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04/03/2022 | LUXEMBOURG | N°47065

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 mars 2022, 47065


Tribunal administratif N° 47065 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2022 3e chambre Audience publique extraordinaire du 4 mars 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47065 du rôle et déposée le 23 février 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Yanis HAMAMA, avocat, tous deux inscrits au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … au Maro...

Tribunal administratif N° 47065 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2022 3e chambre Audience publique extraordinaire du 4 mars 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47065 du rôle et déposée le 23 février 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Yanis HAMAMA, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … au Maroc, et être de nationalité indéterminée, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 février 2022 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 février 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yanis HAMAMA, en remplacement de Maître Hervé HANSEN, et Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er mars 2022.

Il ressort d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 13 janvier 2022 que Monsieur … y fut placé en détention préventive pour des faits de vol à l’aide de violence.

Une recherche effectuée le 19 janvier 2022 dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait auparavant déposé deux demandes de protection internationale aux Pays-

Bas le 6 août 2020 et le 20 avril 2021, une en Allemagne le 8 octobre 2020, et une autre en Suisse le 15 novembre 2021.

Par un arrêté du 15 février 2022, notifié en mains propres à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara le séjour de Monsieur … comme irrégulier, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois sans délai.

Par arrêté séparé du 15 février 2022, notifié à l’intéressé en mains propres également le 1 même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification. Ledit arrêté est fondé sur les considérations suivantes :

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 15 février 2022 ;

Attendu que l’intéressé se trouvait en détention préventive depuis le 13 janvier 2022;

Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit deux demandes de protection internationale aux Pays-Bas, une en Allemagne et une en Suisse ;

Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

En date du 16 février 2022, les autorités luxembourgeoises ont adressé à leurs homologues néerlandais une demande de reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), b), du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », ce que ces derniers ont accepté en date du 23 février 2022 sur base de l’article 18, paragraphe (1), d), du même règlement.

Par requête déposée au tribunal administratif en date du 23 février 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté de placement de rétention, précité, du 15 février 2022.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique être né au Maroc et être seulement âgé de 18 ans. Il déclare avoir déposé des demandes de protection internationale dans d’autres Etats membres de l’Union européenne. Il poursuit en expliquant que le 13 janvier 2022, à la suite d’un interrogatoire devant le juge d’instruction, il aurait été inculpé et placé sous mandat de dépôt, pour des faits de vol à l’étalage qui auraient eu lieu le 12 janvier 2022.

Par ordonnance n° … du 14 février 2022, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissementde Luxembourg aurait fait droit à sa demande de mise en liberté provisoire, décision qui serait coulée en force de chose jugée, étant donné que le ministère public n’aurait pas interjeté appel dans le délai imparti. Monsieur … affirme ensuite que, tout au long de la procédure d’instruction, il aurait été systématiquement assisté d’un interprète et traducteur de langue arabe, qui serait la seule langue qu’il parlerait et comprendrait oralement. Il ajoute ne pas parler ou comprendre le luxembourgeois, le français et l’allemand, et qu’il pourrait tout au plus reconnaître certains termes de base en français ou en allemand. Après avoir été détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg, à Schrassig, du 13 janvier au 15 février 2022, jour de sa libération, il aurait pensé être désormais libre, dans la mesure où les agents du Centre pénitentiaire, qui l’auraient accompagné vers la sortie, le lui auraient fait comprendre. Lorsque deux policiers se seraient présentés au Centre pénitentiaire en lui tendant un formulaire en français et en lui répétant le mot « liberté », il aurait apposé sa signature sur le formulaire avant de le leur rendre. A ce moment, il n’aurait pas eu connaissance du contenu du formulaire qui aurait été, en réalité, le procès-verbal d’exécution d’une mesure de placement en rétention à son encontre. Les deux policiers l’auraient ensuite menotté, à sa surprise, et l’auraient emmené au Centre de rétention. A son arrivée, il se serait vu remettre le procès-verbal de notification de son placement en rétention, ainsi qu’un arrêté ministériel pris en date du 15 février 2022 par lequel le ministre lui ordonnait de quitter le territoire luxembourgeois sans délai.

