La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/02/2022 | LUXEMBOURG | N°45271

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2022, 45271


Tribunal administratif N° 45271 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 novembre 2020 2e chambre Audience publique du 21 février 2022 Recours formé par la société anonyme …, …, contre une décision du conseil communal de Nommern, un arrêté grand-ducal et une décision du ministre de l’Intérieur, en matière de taxes communales

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45271 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2020 par la so

ciété anonyme Schiltz & Schiltz SA, établie et ayant son siège social à L-1610 Luxembourg, 2...

Tribunal administratif N° 45271 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 novembre 2020 2e chambre Audience publique du 21 février 2022 Recours formé par la société anonyme …, …, contre une décision du conseil communal de Nommern, un arrêté grand-ducal et une décision du ministre de l’Intérieur, en matière de taxes communales

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45271 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2020 par la société anonyme Schiltz & Schiltz SA, établie et ayant son siège social à L-1610 Luxembourg, 24-26, avenue de la Gare, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B 220251, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Jean-Louis Schiltz, assisté de Maître Charles Hurt, tous deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation (i) de la délibération du conseil communal de Nommern du 22 avril 2020 portant modification du règlement-taxe du 12 juin 2006 concernant la mise en décharge de déchets inertes sur le territoire de la commune de Nommern, (ii) de l’arrêté grand-ducal du 29 juillet 2020 portant approbation de ladite délibération et (iii) de la décision du ministre de l’Intérieur du 21 août 2020 portant approbation de la même délibération ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 27 novembre 2020, portant signification de ce recours à l’administration communale de Nommern, ayant sa maison communale à L-7465 Nommern, 31, rue Principale, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2020, au nom de l’administration communale de Nommern, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 février 2021 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 16 février 2021 par Maître Steve Helminger, au nom de l’administration communale de Nommern, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2021 par la société anonyme Schiltz & Schiltz SA, préqualifiée, au nom de la société demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2021 par Maître Steve Helminger, au nom de l’administration communale de Nommern, préqualifiée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Louis Schiltz, Maître Adrien Kariger, en remplacement de Maître Steve Helminger, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 décembre 2021 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 7 février 2022 informant les parties du prononcé de la rupture du délibéré en vue d’un changement de composition ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications respectives de Maître Charles Hurt et de Maître Steve Helminger du 8 février 2022 informant le tribunal que l’affaire pouvait être reprise en délibéré en dehors de leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 février 2022.

___________________________________________________________________________

Lors de sa séance du 22 avril 2020, le conseil communal de Nommern, ci-après désigné par « le conseil communal », décida de modifier l’article 3 du règlement-taxe du 12 juin 2006 concernant la mise en décharge de déchets inertes sur le territoire de la commune de Nommern, ci-après désigné par « le règlement-taxe du 12 juin 2006 », en augmentant le montant de la taxe de … à … euros par tonne de déchets inertes déposée. Ladite délibération est basée sur les motifs et les considérations suivants :

« (…) Précisant que le plan directeur sectoriel ‘Décharges pour matériaux inertes’ prévoit l’exploitation d’une décharge pour matériaux inertes à cheval sur le territoire des communes de Colmar-Berg et de Nommern aux lieux-dits ‘Hobuch’, ‘Zillbech’ et Schenkebierg’, laquelle décharge est actuellement en exploitation depuis une demie douzaine d’années ;

Vu la délibération de notre conseil communal du 24 mai 2004 portant adoption d’un règlement-taxe concernant la mise en décharge de déchets inertes sur le territoire de la commune de Nommern, laquelle délibération a été approuvée par Monsieur le Ministre de l’Intérieur en date du 5 juillet 2004, réf. … ;

Notant que dans le cadre dudit règlement-taxe, le montant de la taxe afférente avait été fixé à … € par tonne de déchets inertes ;

Revu la délibération de notre conseil communal du 12 juin 2006 portant adoption d’un règlement-taxe concernant la mise en décharge de déchets inertes sur le territoire de la commune de Nommern, laquelle délibération a été approuvée par arrêté grand-ducal du 24 juillet 2006 et par décision de Monsieur le Ministre de l’Intérieur du 21 août 2006, réf. … ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » Notant que dans le cadre dudit règlement-taxe, le montant de la taxe afférente avait été fixé à … € par tonne de déchets inertes ;

