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21/02/2022 | LUXEMBOURG | N°37014b

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2022, 37014b


Tribunal administratif Numéro 37014b du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er octobre 2015 2e chambre Audience publique du 21 février 2022 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 37014 du rôle et déposée le 1er octobre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Steichen, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et...

Tribunal administratif Numéro 37014b du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er octobre 2015 2e chambre Audience publique du 21 février 2022 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 37014 du rôle et déposée le 1er octobre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Steichen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse Madame …, demeurant à CH-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du 28 juillet 2015 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;

Vu le jugement de la deuxième chambre du tribunal administratif rendu le 1er août 2016 ;

Vu le jugement de la deuxième chambre du tribunal administratif rendu le 10 janvier 2019 ;

Vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 mars 2021 inscrit sous le numéro 00146 du registre ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications de Maître Pol Mellina, en remplacement de Maître Alain Steichen, du 27 décembre 2021 et de Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia du 9 décembre 2021 suivant lesquelles ceux-ci se rapportent à leurs écrits et marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire à l’audience publique 3 janvier 2022.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

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Le 28 juillet 2015, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », adressa au …, Cellule fiscale, une décision d’injonction en vertu de l’article 3 paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée « la loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 20112 des renseignements et documents relatifs aux relations bancaires énumérées dans ladite injonction concernant Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », ladite décision d’injonction étant libellée comme suit :

« En date du 19 décembre 2014, l’autorité compétente de l'administration fiscale suisse nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Confédération suisse du 21 janvier 1993, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l'Avenant et de l'échange de lettres y relatif à ladite convention.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements.

Les personnes physiques concernées par la demande sont Monsieur …, né le …, son épouse la dame …, née le …, demeurant tous les deux à …, CH-… (autres adresses :… CH-… ; …, CH-… ; … CH-…) ainsi que leurs enfants … …, née le …, et … …, née le ….

Je vous prie de bien vouloir nous fournir pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, les renseignements et documents suivants pour le 2 septembre 2015 au plus tard.

Veuillez fournir les extraits bancaires de tous les comptes et dépôts (y compris les comptes nos LU…, LU…, LU… (… SA), LU…(… SA)] pour la période visée, y compris les états de fortune au 1er janvier 2011 et 1er janvier 2012, des relations bancaires pour lesquelles, quelles que soient les structures interposées ou les ayants droit économiques, Monsieur … et/ou Madame … étaient titulaires directs ou indirects et/ou ayants droit économiques ou porteurs de procurations de comptes dont les ayants droit économiques ou titulaires directs ou indirects sont Madame … … et/ou Madame … … ou l'une des sociétés suivante : … SA, … SA, … SA …, … SA, … SA, … SA, … SCS, … SA …, … SA, … SA, … SA … (anc. … SA), … SPF, … SA (anc.

… SA) ;

Veuillez fournir le détail des apports (provenance détaillée : banque, n° compte, titulaire) et des prélèvements (destination détaillée) enregistrés sur la période visée pour les positions d'une valeur égale ou supérieure à … EUR ainsi qu'un récapitulatif des revenus (intérêts, dividendes, plus-values, etc.) enregistrés sur cette période en indiquant la date, le montant et le nature du revenu perçu ;

Veuillez fournir les documents d'ouverture de compte, documents d'ouverture de relation, documents de droits de signature, procurations et documents identifiant l’ayant droit économique pour tous les comptes identifiés sous le premier tiret ;

2 La décision indique par ailleurs dans le cadre des questions soulevées que la période de référence est celle du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012.

Si des contrats de prêts et/ou des actes de servitude (p.ex. acte de nantissement) ont été signés par votre établissement en faveur de Monsieur et/au Madame … avec effet durant la période visée, veuillez transmettre une copie détaillée et complète de ceux-ci.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l'article 2 (2) de la loi du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Conformément à l'article 6 de la loi du 25 novembre 2014 précitée, aucun recours ne peut être introduit à l'encontre de la présente décision d'injonction. (…) ».

Suite à une demande introduite par courrier électronique daté du 4 août 2015 du responsable de la Cellule fiscale du … Private Banking, la Direction - Division … Echange de renseignements et retenue d’impôt sur les intérêts accorda, par retour de courrier électronique daté du même jour, audit responsable un délai supplémentaire jusqu’au 2 octobre 2015 au plus tard pour fournir les informations requises.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er octobre 2015, les consorts … firent introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de ladite décision du 28 juillet 2015 prise par le directeur.