En droit, le demandeur se réfère à l’article 9, paragraphe (3), alinéa 2, de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après dénommée la « directive 2013/33 », et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après la « CourEDH », pour faire valoir qu’il aurait le droit de ne pas rester privé de liberté et que cette privation de liberté serait contraire au but de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », qui serait de protéger l’individu de l’arbitraire. Il estime, en conséquence, que la décision sous examen aurait violé l’article 5, paragraphes (1), alinéa f, (2) et (4) de la CEDH.

En se basant sur l’article 121 de la loi du 29 août 2008, sur un jugement du tribunal administratif du 15 novembre 2010, inscrit sous le n° 27445 du rôle, ainsi que sur un avis du Conseil d’Etat du 6 octobre 1992 relatif au projet de loi n° 3666 modifiant la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, le demandeur poursuit en relevant que l’arrêté de placement en rétention ne lui aurait pas été notifié en bonne et due forme dans la mesure où (i) il ne lui aurait pas été notifié dans une langue qu’il comprend et qu’aucun interprète de langue arabe n’aurait été appelé pour l’assister, (ii) pensant signer un document qui lui permettrait d’être libéré, il aurait été trompé sur la nature du document tendu par les policiers et n’aurait donc pas valablement signé le procès-verbal de notification, qui n’aurait pas été, en outre, complété au moment de sa signature, (iii) il aurait été privé du choix de refuser de signer ledit document et donc de faire part, le cas échéant, des motifs d’un tel refus ; et (iv) il aurait disposé de l’original, et non d’une copie, de ce procès-verbal, qui n’aurait pas pu être transmis au ministre. En renvoyant à un jugement du tribunal administratif du 23 novembre 2012, inscrit sous le n° 31677 du rôle, dans lequel il aurait été retenu qu’un simple doute relatif à une mention déterminée d’un procès-verbal dressé par un officier de policier judiciaire, émis par ailleurs de façon vague, serait insuffisant pour mettre en cause la validité dudit procès-

verbal et qu’une procédure en inscription de faux serait nécessaire, le demandeur fait valoir que ses affirmations concernant notamment sa non-maîtrise de l’allemand seraient corroborées et étayées, et qu’elles dépasseraient le niveau du « simple doute » ou « de la façon vague », de sorte qu’elles seraient suffisantes pour mettre en cause la validité du procès-verbal de notification de l’arrêté ordonnant son placement en rétention, sans qu’il ne soit nécessaired’engager de procédure en inscription de faux.

En se basant sur un autre jugement du tribunal administratif du 26 novembre 2007, inscrit sous le n° 23667 du rôle, Monsieur … donne à considérer que la décision litigieuse aurait dû lui être notifiée immédiatement à sa sortie de prison, ce que démentirait ledit procès-verbal de notification.

En s’emparant du considérant 6 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes relatives au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », qui consacre le respect d’une procédure équitable et transparente pour mettre fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ainsi que des articles 1er et 9 de de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, ci-après désignée par « la loi du 1er décembre 1978 », le demandeur reproche au ministre d’avoir agi « à la dernière minute, par surprise, par le biais de manœuvres regrettables, dans l’intention de [le] flouer », alors que ce dernier aurait eu connaissance de sa situation en séjour irrégulier et aurait eu le temps d’effectuer les démarches pendant sa détention provisoire, tout en soulignant que ces méthodes auraient déjà été mises en lumière dans un rapport de 2013 de l’Ombudsman, en sa qualité de contrôleur externe des lieux privatifs de liberté, relatif au Centre de rétention.

Ensuite, le demandeur soulève un défaut de motivation de l’arrêté de placement en rétention entrepris en se prévalant de l’article 9, paragraphe (2), de la directive 2013/33 et de l’article 15, paragraphe (2), alinéa 2, de la directive 2008/115 qui disposeraient que la rétention serait ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit. Dans ce contexte, il reproche au ministre de ne pas avoir motivé sa décision de placement en rétention. Celle-ci contiendrait des considérations extrêmement vagues, notamment quant au risque de fuite dans son chef qui, selon lui, n’existerait pas en l’espèce, de sorte que la décision litigieuse aurait une motivation lapidaire, qui contrasterait particulièrement avec la gravité des conséquences de ladite décision pour lui. Il ajoute, dans ce contexte, que le ministre ne fournirait pas les raisons pour lesquelles il n’aurait pas pu bénéficier de mesures moins coercitives que le placement en rétention.

