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21/02/2022 | LUXEMBOURG | N°40670

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2022, 40670


Tribunal administratif Numéro 40670 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 janvier 2018 1re chambre Audience publique du 21 février 2022 Recours formé par la société anonyme de droit luxembourgeois A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40670 du rôle et déposée le 25 janvier 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître MichaÃ

«l Dandois, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au n...

Tribunal administratif Numéro 40670 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 janvier 2018 1re chambre Audience publique du 21 février 2022 Recours formé par la société anonyme de droit luxembourgeois A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40670 du rôle et déposée le 25 janvier 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Michaël Dandois, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme de droit luxembourgeois A, établie à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés au Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration en fonction ou tout autre organe habilité, et ayant élu domicile en l’étude de Maître Michaël Dandois, préqualifié, sise à L-1836 Luxembourg, 23, rue Jean Jaurès, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision d’injonction du 23 octobre 2017 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2018 par Maître Michaël Dandois pour compte de la société anonyme de droit luxembourgeois A, préqualifiée ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 22 mars 2021 autorisant les parties à déposer chacune un mémoire supplémentaire afin de prendre position quant à l’incidence au cas d’espèce des arrêts de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrits sous les numéros 41486Ca et 41487Ca du rôle ;

Vu le mémoire additionnel déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 juin 2021 par Maître Michaël Dandois, au nom de la société anonyme de droit luxembourgeois A ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » Vu les communications respectives de Maître Michaël Dandois et Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia suivant lesquelles ils marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 12 janvier 2022.

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Par courrier du 23 octobre 2017, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la société anonyme A, ci-après désignée par la société A », de lui fournir pour le 27 novembre 2017 au plus tard certains renseignements concernant la société anonyme B, ci-après désignée par « la société B », ladite injonction étant libellée comme suit :

« […] En date du 17 février 2017, l'autorité compétente de l'administration fiscale belge nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Belgique du 17 septembre 1970, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l'Avenant et de l'échange de lettres y relatif à ladite convention, ainsi que de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La personne morale concernée par le demande est la société B avec adresse à B-….

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2014 au 31 janvier 2017, les renseignements et documents suivants pour le 27 novembre 2017 au plus tard.

RENSEIGNEMENTS GENERAUX — Veuillez donner une description des lieux dont dispose la société A à l'adresse où elle est enregistrée : quelles Installations et quel personnel sont disponibles à cette adresse ? — Combien de sociétés sont enregistrées à l’adresse du siège social de la société A — Y a-t-il un lien entre les sociétés enregistrées à cette adresse et la société A ? — La société A, dispose-t-elle à l'adresse de son siège social de :

a. Son propre téléphone/fax ? Veuillez joindre la liste téléphonique interne.

b. Ses propres locaux d'entreprise (bureaux, salle da production, …) ? Quelle est la superficie de ces locaux c. Sa propre clef d'accès à ces locaux d'entreprise ? d. Son propre personnel (combien, de qui s'agit-il, données de contact, compétences, …) e. Son propre équipement IT (PC, server, capacité de stockage, …)? f.

Son propre mobilier de bureau et ses articles de bureau ? g. Ses propres places de parking ? — L'ensemble des moyens susmentionnés sont-ils réservés à la société, ou l'usage de ceux-ci se fait-il de façon partagée avec d'autres utilisateurs ? Comment s'organisent concrètement les réunions relatives à l'usage commun de ces moyens ? — A quelle fréquence la société A a-t-elle fait un usage effectif des installations communes ? — Veuillez joindre une copie des contrats de location conclus par la société.

— Le courrier à destination du siège social luxembourgeois de la société A est-

il envoyé en Belgique ? Si oui, à quelle adresse ? — Les lignes téléphoniques étaient-elles deviées vers la Belgique ? Si oui, vers quels numéros, liés à quelles personnes ? — Les emails étaient-ils transmis vers la Belgique ? Si oui, vers quelles adresses électroniques, liées à quelles personnes ? — Veuillez fournir les comptes annuels et bilans ainsi que les comptes de résultats de la société A pour l'année 2016.

— Veuillez fournir les rapports du comité de direction et des assemblées des actionnaires pour les années 2014, 2015 et 2016.

ACTIVITÉS D'EMPLOI — Veuillez indiquer si la société A emploie des salariés le cas échéant, veuillez indiquer depuis quand.

— Veuillez indiquer si la société est concernée par la location de main-

d’œuvre au Luxembourg.

— Veuillez indiquer si la société a des locaux au Luxembourg et si, le cas échéant, il y a du personnel administratif lié à ces locaux.

— Veuillez indiquer quel type de contrat existe entre la société A et la société B (contrat de sous-traitance, embauche de main d'œuvre, autres).

— Veuillez indiquer si la société utilise ses propres travailleurs ou un (des) sous-traitant(s), — Veuillez fournir les détails des employés/sous-traitants de la société (noms, adresse, date de naissance, numéro d'identification fiscal).

— La société dispose-t-elle de moyens suffisants [personnel] et d'installations afin de poursuivre son objet économique ? — La société utilise-t-elle du personnel et/ou des installations à un autre endroit que son siège social ? Si oui, à quel endroit, et de quel(les) personnel/installations s'agit-il ? TRANSACTIONS COMMERCIALES — Veuillez indiquer si la société A et la société B sont des parties associées.

— La société B est un important créancier de la société A. Veuillez indiquer si un prêt a effectivement été accordé.

— Veuillez fournir les détails du prêt. La date du prêt, le montant accordé. les noms et adresses du prêteur et de l'emprunteur.

— Veuillez indiquer sous quelle forme I prêt e été accordé (virement bancaire, espèces, autres).

— Veuillez indiquer si le prêt a été garanti ; le cas échéant, veuillez spécifier les conditions de la garantie.

— Veuillez indiquer si le prêt a été remboursé ; le cas échéant, veuillez indiquer la date de remboursement respectivement, en cas de remboursement partiel, les montants et les datas de remboursement — Veuillez indiquer le taux d'intérêt annuel et la méthode de calcul.

— Veuillez indiquer s'il existe des liens entre l'emprunteur et le prêteur; le cas échéant, veuillez indiquer les noms et adresses.

INFORMATIONS RELATIVES A LA PROPRIETE — Veuillez fournir le détail de chaque bien immobilier (description, adresse du bien) pour la période visée.

— Veuillez fournir le détail de chaque bien mobilier (bateaux, yachts, avions, voitures, …) pour la période visée.

— Veuillez indiquer si la société A a acquis des biens meubles ou immeubles pendant la période concernée et comment ces acquisitions ont été financées (hypothèque, prêt; …).