Attendu que notre conseil communal se propose actuellement de relever ladite taxe à … € et qu’il s’est à cet effet concerté informellement avec les responsables politiques de la commune voisine de Colmar-Berg ;

Revu la délibération de notre conseil communal du 25 mars 2019 portant modification du règlement-taxe concernant la mise en décharge de déchets inertes sur le territoire de la commune de Nommern ;

Attendu qu’à l’occasion de ladite délibération du 25 mars 2019, notre collège des bourgmestres et échevins avait renoncé à demander un avis préalable au sujet du projet de règlement-taxe auprès de l’Administration de l’Environnement, alors que notre collège avait jugé que les dispositions de l’article 20 (9) de la loi modifiée du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets ne seraient pas applicables au cas de figure concerné ;

Notant que par la suite et pour des raisons de sécurité juridique, ledit avis préalable a néanmoins été sollicité ;

Notant que dans le cadre de son avis du 22 juillet 2019, le Directeur de l’Administration de l’Environnement indique que « sur base de la loi modifiée du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets, nous n’avons pas de remarques quant à une augmentation du montant de la taxe par tonne de déchets inertes déposées. » ;

Revu la délibération de notre conseil communal du 8 août 2019 portant modification du règlement-taxe concernant la mise en décharge de déchets inertes sur le territoire de la commune de Nommern ;

Notant que notre commune devra faire face dans les années prochaines à un certain nombre de projets engendrant des dépenses d’envergure, tels que notamment l’extension de l’école fondamentale et la construction d’un nouvel atelier ;

Attendu qu’il résulte du plan pluriannuel de financement (PPF) dressé début mars 2020 par notre collège des bourgmestres et échevins conformément à l’article 129bis de la loi communale, que notre commune accuse un besoin en financement externe (emprunt) prévisible pour les années 2021 à 2023 de quelques 7.570.000 € ;

Notant que la recette annuelle supplémentaire, résultant d’une augmentation de la redevance pour déchets inertes de … à … € / tonne, est estimée à quelques … € et que la durée d’exploitation restante de la décharge en question est estimée à quelques 6,4 ans ;

Vu les articles 99, 102 et 107 de la Constitution ;

Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;

Vu la loi modifiée du 13 juin 1994 relative au régime des peines ;

Vu la loi modifiée du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets et notamment son article 20 ;

Vu le règlement grand-ducal du 9 janvier 2006 déclarant obligatoire le plan directeur sectoriel « décharges pour déchets inertes » ; (…) ».

Cette délibération fut approuvée, d’une part, par arrêté grand-ducal du 29 juillet 2020 et, d’autre part, par décision du ministre de l’Intérieur, ci-après désigné par « le ministre », du 21 août 2020.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2020, la société anonyme …, ci-après désignée par « la société … », a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la délibération du conseil communal du 22 avril 2020, de l’arrêté grand-ducal du 29 juillet 2020 et de la décision du ministre du 21 août 2020, précités.

En vertu des dispositions combinées des articles 7 (1) et 8 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation dirigé à l’encontre des actes déférés, qui, de manière non contestée, s’analysent en des actes réglementaires portant sur une taxe communale n’ayant pas le caractère d’une taxe rémunératoire.

L’administration communale de Nommern, ci-après désignée par « l’administration communale », se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours quant à la forme et quant au délai.

S’il est exact que le fait, pour une partie de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation2, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions3. Dès lors et dans la mesure où l’administration communale est restée en défaut d’expliquer en quoi le recours serait irrecevable quant au délai et aux formes, ses contestations afférentes sont à rejeter.

L’administration communale conclut encore à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société demanderesse.

A cet égard, elle fait valoir que si cette dernière estime être le destinataire direct de la délibération déférée du conseil communal du 22 avril 2020, au motif qu’elle serait le seul exploitant d’une décharge pour déchets inertes sur le territoire de la commune de Nommern, et si la taxe mise en place par le règlement-taxe du 12 juin 2006 est certes due par ladite société, il n’en resterait pas moins qu’en réalité, celle-ci ne ferait que continuer à la commune la taxe qu’elle aurait préalablement facturée aux entreprises venant déposer leurs déchets sur la décharge. Il s’agirait, dès lors, d’une opération financièrement neutre pour l’exploitant, qui ne supporterait in fine pas la taxe en question.