Monsieur … fait encore valoir que la décision litigieuse serait entachée d’une erreur de droit. En effet, celle-ci mentionnerait uniquement la loi du 29 août 2008 et la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention, alors que ce placement aurait dû être, de son point de vue, essentiellement fondé sur l’article 28 du règlement Dublin III, dans la mesure où il aurait été un demandeur de protection internationale dont la demande serait en cours d’examen et qui aurait présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouverait, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre, le demandeur renvoyant à cet égard à l’« article 19, paragraphe (1), alinéa b, dudit règlement ».

Il estime ensuite que la décision serait entachée d’une erreur dans la qualification juridique des faits, sinon d’une erreur de fait, en ce qu’il n’y aurait pas de danger de fuite dans son chef. Il s’appuie, à cet égard, sur le fait que la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, dans son ordonnance du 14 février 2022, portant le numéro … du rôle, lui aurait accordé une mise en liberté provisoire, car elle aurait constaté qu’il n’y aurait pas de risque de fuite dans son chef. Il ajoute, dans ce contexte, qu’un principe général du droit selon lequel l’autorité de la chose jugée au pénal appartenant aux décisions devenues définitives s’imposerait au juge administratif pour ce qui est de la constatation matérielle des faits et que ce principe, d’ordre public, ferait obstacle au motif ministériel lié au risque de fuite.

En invoquant une violation du principe de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens utilisés, le demandeur relève qu’il serait dans l’obligation de se tenir à la disposition de la justice dans les prochains mois pour qu’il soit statué sur le fond de l’accusation portée à son encontre dans une affaire pénale. Il ne pourrait ainsi être expulsé du pays avant cette échéance relativement lointaine, de sorte qu’il n’existerait pas de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations juridiques, en se basant sur l’article 15, paragraphe (4) de la directive 2008/115, ainsi que sur les articles 24, 25, 26 et 28 du règlement Dublin III et la jurisprudence de la CourEDH. Tout en reprochant au ministre de ne pas avoir usé de moyens moins coercitifs que la rétention, Monsieur …, après avoir cité le considérant (16) de la directive 2008/115, considère qu’une mesure telle que l’obligation de présentation régulière auprès du ministre ou de tout autre service/autorité, après remise d’un justificatif d’identité, aurait dû lui être appliquée. Il en conclut qu’en imposant la rétention, en dépit de l’absence de risque de fuite dans son chef, telle qu’elle aurait été retenue au pénal, et de lien direct entre sa détention et la perspective de son éloignement, sans même évaluer l’opportunité de décider d’une mesure moins coercitive, le ministre aurait violé le principe général de proportionnalité entre les moyens mobilisés et la fin poursuivie.

Finalement, le demandeur, en se basant sur la jurisprudence de la CourEDH, conclut à une violation (i) de l’article 6, paragraphe (2), de la CEDH ayant trait à la présomption d’innocence, (ii) de l’article 8 de la CEDH ayant trait au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, (iii) de l’article 3 de la CEDH interdisant les peines ou traitements inhumains et dégradants, (iv) de l’article 7 de la CEDH consacrant le principe « nulla poena sine lege ». A cet encontre, il fait valoir avoir été traité comme un détenu condamné, alors même que la juridiction de fond au pénal ne se serait pas encore prononcée sur sa culpabilité, et ce, en dépit du fait que le bénéfice de la liberté provisoire lui aurait été accordé la veille de son placement en rétention. Il fait également valoir avoir été placé en quarantaine à son arrivée au Centre de rétention, pour conclure que les conditions de son placement en rétention seraient « ultrasécuritaires » et pas « normales », et lui seraient préjudiciables en tant que personne vulnérable par nature qui aurait subi de nombreux traumatismes en raison de son vécu dans son pays d’origine et de son parcours migratoire. Il ajoute que les conditions dans lesquelles il aurait été transporté au Centre de rétention, à savoir menotté, constitueraient une « méconnaissance de [sa] présomption d’innocence », et revêtiraient une connotation punitive inacceptable, de sorte à s’analyser comme des traitements inhumains et dégradants.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En ce qui concerne, en premier lieu, les motifs ayant trait à la légalité externe de la décision litigieuse, et plus particulièrement celui concernant l’absence de notification en bonne et due forme de celle-ci dans la mesure où elle n’aurait pas été notifiée dans une langue comprise par l’intéressé, l’article 121, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que : « La notification des décisions visées à l’article 120 est effectuée par un membre de la Police grand-ducale qui a la qualité d’officier de police judiciaire. La notification est faite par écrit 5 et contre récépissé, dans la langue dont il est raisonnable de supposer que l’étranger la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés. ».