— Veuillez indiquer par qui les biens meubles ou immeubles ont été utilisés et Veuillez identifier le locataire, la date de début du bail et les conditions du contrat (pièces justificatives).

— Veuillez indiquer si la société a vendu un des actifs en sa possession ; le cas échéant, veuillez fournir la date de la vente, le prix de vente des actifs et la devise.

— Veuillez indiquer pour la période visée quelles immobilisations corporelles se trouvent au bilan de la société A et si celles-ci sont suffisantes afin d'exercer l'activité de l'entreprise [Matériel informatique, équipement de bureau, …] ; Veuillez joindre une copie du tableau d'amortissement.

DIVERS — La société A reçoit-elle l'assistance d'une fiduciaire à son siège social ? — Quels services la fiduciaire offre-t-elle ? La domiciliation en fait-elle partie? Veuillez joindre une copie du contrat de prestations de services et du contrat de domiciliation, ainsi que quelques factures.

— Le personnel de la fiduciaire est-il impliqué dans la direction de la société A [Est-il question de nominee directors, d'un secrétaire général, …] ? Si oui, veuillez joindre les mandats accordés à cette fin.

— Quel est le mandat des administrateurs officiels de la société A ? Doivent-ils rendre des comptes à quelqu'un ? Si oui, quelles sont les coordonnées de cette personne ? — Qui prend les décisions au sujet des affaires du personnel pour la société A, indépendamment des aspects formels [tels que la signature] ? Quelles sont les coordonnées de cette personne ? — Qui prend les décisions en rapport avec les clients/fournisseurs pour la société A, indépendamment des aspects formels [tels que la signature) ? Quelles sont les coordonnées de cette personne ? — Qui est le bénéficiaire économique de la société A ? Veuillez mentionner le nom et l'adresse. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 janvier 2018, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de ladite décision du 23 octobre 2017 prise par le directeur.

1) Quant à la recevabilité des recours principal en réformation et subsidiaire en annulation Arguments des parties En ce qui concerne la recevabilité de son recours, la société A estime pouvoir bénéficier, en dépit de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après la « loi du 25 novembre 2014 », entretemps modifiée mais ayant, en sa version en vigueur au moment de la prise de la décision litigieuse, exclu toute voie de recours contre une décision d’injonction, d’une voie de recours contre la décision d’injonction déférée sur le fondement de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », en s’appuyant sur l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte », applicable en la présente matière suivant les enseignements à tirer d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ci-après la « CJUE », du 16 mai 20172, Berlioz Investment Fund S.A. c. Directeur de l’Administration des Contributions Directes, ci-après « l’arrêt Berlioz ».

Dans son mémoire additionnel déposé sur autorisation afférente du tribunal, la société A estime qu’à la suite des enseignements à tirer de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 20203 et de deux arrêts de la Cour administrative du 12 janvier 20214, son recours, introduit en qualité de détenteur des renseignements, serait à déclarer recevable sur base de la primauté du droit communautaire.

Dans sa réponse du 10 avril 2018, le délégué du gouvernement résume les enseignements qu’il conviendrait de tirer de l’arrêt Berlioz, se réfère au projet de loi n° 7223, ayant donné lieu par la suite à la loi du 1er mars 2019 portant modification de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, dénommée ci-après la « loi du 1er mars 2019 », et en conclut qu’en l’état législatif au moment de la rédaction de son mémoire et eu égard à l’exclusion du recours prévu par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, que le détenteur de renseignements ne pourrait valoir un droit à contester la décision d’injonction que par voie de l’exception à la suite d’une amende administrative lui infligée, de sorte que le recours introduit en l’espèce directement contre l’injonction serait à déclarer irrecevable.

Par ailleurs, il conclut à l’irrecevabilité du recours pour tardivité, au motif que la décision d’injonction aurait été expédiée le lundi 23 octobre 2017, circonstance dont il déduit qu’elle devrait « raisonnablement » avoir été réceptionnée le lendemain, de sorte que le recours déposé le 25 janvier 2018 serait tardif, moyen auquel la société A oppose qu’il appartiendrait à l’Etat de prouver en quoi le recours serait tardif.

Le délégué du gouvernement n’a pas déposé de mémoire additionnel à la suite de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020 et des deux arrêts de la Cour administrative du 12 janvier 2021, précités.

2 CJUE (grande chambre) du 16 mai 2017, BERLIOZ INVESTMENT FUND SA c. directeur de l’administration des Contributions directes, C-682/15.

3 CJUE (grande chambre) du 6 octobre 2020, Etat luxembourgeois c/ B e. a., affaires jointes C-245/19 et C 246/19.

4 inscrits sous les numéros 41487C et 41486C du rôle.

Analyse du tribunal A titre liminaire, le tribunal constate que la demande de renseignements des autorités belges est basée (i) sur la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-

après désignée par « la directive 2011/16/UE », transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, (ii) sur la convention entre le Luxembourg et la Belgique en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Luxembourg le 17 septembre 1970, modifiée par plusieurs avenants, ci-après désignée par « la convention de double imposition », et (iii) sur la convention de l’OCDE et du Conseil de l’Europe sur l’assistance administrative mutuelle, tandis que la décision d’injonction du 23 octobre 2017, quant à elle, est fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

La convention de double imposition et la directive 2011/16/UE présentent deux ensembles de dispositions ayant des champs d’application distincts en ce qui concerne tant les Etats liés que les personnes et les impôts visés, de manière qu’ils sont susceptibles de s’appliquer parallèlement à une situation donnée.

La directive 2011/16/UE prime cependant dans les relations entre Etats membres de l’Union européenne sur les conventions de non-double imposition conclues par deux d’entre eux en tant que disposition du droit de l’Union européenne hiérarchiquement supérieure pouvant imposer à deux Etats membres un échange de renseignements dans des hypothèses où la convention de non-double imposition entre ces deux Etats membres ne le prévoit pas, tout en admettant, au vœu de son article 1er, alinéa 3, « (…) l’exécution de toute obligation des États membres quant à une coopération administrative plus étendue qui résulterait d’autres instruments juridiques, y compris d’éventuels accords bilatéraux ou multilatéraux. »5. Etant donné que la directive 2011/16/UE prime sur les conventions de non-double imposition convenues entre Etats membres, et qu’il n’est pas allégué que la convention de double imposition prévoit un échange de renseignements plus étendu que la directive 2011/16/UE, il y a lieu de conclure que la directive 2011/16/UE, ensemble avec la loi du 29 mars 2013 ayant transposé son contenu en droit interne, constitue le cadre légal de référence par rapport à la décision d’injonction du 23 octobre 2017.

