La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/02/2022 | LUXEMBOURG | N°44566

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2022, 44566


Tribunal administratif N° 44566 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2020 2e chambre Audience publique du 21 février 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

__________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44566 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 juin 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ...

Tribunal administratif N° 44566 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2020 2e chambre Audience publique du 21 février 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

__________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44566 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 juin 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 juin 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ainsi que de celle portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 septembre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications du 3 décembre 2021 de Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et du délégué du gouvernement suivant lesquelles ceux-ci marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 6 décembre 2021.

Vu l’avis du tribunal administratif du 7 février 2022 prononçant la rupture du délibéré en vue d’un changement de composition ;

Vu la communication du 8 février 2022 de Maître Ardavan Fatholahzadeh, suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. »Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 février 2022.

Le 18 septembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

En date du 14 octobre 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 8 juin 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 11 juin 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 18 septembre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 18 septembre 2019 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 14 octobre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de la ville de … dans la région autonome du Kurdistan irakien, d'ethnie kurde et de confession musulmane.

Vous avez rempli une fiche de motifs le jour de l'introduction de votre demande de protection internationale sur laquelle vous avez indiqué que vous auriez quitté votre pays d'origine parce que vous vous seriez ennuyé et que vous n'auriez pas encore pu construire votre avenir.

Lors de votre entretien visant à déterminer de manière précise vos motifs, qui a eu lieu un mois après votre arrivée, vous indiquez que vous auriez travaillé dans un « Großmarkt (meist Nahrungsmittel) » [sic] et que vous auriez « (…) dort als Helfer 2 gearbeitet. Ich belud und entlud die LKWs. Ich reinigte den Platz. Ab und zu verkaufte ich auch selbst die Waren. » [sic] (p.5/15) du rapport d'entretien).

Ensuite, vous expliquez que vous auriez également eu comme mission de charger le véhicule en vivres d'une personne qui aurait eu l'habitude de s'approvisionner en vivres deux à trois fois par mois auprès de votre employeur.

Un jour en août 2019, cet individu serait venu à votre lieu de travail, accompagné de deux autres personnes qui auraient été des policiers en civil. Les deux policiers vous auraient interrogé sur les achats effectués par ce client et auraient également demandé à consulter le « Schuldbuch » [sic] afin de vérifier les transactions.

Vous avancez que vous n'auriez pas compris ce qui était en train de se produire, mais qu'après le départ des agents vous auriez appris que ce client en question serait un membre de l'organisation dénommée « PKK » et que votre employeur aurait été arrêté par la police pour avoir eu des relations commerciales avec ce groupement.

Plus tard dans l'après-midi, le fils de votre employeur vous aurait appelé et aurait demandé après son père. Vous l'auriez informé que son père aurait été arrêté par « Asaish » [sic] et il aurait commencé à vous insulter et à vous menacer parce que vous auriez parlé avec la police.

Deux jours plus tard, vous auriez reçu un appel téléphonique et vous auriez été menacé par des personnes qui seraient affiliées au « PKK ». Vous ajoutez que « Ich bekam weiterhin Drohanrufe seitens der PKK » [sic] (p.6/15) du rapport d'entretien).

Vous avancez également que vous auriez été observé et suivi par la police durant cette période et vous laissez entendre que vous craindriez d'être arrêté par les autorités de la région autonome du Kurdistan à cause de cette affaire.

Enfin, vous faites état d'un incident survenu le 5 ou 7 août 2019 et vous expliquez :

« Eines Nachts wurde ich von vier, fünf Personen niedergeschlagen. Sie haben mich sehr viel geschlagen. Ich wusste nicht, ob es Angehörige der Polizei oder Angehörige der PKK waren » [sic] (p.6/15) du rapport d'entretien).

Par conséquent, vous auriez décidé de quitter votre pays d'origine et vous auriez quitté l'Irak en septembre 2019 afin de vous rendre en Turquie.

Vous présentez votre passeport irakien.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

3 Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Vous déclarez qu'une personne affiliée au groupement dénommé « PKK » se serait ravitaillée en vivres auprès de votre employeur. Votre employeur aurait été interpellé par la police pour avoir entretenu des relations commerciales avec cet homme. Vous précisez que vous auriez été interrogé par la police dans le cadre de cette affaire en août 2019. Le fils de votre employeur aurait appris que vous auriez été interrogé par la police et il vous aurait ensuite menacé car il penserait que vous auriez dénoncé son père. Vous indiquez que vous craindriez être dans le collimateur de votre employeur, respectivement son fils, et aussi du « PKK » alors qu'ils vous auraient accusé d'avoir dénoncé un de leurs membres aux forces de l'ordre.