Par ailleurs, il serait exclu que la société … puisse subir un quelconque préjudice du fait de ladite taxe et, plus particulièrement, une diminution de son profit ou encore une atteinte à sa position concurrentielle, alors qu’elle soutiendrait elle-même que les entreprises n’auraient pas le choix de la décharge à laquelle elles déposeraient leurs déchets.

2 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 842 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 842 et les autres références y citées.

Il serait, en outre, exclu qu’un promoteur déciderait de réaliser son projet immobilier plutôt sur le territoire d’une commune faisant partie du réseau d’une autre décharge, au seul motif que la taxe pour déchets inertes y prélevée serait prétendument moins importante.

En tout état de cause, la société … ne démontrerait pas que l’augmentation de la taxe litigieuse lui ferait subir une quelconque perte de profit, respectivement qu’elle aurait pour conséquence une diminution du volume de déchets déposés au site de Cruchten – Colmar-Berg, de même qu’elle ne prouverait pas que d’autres communes pratiqueraient effectivement une taxe moins importante, voire aucune taxe.

L’administration communale souligne encore que la capacité de la décharge ne dépendrait pas du choix de la société demanderesse, mais serait arrêtée dans le cadre des arrêtés d’exploitation relatifs à sa décharge. Compte tenu de la pénurie de décharges, telle que mise en exergue par la société … elle-même, il serait donc exclu que l’augmentation de la taxe litigieuse pourrait avoir la moindre incidence sur l’activité de cette dernière. Ce serait, d’ailleurs, entre autre l’augmentation de la capacité de la décharge de la société demanderesse qui aurait contraint les autorités communales à augmenter la taxe.

En conclusion, l’administration communale soutient que la délibération du conseil communal, telle que déférée, n’aurait aucun effet direct sur la société demanderesse ou sur son exploitation.

Elle ajoute que face à l’argumentation de la société … ayant trait à une discrimination et à une inégalité de traitement par rapport à ce qui se ferait dans d’autres communes, elle aurait tenté de se renseigner sur les autres exploitations de décharges pour déchets inertes. Il semblerait que les décharges actuellement exploitées au Luxembourg seraient celles exploitées directement ou indirectement par la société … et par les sociétés … et …. Ces trois sociétés auraient leur siège social à la même adresse et il paraîtrait que leurs bénéficiaires économiques seraient, dans leur majorité, les mêmes. Ainsi, la concurrence dont la société demanderesse se prévaudrait n’existerait tout simplement pas, alors que l’ensemble des sociétés gestionnaires de décharges pour déchets inertes du pays sembleraient appartenir aux mêmes bénéficiaires économiques.

La société demanderesse conclut au rejet du moyen d’irrecevabilité ayant trait à un défaut d’intérêt à agir dans son chef, en faisant valoir, en premier lieu, que par courrier du 21 septembre 2020, l’administration communale l’aurait informée de la délibération intervenue, tout en indiquant les voies de recours afférentes. Ainsi, la partie communale devrait bien reconnaître son intérêt à agir.

Après avoir souligné que les actes déférés auraient un caractère réglementaire et cité un jugement du tribunal administratif du 26 novembre 2008, portant le numéro 24017 du rôle, la société demanderesse donne à considérer, d’une part, qu’en appliquant le nouveau taux de la taxe litigieuse à la quantité de déchets inertes déposés en 2020 sur la décharge pour déchets inertes de Colmar-Berg/Nommern, le montant total de la taxe passerait de … euros à … euros, soit au double et, d’autre part, que pour la commune de Nommern, il se dégagerait du budget de l’année 2021, tel que versé par le délégué du gouvernement, que les recettes en provenance de la taxe ainsi augmentée passeraient de … euros en 2020 à … euros en 2021. Or, tel qu’indiqué par l’administration communale, ladite taxe serait due par la société demanderesse, qui disposerait ainsi incontestablement d’un intérêt suffisant à agir à l’encontre des actes déférés.