Le tribunal relève ensuite qu’en date du 5 mars 2019 a été publiée au Mémorial A, N°112, la loi du 1er mars 2019, modifiant la loi du 25 novembre 2014 avec effet au 9 mars 2019, en ce qu’elle prévoit notamment la possibilité de l’introduction d’un recours en annulation contre la décision d’injonction par le détenteur des renseignements dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés, tandis que dans sa version précédente, la loi du 25 novembre 2014 prévoyait qu’« aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction visées à l’article 3, paragraphes 1er et 3. ».

La loi du 1er mars 2019 a été publiée au Mémorial en date du 5 mars 2019 avec prise d’effet au 9 mars 2019, sans prévoir de dispositions transitoires relatives aux questions de compétence et de procédure ou quant aux voies de recours.

5 CJUE, 11 octobre 2007, Européenne et Luxembourgeoise d’investissements SA (ELISA) c. Directeur général des impôts, C-451/05 ; Cour adm., 31 août 2015, n° 36893C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

Une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été prise. En résumé, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée6.

En l’espèce, la décision déférée a été prise le 23 octobre 2017, soit avant l’entrée en vigueur de la loi du 1er mars 2019. Ainsi, à défaut par le législateur d’en avoir autrement disposé, l’existence et la nature des recours ouverts en l’espèce sont régies par la loi du 25 novembre 2014, telle que publiée au Mémorial A, N° 214, en date du 27 novembre 2014 sans prendre en compte la modification intervenue postérieurement à travers la loi du 1er mars 2019, entrée en vigueur le 9 mars 2019.

L’article 3, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, dispose que : « Si l’administration fiscale compétente ne détient pas les renseignements demandés, le directeur de l’administration fiscale compétente ou son délégué notifie par lettre recommandée adressée au détenteur des renseignements sa décision portant injonction de fournir les renseignements demandés. La notification de la décision au détenteur des renseignements demandés vaut notification à toute autre personne y visée. ».

L’article 5, paragraphe (1) de la même loi, également dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, dispose que : « Si les renseignements demandés ne sont pas fournis endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés, une amende administrative fiscale d’un maximum de 250.000 euros peut être infligée au détenteur des renseignements.

[…] ».

L’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse dispose encore qu’« (1) Aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction visées à l’article 3, paragraphes 1er et 3.

(2) Contre les décisions visées à l’article 5, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. […] ».

L’article 6, paragraphe (1), précité, de la loi du 25 novembre 2014 exclut donc formellement l’exercice d’un recours juridictionnel à l’encontre d’une décision d’injonction, de sorte que les recours principal en réformation et subsidiaire en annulation sont a priori irrecevables.

En ce qui concerne la question de la compatibilité de cette exclusion avec l’article 47 de la Charte, invoquée par la société A, il convient de se référer aux enseignements à tirer de l’arrêt précité de la CJUE du 6 octobre 2020. En effet, dans cet arrêt la CJUE s’est penchée sur la question de la compatibilité de l’exclusion d’un recours contre la décision d’injonction 6 Trib. adm., 8 janvier 2016, n° 37265 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Lois et Règlements, n° 101 et les autres références y citées.

avec l’article 47 de la Charte dans l’hypothèse où cette exclusion vise le détenteur des informations sollicitées, le contribuable visé respectivement un tiers intéressé, alors que dans l’affaire Berlioz, citée par la société A dans sa requête introductive d’instance, la CJUE avait statué par rapport à une situation factuelle et légale différente, à savoir celle où un recours contentieux avait été introduit par le détenteur de renseignements seulement à un second stade de la procédure d’échange de renseignements dans l’Etat requis à l’encontre d’une décision lui infligeant une sanction administrative pour ne pas s’être conformé à la décision d’injonction lui adressée antérieurement et non pas, à un premier stade contre la décision d’injonction elle-même en raison de l’exclusion formelle d’un recours direct contre la décision d’injonction par la loi du 25 novembre 2014. En l’espèce, la société A entend justement former un recours contentieux directement contre l’acte formel pris au premier stade de la procédure d’échange de renseignements dans l’Etat requis, à savoir contre la décision d’injonction.

Dans son arrêt du 6 octobre 2020, la CJUE a distingué suivant que le recours est exercé par le détenteur des informations auquel l’injonction est adressée, d’une part, et le contribuable visé et un tiers intéressé, d’autre part, et a estimé que l’exclusion de tout recours contre la décision d’injonction se heurte à l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec les articles 7 et 8 de la Charte, et à l’article 51, paragraphe (1) de la Charte, en ce qu’elle vise la personne détentrice des informations à laquelle la décision d’injonction est adressée, mais ne s’y heurte pas en ce qu’elle vise le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction, voire les tiers intéressés par les informations.

Pour arriver à cette conclusion, en l’occurrence en ce qui concerne la situation du détenteur des informations auquel l’injonction est adressée, la CJUE a retenu en substance que celui-ci peut se prévaloir du principe général du droit de l’Union européenne de la protection des personnes, tant physiques que morales, contre des interventions de la puissance publique dans leur sphère d’activité privée, qui seraient arbitraires ou disproportionnées et qu’il doit se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal7. Après avoir relevé que les Etats membres peuvent limiter l’exercice du droit à un recours effectif, à condition de respecter les exigences prévues par l’article 52, paragraphe (1) de la Charte8, elle a encore précisé que le contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte - contenu essentiel que toute limitation y apportée doit respecter - inclut, entre autres éléments, celui consistant, pour la personne titulaire de ce droit, à pouvoir accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits que le droit de l’Union européenne lui garantit. Elle a en outre relevé que pour accéder à un tel tribunal, cette personne ne saurait être contrainte d’enfreindre une règle ou une obligation juridique et de s’exposer à la sanction attachée à cette infraction9. Après avoir constaté qu’au vœu de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014, dans sa teneur initiale, correspondant à celle applicable aussi au présent litige, un détenteur de renseignements s’étant vu adresser une décision d’injonction de communication d’informations qui serait arbitraire ou disproportionnée ne peut pas accéder à un tribunal, à moins d’enfreindre cette décision en 7 Considérants n° 57 à 59.

8 « Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. » 9 Considérant n° 66.

refusant d’obtempérer à l’injonction qu’elle comporte et de s’exposer, ainsi, à la sanction attachée au non-respect de celle-ci, la CJUE a conclu qu’un détenteur de renseignements ne peut pas être regardé comme jouissant d’une protection juridictionnelle effective par l’effet de cette disposition10.

En conséquence, la CJUE a dit pour droit que « l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu conjointement avec les articles 7 et 8 ainsi qu’avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens : – qu’il s’oppose à ce que la législation d’un État membre mettant en œuvre la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE, telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014, exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente de cet État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, puisse faire l’objet d’un recours formé par une telle personne ».