Par jugement rendu le 1er août 2016, le tribunal administratif prit d’abord position sur le désaccord entre les parties en cause sur la loi applicable en l’espèce et retint que le recours sous examen était régi par la loi du 25 novembre 2014 et non point par la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande. Quant au fond, le tribunal administratif constata que les parties ne s’étaient pas opposées à ce que le tribunal attende l’issue d’une procédure pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », dans une affaire similaire, suite à plusieurs questions préjudicielles dont elle avait été saisie par un arrêt de la Cour administrative du Grand-Duché de Luxembourg rendu le 17 décembre 2015 et inscrit sous le numéro 36893C du rôle, avant de toiser les moyens développés dans le recours sous examen. Le tribunal retint ensuite qu’alors même que lesdites questions préjudicielles tournaient essentiellement autour de l’application des dispositions de droit communautaire et, en particulier, de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte », il n’en demeurait pas moins qu’il existait une similitude entre les questions préjudicielles soulevées par la Cour administrative dans l’affaire susvisée portant sur une décision directoriale également régie par loi du 25 novembre 2014 et celles qui étaient soumises à l’examen du tribunal relatives notamment au droit à un recours effectif et à l’accès à un tribunal. En guise de conclusion, le tribunal dit qu’avant tout progrès en cause, il y avait lieu de surseoir à statuer « dans l’attente de l’issue réservée aux questions préjudicielles posées par l’arrêt de la Cour administrative du 17 décembre 2015, inscrit sous le n° 36893 C du rôle à la Cour de Justice de l’Union Européenne, en ce que lesdites questions sont susceptibles d’avoir une incidence sur la solution du présent litige ».

Le 16 mai 2017, la CJUE rendit l’arrêt Berlioz Investment Fund SA c. directeur de l’administration des Contributions directes3, désigné ci-après par « l’arrêt Berlioz ». La Cour 3 CJUE, 16 mai 2017, BERLIOZ INVESTMENT FUND SA c/ directeur de l’administration des Contributions directes, C-682/15.

administrative ayant saisi la CJUE des questions préjudicielles ayant donné lieu à l’arrêt Berlioz, rendit ensuite, à son tour, un arrêt en date du 26 octobre 2017, inscrit sous le numéro 36893Ca du rôle4.

Par courrier du 28 février 2018, le délégué du gouvernement informa le tribunal administratif que l’administration des Contributions directes avait « clôturé, en date du 11 novembre 2015 la procédure administrative d’échange de renseignements déclenchée par les autorités fiscales suisses ». Afin de pouvoir déterminer si la procédure d’échange de renseignements avait été clôturée en raison de la renonciation des autorités suisses à leur demande ou, en revanche, en raison du fait que le destinataire de la demande d’injonction avait fourni les informations sollicitées, l’affaire fut refixée à plusieurs reprises à la demande du litismandataire des consorts …, pour enfin être plaidée et prise en délibéré à l’audience publique de la deuxième chambre du tribunal administratif du 8 octobre 2018.

Par jugement du 10 janvier 2019, le tribunal, après avoir retenu, par renvoi aux conclusions se dégageant du jugement précité du 1er août 2016, ayant entretemps été coulé en force de chose jugée, l’applicabilité au litige en cause de la loi du 25 novembre 2014, dut d’abord trancher la question de la recevabilité du recours sous examen, telle que soulevée par la partie étatique, au motif qu’en application de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, aucun recours contentieux ne serait ouvert contre une décision du directeur portant injonction à un tiers détenteur de fournir certains renseignements au sujet d’un contribuable.

Dans le cadre de l’examen de la recevabilité du recours, le tribunal rejeta, en premier lieu, pour ne pas être fondés, un certain nombre des argumentaires opposés par les demandeurs au moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique.