Tel que souligné à juste titre par la partie étatique, le « règlement-taxe du 22 avril 2020 » serait un acte modificatif du règlement-taxe initial, de sorte qu’il faudrait procéder à une lecture combinée de ces actes. A cet égard, la société demanderesse fait valoir qu’il se dégagerait du règlement-taxe du 12 juin 2006 (i) que la taxe serait perçue auprès d’elle et qu’à cet effet, elle devrait remettre à la commune une déclaration indiquant les quantités exactes des déchets inertes mis en décharge ainsi que le montant de la taxe due, (ii) que la commune disposerait de droits de vérification auprès d’elle, (iii) que les sommes non réglées par elle seraient productrices d’intérêts de retard, (iv) qu’elle serait tenue de donner accès à ses locaux aux agents de surveillance de la commune et de se soumettre aux mesures de contrôle décidées par cette dernière, (v) qu’en cas d’abandon ou de cession de l’exploitation, elle serait tenue du règlement des taxes échues et (vi) que le recouvrement de la taxe serait effectué en application des dispositions des articles 148 et suivants de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, à savoir soit par la voie judiciaire, soit par la voie administrative, la société demanderesse soulignant que ces procédures de recouvrement seraient diligentées à l’encontre d’elle-même.

En conclusion, elle soutient qu’elle serait directement impactée par la taxe litigieuse.

Par ailleurs, la société … souligne que la taxe introduite par la commune de Nommern serait la taxe de loin la plus élevée parmi celles perçues par des communes pour la mise en décharge de déchets inertes. De ce fait, elle inciterait les déposants à s’orienter vers des décharges où la taxe prélevée serait moins élevée, voire à déposer leurs déchets à l’étranger, de sorte que la taxe litigieuse risquerait d’affecter la position concurrentielle de la société demanderesse.

Dans son mémoire en duplique, l’administration communale réfute l’argumentation de la société … selon laquelle elle aurait reconnu un intérêt à agir dans le chef de cette dernière en l’informant de la délibération intervenue, tout en indiquant les voies de recours afférentes. A cet égard, elle fait valoir qu’une telle indication des voies de recours ne ferait pas naître un intérêt à agir en justice dans le chef de l’administré concerné, alors qu’il n’appartiendrait pas à une commune, mais au juge administratif de décider si un administré dispose de l’intérêt à agir requis.

L’administration communale donne encore à considérer qu’en vertu du principe de bonne administration, elle aurait l’obligation d’indiquer les voies de recours à chaque fois, afin de faire courir les délais de recours et d’assurer, ainsi, à elle-même et à l’ensemble de ses administrés une sécurité juridique.

Quant à l’argumentation de la société demanderesse selon laquelle elle disposerait d’un intérêt à agir suffisant, étant donné que les actes déférés auraient un caractère réglementaire et qu’elle serait directement impactée par la taxe mise en place, l’administration communale fait valoir que ce serait à tort qu’à cet égard, la société … se prévaudrait du règlement-taxe du 12 juin 2006. En effet, les actes déférés auraient pour seul objet la modification du montant de la taxe, de sorte que l’intérêt à agir ne saurait se mesurer par rapport aux dispositions du règlement ayant institué la taxe en question. Or, la société demanderesse n’aurait aucun intérêt à agir contre la modification du montant de ladite taxe, alors qu’elle n’en supporterait pas le coût, l’administration communale renvoyant, à cet égard, à ses développements afférents, tels que figurant dans son mémoire en réponse.

Par ailleurs, l’administration communale réfute l’argumentation de la société … aux termes de laquelle la taxe litigieuse serait de loin la plus élevée parmi celles perçues par des communes pour la mise en décharge de déchets inertes, de sorte qu’elle inciterait les entreprises à s’orienter vers des décharges où la taxe serait moins élevée. A cet égard, la partie communale fait valoir que ladite argumentation reposerait sur de simples affirmations non autrement étayées, alors que la société demanderesse ne prouverait pas que d’autres communes pratiqueraient effectivement une taxe moins importante. L’argumentation en question serait encore en contradiction avec les développements figurant dans la requête introductive d’instance, selon lesquels les entrepreneurs et maîtres d’ouvrages seraient obligés de déposer leurs déchets inertes à la décharge la plus proche et qu’ils n’auraient ainsi pas la faculté de choisir une autre décharge.