En l’espèce, il n’est pas contesté que la société A a exclusivement la qualité de détenteur des renseignements demandés, qui se voit imposer une obligation de faire suite à cette décision et plus loin, à défaut d’y obtempérer, court le risque de se voir infliger les sanctions prévues par l’article 5, précité, de la loi du 25 novembre 2014.

La situation de la société A correspond dès lors à celle envisagée par la CJUE dans son arrêt du 6 octobre 2020 à propos du détenteur des informations auquel une décision d’injonction est adressée, celle-ci n’ayant pas d’autre possibilité, pour faire valoir son droit à un recours effectif, que de provoquer une sanction en ne répondant pas à la décision d’injonction, ce qui est constitutif d’une violation du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte.

Or, suivant les enseignements de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, le recours judiciaire n’est plus effectif si l’intéressé ne peut l’exercer qu’en violant une obligation s’imposant à lui et en s’exposant à une sanction.

Conformément au principe de la primauté du droit de l’Union européenne, les dispositions des traités de l’Union européenne et des actes des institutions de l’Union directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, de rendre inapplicable de plein droit toute disposition contraire de la législation nationale existante11. Par voie de conséquence, le juge administratif luxembourgeois, en sa qualité de « juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure »12. Il lui incombe également « d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l’effet direct des dispositions du droit communautaire »13.

10 Considérant n° 68.

11 CJUE 15 juillet 1964, Flaminio Costa, aff. C-6/64.

12 CJUE 9 mars 1978, Simmenthal, aff. C-106/77.

13 CJUE 19 juin 1990, Factortame, aff. C-231/89.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, le tribunal est tenu de faire abstraction de la disposition de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version originale applicable en l’espèce et excluant tout recours contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction, par rapport à la situation de la société A en tant que détenteur de renseignements s’étant vu adresser une décision d’injonction sur base d’une procédure d’échange de renseignements régie par la directive 2011/16/UE et d’assurer à celle-ci le plein exercice de son droit d’accéder à un recours juridictionnel effectif lui garanti par l’article 47 de la Charte à l’égard de la décision d’injonction litigieuse.

Le tribunal est dès lors amené à laisser inappliquées les limitations procédurales prévues par ledit article 6 de la loi du 25 novembre 2014 au profit de la voie de recours de droit commun prévue par l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif14, ci-après la « loi du 7 novembre 1996 », qui dispose qu’un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

Etant donné que l’article 3 de la même loi limite la voie du recours en réformation aux seules hypothèses où « les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif » pour connaître d’un tel recours et qu’en l’espèce, aucune telle loi spéciale n’existe, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

S’agissant ensuite de la recevabilité ratione temporis du recours subsidiaire en annulation, remise en question par l’Etat, force est de constater que l’article 13, paragraphe (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », pertinent pour déterminer la durée du recours de droit commun, dont doit bénéficier la société A tel que cela a été retenu ci-avant, de même que le point de départ du délai, dispose que « Sauf dans les cas où les lois ou règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance ».

Il se dégage de cette disposition que le délai de recours de droit commun de trois mois court soit à compter du jour où la décision a été notifiée au requérant, soit du jour où celui-ci en pu prendre connaissance.

Il est encore de principe que c’est la partie qui se prévaut de la tardivité du recours à laquelle incombe la charge de la preuve relativement audit moyen15.

Si la partie étatique affirme dans son mémoire en réponse que la décision d’injonction aurait été envoyée par la poste à la société requérante, et produit certes le bordereau d’expédition afférent de la poste attestant que l’envoi recommandé a été expédié le 23 octobre 2017, elle n’est toutefois pas fondée à en déduire, à défaut de preuve de la date de la réception de ce courrier, que le courrier serait présumé réceptionné le lendemain de son expédition.

14 En ce sens cf. considérant n° 21 de l’arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, n° 41486Ca du rôle.

15 Trib. adm. 12 décembre 2004, n° 10784 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 220 et l’autre référence y citée.

Il convient, à cet égard, de préciser qu’à défaut de texte spécifique en sens contraire, le seul fait de poster un courrier ne fait pas présumer sa réception dans les jours suivants, et en tout état de cause pas à la date figurant sur le même courrier. Un courrier peut être égaré par la poste, perdu définitivement ou être remis à son destinataire bien longtemps après sa remise à la poste. Pour se ménager une preuve à cet effet, l’expéditeur peut recourir aux services spécialisés de la lettre recommandée, voire de la lettre recommandée avec accusé de réception16, étant relevé que la charge de la preuve de la notification, tout comme celle de la date de la réception par le destinataire, effective ou du moins présumée par l’effet de la remise d’un avis de passage, qui elle est déterminante, incombe à l’administration dont émane la décision17.

En l’espèce, il ne résulte d’aucun élément du dossier à quelle date ledit envoi a été réceptionné par la société requérante, voire la date à laquelle celle-ci a pour le moins été avisée de l’envoi recommandé.

A défaut d’une telle preuve et au regard des contestations afférentes de la société requérante, le tribunal n’est pas à même de vérifier à quelle date la décision litigieuse a effectivement été notifiée à la société A, de sorte à ne pas pouvoir vérifier la date de départ du délai de recours.

Comme la partie étatique n’a pas non plus fourni la preuve que la société requérante ait pris connaissance de la décision par un autre moyen avant le 25 octobre 2017, le moyen d’irrecevabilité pour cause de tardivité est rejeté.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation, pour autant qu’il est introduit par la société A en sa qualité de détenteur des informations visant la société B contre la décision d’injonction du 23 octobre 2017 est à déclarer recevable, le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes de la loi.

2) Quant au fond En relevant que la décision d’injonction se limiterait à demander des renseignements sans autre précision que l’indication de la personne morale concernée, à savoir la société B avec adresse à Bruxelles, et en renvoyant à l’article 26 de la convention de double imposition en ce qui concerne le norme de la pertinence vraisemblable, de même qu’à l’échange de lettre du 16 juillet 2009 relatif à l’échange de renseignements tel que mentionné à l’article 26 de la convention de double imposition, précisant en l’occurrence les modalités de la demande visant à obtenir des renseignements , la demanderesse conclut à un défaut de motivation de la décision d’injonction, critique la pertinence vraisemblable des renseignements demandés en l’occurrence en ce qui concerne l’identité du contribuable visé et fait en dernier lieu état d’une impossibilité de défendre sa cause à défaut d’indication de la finalité fiscale et demande en conséquence de voir condamner l’Etat à lui fournir les informations visées à l’article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens.

16 Trib. adm. 25 septembre 2000, n° 11835 du rôle, Pas. adm. 2021, Procédure contentieuse, n° 222 et les autres références y citées.