Ainsi furent rejetés les moyens des demandeurs tirés d’une prétendue contrariété de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 par rapport (i) aux paragraphes 209, 175 et 238 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, dite « Abgabenordnung », (ii) au « droit supra-législatif » et plus particulièrement, d’une part, à la Convention entre le Grand-

Duché de Luxembourg et la Confédération suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Berne, le 21 janvier 1993, telle que modifiée par un premier avenant signé à Berne le 25 août 2009 et un deuxième avenant signé à Luxembourg le 11 juillet 2002, désignée par « la Convention », et, d’autre part, au « principe de non-discrimination » posé par l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, désigné ci-après par le « TUE », ainsi que par rapport (iii) « aux articles posant le principe de non-

discrimination contenu dans les conventions fiscales internationales conclues avec la France et la Suisse ».

Pour ce qui est de l’argumentaire des demandeurs invoqué en dernier lieu afin d’insister sur la recevabilité de leur recours et tenant à la « Contrariété de l’article 6(1) au principe de légalité et de l’Etat de droit », argumentaire dans le cadre duquel ils demandèrent au tribunal de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle quant à la conformité de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 « aux principes généraux du droit à la valeur constitutionnelle de légalité et d’Etat de droit, qui se trouvent matérialisés implicitement mais nécessairement dans la Constitution, notamment dans son article 95 », le tribunal, après avoir rappelé que l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 interdisait, en effet, 4 Cour adm., 26 octobre 2017, n° 36893Ca du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu l’introduction d’un recours contentieux à l’encontre des demandes d’échange de renseignements étrangères, respectivement des décisions corrélatives d’injonction de fournir les informations émises par les autorités luxembourgeoise, de sorte qu’appliquée au cas d’espèce, cette disposition impliquait que les demandeurs seraient dépourvus de la possibilité de faire vérifier la légalité de la décision d’injonction leur adressée par le directeur en date du 28 juillet 2015 et que le recours sous examen serait, en conséquence, a priori, irrecevable, conclut qu’en l’espèce, se posait la double question de savoir, tout d’abord, si le principe de l’Etat de droit, ainsi que le principe de la légalité se dégageaient, tel que les demandeurs le soutiennent, des dispositions constitutionnelles et, par ailleurs, si l’article 95 de la Constitution consacrait lesdits principes implicitement mais nécessairement et ensuite, si l’interdiction légale d’introduire un recours contentieux contre une demande d’échange de renseignements étrangère, respectivement la décision d’injonction corrélative émanant des autorités luxembourgeoises était conforme au principe de l’Etat de droit ainsi qu’au principe de la légalité.

Après avoir encore rappelé qu’il ne lui appartenait pas de se livrer lui-même à un examen de la constitutionnalité de la législation incriminée, sous peine d’empiéter sur le champ de compétence de la Cour constitutionnelle, dès lors que, par application de l’article 6, alinéa 1er, de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, ci-après désignée par « la loi du 27 juillet 1997 », la connaissance des questions de constitutionnalité de normes législatives appartenait exclusivement à la Cour constitutionnelle, et constaté que la question préjudicielle soulevée par les demandeurs ne pouvait pas être écartée pour être dénuée de tout fondement, décida de surseoir à statuer et de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante :

« Le principe de l’Etat de droit ainsi que le principe de la légalité se dégagent-ils des dispositions constitutionnelles et plus particulièrement l’article 95 de la Constitution consacre-

t-il implicitement mais nécessairement les principes de l’Etat de droit et de la légalité. Dans l’affirmative, l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, en ce qu’il consacre une interdiction légale d’introduire un recours contentieux contre une demande d’échange de renseignements étrangère, respectivement contre la décision d’injonction corrélative émanant des autorités luxembourgeoises est-il conforme au principe de l’Etat de droit ainsi qu’au principe de la légalité ? ».

Par arrêt du 28 mai 2019, inscrit sous le numéro 00146 du registre, la Cour constitutionnelle déclara, dans un premier temps, recevable la question préjudicielle en tant que posée par rapport au principe de l’Etat de droit entrevu sous les aspects d’accès à un juge et de recours effectif, tout en surséant à statuer jusqu’à ce que la CJUE se soit prononcée sur une question préjudicielle dans le même domaine d’accès à un juge en matière d’échange de renseignements sur demande dans le contexte fiscal lui soumis par arrêt de la Cour administrative du 14 mars 2019, inscrit sous le numéro 41487C du rôle.