De même et contrairement à ce que soutiendrait la société demanderesse, il serait exclu que des déchets inertes puissent être déposés à l’étranger, alors que l’article 16 de la loi modifiée du 21 mars 2012 relative aux déchets, ci-après désignée par « la loi du 21 mars 2012 », s’y opposerait. Le jugement du tribunal administratif du 29 août 2003, portant le numéro 16947 du rôle, tel qu’invoqué dans ce contexte par la société demanderesse, ne serait pas transposable au cas d’espèce, étant donné qu’il aurait été rendu avant l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal du 9 janvier 2006 déclarant obligatoire le plan directeur sectoriel « décharges pour déchets inertes », ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 9 janvier 2006 », lequel aurait introduit le principe de proximité en la matière.

Par ailleurs, l’administration communale donne à considérer que la société demanderesse ne contesterait pas qu’à l’heure actuelle, les décharges pour déchets inertes au Luxembourg seraient exploitées directement ou indirectement par des sociétés ayant, du moins majoritairement, les mêmes bénéficiaires économiques.

Ainsi, la société demanderesse ne saurait valablement soutenir que l’augmentation du montant de la taxe litigieuse affecterait sa position concurrentielle.

Aux termes de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, « (1) Le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent.

(2) Ce recours n’est ouvert qu’aux personnes justifiant d’une lésion ou d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain. (…) ».

Un demandeur doit justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général pour pouvoir introduire un recours contre un acte administratif à caractère règlementaire. Par ailleurs, concernant le caractère direct de l’intérêt à agir, pour qu’il puisse être reçu à agir contre un acte administratif à caractère règlementaire, il ne suffit pas qu’un demandeur fasse état d’une affectation de sa situation, mais il doit établir l’existence d’un lien suffisamment direct entre l’acte querellé et sa situation personnelle. Finalement, la condition relative au caractère né et actuel, c’est-à-dire au caractère suffisamment certain, d’un intérêt invoqué implique qu’un intérêt simplement éventuel ne suffit pas pour que le recours contre un acte administratif à caractère règlementaire soit déclaré recevable.4 Ainsi, le recours contentieux contre un acte administratif à caractère règlementaire n’est recevable que si l’annulation est susceptible de profiter personnellement et directement au demandeur en ce sens que sa situation, de fait ou de droit, doit s’en trouver améliorée.5 En l’espèce, le tribunal relève d’abord que le seul et unique objet des actes déférés est l’augmentation du tarif de la taxe mise en place par le règlement-taxe du 12 juin 2006.

4 Trib. adm., 15 mai 2002, n° 14420 du rôle, confirmé par Cour adm., 22 janvier 2004, n° 16628C du rôle, Pas. adm.

2021, V° Procédure contentieuse, n° 38 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 25 juin 2008, n° 22066 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 38 et l’autre référence y citées.

Ainsi, c’est exclusivement par rapport à cette augmentation du tarif de la taxe que l’intérêt à agir de la société demanderesse est à apprécier. Ni le principe même de l’existence de ladite taxe, ni les autres dispositions dudit règlement-taxe, non modifiées par les actes déférés, ne sauraient fonder l’intérêt à agir de la société …. Il en est plus particulièrement ainsi des dispositions visant le mode de perception de la taxe, de celles relatives aux droits de vérification de la commune, de celles obligeant la société demanderesse à donner accès à ses locaux aux agents de surveillance de la commune et à se soumettre aux mesures de contrôle décidées par cette dernière, de celles ayant trait au règlement des taxes échues en cas d’abandon ou de cession de l’exploitation, de même que de celles ayant trait au recouvrement de la taxe. En ce qui concerne l’incidence des dispositions du susdit règlement-taxe ayant trait aux intérêts de retard dus en cas de retard de paiement, telles qu’invoquées encore par la société …, elle sera abordée ci-après.

Le tribunal précise ensuite que la société demanderesse est certes personnellement concernée par les actes déférés ayant pour objet l’augmentation du tarif de la taxe mise en place par le règlement-taxe du 12 juin 2006, étant donné qu’en sa qualité d’exploitant d’une décharge pour déchets inertes située sur le territoire de la commune de Nommern, elle est appelée à appliquer le nouveau tarif à ses usagers.