17 Par analogie : trib. adm 25 septembre 2000, précité.

Le tribunal n’étant pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

(i) Quant à l’accès aux informations visées par l’article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE et quant à la motivation de la décision d’injonction Arguments des parties La demanderesse reproche au directeur une formulation laconique qui ne résumerait même pas les faits gisant à la base de la demande, puisqu'il se contenterait d'affirmer avoir vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

En outre, la demanderesse fait valoir que suivant une jurisprudence constante, l’existence des motifs serait une des conditions essentielles de la validité d'un acte administratif, alors que le fait, pour l’administration, de se limiter à reprendre comme seuls motifs des formules générales et abstraites prévues par la loi sans tenter de préciser concrètement comment, dans le cas d'espèce, les raisons de fait permettant de justifier la décision équivaudrait à une absence de motivation. La demanderesse en conclut que la décision attaquée serait viciée pour défaut de motivation.

En ce qui concerne ses contestations quant au respect de ses droits de la défense, la demanderesse estime que si, afin de faire pleinement entendre sa cause au sujet de l'absence de pertinence vraisemblable des informations demandées, il suffisait, en principe, que l'administré dispose des informations visées à l'article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE, à savoir de l’identité du contribuable concerné et de la finalité fiscale des informations demandées, ces informations feraient toutefois défaut en l’espèce, puisque la finalité fiscale des informations demandées ne figurerait pas dans la demande d'injonction. En conséquence, elle sollicite, afin de faire pleinement défendre sa cause au sujet de l'absence de pertinence vraisemblable des informations demandées, que l'Etat se voit ordonner de lui fournir les informations visées à l'article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE, et qu’elle se voit accorder le droit de produire un mémoire supplémentaire. A défaut de faire droit à ces demandes, elle demande au tribunal de constater la violation de ses droits de la défense, de la violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés et du principe du contradictoire dès lors qu'au moment de l’introduction du recours, elle n’aurait pas disposé des informations requises, demandes qu’elle réitère dans le dispositif de son mémoire en réplique.

Analyse du tribunal En ce qui concerne de prime abord les informations auxquelles la demanderesse peut avoir accès, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25 novembre 2014 « La demande d'échange de renseignements ne peut pas être divulguée. La décision d'injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d'identifier les renseignements demandés. » Dans son arrêt Berlioz du 16 mai 2017, la CJUE a entériné le caractère secret de la demande d’informations conformément à l’article 16 de la directive 2011/16/UE et a rappelé dans ce contexte que le « caractère secret [de ladite demande] s’explique par la discrétion dont l’autorité doit normalement faire preuve au stade de la collecte d’informations et qu’elle est en droit d’attendre de l’autorité requise, afin de ne pas nuire à l’efficacité de son enquête »18.

Par rapport à cette exigence de confidentialité, la CJUE a en outre distingué entre la phase administrative d’un échange de renseignements et la phase contentieuse découlant de l’introduction d’un recours juridictionnel, en jugeant (i) quant à la phase administrative que « le secret de la demande d’informations peut ainsi être opposé à toute personne dans le cadre d’une enquête »19, ce qui implique nécessairement que le secret peut également être opposé au détenteur de renseignements qui se voit notifier une décision d’injonction et (ii) quant à la procédure contentieuse suite à l’introduction d’un recours juridictionnel, qu’il n’était pas nécessaire pour que l’administré fasse entendre sa cause de manière « équitable », au sujet de la condition de pertinence vraisemblable, qu’il ait accès à l’ensemble de la demande d’informations, mais qu’il suffisait qu’il ait accès, dans le cadre d’un recours contentieux, à l’information minimale visée à l’article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE, à savoir i) l’identité du contribuable concerné et ii) la finalité fiscale des informations demandées20, étant relevé que la CJUE a jugé que le droit d’accès ainsi délimité du détenteur de renseignements au contenu de la demande étrangère d’échange de renseignements est conforme aux exigences du caractère équitable du procès découlant de l’article 47, paragraphe (2) de la Charte.

Il en découle que la demanderesse n’est pas en droit de se voir communiquer la demande de renseignements émanant des autorités belges, mais elle est uniquement en droit, tel qu’elle le reconnaît d’ailleurs elle-même, à avoir accès, dans le cadre du recours contentieux, aux informations minimales visées à l’article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE.

Le tribunal constate qu’en l’espèce, ces informations essentielles ont été fournies à travers le mémoire en réponse, en ce que les informations concernant l’identité du contribuable visé ont été fournies, à savoir la société B, et que la finalité fiscale des renseignements demandés a été expliquée, à savoir celle de clarifier la situation fiscale de la société B en Belgique et plus particulièrement de permettre aux autorités fiscales belges de déterminer la nature exacte d’intérêts perçus par la société B de la part de la société A, de même que les raisons pour lesquelles ces informations sont de nature à justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés sont indiquées, les informations tendant en substance à clarifier si la société A est le cas échéant à qualifier de société « boîte aux lettres » avec les conséquences en découlant au niveau de la qualification des flux financiers entre ces deux sociétés.

Dans ces conditions, la demande de condamner la partie étatique à fournir les informations essentielles de la demande d’échange de renseignements est à rejeter pour être devenue sont objet.

Pareillement, le moyen fondé sur une violation des droits de la défense au motif d’un défaut d’accès à ces informations est à rejeter, dans la mesure où la demanderesse, si elle ne disposait effectivement pas des informations requises au moment de la rédaction du recours, a 18 Considérant n° 94.

19 Considérant n° 95.

20 Considérant n° 100.

eu la possibilité de prendre position, à travers un mémoire en réplique, sur les informations lui fournies par l’Etat dans sa réponse. Elle n’est partant pas non plus fondée à conclure à l’annulation de la décision attaquée au seul motif que ses droits de la défense auraient été lésés, une telle lésion ne se trouvant pas vérifiée.

En ce qui concerne ensuite le reproche d’un défaut de motivation de la décision d’injonction, reproche que la demanderesse déduit d’un défaut de description, dans la décision d’injonction même, des faits qui permettraient de justifier la demande d’échange de renseignements, se pose la question du contenu obligatoire de la décision d’injonction.

L’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25 novembre 2014 dispose que « la décision d’injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d’identifier les renseignements demandés », de manière à exclure implicitement l’insertion, dans la décision d’injonction même, non seulement de développements quant aux démarches du directeur et à son analyse en relation avec le contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable, mais encore de l’indication des « faits gisant à la demande d’échange de renseignements » dont la demanderesse critique le défaut d’indication. Cette conclusion s’impose d’autant plus au regard du caractère secret que la CJUE a reconnu dans l’arrêt Berlioz à la demande d’échange de renseignements émanant de l’autorité compétente d’un autre Etat membre, tel que relevé ci-avant, qui prohibe sa communication au niveau de la procédure d’injonction et qui empêche le tiers détenteur à prendre connaissance de son contenu, dont les développements justifiant la pertinence vraisemblable des renseignements demandés et en l’occurrence les faits à la base de la demande.