Il résulte de ces dispositions que l’arrêté de placement doit être notifié par écrit dans une langue dont il est raisonnable de supposer que l’étranger la comprend, sauf impossibilité matérielle dûment constatée. Il y a lieu de souligner que ces garanties tendent à assurer à la fois que l’étranger retenu soit en mesure de comprendre les raisons d’être de cette mesure et qu’il soit informé des droits lui garantis par la loi afin de préserver ses droits de la défense.

En l’espèce, il ressort du procès-verbal de notification de la décision litigieuse du 15 février 2022 que la décision de rétention, ainsi qu’une copie du procès-verbal de notification de ladite mesure, tous les deux rédigés en français, ont été remises au demandeur le 15 février 2022 à 17:24 heures. Le tribunal constate que ledit procès-verbal de notification mentionne que le demandeur a déclaré comprendre la langue allemande et que l’officier de police judiciaire a procédé à la notification, tout en l’ayant informé de son droit de contacter sa famille, ainsi que de son droit à un examen médical et à un avocat, de la décision litigieuse en langue allemande.

Il y est également précisé qu’un interprète n’était pas présent lors de la notification, étant donné que Monsieur … comprend la langue dans laquelle l’officier de police judiciaire a notifié la mesure de placement en rétention, à savoir l’allemand. Ensuite, force est de constater que Monsieur … a apposé sa signature au bas de ce procès-verbal, acquiesçant ainsi avec son contenu.

Dans la mesure où les constatations faites par un officier de police judiciaire dans un procès-verbal font foi jusqu’à inscription de faux, conformément aux exigences de l’article 154 du Code d’instruction criminelle1, le moyen basé sur l’absence de notification en bonne et due forme de l’arrêté de placement en rétention est à rejeter pour ne pas être fondé.

Cette constatation n’est pas énervée par les affirmations du demandeur selon lesquelles lors de la procédure pénale, il aurait été assisté d’un interprète, alors qu’il ne saurait pas parler allemand. En effet, les déclarations qu’un inculpé est amené à faire dans le cadre d’une procédure pénale, notamment dans celui des interrogatoires pouvant être d’une durée conséquente, ne sont pas comparables aux informations qui lui sont fournies dans le cadre d’une notification d’une décision de rétention, celles-ci étant plus limitées dans leur contenu et ne faisant pas appel à des termes complexes. Ainsi, en ayant des notions de base en allemand -

ce que le demandeur confirme dans sa requête introductive d’instance -, il échet de retenir qu’il se dégage suffisamment des pièces soumises au tribunal que le demandeur s’est vu expliquer et a pu comprendre le contenu de la décision litigieuse dans la prédite langue.

En ce qui concerne la prétendue tardiveté de la notification de la décision litigieuse, outre le fait que le demandeur ne vise aucune mesure légale spécifique qui pourrait avoir été violée de ce fait, force est de constater qu’il ressort des pièces versées par ce dernier et notamment d’un acte de mise en liberté du 14 février 2022 que Monsieur … a été libéré le « 15 février 2022 à 17:00 heures » et que la décision litigieuse lui a été notifiée le même jour à 17:24 heures, de sorte qu’aucun reproche ne saurait être fait quant au moment de la notification de l’arrêté de placement en rétention. A ce propos, la mention du jugement du tribunal administratif du 26 novembre 2007, inscrit sous le n° 23667 du rôle, à l’appui de son argumentaire ne saurait non plus infirmer cette conclusion, dans la mesure où dans l’affaire en 1 Cour adm., 20 juillet 2016, n° 38166C du rôle, disponible sous www.jurad.adm.lu.question le tribunal était arrivé à la conclusion que la notification d’une prorogation d’une mesure de placement en rétention qui était intervenue deux jours après l’expiration de la mesure initiale était tardive, affaire dont les faits ne sont dès lors pas comparables aux faits sous analyse.