Il n’en reste cependant pas moins qu’il se dégage des explications de l’administration communale, corroborées par l’article 4 du règlement-taxe du 12 juin 2006, aux termes duquel « La taxe est perçue auprès des exploitants de décharges pour déchets inertes qui la transmet à la recette communale selon les modalités ci-après », que la perception de la taxe litigieuse est une opération financièrement neutre à l’égard de la société demanderesse, alors qu’elle ne fait que continuer à la recette communale la taxe prélevée auprès de ses usagers.

Il s’ensuit qu’a priori, l’augmentation du tarif de la taxe mise en place par le règlement-taxe du 12 juin 2006, qui constitue le seul objet des actes déférés, tel que relevé ci-avant, n’est pas de nature à faire grief à la société ….

Il est exact que selon l’article 7 du même règlement-taxe, « Toutes sommes non réglées par l’exploitant ou le propriétaire cité ci-devant le dernier jour du mois qui suit le trimestre pour lequel la taxe est due sont productives d’intérêts de retard à partir du premier jour du mois suivant. (…) », de sorte que contrairement à la taxe proprement dite, les intérêts de retard que produisent les sommes non réglées par l’exploitant dans les délais impartis sont à charge de ce dernier. Il est encore exact que, toutes choses égales par ailleurs, la hausse du tarif de la taxe implique une augmentation des montants totaux que la société demanderesse sera appelée à transmettre à la recette communale et, corrélativement, une augmentation des sommes dues par elle en cas de retard dans la transmission de ces montants. Cependant, cette augmentation des montants que la société demanderesse pourrait être amenée à payer à titre d’intérêts de retard présente un caractère trop hypothétique pour que l’existence, dans le chef de cette dernière, d’un intérêt suffisant à agir à l’encontre des actes déférés puisse en être déduite. En effet, tel que leur nom l’indique, les intérêts de retard ne courent qu’en cas de retard de paiement, ce qui constitue un événement futur qui est non seulement incertain, mais dont la réalisation dépend encore directement du comportement personnel de la société …, comportement qui, de surcroît, revêt un caractère illicite pour consister en un non-respect des dispositions du règlement-taxe quant aux modalités de paiement de la taxe.

Par ailleurs, c’est à tort que la société demanderesse fait valoir que les actes déférés risqueraient d’affecter sa position concurrentielle, en ce que l’augmentation du tarif de la taxe litigieuse inciterait les déposants à s’orienter vers des décharges où la taxe prélevée serait moins élevée, voire à déposer leurs déchets à l’étranger.

En effet, outre le fait qu’il n’est pas établi que d’autres communes pratiqueraient effectivement une taxe moins importante, voire aucune taxe, tel que souligné à juste titre par l’administration communale, les entreprises n’ont pas le choix de la décharge à laquelle elles déposent leurs déchets inertes, et ce en vertu du principe de proximité consacré par l’article 6 du règlement grand-ducal du 9 janvier 2006, auquel la société demanderesse se réfère, d’ailleurs, elle-même et aux termes duquel « 1. Les déchets inertes doivent être transportés à la décharge la plus proche du chantier générateur des déchets.

2. Les bordereaux de soumissions publiques doivent mentionner la décharge vers laquelle les excédents de déchets inertes sont à évacuer.

3. Les bourgmestres mentionnent dans les autorisations à bâtir la décharge la plus proche. ».

Il est certes exact que le règlement grand-ducal du 9 janvier 2006 a été abrogé par le règlement grand-ducal du 23 juillet 2021 portant abrogation du règlement grand-ducal du 9 janvier 2006 déclarant obligatoire le plan directeur sectoriel « décharges pour déchets inertes ». Cette abrogation n’est cependant pas pertinente en l’espèce, étant donné, d’une part, qu’elle a eu lieu postérieurement au dépôt de la requête introductive d’instance en date du 24 novembre 2020 et, d’autre part, que dans le cadre d’un recours en annulation, l’intérêt à agir se mesure au jour de l’introduction du recours6, étant encore souligné, à titre superfétatoire, que le principe de proximité, tel que prévu par l’article 6, précité, du règlement grand-ducal du 9 janvier 2006, a été repris par le règlement grand-ducal du 25 août 2021 déterminant la procédure de recherche de nouveaux emplacements pour décharges régionales pour déchets inertes7.

En outre, la société demanderesse ne saurait valablement se prévaloir d’un risque de transferts de déchets inertes vers des décharges situées à l’étranger, du fait de l’augmentation du tarif de la taxe litigieuse.