Il s’ensuit qu’il suffit que la partie publique fournisse dans le cadre du recours contentieux les informations concernant l’identité du contribuable et la finalité fiscale des renseignements demandés et qu’il explicite les raisons pour lesquelles, déjà d’après l’analyse effectuée par le directeur, ces informations sont de nature à justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés21.

Par voie de conséquence, en indiquant dans sa décision d’injonction l’identité du contribuable concerné, la base légale sur laquelle se fonde la demande d’échange de renseignements, la période couverte par la demande, les informations requises du détenteur de renseignements ainsi que le délai de leur remise et les modalités de leur dépôt, le directeur doit être considéré comme ayant mis le détenteur des renseignements suffisamment en mesure de se conformer à ses obligations de communication.

Il s’ensuit que la demanderesse n’est pas fondée à conclure à un vice affectant la décision d’injonction tenant à un défaut d’indication des motifs, et cela en raison d’un défaut d’indication des faits à la base de la demande d’échange de renseignements, les termes de l’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25 novembre 2014, étant le reflet du caractère secret de de la demande d’échange de renseignements au niveau de la procédure d’injonction, se heurtant à cette indication dans la décision d’injonction même. Au regard des principes relevés ci-avant, la fourniture des renseignements essentiels prévue à l’article 20, paragraphe (2), de la directive 2011/16/UE au cours de la procédure contentieuse est suffisante, étant relevé que le tribunal vient de retenir ci-avant que la partie étatique a fourni à suffisance les 21 Cour adm. 25 avril 2019, nos 42093C et 42118C du rôle, rappelé dans un arrêt du 9 décembre 2021, n° 46594C du rôle, disponibles sous www.ja.etat.lu.

indications essentielles de la demande d’échange de renseignements en cours de la procédure contentieuse.

Le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs est partant à rejeter, sous réserve du contrôle du bien-fondé des motifs, examen qui sera fait ci-après dans le cadre de l’examen de la question de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés.

(ii) Quant à la pertinence vraisemblable des renseignements demandés Arguments des parties A l’appui de son recours, la demanderesse s’interroge si elle ne fait pas l’objet d'une « pêche aux renseignements », au regard de la formulation et de la finalité des questions.

A titre d'exemple, elle estime que la question de savoir si elle dispose de ses propres places de parking serait aléatoire.

Ensuite en ce qui concerne l'identité du contribuable concerné, la décision d'injonction se contenterait de mentionner la société B. Or, comme elle se verrait adresser 78 questions la concernant personnellement et dont seule une faible minorité serait en lien avec la société concernée par la demande, la demanderesse s’interroge si, dans les faits, ce n'est pas elle-

même qui est directement visée par la demande belge.

Au regard des explications fournies par le délégué du gouvernement dans sa réponse quant à la description générale de l’affaire et de la finalité fiscale de la demande d’échange de renseignements, la demanderesse déclare dans sa réplique qu’elle comprend que le principal souci aux yeux des autorités fiscales belges serait sa qualité potentielle de « société boîte aux lettres », donc de structure artificielle.

Par rapport à cette question, elle se réfère à des propos tenus par le ministre des Finances en fonction à l’époque, sur cette question en mai 2018 dans le cadre d’une interview et suivant lequel, « une société de participations n'est pas une société « boîte aux lettres ».

C'est une société qui a une activité : celle de détenir des participations, et il en existe sur toute la terre » et « Il existe d'autres sociétés qui sont des coquilles vides, de véritables «sociétés boîtes aux lettres », qui dans le passé, pouvaient servir à quelque chose, mais qui aujourd'hui (…) ne servent plus à rien », propos dont la demanderesse conclut qu’aux yeux du ministre, une société « boite aux lettres» correspondrait à une coquille vide, tandis qu’une société de participations correspond à une société qui détient des participations.

Or, suivant son bilan au 31 décembre 2016, dont l'Etat aurait parfaitement connaissance à travers l'administration des Contributions directes, elle détiendrait des participations, de sorte que, contrairement aux affirmations de l'Etat, elle ne pourrait en aucun cas être caractérisée de « société boîte aux lettres ».

Dans son mémoire additionnel, la demanderesse se réfère encore à ses comptes annuels visant les exercices clôturés aux 31 décembre 2014, 31 décembre 2015, 31 décembre 2016 et 31 décembre 2017, qui montreraient à son actif des immobilisations financières entre … euros et … euros, ces immobilisations financières étant quasi exclusivement constituées de participations et d’obligations dans des sociétés.

Par ailleurs, ces comptes annuels, à la disposition de l’Etat luxembourgeois, montreraient un total de produits des immobilisations financières de … euros pour l'exercice 2014, de … euros pour l'exercice 2015 et des produits provenant de participations, d'autres valeurs mobilières, d'autres titres et de créances de l'actif immobilisé pour un total de … euros pour l'exercice 2016 et de … euros pour l'exercice 2017.

Cette structure des comptes annuels confirmerait dès lors qu’elle répondrait à la définition donnée par ministre des Finances d’une société de participation et non pas à celle d’une société « boîte aux lettres », partant une « coquille vide », et que les suppositions à la base de la demande d’échange de renseignements seraient infondées, ce dont l’administration des Contributions directes aurait pu se convaincre en consultant les comptes annuels en sa possession, de sorte que l’argumentaire de l'État dans son mémoire en réponse du 10 avril 2018 devrait être écarté.

Au vu de la description quant au but fiscal poursuivi par l'autorité requérante, les questions formulées dans la demande d'injonction ne trouveraient aucune justification et seraient dépourvues de pertinence vraisemblable.

Analyse du tribunal Le tribunal relève que l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, en sa version en vigueur au moment de la prise de la décision d’injonction litigieuse, dispose que « L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements. La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les Conventions et lois ».

Dans son arrêt Berlioz du 16 mai 2017, la CJUE a délimité le champ du contrôle à exercer par le juge compétent saisi dans l’Etat requis par rapport à la demande d’injonction en ce sens que « les limites applicables au contrôle de l’autorité requise s’imposent de la même manière au contrôle du juge » (considérant n° 85) et que « le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie »22.

La CJUE a confirmé le champ de ce contrôle juridictionnel par son arrêt du 6 octobre 2020, précité23.

La CJUE a encore précisé que « cette notion de pertinence vraisemblable reflète celle utilisée à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE tant en raison de la similitude des concepts utilisés que de la référence aux conventions de l’OCDE dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil COM(2009) 29 final, du 2 février 2009, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ayant conduit à l’adoption de la directive 2011/16 »24.