Quant à la violation des articles 1er et 9 de la loi du 1er décembre 1978 en raison d’une prétendue absence de collaboration de l’administration avec le demandeur pendant la période de sa détention préventive et avant de procéder à la notification de l’acte litigieux, l’article 1er de ladite loi dispose que « Le Grand-Duc est habilité à édicter un corps de règles générales destinées à réglementer la procédure administrative non contentieuse.

Ces règles doivent notamment assurer le respect des droits de la défense de l’administré en aménageant dans la mesure la plus large possible la participation de l’administré à la prise de la décision administrative.

Dans ce cadre, elles assurent la collaboration procédurale de l’administration, consacrent le droit de l’administré d’être entendu et d’obtenir communication du dossier administratif, imposent la motivation des actes administratifs et indiquent le mode de procéder des organismes consultatifs. » Il convient, tout d’abord, de rappeler qu’un recours contentieux basé sur la seule violation de cet article 1er de la loi du 1er décembre 1978, à défaut d’établir la violation de l’une quelconque des dispositions de son règlement d’exécution, à savoir le règlement grand-ducal du 8 juin 1979, n’est pas de nature à conduire à l’annulation de la décision litigieuse, alors qu’il se dégage du libellé de la loi du 1er décembre 1978 en général et de son article 1er en particulier que le législateur n’a pas entendu disposer lui-même des intérêts qu’il entend régler, mais qu’il a uniquement tracé les règles de base et le cadre tout en investissant le pouvoir réglementaire de fixer le détail.

Dans ce contexte, l’article 9 de la loi du du 1er décembre 1978 dispose, quant à lui, que :

« Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.

Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».

L’arrêté déféré n’ayant pas révoqué ou modifié pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits dans le chef du demandeur, seule l’hypothèse d’une décision prise en dehors d’une initiative de la partie concernée pourrait entrer en compte pour rendre les garanties prévues par cette disposition applicables en l’espèce.

Or, force est de constater qu’il est de jurisprudence constante que le demandeur en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois est considéré comme ayant lui-même créé, à travers son maintien sur le territoire, malgré le défaut de tout titre l’autorisant à séjourner auLuxembourg, une situation d’illégalité par rapport à laquelle le ministre a seulement réagi à travers les mesures de police des étrangers prises à l’égard de ce dernier et ne pouvait pas, de ce fait, être considéré comme ayant agi de son propre gré face à une situation normalement constituée de l’administré, et qu’en conséquence, l’article 9 du règlement grand-ducal, précité, du 8 juin 1979 ne trouvait pas application dans ce cas2.

Monsieur … ne contestant pas s’être maintenu irrégulièrement sur le territoire luxembourgeois, il s’ensuit que le moyen du demandeur est à rejeter pour être non fondé.

Finalement, en ce qui concerne le défaut de motivation de la décision litigieuse, force est de relever qu’il n’existe aucun texte légal ou réglementaire national exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une mesure de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé, de sorte que le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée.

Le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs doit dès lors être rejeté pour ne pas être fondé.

Par ailleurs, et de manière générale, la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et celui-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse3.

Ainsi, un acte n’est susceptible d’encourir l’annulation qu’au cas où la motivation le sous-tendant ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal au moment de la prise en délibéré de l’affaire, étant donné qu’une telle circonstance rend tout contrôle de la légalité des motifs impossible.

En tout état de cause, et pour autant que de besoin, il échet de constater qu’en l’espèce, il appert à la lecture de la motivation de la décision déférée, reprise in extenso ci-avant, qu’elle énonce avec une précision suffisante et par référence aux textes légaux applicables, à savoir les articles 111, et 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 et la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention, les motifs à sa base, à savoir qu’une décision de retour a été prise à l’égard du demandeur en date du 15 février 2022, qu’il existe un risque de fuite dans son chef, alors qu’il ne dispose pas d’un document d’identité et de voyage valable et qu’au regard de sa situation particulière, des mesures moins coercitives ne sauraient être efficacement appliquées, que les démarches en vue de l’éloignement du demandeur seraient engagées dans les plus brefs délais et que l’exécution de la mesure d’éloignement serait subordonnée au résultat de ces démarches, de sorte que le moyen tiré d’une insuffisance de motivation est également à rejeter sous cet angle.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision déférée, il échet d’abord de prendre position sur l’argument du demandeur selon lequel il serait un demandeur de protection internationale et que de ce fait, le placement en rétention aurait dû être, selon lui, essentiellement fondé sur l’article 28 du règlement Dublin III, et qu’en ne visant pas cette disposition dans la décision litigieuse, le ministre aurait commis une erreur de droit. Partant, il appartient au tribunal de clarifier de prime abord sa situation juridique au Luxembourg.