Force est de constater que ces faits n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, vous affirmez que vous auriez été menacé par le fils de votre employeur et le « PKK» uniquement parce que vous auriez parlé avec la police. Il est donc indéniable qu'il n'existe aucun lien avec votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social déterminé.

Même à supposer que ces faits entreraient dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, il y a néanmoins lieu de souligner que des simples insultes et menaces téléphoniques de la part du fils de votre employeur ainsi que de la part des personnes inconnues qui seraient affiliées au « PKK » ne sont pas d'une gravité suffisante pour être qualifiés d'acte de persécution au sens des prédits textes.

Quand bien même ces faits seraient d'une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous indiquez n'avoir à aucun moment saisi la police irakienne, contre les agissements du fils de votre employeur et des prétendus membres du « PKK » de sorte qu'aucun reproche ne saurait être formulé à l'égard des forces de l'ordre irakiennes qui n'auraient jamais été mises en mesure de remplir leur mission.

Etant donné que les forces de l'ordre sont intervenues pour interpeller votre employeur on 4 peut légitimement estimer qu'elles seraient également intervenues dans le contexte des menaces proférées à votre encontre par des membres du « PKK » ainsi que par le fils de votre employeur.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Concernant votre crainte que vous risqueriez d'être arrêté par la police force est de constater qu'il s'agit d'une pure spéculation de votre part sans aucun élément concret permettant de corroborer vos dires. En effet vous mentionnez uniquement que vous pourriez être dans le collimateur des autorités qui vous observaient. Or, le fait que les autorités mènent une enquête visant des membres du PKK est tout à fait légitime. Il ne saurait être question d'un quelconque abus dans le chef des autorités si ces dernières vous auraient observé comme vous laissez entendre alors qu'elles se borneraient à vérifier si vous entretenez également des liens avec un réseau qu'elles considèrent comme criminel. A cela s'ajoute que si la police aurait effectivement eu l'intention de vous arrêter, elle aurait pu procéder à votre arrestation en même temps que votre employeur ou au plus tard après vous avoir interrogé. De plus, vous concédez que vous avez déjà quitté l'Irak, peu avant votre dernier départ, avec votre passeport sans rencontrer le moindre problème. Ces constats confirment que vous n'êtes pas recherché par les autorités de votre pays d'origine.

Il convient dès lors de constater premièrement que ce fait n'entre pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et deuxièmement les craintes que vous exprimez sont purement hypothétiques de sorte qu'aucune persécution respectivement crainte de persécution n'existe dans votre chef.

Concernant l'incident du 5 ou 7 août 2019, vous indiquez que : « Es war nachts. Wir hatten Fußball gespielt. Es gab ein Fußballfeld hinter den Häusern bei uns. Da die Straßen nicht befestigt waren habe ich meinem Freund gesagt, dass er mich dort rauslassen könnte, da ich zu Fuß weitergehen würde. Als ich zu Fuß unterwegs war, habe ich 3-4 Personen von weitem gesehen. (…) Nachdem wir uns begegneten, fingen sie alle an mich zu schlagen. » (p.10/15 du rapport d'entretien).

Force est de constater que ce fait n'entre pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, vous affirmez que vous ne connaitriez pas l'identité des agresseurs et donc vous ignorez a fortiori également quelles auraient été leurs motivations, de sorte qu'il ne saurait être question de l'existence dans votre chef d'une persécution respectivement d'une crainte de persécution en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques respectivement de votre appartenance à un certain groupe social déterminé.

Même à supposer que ce fait serait lié à un des critères de fond, il y a lieu de retenir qu'un tel incident est certes regrettable, mais ne revête néanmoins pas un degré de gravité particulier et suffisant pour être qualifié d'acte de persécution.

5 Quand bien même que ce fait serait d'une gravité suffisante pour constituer un acte de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or rappelons que vous n'avez jamais porté plainte pour aucun des faits survenus, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que les forces de l'ordre irakiennes n'auraient pas pu respectivement voulu vous apporter une aide et une protection.