Dans son arrêt du 19 mars 2021, la Cour constitutionnelle constata tout d’abord que, dans son arrêt du 6 octobre 20205, dans l’attente du prononcé duquel elle avait sursis à statuer, la CJUE avait dit pour droit ce qui suit :

5 CJUE (grande chambre) du 6 octobre 2020, Etat luxembourgeois c/ B e.a., affaires jointes C-245/19 et C-246/19.

« L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu conjointement avec les articles 7 et 8 ainsi qu’avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens :

- qu’il s’oppose à ce que la législation d’un Etat membre mettant en œuvre la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CE, telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014, exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente de cet Etat membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre Etat membre, puisse faire l’objet d’un recours formé par une telle personne, et - qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une telle législation exclue qu’une telle décision puisse faire l’objet de recours formés par le contribuable qui est visé, dans cet autre Etat membre, par l’enquête à l’origine de ladite demande, ainsi que par des tierces personnes concernées par les informations en cause. (…) ».

Elle releva ensuite ce qui suit :

« Le contentieux administratif visé par l’article 95bis de la Constitution ne comporte que les recours dirigés contre des décisions administratives individuelles et actes réglementaires émanant d’autorités luxembourgeoises, de sorte que la question est, dans la branche visant l’existence d’un éventuel recours contre une demande d’échange de renseignements étrangère, dépourvue de pertinence.

Dans la présente affaire où l’article 6, paragraphe 1, de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version applicable au jour de la prise de décision directoriale du 28 juillet 2015, exclut tout recours contre l’injonction directoriale ayant statué dans le cadre d’une procédure d’échange d’informations, la Cour est amenée à considérer la situation de contribuables non-

résidents, demeurant en Suisse, dont le cas d’imposition est concerné par la demande d’échange d’informations. Dès lors, la question de l’ouverture éventuelle d’un recours au tiers détenteur d’informations ou à un tiers intéressé à la date pertinente est étrangère à l’objet de la question préjudicielle.

Les contribuables concernés par la procédure au principal résident dans un Etat qui n’est, certes, pas situé à l’intérieur de l’Union européenne, mais qui en tant qu’Etat membre du Conseil de l’Europe et en termes d’Etat de droit, est soumis aux garanties de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la CEDH »), dont les garanties en matière d’accès au juge et de recours effectif sont à considérer comme équivalentes à celles découlant de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (ci-après « la Charte »). La CEDH et la Charte forment avec le principe fondamental de l’Etat de droit et les principes d’accès au juge et de recours effectif un socle commun.

S’il est constant en cause que le droit de l’Union européenne ne s’applique pas au cas des demandeurs au principal et qu’il n’y a pas mise en œuvre de la directive 2011/16/UE, précitée, à leur encontre, la demande de renseignements étant formulée sur le fondement de la convention helvético-luxembourgeoise de non double imposition du 21 janvier 1993, approuvée par une loi du 16 décembre 1993, il n’en reste pas moins que la solution dégagée par la CJUE sur le fondement de l’article 47 de la Charte est appelée à servir à la Cour de référence en ce que les questions d’accès au juge et de recours effectif en cause au principal ont, outre les principes constitutionnels afférents dégagés par l’arrêt précité du 28 mai 2019, des dispositions correspondantes aux articles 6 et 13 de la CEDH applicables à des ressortissants résidant en Suisse, sous les aspects d’accès au juge et de recours effectif dans la mesure où des droits civils ou des éléments du droit pénal au sens de la CEDH sont en jeu.

Plus particulièrement, tel que l’arrêt précité de la CJUE l’a également relevé, des questions de protection de la vie privée au sens de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la CEDH sont susceptibles de se poser.

La réponse à la question préjudicielle posée par le tribunal requiert la recherche d’un équilibre entre, d’un côté, les objectifs majeurs de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales et l’évitement autant que possible de toutes les formes de blanchiment d’argent afférentes, sous-tendant notamment, en phase administrative préliminaire, les demandes d’échange de renseignements entre administrations fiscales de pays différents et, d’un autre côté, le respect des droits des contribuables visés, en tant que citoyens, plus particulièrement en ce qui concerne leur droit d’accès à un juge, l’existence d’un recours effectif et la protection de leur vie privée.

L’équilibre à trouver doit résulter d’une juste mise en balance, le principe de proportionnalité étant un principe à valeur constitutionnelle (cf. arrêt du 22 janvier 2020, n° 00152 du registre).