22 Considérant n° 86.

23 considérant n° 116.

24Arrêt Berlioz, considérant n° 67.

Tel que cela a été relevé par la Cour administrative dans son arrêt du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41486Ca du rôle, la CJUE a dans son arrêt du 4 octobre 2020, précité, rappelé certains des principes déjà énoncés par elle dans l’arrêt Berlioz, dont notamment que si l’autorité requérante, qui est maîtresse de l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations, dispose d’une marge d’appréciation pour évaluer, selon les circonstances de l’affaire, la pertinence vraisemblable des informations demandées, elle ne saurait pour autant demander à l’autorité requise des informations ne présentant aucune pertinence pour cette enquête et que des renseignements sollicités à travers une demande d’échange d’informations de l’autorité requérante visant à faire effectuer une recherche d’informations « tous azimuts », telle que visée au considérant 9 de la directive 2011/16/UE25, ne sauraient, en tout état de cause, être considérées comme étant vraisemblablement pertinentes au sens de l’article 1er, paragraphe 1 de la directive 2011/16/UE.

La CJUE a ensuite rappelé dans le même arrêt que dans l’hypothèse où cette personne a formé un recours contre la décision d’injonction de communication d’informations qui lui a été adressée, la juridiction compétente doit contrôler que la motivation de cette décision et de la demande sur laquelle celle-ci se fonde est suffisante pour établir que les informations en cause n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité du contribuable visé, à celle de la personne détenant ces informations et aux besoins de l’enquête en cause.

Au vu des principes énoncés par la CJUE dans son arrêt Berlioz et réitérés dans son arrêt du 6 octobre 2020 quant à la nécessité d’un contrôle du bien-fondé d’une décision d’injonction et de l’étendue de ce contrôle restreint, et tel que la Cour administrative l’a retenu dans son arrêt du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41486Ca du rôle, par rapport auquel les parties ont été autorisées à prendre position chacune à travers un mémoire additionnel, le tribunal est amené à conclure que l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, précité, en sa version en vigueur au moment de la prise de la décision d’injonction, n’était pas conforme aux articles 1er, paragraphe (1) et 5 de la directive 2011/16/UE ensemble avec l’article 47 de la Charte, de sorte qu’il doit en écarter l’application au vu du rang hiérarchique supérieur de ces normes de droit de l’Union européenne par rapport à la loi interne luxembourgeoise en ce qu’elle entend empêcher le directeur, en tant qu’autorité compétente de l’Etat requis, et à sa suite, le cas échéant, le juge administratif, de procéder à tout examen de la validité au fond d’une demande d’échange de renseignements lui adressée.

En ce qui concerne ensuite la question de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés, cette condition implique que la demande porte sur un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle soit relative à un contribuable déterminé, les renseignements demandés devant être vraisemblablement pertinents pour l’enquête menée par 25 « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts » ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d’informations effectif ».

l’autorité requérante. Dans cette optique, il faut qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révéleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante, la décision d’injonction étant en revanche à qualifier de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de renseignements qui porte sur des informations qui sont manifestement dépourvues de toute pertinence vraisemblable pour l’enquête menée par l’autorité requérante et ce eu égard au contribuable concerné, au tiers éventuellement renseigné et à la finalité fiscale poursuivie.

En ce qui concerne ensuite le rôle du tribunal saisi d’un recours en annulation contre une injonction de communiquer des renseignements, celui-ci est circonscrit par une triple limitation, à savoir, premièrement, celle découlant de sa compétence limitée de juge de l’annulation, deuxièmement, celle découlant du fait que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois, et, troisièmement, celle du critère s’imposant tant au directeur qu’au juge administratif, à savoir celui de la « pertinence vraisemblable ».

En ce qui concerne ce dernier critère, il y a lieu de relever que si le juge de l’annulation est communément appelé à examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ce contrôle doit, en la présente matière, être considéré comme plus limité, puisque le juge n’est pas appelé à vérifier si la matérialité des faits donnant lieu au contrôle lequel justifie la demande de renseignements est positivement établie, mais seulement si les renseignements sollicités paraissent être vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle ou de l’enquête poursuivie dans l’Etat requérant26. La CJUE a, en effet, rappelé à cet égard que l’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’Etat requérant, et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance27.

Il s’ensuit que la société demanderesse ne saurait être admise à apporter la preuve, au cours de la phase contentieuse, que les explications soumises par l’Etat requérant reposent sur des faits inexacts, dans la mesure où cette faculté imposerait au tribunal de se livrer à un contrôle de la matérialité des faits à la base de la demande de renseignements de l’autorité étrangère. Or, ce débat doit être porté par le contribuable visé devant les autorités compétentes de l’Etat requérant. Il n’appartient pas non plus au directeur, et corrélativement au tribunal, d’examiner, d’après le droit de l’Etat requérant, la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant, cette compétence et les contestations afférentes relevant des seules autorités de l’Etat requérant.

Il n’est fait exception à cette limitation du rôle du juge luxembourgeois que dans les hypothèses où la personne ayant recouru contre une décision directoriale d’injonction de fournir des renseignements soumet en cause des éléments circonstanciés qui sont de nature à ébranler le contenu de la demande de renseignements étrangère en des volets essentiels de la situation à la base de la demande d’échange de renseignements et qui reviennent ainsi à affecter sérieusement la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées ou d’autres conditions posées à un échange de renseignements, dont celle relative à l’épuisement des sources d’informations internes28.

26 Trib. adm., 12 juillet 2012, n° 30164 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1400 et les autres références y citées.

27 Arrêt Berlioz, considérant n° 77.

28Cour adm., 27 mai 2014, n° 34291C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1400 et les autres références y citées.

En l’espèce, force est de constater que la demanderesse ne remet pas en question la régularité formelle de la demande de renseignements, mais ses contestations portent sur la pertinence vraisemblable des renseignements demandés au motif que (i) il semblerait qu’elle-

même serait le contribuable visé et (ii) en remettant en question qu’elle pourrait être considérée comme une structure artificielle.

Force est de constater que, suivant les explications fournies par le délégué du gouvernement qui sont concordantes avec la demande d’échange de renseignements, l’objectif des autorités belges est de clarifier la question du caractère effectif des opérations de la demanderesse, dans la mesure où elles nourriraient des doutes quant au caractère éventuellement fictif de certaines opérations de crédit accordées par la société B, ayant la qualité de contribuable belge, à la demanderesse.

