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08/02/2022 | LUXEMBOURG | N°44077

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 février 2022, 44077


Tribunal administratif N° 44077 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2020 3e chambre Audience publique du 8 février 2022 Recours formé par la société à responsabilité limitée … SARL, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, en matière d’amende administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44077 du rôle et déposée le 29 janvier 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Céline CORBIAUX, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … SARL, établie et ayant son siè...

Tribunal administratif N° 44077 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 janvier 2020 3e chambre Audience publique du 8 février 2022 Recours formé par la société à responsabilité limitée … SARL, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, en matière d’amende administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44077 du rôle et déposée le 29 janvier 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Céline CORBIAUX, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … SARL, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son ou ses gérant(s) actuellement fonctions, inscrite au registre de commerce et de sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant à la réformation de la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire du 14 octobre 2019 prononçant une amende administrative d’ordre de 5.000.-€ à son encontre ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2020 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2020 par Maître Céline CORBIAUX pour compte de la société à responsabilité limitée … SARL, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick MULLER en sa plaidoirie à l’audience publique du 19 octobre 2021.

Dans le cadre d’un contrôle des conditions de travail, l’Inspection du Travail et des Mines, ci-après désignée par « l’ITM », par courrier recommandé avec accusé de réception du 9 août 2019, enjoignit la société à responsabilité limitée … SARL, ci-après désignée par « la société … », de lui faire parvenir les documents suivants, sur base des articles L.614-4, paragraphe (1), point a) et L.614-5 du Code du travail :

« - Contrat de travail initial et avenants éventuels (L.121-4, L.122-2) - Livre concernant le congé légal (L.233-17) - année 2019 - Registre spécial ou fichier reprenant le début, la fin et la durée du travail journalier ainsi que toutes les prolongations de la durée normale du travail, les heures prestées les dimanches, les jours fériés légaux et le travail de nuit (L.211-29) -

Février 2019 à juillet 2019 - Décompte mensuel/ Fiche de salaire (L. 125-7) - Février 2019 à juillet 2019 1- Preuve de paiement des salaires (L. 125-7) - Février 2019 à juillet 2019 - Le cas échéant, pour les ressortissants de pays tiers : titre de séjour ou autorisation de travail (L.572-2 et L.572-3) - Certificat médical d'embauche et, le cas échéant, certificat médical périodique valide (L.326-1 et L.326-7) - Certificat de formation salarié désigné (L.312-2) », pour les salariés suivants : « - … (Matricule : …) - … (Matricule : …) - … (Matricule : …) », tout en lui rappelant qu’« (1) En cas de non-respect endéans le délai imparti, des injonctions du directeur ou des membres de l’inspectorat du travail, dûment notifiées par écrit, conformément aux articles L. 614-4 à L. 614-6 et L. 614-8 à L. 614-11, le directeur de l’Inspection du travail et des mines est en droit d’infliger à l’employeur, à son délégué ou au salarié une amende administrative dont le montant est fixé entre 25 euros et 25.000 euros. ».

Par un courrier électronique du 20 septembre 2019, la direction de l’Immigration auprès du ministère des affaires étrangères et européennes informa l’ITM que les personnes prémentionnées, à savoir les dénommés …, … et … ne disposaient ni d’un titre de séjour ni d’une autorisation de travail valables au Luxembourg.

Suite à cette information, l’ITM, par courrier recommandé avec accusé de réception du 23 septembre 2019, informa la société … des infractions commises et lui ordonna, sur base des articles L.573-4 et L.614-5 du Code du travail, la cessation immédiate du travail des salariés concernés et de procéder à la résiliation de leurs contrats de travail respectifs, tout en l’enjoignant à lui faire parvenir, endéans les 8 jours, conformément à l’article L.614-4 du Code du travail, les fiches de salaires et les preuves de paiement des salaires pour ces mêmes personnes en ce qui concerne le mois de septembre 2019, ainsi qu’une copie des lettres de résiliation de leurs contrats de travail respectifs.

Par un courrier électronique du 8 octobre 2019, la direction de l’Immigration auprès du ministère des affaires étrangères et européennes informa encore l’ITM que les dénommés … et … n’auraient, par ailleurs, pas la qualité de demandeurs de protection internationale au Luxembourg.