Enfin, soulignons qu'il résulte de la fiche manuscrite du 18 septembre 2019 que vous avez quitté l'Irak uniquement pour des raisons privés et économiques. Or, des motifs privés et économiques ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'ils ne répondent à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015, garantissant une protection à toute personne persécutée ou qui risque d'être persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, de sa nationalité, de ses opinions politiques, de sa religion ou de son appartenance à un certain groupe social.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas 6 de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine.

Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine au motif : « Arbil ist ähnlich wie Dohuk. Die PKK ist überall. Sie wissen doch was in Bagdad los ist. In Bagdad herrscht ein religiöser Konflikt. Mosul ist zerstört worden. Ich kenne mich in Irak auch nicht so gut aus. (…) » (p.12/15 du rapport d'entretien).

Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine.

Il ressort des recherches en nos mains qu'une réinstallation dans les régions du Kurdistan, est actuellement tout à fait envisageable : « Relocation to the Kurdistan Region of Iraq (KRI) People who originate from the KRI will, in general, be able to return there and to relocate to another area.

2.2.7 People who originate from the KRI are returned to Erbil International Airport.

2.2.8 People who originate from the KRI whose identity has been 'pre-cleared' with the KRI authorities do not need a current or expired passport, or a laissez-passer. Their nationality and identity has been established and accepted and return is feasible.

2.2.9 There is no evidence that people returned to Erbil using an European Union letter (EUL), and who have been pre-cleared by the KRI authorities, would, in general, be detained or experience treatment that engages Article 3 of the European Convention on Human Rights (ECHR) (see Returns to the Kurdistan Region of Iraq (KRI)).

2.2.10 There is also no evidence that returnees would be unable to travel through checkpoints following their arrival at Erbil International Airport (see Returns to the Kurdistan Region of Iraq (KRI)).

2.2.11 In general, it may be possible for Kurds who do not originate from the KRI to relocate to the region. Information suggests that ethnic Kurds are free to enter the KRI, although other sources say this may depend on certain circumstances. These Kurds will first 7 return to Baghdad using a current or expired passport, or a laissez passer, before travelling to the KRI (see Relocation to the Kurdistan Region of Iraq (KRI) — Entry requirements).

Monsieur, vous affirmez que vous auriez vécu à …. Ainsi, vous auriez pu vous installer dans une autre région du Kurdistan, notamment Erbil et Sulaymānīyah. En effet, vous auriez par exemple pu vous rendre de … à Erbil avec votre voiture privée ou avec un taxi, ainsi que d'autres sociétés de transport.

Pour ce qui est des possibilités d'embauche, vous avez déclaré avoir effectué plusieurs petits emplois ponctuels afin de subvenir à vos besoins et vous précisez :

« Tageslohn, bei Bedarf (alle möglichen Tatigkeiten) » [sic] (p.2/15 du rapport d'entretien).

Force est donc de constater que vous pourriez retrouver un travail dans plusieurs secteurs du marché du travail, notamment à Erbil ou et Sulaymānīyah.

Vu la densité de la population dans les grandes villes de ces régions et le fait que votre souci était un cas isolé, il appert que vous ne soulevez aucune raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 8 juin 2020 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 8 juin 2020, prise en son double volet, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur affirme être de nationalité irakienne, être de confession religieuse musulmane et d’ethnie kurde. Il aurait quitté son pays d’origine suite aux menaces de son employeur et du fils de celui-ci, qui appartiendrait au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ainsi que par crainte d’être arrêté par les autorités gouvernementales. A cet égard, il explique avoir travaillé dans un supermarché et s’être occupé de charger des denrées alimentaires dans des véhicules, notamment celui d’un client régulier qui se serait approvisionné deux à trois fois par mois. En août 2019, alors que son employeur aurait été absent, ce client serait venu accompagné de deux policiers en civil, qui l’auraient interrogé sur les achats effectués par ledit client et lui auraient demandé de fournirle livre de comptes. Après lui avoir demandé s’il s’agissait d’un client régulier, question à laquelle il aurait acquiescé, les individus auraient quitté les lieux. Peu après, un autre client l’aurait appelé pour l’informer que son employeur aurait été arrêté par la police et que le client venu avec les policiers aurait appartenu au PKK. L’après-midi de la venue de ces individus, Monsieur … aurait reçu un appel de la part du fils de son employeur qui lui aurait reproché d’avoir dénoncé le prédit client, ainsi que son père, qui auraient été membres du PKK, aux autorités policières avant de le menacer. Deux jours plus tard, il aurait reçu des appels téléphoniques de membres du PKK et aurait été menacé. Ces appels se seraient multipliés et il aurait été sommé de se rendre sur des lieux de rendez-vous douteux. Il aurait également été suivi par la police. Le 5 ou 7 août 2019, il aurait été pris à partie par un groupe d’individus, dont il n’aurait pas connu l’identité, qui l’auraient violemment battu. Le demandeur affirme, de ce fait, avoir été dans le collimateur du PKK, qui lui aurait reproché d’avoir dénoncé certains de ses membres, des autorités irakiennes qui lui auraient reproché de collaborer avec le PKK, ainsi que de son employeur et du fils de ce dernier pour avoir dénoncé leur client régulier, membre du PKK. Il aurait alors entrepris de quitter l’Irak au cours de l’année 2019 pour se rendre en Turquie, mais aurait été renvoyé en Irak faute de pouvoir présenter un passeport. Il aurait de nouveau quitté son pays d’origine en septembre 2019 à l’aide de passeurs, avant d’arriver au Luxembourg.