2 Cour adm., 9 mars 2017, n° 38128C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 241 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 90 et les autres références y citées.

L’article 28 du règlement Dublin III dispose que : « […] Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle fait l’objet de la procédure établie par le présent règlement.

2. Les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément au présent règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. […] ».

En ce qui concerne le placement en rétention, le droit luxembourgeois prévoit deux cas de figure : (i) l’article 120 de la loi du 29 août 2008 permettant le placement en rétention des étrangers qui font l’objet d’une mesure d’éloignement ou d’expulsion, qui sera traité dans les développements ultérieurs, et (ii) l’article 22, paragraphe (2) de loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après dénommée « la loi du 18 décembre 2015 », qui régit le placement en rétention des demandeurs de protection internationale.

Monsieur … affirmant, à cet égard, être un demandeur de protection internationale tombant dans le champ d’application du prédit article 28 du règlement Dublin III, il y a tout d’abord lieu de préciser que l’article 22, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « 2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que: […] d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et lorsqu’il existe un risque de fuite basé sur un faisceau de circonstances établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement ; […] ».

En ce qui concerne la définition de la notion de « demandeur », telle que visée au prédit article, il convient de relever que l’article 1er de la loi du 18 décembre 2015 précise expressément, en son deuxième alinéa, que le champ d’application de cette loi se limite « […] à toutes les demandes de protection internationale présentées sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, y compris à la frontière et dans les zones de transit. […] » et que l’article 2, point c) de cette même loi définit le demandeur de protection internationale comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise […] », subordonnant ainsi l’application de cette loi à ce que l’étranger ait déposé une demande de protection internationale au Luxembourg.

Or, force est de constater, au vu des éléments du dossier administratif, que Monsieur … n’a pas déposé de demande de protection internationale au Luxembourg - ce qu’il n’allègue, d’ailleurs, pas -, de sorte qu’il ne peut être considéré comme demandeur de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 22 de cette même loi, qui vise le placement en rétention des demandeurs de protection internationale, ne lui est donc pas applicable.

Le ministre a dès lors, à bon droit, placé le demandeur en rétention sur base de la loi du 29 août 2008, de sorte que le moyen ayant trait à une erreur de droit, notamment de base légale, est, partant, à rejeter pour être non fondé.

Ensuite, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008: « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Le tribunal relève qu’il est constant en cause que le demandeur est en situation irrégulière au Luxembourg, ce qui ressort, par ailleurs, de la décision de retour du 15 février 2022 - qui n’a pas fait l’objet à ce jour d’un recours -, de sorte que l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite est présumée, en vertu de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1. de la loidu 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite est présumé […] si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure notamment celle, non remplie par le demandeur, d’être en possession d’un document d’identité et de voyage valable.

La présomption de l’existence d’un risque de fuite dans le chef de Monsieur … n’est pas renversée par l’invocation, par ce dernier, d’une ordonnance n° … du 14 février 2022 de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, lui ayant accordé une mise en liberté provisoire au motif que les conditions de l’article 94 du Code de procédure pénale ne sont plus remplies, conditions parmi lesquelles figure que le mandat de dépôt ne peut être décerné que dans trois cas précis, dont notamment : […] 1) S’il y a danger de fuite de l’inculpé; le danger de fuite est légalement présumé, lorsque le fait est puni par la loi d’une peine criminelle […] ».

Dans ce contexte, il y a lieu de préciser qu’en ce qui concerne la matérialité des faits ayant également fait l’objet d’un procès pénal, le tribunal est lié par les constatations en fait nécessaires au juge pénal pour assoir sa décision coulée en force de chose jugée, et ce, en application du principe de l’autorité de chose jugée au pénal4.