Par arrêté du 14 octobre 2019, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », infligea, sur base de l’article L.572-4, paragraphe (1) du Code du travail, une amende de 5.000,- euros à la société …, arrêté qui est libellé comme suit :

« […] Vu l'article L.572-1 du Code du travail qui interdit l'emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

Vu les articles L.572-4 et L.573-1 du Code du travail relatifs aux sanctions administratives et aux instances de contrôle en matière d'emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

2Vu l'arrêt de travail du 23 septembre 2019 prononcé conformément aux articles L.614-

5 et L.573-4 du Code du travail par […], inspecteur principal du travail de l'inspection du travail et des mines ;

Attendu que Monsieur … (Matricule : …) de nationalité tunisienne et Monsieur … (Matricule : …) de nationalité tunisienne, salariés occupés auprès de l'entreprise … (Matricule : …) sise au … à L-…, en qualité d'employeur, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg ne remplit pas les conditions de séjour prévues par le chapitre 3 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Attendu que l'entreprise … (Matricule : …) sise au … à L-…, préqualifiée, n'a pas été en mesure d'apporter la preuve que les salariés … (Matricule : …) de nationalité tunisienne et … (Matricule : …) de nationalité tunisienne disposent d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation de travail, voire d'un titre de séjour en cours de validité, conformément à l'article L.572-3, paragraphe 1er du Code du travail ;

Attendu que l'entreprise … (Matricule : …) sise au … à L-…, préqualifiée, n'a pas notifié dans un délai de 3 jours ouvrables au ministre ayant l'Immigration dans ses attributions le début de la période d'emploi du/de la salarié(e) précité(e) conformément à l'article L.572-3, paragraphe 2 du Code du travail ;

Arrête :

Art. 1er.- Une amende administrative de 5.000 euros est prononcée à l'encontre de l'entreprise … (Matricule : …) sise au … à L-…, en qualité d'employeur, en exécution de l'article L.572-4, paragraphe 1er du Code du travail relatif à l'emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour avoir employé illégalement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, à savoir Monsieur … (Matricule : …) de nationalité tunisienne et Monsieur … (Matricule : …) de nationalité tunisienne. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 janvier 2020, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 14 octobre 2019 lui infligeant une amende administrative de 5.000,- euros.

En application de l’article L.614-14 du Code du travail, « toutes les décisions administratives prises sur base des dispositions de la présente loi sont soumises au recours en réformation visé à l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ».

En l’espèce, l’arrêté ministériel critiqué a été pris sur base de l’article L.614-13 du Code du travail et porte sur la fixation d’une amende administrative décidée à l’encontre de la société …, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour être devenu sans objet, dans la mesure où par arrêté du 25 février 2020, le ministre a déchargé la société … de l’amende administrative de 5.000,- euros qui lui avait été infligée par l’arrêté ministériel critiqué du 14 octobre 2019.

Dans son mémoire en réplique, la société …, tout en confirmant que par arrêté du 25 février 2020 le ministre a annulé le paiement de l’amende lui infligée par arrêté ministériel du 34 octobre 2019 et que l’arrêté ministériel attaqué serait est dès lors « annulé et vide de sens », conclut toutefois à la recevabilité du recours en réformation dans la mesure où l’arrêté ministériel du 25 février 2020 est intervenu postérieurement au dépôt de son recours contentieux et où le ministre aurait « annulé purement et simplement le paiement de 5.000,-

euros ». Elle estime, par ailleurs, qu’il y aurait lieu de condamner la partie étatique aux frais et dépens de l’instance.

Concernant la recevabilité du recours et plus particulièrement l’objet du recours, force est au tribunal de constater que si la recevabilité d’un recours est conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement, il en va différemment si le recours est dirigé contre un acte aux effets duquel il est mis fin sans effet rétroactif. Dans ce cas, le recours, introduit avant l’annulation de l’acte déféré, conserve un objet pour la période où l’acte attaqué a été en vigueur. En revanche si l’acte est retiré avec effet rétroactif, le recours perd son objet1.

La sortie de vigueur rétroactive d’un acte administratif résulte de l’annulation de la décision, soit par la juridiction administrative, soit par l’autorité administrative elle-même.