En droit, Monsieur … estime que la décision déférée encourrait la réformation pour violation de la loi, sinon erreur manifeste d’appréciation des faits, alors que le ministre ne lui aurait à tort pas accordé le statut de réfugié au motif que sa demande ne reposerait pas sur un des motifs figurant à l’article 1er, section A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».

Le demandeur rappelle que la notion de crainte prévue à ladite Convention devrait être qualifiée de raisonnable lorsqu’elle serait basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et que cette crainte découlerait du manquement de l’Etat d’origine dudit demandeur de remplir ses obligations de protection de ses citoyens, ces obligations de protection résultant de la déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 (DUDH), obligations auxquelles le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976 (PICP) aurait donné force obligatoire, de sorte que la mise en cause de ces droits civils et politiques constituerait une persécution.

Or, le demandeur estime que ses droits tels qu’énumérés dans la DUDH et le PICP auraient été violés par les autorités en place, de sorte que le ministre aurait fait une appréciation erronée des faits de l’espèce en estimant que ceux-ci ne justifieraient pas dans son chef une crainte justifiée de persécution, cette crainte de persécution tenant notamment au fait qu’il éprouverait une menace réelle de la part des autorités en place et du PKK.

Ensuite, en s’appuyant sur des articles de presse relatifs au PKK qui occuperait des territoires dans le nord de l’Irak, le demandeur fait valoir avoir été menacé par des membres de cette organisation qui lui reprocheraient d’avoir dénoncé et contribué à l’arrestation de certains de ses membres. Il en conclut que ces derniers agiraient pour des raisons politiques.

Il aurait également été battu « à mort » par eux. Il en déduit que le ministre aurait, à tort, considéré que les menaces du PKK à son encontre n’entreraient pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.

En ce qui concerne le fait qu’il n’ait pas saisi les autorités irakiennes à l’encontre du PKK, le demandeur donne à considérer qu’il aurait travaillé, sans en avoir connaissance, pourl’un de ses membres et qu’il aurait été, de ce fait, soupçonné par les autorités irakiennes de faire partie de cette organisation. Etant donné qu’il aurait été suivi par lesdites autorités et qu’il aurait craint d’être arrêté par elles, il n’aurait plus eu confiance en elles et n’aurait, dès lors, pas pu leur demander une protection.

Quant à l’application de l’article 42 (1) a) et b) de la loi précitée du 18 décembre 2015, le demandeur indique avoir été pris pour cible et menacé par le PKK et que les autorités irakiennes lui auraient reproché d’avoir des liens avec cette organisation. Ainsi, pour éviter un enlèvement, un chantage ou une exécution arbitraire, il aurait été contraint de quitter son pays d’origine, et les prédits faits constitueraient, selon lui, « une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) ».

Monsieur … fait encore valoir qu’il aurait été victime de violences physiques et mentales, alors qu’il aurait été victime de menaces de mort et d’agressions physiques et morales de la part du PKK et des autorités irakiennes, qui l’auraient surveillé sans relâche. Il estime que ces actes constitueraient un acte de persécution au sens de l’article 42 (2) de la loi du 18 décembre 2015. Il ajoute encore, à cet égard, qu’il aurait été victime de persécutions à caractère politique, car son comportement aux yeux du PKK et des autorités irakiennes serait vu comme un acte d’opposition contre le pouvoir et donc comme l’expression d’une conviction politique. Il en conclut qu’il devrait se voir octroyer le statut de réfugié politique.