En procédant suivant un contrôle de proportionnalité et en se référant à l’arrêt précité du 6 octobre 2020 de la CJUE, la Cour rejoint la solution y dégagée suivant laquelle, à l’instar de l’article 47 de la Charte, ni les principes constitutionnels d’accès au juge et de recours effectif découlant du principe fondamental de l’Etat de droit, ni le principe de légalité, ensemble l’article 95 de la Constitution ne s’opposent à ce qu’une législation, par une disposition telle que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014, exclue qu’une injonction directoriale prise dans le cadre de la procédure d’échange d’informations puisse faire l’objet d’un recours dans l’Etat requis, en l’occurrence au Grand-Duché de Luxembourg, formé par les contribuables qui résident dans un autre pays européen, membre du Conseil de l’Europe, auquel s’applique la CEDH, et suivant laquelle cette exclusion de recours présuppose que dans l’Etat de résidence des contribuables concernés, ceux-ci aient la possibilité, à travers un recours effectif, de voir contrôler la légalité de l’injonction directoriale prise dans l’Etat requis, dans le cadre d’un recours contre une décision ultérieure de rectification ou de redressement fiscaux, étant entendu que l’injonction directoriale ne crée aucune obligation juridique à l’encontre desdits contribuables, ni ne les expose à un quelconque risque de sanction en découlant directement. » Sur base de ces considérations, elle vint à la conclusion suivante :

« (…) par rapport à la question posée, l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version originaire, concernant des contribuables non-résidents dont le cas d’imposition est concerné par l’injonction directoriale prise dans le cadre de la procédure d’échange d’informations sur demande, en ce qu’il ne prévoit, dans l’Etat requis, pas de recours dans leur chef, n’est contraire ni aux principes constitutionnels d’accès au juge et de recours effectif découlant directement du principe fondamental de l’Etat de droit, ni au principe de légalité ensemble l’article 95 de la Constitution, à condition que ces contribuables puissent se réclamer soit des dispositions de la Charte, soit de celles de la CEDH en matière d’accès au juge et de recours effectif ou disposer d’un droit équivalent.

Dans la mesure où les contribuables non-résidents visés au principal, demeurant dans un pays membre du Conseil de l’Europe, peuvent se prévaloir, outre de leur propre Constitution, des dispositions des articles 6 et 13 de la CEDH, toujours dans la limite de la question posée, l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version originaire, concernant le cas de pareils contribuables non-résidents n’est pas contraire aux principes constitutionnels ensemble l’article 95 de la Constitution visés à la question préjudicielle. ».

Suivant l’article 15, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1997, « la juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toutes les autres juridictions appelées à statuer dans la même affaire, sont tenues, pour la solution du litige dont elles sont saisies, de se conformer à l'arrêt rendu par la Cour [Constitutionnelle] ».

Etant donné que dans l’arrêt, précité, la Cour constitutionnelle a retenu que, dans la mesure où les demandeurs étaient à considérer comme des contribuables non-résidents demeurant dans un pays membre du Conseil de l’Europe et qu’en tant que tels, ils pouvaient, se réclamer non seulement de leur propre Constitution, mais également des dispositions des articles 6 et 13 de la CEDH, pour faire constater de manière incidente la légalité de la décision d’injonction prise dans l’Etat requis, dans le cadre d’un recours introduit dans leur Etat de résidence, contre une décision ultérieure de rectification ou de redressement fiscaux, l’article 6 paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version originaire, n’était pas contraire au principe fondamental de l’Etat de droit ensemble les principes d’accès au juge et de recours effectif, ni au principe de légalité ensemble l’article 95 de la Constitution, ledit article trouve à s’appliquer au cas d’espèce. Or, suivant l’article 6, paragraphe (1), en question « Aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction visées à l’article 3, paragraphes 1er et 3 ». Aucune autre demande, telle qu’une demande en allocation d’une indemnité de procédure n’ayant été formulée, le recours des demandeurs est partant à déclarer irrecevable pour être expressément exclu par la loi.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

vidant le jugement du 10 janvier 2019 ;

déclare le recours irrecevable, partant le rejette ;

met les frais et dépens de l’instance à charge des demandeurs ;

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, et lu à l’audience publique du 21 février 2022 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 février 2022 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 37014b
Date de la décision : 21/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-21;37014b ?

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