Comme en cas d’annulation par le juge, en cas de retrait de la décision par l’administration elle-même, la décision sera réputée n’avoir jamais existé. En effet, il s’agit d’une possibilité offerte à l’autorité administrative de réparer spontanément ses erreurs en réalisant elle-même ce que ferait le juge saisi d’un recours contentieux2.

D’autre part, si l'autorité administrative, après nouvelle instruction du dossier, prend une nouvelle décision, celle-ci remplace par la force des choses les décisions antérieurement prises et le recours contentieux, même introduit antérieurement à la nouvelle décision, devient sans objet et partant irrecevable3.

Le moyen de recevabilité se résume en substance à la question de savoir si le recours de la société … dirigé contre l’arrêté ministériel du 14 octobre 2019 lui infligeant une amende administrative d’un montant de 5.000,- euros garde ou non un objet eu égard à la prise par le ministre en date du 25 février 2020 d’un arrêté déchargeant la société … de l’amende administrative lui infligée par l’arrêté ministériel critiqué du 14 octobre 2019.

Pour pouvoir toiser cette question, il convient d’examiner en premier lieu la nature de l’arrêté ministériel du 25 février 2020 et de vérifier s’il opère le retrait de l’arrêté contesté du 14 octobre 2019. Le retrait d’un acte administratif est en effet l’acte juridique par lequel une autorité administrative décide d’anéantir ab initio une décision dont elle est l’auteur. C’est en cela qu’il se distingue de l’abrogation qui anéantit l’acte administratif ex nunc. Le retrait a donc pour effet d’effacer complètement toutes les conséquences de l’acte sur lequel il porte, exactement comme si celui-ci était annulé4.

Il se dégage clairement des termes de l’arrêté du 25 février 2020 et du mémoire en réponse du délégué du gouvernement que le ministre a entendu « infirmer » l’arrêté ministériel 1 Trib. adm., 16 juin 2010, n°26323 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n°361 et les autres références y citées.

2 Ibidem 3 Trib. adm., 25 septembre 2003, n°15972 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieux, n°383 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., du 8 juillet 2009, n° 24522 et 25336 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure administrative non contentieuse, n°210.

4du 14 octobre 2019, dans la mesure où la société … avait transmis à l’appui de sa requête introductive d’instance une copie des titres de séjour délivrés par les autorités françaises à Monsieur … et à Monsieur …, de sorte que ceux-ci, ensemble les motifs de la société … invoqués dans son recours seraient de nature à justifier une décharge de l’amende administrative litigieuse.

L’arrêté ministériel du 25 février 2020 doit donc être considéré comme retirant avec effet rétroactif l’arrêté ministériel du 14 octobre 2019.

Par voie de conséquence, l’arrêté ministériel attaqué du 14 octobre 2019 a disparu rétroactivement de l’ordonnancement juridique et est réputé n’avoir jamais existé.

Au vu de ce qui précède, le recours introduit contre l’arrêté ministériel du 14 octobre 2019 est devenu sans objet, et partant à rejeter.

En ce qui concerne les frais et dépens, l’article 32 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », dispose que « Toute partie qui succombera sera condamnée au dépens, sauf au tribunal à laisser la totalité, ou une fraction des dépens à la charge d’une autre partie par décision spéciale et motivée ».

Force est de constater que, compte tenu du sort du litige, il ne saurait être considéré que la société … ou la partie étatique ont succombé. En effet, si les dénommés … et … sont certes titulaires d’un titre de séjour délivrés par les autorités françaises et que c’est sur base de ce constat que le ministre a déchargé la société … de l’amende administrative litigieuse, tel que cela a été retenu ci-avant, l’Etat ne saurait toutefois être condamné à supporter les frais et dépens de l’instance dans la mesure où lesdits titres de séjour n’ont été fournis par la société … qu’à l’appui de sa requête introductive d’instance, donc postérieurement à l’arrêté ministériel attaqué du 14 octobre 2019.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

dit que le recours en réformation est devenu sans objet ;

partant le rejette ;

condamne la société … aux frais et dépens.

Ainsi jugée et prononcé à l’audience publique du 8 février 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

5s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 février 2022 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 44077
Date de la décision : 08/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-08;44077 ?

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