Si, en principe, l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose aux autorités et juridictions administratives qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, il en est autrement lorsque la légalité d’une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale. Dans cette hypothèse, l’autorité de la chose jugée s’étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal5.

Or, force est de constater en l’espèce que (i) les faits qui servent de fondement à la mesure de placement en rétention ne constituent pas une infraction pénale et (ii) la chambre du conseil n’a pas procédé à une qualification juridique des faits dont est saisi le juge administratif, à savoir le fait que le demandeur est en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois, qu’il ne dispose d’aucune pièce d’identité et qu’il en découle un risque de fuite dans son chef pour ces raisons. A ce titre, la présomption du risque de fuite prévue à l’article 94 du Code de procédure pénale diffère fondamentalement de celle prévue à l’article 111, paragraphe (3), c), point 1. de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où le premier article subordonne la présomption du risque de fuite à la commission d’un fait puni par la loi d’une peine criminelle, alors que le deuxième prévoit une présomption légale du risque de fuite lorsque, entre autres, l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, à savoir plus notamment celle d’être en possession d’un document d’identité et de voyage valable.

Enfin, il y a lieu de souligner que ces deux dispositions poursuivent des objectifs différents, la première étant d’éviter qu’un inculpé, s’il y a des indices graves de culpabilité et si le fait emporte une peine criminelle ou une peine correctionnelle dont le maximum est égal ou supérieur à deux ans d’emprisonnement6, ne puisse s’enfuir avant son procès pénal, alors qu’un placement en rétention a pour objectif d’organiser l’éloignement d’un étranger en séjour irrégulier au Luxembourg.

4 Trib. adm., 15 juin 2016, n° 36648 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 346.

5 Conseil d’Etat français, 8 janvier 1971, n° 77800 du rôle.

6 Article 94, alinéa 1er, du Code de procédure pénale.Partant, le moyen du demandeur ayant trait à l’autorité de chose jugée au pénal sur la décision du juge administratif est à rejeter pour ne pas être fondé.

Toujours dans le cadre de l’existence d’un risque de fuite, le demandeur soutient qu’une procédure pénale le concernant serait en cours et qu’il devrait, de ce fait, se tenir à la disposition des autorités luxembourgeoises, ce qui empêcherait tant son éloignement que sa propre fuite à l’étranger.

Or, le fait d’attendre son audience pénale n’est pas pertinent en l’espèce et ne permet pas de renverser la prédite présomption de risque de fuite.

Dans la mesure où le demandeur reste en défaut de renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, le placer en rétention afin d’organiser son éloignement.

Quant au moyen ayant trait à une violation de l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de souligner que ledit article 5 prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une mesure d’éloignement ou d’extradition est en cours, de sorte que ce moyen est également à rejeter pour être non fondé.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer la mesure moins coercitive telle que visée à l’article 125, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008, celui-ci prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) […].

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé́ valant justification de l’identité́ ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé́ permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé́ peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé́ utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité́, de l’intégrité́ et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

12 c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été́ opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1), sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.

A cet égard, le demandeur estime qu’il aurait dû bénéficier de la mesure prévue à l’article 125, paragraphe (1), point a) de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où il aurait remis aux autorités luxembourgeoises une pièce d’identité qui lui aurait été délivrée par le Secrétariat d’Etat aux migrations suisse.

Or, en l’espèce, le tribunal constate (i) que la pièce que le demandeur considère comme étant une pièce officielle délivrée par les autorités suisses est, en réalité, un « Bon de sortie » sur lequel est expressément indiqué que « Ce papier n’est pas un document d’identité ! », (ii) que le demandeur n’a pas remis l’original de son passeport, tel qu’exigé par la prédite disposition et (iii) qu’il n’a soumis au tribunal le moindre élément de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite existant dans son chef, tel qu’il a été retenu ci-avant, alors qu’il ne présente aucun élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et plus particulièrement celle visée au point a) dudit article s’impose.

Il s’ensuit que les contestations du demandeur relatives à une violation de l’article 125,paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sont à écarter pour être non fondées.