Il est précisé notamment que la société B serait un important créancier de la société requérante et que cette dernière paierait des intérêts sur ces créances. Si la société requérante s'avérait être une société « boîtes aux lettres », les avances consenties par la société anonyme B ne devraient pas être considérées comme des opérations réelles et sincères réalisées avec des personnes autres que des constructions artificielles, la partie étatique ayant relevé que par « opérations réelles et sincères », il faudrait entendre les opérations qui répondent bien à une nécessité industrielle, commerciale ou financière et qui trouvent ou doivent trouver normalement une contrepartie dans l'ensemble de l'activité entreprise et que par « personne autre qu'une construction artificielle », il conviendrait d’entendre une personne qui développe une activité réelle dans l'Etat où elle est établie. Cela impliquerait, entre autres, que le contribuable devrait démontrer, au moyen d'éléments objectifs et vérifiables, l'existence physique de l'entreprise étrangère en termes de locaux, personne et équipements. S'il apparaissait que le bénéficiaire étranger du paiement est un établissement fictif n'exerçant aucune activité économique réelle sur le territoire de l'Etat où il a établi son siège social, alors sa constitution devrait être considérée comme une construction totalement artificielle.

Il est encore précisé que dans l'hypothèse où il s'agirait d'une construction artificielle dictée uniquement par des motifs fiscaux, l'administration fiscale belge pourrait considérer les intérêts reçus des sociétés « boîtes aux lettres » comme des avantages anormaux sur lesquels ne pourraient venir s'imputer toute une série de latences fiscales, telles que pertes antérieures, intérêts notionnels, revenus définitivement taxés.

A partir des explications ainsi fournies, le tribunal est amené à retenir que la demande d’échange de renseignements ne pêche a priori pas par un défaut manifeste de pertinence, dans la mesure où elle vise un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle est relative à un contribuable déterminé, à savoir la société B, contribuable belge, qui perçoit des paiements de la part de la société demanderesse qui a déclaré ces paiements en tant qu’intérêts provenant de prêts accordés, qualification que les autorités fiscales belges remettent toutefois en doute au motif qu’elles estiment que l’activité sous-jacente à ces prêts au niveau de la société demanderesse ne serait que fictive, de sorte que les intérêts perçus seraient, le cas échéant, à requalifier, impliquant des incidences au niveau de l’imposition de la société B.

Au regard des explications ainsi fournies, le tribunal estime qu’il existe a priori une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révéleront pertinents pour l’enquête menée par les autorités fiscales belges, étant relevé que les questions posées, ayant trait à des renseignements généraux sur la demanderesse et sur son mode de fonctionnement, ses activités d’emploi, ses transactions commerciales et son patrimoine, peuvent être rattachées en substance à la question de savoir si la demanderesse exerce une activité réelle au Luxembourg ou si elle n’est que fictive, de sorte à pouvoir être qualifiée de société dite « boîte aux lettres », question dont la clarification est, d’après les informations concordantes fournies par les autorités fiscales belges, susceptible d’avoir une incidence sur l’imposition de la société B.

Force est de constater que la demanderesse ne produit aucun élément permettant d’ébranler le contenu de la demande de renseignements en des volets essentiels de la situation à la base de la demande d’échange de renseignements.

Si la demanderesse mène un débat autour de la question de savoir si une société de participations, tel que cela serait son cas, est à considérer comme une société dite « boîte aux lettres », en ce faisant elle ne remet pas en question la pertinence vraisemblable des renseignements demandés, mais elle entend voir trancher par le tribunal des questions qui devront être examinées par les autorités fiscales belges une fois les renseignements fournis, voire par les juridictions compétentes en Belgique ayant à statuer sur l’imposition de la société B, à savoir la question de savoir si les renseignements fournis permettent de qualifier la demanderesse comme une structure fictive. Autrement dit, la demanderesse n’est pas admise à remettre en question la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités en mettant en doute la réalité de l’hypothèse émise par les autorités belges, à savoir le doute sur le caractère économiquement réel d’opérations de crédit entre la demanderesse et le contribuable belge, et que celles-ci tentent justement de vérifier à travers les renseignements demandés.

Dès lors, la question de savoir si les activités de la demanderesse correspondent à une activité réelle, devra être tranchée par les autorités fiscales compétentes, une fois les renseignements obtenus, mais ne saurait être tranchée par le tribunal dans le cadre du présent recours, son contrôle étant limité, au regard des principes retenus ci-avant, au défaut manifeste de pertinence vraisemblable des informations demandées29, étant relevé que pour répondre au critère de pertinence vraisemblable, il suffit qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révèleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante.

Il est à cet égard rappelé que « […] compte tenu du mécanisme de coopération entre autorités fiscales établi par la directive 2011/16, lequel, ainsi qu’il ressort des considérants 2, 6 et 8 de la directive 2011/16, repose sur des règles destinées à instaurer la confiance entre les États membres, permettant une coopération efficace et rapide, l’autorité requise doit en principe faire confiance à l’autorité requérante et présumer que la demande d’informations qui lui est soumise est à la fois conforme au droit national de l’autorité requérante et nécessaire aux besoins de son enquête. L’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’État requérant, et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2000, W.N., C‑420/98, EU:C:2000:209, point 18). En tout état de cause, l’autorité requise ne saurait substituer sa propre appréciation de l’utilité éventuelle des informations demandées à celle de l’autorité requérante. […] »30.

29 Rappelé récemment par un arrêt de la Cour adm. 11 novembre 2021, n° 46232C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

30Arrêt Berlioz, considérant n° 77.

En ce qui concerne les contestations de la demanderesse quant au contribuable visé, le tribunal relève qu’elle ne produit aucun élément pertinent permettant de douter qu’elle-même serait en réalité visée par la demande d’échange de renseignements, les questions posées étant concordantes avec le but fiscal avancé, étant relevé que la vérification de la question de savoir si la demanderesse est éventuellement à qualifier de structure artificielle n’est pas faite, suivant les explications des autorités belges, afin de clarifier la situation fiscale de la demanderesse, mais afin de vérifier le bienfondé des déclarations du contribuable belge, la société B, en ce qui concerne la qualification en tant qu’intérêts les paiements perçus de la part de la demanderesse.

En tout état de cause, à défaut par la demanderesse d’avoir avancé, quant aux questions précises posées, des contestations concrètes autres que celle tenant à la qualité du contribuable visé, et à défaut de tout autre moyen, le tribunal est amené à retenir que la demanderesse ne lui a pas soumis des éléments suffisamment pertinents permettant de retenir que les renseignements demandés ne répondent pas au critère de pertinence vraisemblable tel que défini par la jurisprudence de la CJUE.

Le recours est partant rejeté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation ;

au fond le déclare non fondé, partant le rejette ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Carine Reinesch, juge, et lu à l’audience publique du 21 février 2022 par le vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Poiani s. Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 février 2022 Le greffier du tribunal administratif 22


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 40670
Date de la décision : 21/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-21;40670 ?

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