/UE ensemble avec l’article 47 de la Charte, de sorte qu’il doit en écarter l’application au vu du rang hiérarchique supérieur de ces normes de droit de l’Union européenne par rapport à la loi interne luxembourgeoise en ce qu’elle entend empêcher le directeur, en tant qu’autorité compétente de l’Etat requis, et à sa suite, le cas échéant, le juge administratif, de procéder à tout examen de la validité au fond d’une demande d’échange de renseignements lui adressée16.

Le tribunal relève ensuite que dans la mesure où les contestations de la demanderesse portent exclusivement sur sa qualité de détenteur des renseignements, le tribunal n’a pas à examiner la question de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés.

14 « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts » ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d’informations effectif ».

15 Arrêt de la Cour adm. du 12 janvier 2021, n° n° 41486Ca du rôle, considérant n° 35.

16 Arrêt de la Cour adm. du 12 janvier 2021, n° n° 41486Ca du rôle, considérant n° 40.

En ce qui concerne la qualité de détenteur des renseignements dans le chef de la demanderesse, force est de constater que l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, qui dispose que « les administrations fiscales sont autorisées à requérir les renseignements de toute nature qui sont demandés pour l'application de l'échange de renseignements tel que prévu par les Conventions et lois auprès du détenteur de ces renseignements », érige la qualité de tiers détenteur des renseignements sollicités en condition pour appliquer à l’égard d’une personne déterminée la procédure d’injonction prévue par l’article 3, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014.

Le tribunal relève ensuite qu’en tant que juge de l’annulation, il doit examiner la légalité de la décision attaquée au regard de la situation factuelle à la disposition du directeur au moment de la prise de la décision d’injonction, de sorte qu’il convient de vérifier si le directeur a commis, au regard des éléments à sa disposition ou qui auraient dû être à sa disposition, une erreur d’appréciation en adressant sa décision à la demanderesse17. Dans la négative, il n’y a pas lieu d’annuler la décision d’injonction, la seule conclusion qu’il convient d’en tirer étant que la demanderesse, si elle avait estimé que la décision d’injonction avait été adressée à une personne morale erronée, aurait dû en informer le directeur18. Ce n’est que si le directeur avait commis, au regard des éléments à sa disposition ou au regard de ceux qu’il aurait dû avoir à sa disposition, une erreur d’appréciation au niveau du destinataire de la décision d’injonction que celle-ci est à annuler.

En l’espèce, force est de constater que si certes le délégué du gouvernement a donné oralement des explications par rapport au moyen unique tel que présenté par la demanderesse et tenant à sa qualité de détenteur des renseignements demandés, il n’a pas pris position dans sa réponse, ni n’a-t-il déposé un mémoire en duplique après avoir s’être vu adresser le reproche d’un défaut de réponse aux contestations afférentes de la demanderesse. Dans la mesure où la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite, le tribunal ne saurait, au risque de violer les droits de la défense de la partie requérante, prendre en compte, en tant que moyen, l’argumentation présentée par la partie étatique pour la première fois oralement à l’audience, sans avoir été reprise dans les écrits procéduraux, de telles explications pouvant être prises en compte dans la seule mesure où elles clarifient la pertinence de deux pièces produites par la partie étatique, qui elles sont admissibles.

Le tribunal constate qu’il se dégage des explications du délégué du gouvernement, confirmées par la demande d’échange de renseignements des autorités françaises, que la finalité de la demande consiste à clarifier la situation fiscale de Monsieur B, contribuable français, et en l’occurrence de contrôler les déclarations de celui-ci quant à l’origine, la nature et le quantum des sommes déclarés par lui en France et que celui-ci déclare avoir perçu de la société anonyme C.

Force est encore de constater que les questions telles que posées concernent en substance la vie sociale de la société anonyme C, son activité, ainsi que les relations de celle-

ci avec le contribuable visé.

Par ailleurs, suivant la demande d’échange de renseignements, la société anonyme C est indiquée comme détenteur potentiel des informations.

17 En ce sens: Cour adm. 21 mars 2019, n° 42250 C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

18 Idem.

A priori, hormis une racine commune dans la dénomination sociale, le directeur n’avait aucune raison de penser que la société demanderesse puisse détenir des renseignements sur les questions posées par les autorités françaises et qui concernent une autre société et Monsieur B, le seul fait que la société anonyme C a été dissoute en 2009 ne permettant a priori pas ipso facto de déduire que la demanderesse dispose des renseignements demandés.

Force est toutefois encore de constater que suivant la décision d’injonction litigieuse, le directeur a justifié le fait qu’il s’est adressé à la demanderesse par la considération suivante : « Considérant que la société liquidée C servait de conseiller en investissements à A ».

A cet égard, le tribunal relève qu’à la note 1 figurant à l’annexe au bilan de la société anonyme C, tel que produite par la partie étatique parmi les pièces, figure la mention suivante : « La Société sert de conseiller en investissements à « Carmignac Portfolio » pour l’administration et la promotion de ses avoirs, mais ne procure par ailleurs assistance à aucune autre société », étant relevé que la « Société » y visée est la société anonyme C et qu’il n’est pas contesté que la société « C » y visée, certes non autrement identifiée, est la société demanderesse. Force est encore de constater que la société anonyme C a été mise en liquidation en 2009, son liquidateur n'étant d’ailleurs pas établi au Luxembourg, tel que cela se dégage du procès-verbal de liquidation versé par la partie étatique, étant relevé que la demande d’échange de renseignements des autorités françaises mentionne pareillement que cette société est en liquidation.

Le tribunal est amené à retenir qu’à défaut d’avoir pu adresser la demande à la société anonyme C, en liquidation depuis 2009, son liquidateur n'étant pas établi au Luxembourg, et au regard du lien exclusif entre cette société et la demanderesse se dégageant de l’annexe précité au bilan de la société anonyme C, aucun reproche n’est à adresser au directeur en ce qu’il a retenu que la demanderesse est susceptible de détenir pour le moins une partie des renseignements demandés.

Si la demanderesse estime, contrairement à ce que le directeur a raisonnablement pu admettre, ne pas être en possession de l’ensemble des informations et documents demandées, il lui aurait alors incombé d’en informer le directeur et de lui soumettre, le cas échéant, les éléments de preuve afférents, mais celle-ci n’est pas fondée à invoquer un tel défaut de qualité de détenteur des renseignements demandés comme cause d’annulation de la décision d’injonction lorsqu’au moment de la prise de sa décision, le directeur pouvait, tel que le tribunal vient de le retenir, se fonder sur des indices suffisants permettant de retenir que la demanderesse avait la qualité de détenteur des renseignements demandés.

Il s’ensuit que la contestation afférente de la demanderesse est rejetée.

A défaut d’autres moyens, le recours est rejeté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation ;

au fond le déclare non fondé, partant le rejette ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi délibéré par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Carine Reinesch, juge, et prononcé à l’audience publique du 14 mars 2022 par le vice-président en présence du greffier Luana Poiani.

s. Poiani s. Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mars 2022 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 41737
Date de la décision : 14/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-14;41737 ?

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