S’agissant de l’argumentation du demandeur qui semble reprocher un manque de diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement et son affirmation selon laquelle il existerait aucune perspective d’éloignement dans un délai raisonnable, le tribunal constate que dès le lendemain de son placement en rétention, le ministre a contacté les autorités néerlandaises aux fins de la reprise en charge du demandeur, ce qu’elles ont accepté par retour de courrier électronique du 23 février 2022. Il ressort également du dossier administratif que le ministre a pris une décision de transférer Monsieur … vers les Pays-Bas en date du 24 février 2022, dans laquelle il est précisé que son transfert sera organisé dans les meilleurs délais.

Au regard des diligences ainsi accomplies à ce jour par le ministre, c’est à tort que le demandeur estime que les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement du territoire luxembourgeois n’auraient pas été engagées et qu’il n’existerait aucune perspective d’éloignement dans un délai raisonnable. Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter pour ne pas être fondées.

En ce qui concerne ensuite les contestations soulevées par le demandeur en relation avec le port de menottes qui lui aurait été imposé en vue de son transfert au Centre de rétention, le tribunal relève que le choix des policiers de menotter une personne pendant un certain laps de temps en vue de son transfert au Centre de rétention n’est pas de nature à énerver la légalité de la décision de placement en question puisqu’une telle mesure ne fait pas l’objet de la décision de placement, mais peut tout au plus être considérée comme une mesure d’exécution de celle-ci non susceptible de porter atteinte à son bien-fondé ou à sa légalité intrinsèque7.

Le demandeur soulève dans ce contexte une violation de l’article 6, paragraphe (2) de la CEDH qui dispose que « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

La CourEDH, a conclu, à ce propos, que cette présomption d’innocence revêtait deux aspects : un aspect procédural relatif à la conduite du procès pénal, d’une part, et un aspect dont la finalité est d’empêcher que des individus qui ont bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publics comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée, d’autre part8.

Or, au-delà de la conclusion retenue ci-avant que la mise de menottes constitue une modalité d’exécution de la mesure de placement qui n’est pas de nature à affecter la légalité de la mesure de placement en tant que telle, force est de constater que le port de menottes pour le transport de Monsieur … entre le Centre pénitentiaire de Schrassig et le Centre de rétention ne relève ni de l’un ni de l’autre cas de figure dans lesquels la présomption d’innocence pourrait trouver application, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour être non fondé. A titre superfétatoire, le demandeur n’apporte aucun élément selon lequel il aurait bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon des poursuites pénales, ce dernier soutenant au contraire que la procédure pénale initiée à son encontre serait toujours en cours.

Par ailleurs, c’est encore à tort que le demandeur soutient que la mesure ayant trait au port de menottes violerait également les articles 3 et 7 de la CEDH.

7 Trib. adm., 31 août 2016, n° 38401 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 937 et les autres références y citées.

8 CourEDH, Larrañaga Arando et autres c. Espagne, 25 juin 2019, requête n° 73911/16, point 41.

Il échet de rappeler que l’article 3 de la CEDH dispose que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » et que l’article 7 de la CEDH, prévoit, quant à lui, que « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise […] ».

Or, le tribunal a été amené à retenir qu’une telle mesure, d’une part, n’était, en tant que telle, pas d’une gravité suffisante pour être qualifiée d’acte de torture ou de traitement ou sanction inhumain ou dégradant, au sens de l’article 3 de la CEDH, et, d’autre part, ne constituait pas une peine destinée à sanctionner une certaine action ou omission la part de l’intéressé, au sens de l’article 7 de la CEDH, mais qu’elle tendait à assurer la présence physique de la personne concernée en vue de l’exécution des mesures de police des étrangers envisagées9.

Il s’ensuit que les moyens tirés d’une violation des articles 3 et 7 de la CEDH sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Enfin, en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 8 de la CEDH suivant lequel « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. […] », force est au tribunal de constater que le demandeur reste en défaut d’étayer son argument et d’expliquer concrètement les raisons pour lesquelles le fait d’avoir été menotté durant le prédit trajet aurait méconnu le respect de sa vie privée et familiale, de son domicile ou de sa correspondance, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 4 mars 2022 :

Thessy Kuborn, vice-président, Alexandra Bochet, juge, 9 Trib. adm., 14 septembre 2017, n° 40140 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 939 et l’autre référence y citée. Annemarie Theis, attaché de justice délégué.

en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 mars 2022 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47065
Date de la décision : 04/03/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 12/03/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-03-04;47065 ?

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