En ordre subsidiaire, le demandeur fait plaider, après avoir cité les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015 et en s’appuyant sur l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », ainsi que sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) y relative, que le fait de vivre dans la crainte constante de voir les menaces du PKK se réaliser ou de se faire arrêter par les autorités irakiennes constituerait pour lui un véritable traitement inhumain, sinon un traitement dégradant. Ses déclarations seraient assez éloquentes en ce qui concerne le manque de sécurité et le fait qu’il ne pourrait bénéficier, en Irak, d’aucune protection efficace.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant, en substance, la motivation telle qu’elle se dégage de la décision déférée, reproduite in extenso ci-avant.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

a) Quant au statut de réfugié La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, lareligion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, le tribunal constate de prime abord que le demandeur se prévaut de craintes de persécutions de la part (i) du fils de son employeur, qui l’aurait menacé de mort par téléphone pour avoir dénoncé son père, (ii) du PKK, dont les membres l’auraient menacé par téléphone et qui l’auraient agressé, (iii) de l’Etat, qui le soupçonnerait de collaborer avec le PKK.

En ce qui concerne tout d’abord les menaces et insultes proférées par le fils de son employeur, force est de constater que le demandeur reste en défaut d’étayer tout lien entre ces faits et l’un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. En effet, il ressort des déclarations du demandeur que le fils de son employeur lui en voulait d’avoir contribué à l’arrestation de son père, motifs relevant de la sphère privée et qui restent étrangers au statut de réfugié.

En ce qui concerne les menaces proférées par des individus non identifiés appartenant au PKK, si elles peuvent a priori être considérées comme ayant une toile de fond politique, force est de constater que ces menaces n’ont jamais été suivies d’un quelconque incident concret, de sorte qu’il convient de retenir que ces faits ne présentent pas le degré de gravité visé par l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 pour pouvoir être qualifiés de persécutions ou justifier une crainte fondée de persécution en Irak.

A ce propos, si le demandeur tente de rattacher, dans sa requête introductive d’instance, l’agression subie aux menaces proférées par des membres du PKK, force est de constater que, lors de son entretien auprès du ministère, il a indiqué avoir été pris à partie par quatre ou cinq personnes et ne pas connaître l’identité de ses agresseurs, notamment leurappartenance à la police ou au PKK2. Partant, en ne fournissant que très peu d’informations sur cette agression, Monsieur … manque d’étayer le moindre lien entre cet incident et le PKK, de sorte qu’aucune motivation politique ne saurait être prêtée aux agresseurs et que cette agression doit être regardée comme étant un délit de droit commun.

Dans la mesure où ces agresseurs, les membres du PKK qui l’ont menacé par téléphone, ainsi que le fils de son employeur sont des personnes privées, il appartenait au demandeur de solliciter la protection des autorités irakiennes, notamment par le dépôt d’une plainte à l’encontre de ces individus.

Or, à défaut d’avoir au moins tenté de porter plainte auprès de la police ou d’avoir sollicité une forme quelconque d’aide aux autorités étatiques irakiennes, le demandeur ne saurait leur reprocher de ne pas avoir pu ou voulu l’aider.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection.

A cet égard et en tout état de cause, le demandeur ne peut faire valoir un risque réel de subir des persécutions que si les autorités irakiennes ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissements dont il fait état, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale3. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut4.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose-elle nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

2 Page 6 de son rapport d'audition.

3 UNCHR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, décembre 2011, p. 21, n° 100.

4 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.Dans ce contexte, il y a lieu de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il incombe au juge administratif de vérifier si, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, une protection adéquate a été offerte au demandeur de protection et lui est ouverte, étant rappelé que l’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit.

En l’espèce, il ne ressort pas des déclarations de Monsieur … ni des pièces produites en cause, - étant d’ores et déjà relevé à cet effet que les articles versés par le demandeur ayant trait principalement au conflit entre les autorités turques et le PKK irakien sont insuffisants pour démontrer une incapacité générale et totale des autorités irakiennes à fournir une protection à ses citoyens -, que les autorités irakiennes compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de fournir au demandeur une protection contre les prédits individus.