En effet, l’article 16 (1) c) de la loi du 21 mars 2012 prévoit que « Les transferts de déchets inertes vers des opérations d’élimination situées hors du Luxembourg sont interdits sauf dans les cas de force majeure dûment constatés par le ministre. ».

Cette disposition légale prévoit, dès lors, l’interdiction de principe des transferts de déchets inertes vers des opérations d’élimination situées hors du Luxembourg, avec une exception pour les « (…) cas de force majeure dûment constatés par le ministre (…) ».

Or, dans la mesure où une mise en décharge constitue une opération d’élimination, au sens de la loi du 21 mars 2012, ainsi que cela se dégage du point D 1 de l’annexe I de ladite loi, laquelle contient la liste non exhaustive des opérations d’élimination à laquelle renvoie l’article 4, point 6 Cour adm., 9 juillet 2009, n° 25485C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 33 et les autres références y citées.

7 Art. 8 du règlement grand-ducal du 25 août 2021 : « Les déchets inertes doivent être transportés à la décharge la plus proche du chantier générateur des déchets.

Les bordereaux de soumissions publiques doivent mentionner la décharge vers laquelle les excédents de déchets inertes sont à évacuer. ».

(28) de la même loi, définissant la notion d’« élimination »8, l’hypothèse, envisagée par la société demanderesse, d’un transfert de déchets inertes d’origine luxembourgeoise vers des décharges situées à l’étranger tombe dans le champ d’application de l’interdiction de principe prévue par ledit article 16 (1) c) de la loi du 21 mars 2012.

Par ailleurs, la seule augmentation du tarif de la taxe ne saurait raisonnablement être qualifiée de cas de force majeure, au sens de l’article 16 (1) c), précité, de la loi du 21 mars 2012, de sorte que l’exception y prévue à la susdite interdiction de principe n’est pas susceptible d’entrer en ligne de compte.

Le tribunal précise ensuite qu’il partage l’appréciation de l’administration communale selon laquelle il n’est pas plausible qu’un promoteur déciderait de réaliser son projet immobilier plutôt sur le territoire d’une commune faisant partie du réseau d’une autre décharge, au seul motif que la taxe pour déchets inertes y prélevée serait prétendument moins importante.

Il se dégage des développements faits ci-avant que la réalité du risque, invoqué par la société demanderesse, d’une atteinte à sa position concurrentielle, du fait de l’augmentation du tarif de la taxe litigieuse, n’est pas vérifiée, de sorte que le risque en question ne saurait fonder l’intérêt à agir de la société …, étant encore relevé, à titre superfétatoire, que cette dernière ne conteste pas l’affirmation de l’administration communale ayant trait à l’appartenance aux mêmes bénéficiaires économiques de l’ensemble des sociétés gestionnaires de décharges pour déchets inertes situées au Luxembourg.

Il suit des considérations qui précèdent qu’il n’est pas établi que l’annulation des actes querellés serait susceptible de profiter personnellement et directement à la société demanderesse, en ce sens que sa situation, de fait ou de droit, s’en trouverait améliorée.

Ainsi, la société … ne justifie pas d’un intérêt suffisant à agir à l’encontre des actes déférés, de sorte que son recours doit être déclaré irrecevable.

Cette conclusion n’est pas énervée par la référence, faite par la société demanderesse, à l’indication des voies de recours, telle que contenue dans le courrier, précité, de l’administration communale du 21 septembre 2020, étant donné que l’existence, dans le chef de la partie demanderesse, d’un intérêt suffisant à agir à l’encontre de l’acte déféré est une question d’ordre public qui doit être appréciée in concreto par le tribunal, nonobstant l’indication des voies de recours contenue dans un courrier de l’administration.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours irrecevable ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par:

8 Art. 4, point (28) de la loi du 21 mars 2012 : « Aux fins de la présente loi, en entend par (…) « élimination » : toute opération qui n’est pas de la valorisation même lorsque ladite opération a comme conséquence secondaire la récupération de substances ou d’énergie. L’annexe I énumère une liste non exhaustive d’opérations d’élimination. ».

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 21 février 2022 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 février 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45271
Date de la décision : 21/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-21;45271 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award