A cet encontre, si le demandeur fait part de ses craintes d’être arrêté par les autorités irakiennes pour avoir collaboré avec le PKK, force est de constater que ce dernier n’apporte aucun élément qui permettrait de penser qu’il serait dans le collimateur des autorités irakiennes. En effet, il ressort des déclarations du demandeur qu’après l’arrestation de son employeur, deux policiers en civil se sont présentés au supermarché et qu’ils lui ont posé quelques questions, puis qu’ils ont vérifié les livres de comptes et les marchandises qui ont été vendues à ce client, membre du PKK5. Il a indiqué ne pas avoir été inquiété outre mesure par la suite et que son employeur, par contre, était détenu jusqu’au moment de sa fuite d’Irak6, ce qui démontre d’ores et déjà que les autorités irakiennes enquêtent et placent en détention les personnes suspectées de la commission d’une infraction. S’il soutient ne plus faire confiance aux autorités de son pays d’origine pour avoir été suivi à plusieurs reprises par un policier, il échet de relever que le demandeur reste en défaut de démontrer (i) qu’il s’agissait bien d’un agent de police, même s’il a relevé que l’individu portait une arme et un émetteur-récepteur radio mobile sous sa chemise7 et (ii) quand bien même il s’agissait d’un agent de police, que ce dernier outrepassait ses droits, dans la mesure où les agents de police qui se sont présentés au supermarché menaient une enquête et, tel que remarqué par la partie étatique, que le demandeur a pu être suivi dans le cadre de cette enquête.

En tout état de cause, si Monsieur … estimait que le comportement du prétendu policier était inconvenant ou intimidant, il lui aurait également appartenu de s’adresser à d’autres policiers ou à leurs supérieurs, ce qu’il est resté en défaut de faire.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de conclure que le ministre a valablement pu retenir que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié, de sorte que le recours, pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur le statut de réfugié, est à déclarer non fondé.

b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire 5 Page 6 de son rapport d'audition.

6 Page 8 de son rapport d'audition.

7 Page 9 de son rapport d'audition.En ce qui concerne la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 (…) et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, en soutenant de façon non autrement circonstanciée qu’il remplirait les conditions pour se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.

En ce qui concerne les menaces proférées par le fils de son employeur, force est de constater que ces menaces n’ont jamais été suivies d’un quelconque incident, de sorte qu’il convient de retenir que ces faits ne présentent pas un degré de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Par ailleurs, il échet de relever que le demandeur aurait pu s’adresser aux autorités de son pays d’origine pour réclamer une protection à l’encontre de ce dernier, ce qu’il a manqué de faire.

En ce qui concerne l’agression subie et les menaces des membres du PKK, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les faits invoqués par le demandeur ne sauraient, au vu de la protection à laquelle il peut prétendre de la part des autorités irakiennes, fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire A l’appui de son recours contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur expose que cet ordre devrait encourir la réformation pour violation de la loi, alors qu’il risquerait de subir des atteintes graves telles que définis aux articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015. A titre subsidiaire, il soutient que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour en Irak serait suivi de traitements cruels, inhumains ou dégradants, de sorte à constituer également une violation autonome de l’article 3 de la CEDH, tout en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme8, ainsi qu’à une décision de la Commission européenne des droits de l’Homme9 selon lesquelles l’existence d’un simple risque que l’étranger soit soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine suffirait pour qu’il ne soit pas éloigné.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, il a également a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Comme le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit 8 CourEDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, Requête n° 30240/96 ; CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-

Uni, requête n° 14038/88 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah c. Royaume-Uni, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87.

9 Commission, 15 décembre 1977, X. c. RFA, requête n° 6699/74, DR 11, p.16.que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée et que la conclusion prise sur le volet de la protection subsidiaire relative à l’absence de risque réel et sérieux de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 s’applique également en l’espèce à une prétendue violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 sinon de l’article 3 de la CEDH prohibant l’éloignement d’un étranger s’il risque de faire l’objet d’un traitement inhumain, et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 juin 2020 portant refus d’une protection internationale en la forme ;

au fond, déclare ledit recours en réformation non justifié et en déboute ;

reçoit le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 21 février 2022 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 février 2022 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44566
Date de la décision : 21/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-21;44566 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award