La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/02/2022 | LUXEMBOURG | N°46901

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 février 2022, 46901


Tribunal administratif N° 46901 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 janvier 2022 2e chambre Audience publique du 7 février 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46901 du rôle et déposée le 14 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat Ã

  la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déc...

Tribunal administratif N° 46901 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 janvier 2022 2e chambre Audience publique du 7 février 2022 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46901 du rôle et déposée le 14 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Zanzibar (Tanzanie) et être de nationalité tanzanienne, alias …, né le …, de nationalité kényane, alias …, né le …, de nationalité somalienne, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 janvier 2022 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Marine Sessa, en remplacement de Maître Michel Karp, du 25 janvier 2022, informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique du 31 janvier 2022.

___________________________________________________________________________

Le 6 décembre 2021, Monsieur …, alias …, né le …, de nationalité kényane, alias …, de nationalité somalienne, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-

après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, ainsi que sur base de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur … dans la base de données EURODAC qu’il avait déposé une demande de protection internationale en Allemagne le 13 novembre 2017, tandis que l’intéressé déclara lors de ce même entretien que cette demande avait été rejetée en 2018 et qu’après avoir eu recours aux services d’un avocat, il aurait décidé de retirer sa demande de protection internationale en raison des problèmes qu’il aurait rencontrés avec les autres demandeurs de protection internationale ayant vécu avec lui.

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ». A cette occasion, il déclara que la procédure relative à la demande de protection internationale qu’il avait introduite en Allemagne serait toujours en cours.

Par décision du 9 décembre 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … pour une durée de trois mois à résidence à structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg.

Le 20 décembre 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières suivant courrier électronique du 22 décembre 2021 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par décision du 5 janvier 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 6 décembre 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 31 août 2021 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 6 décembre 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 6 décembre 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 13 novembre 2017.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 6 décembre 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 20 décembre 2021 une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 22 décembre 2021, sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 6 décembre 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 13 novembre 2017.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Tanzanie en août 2017 pour faire des études universitaires à Madrid/Espagne. Vous auriez été en possession d’un visa étudiant, valable pour trois mois. Vous auriez habité dans un appartement à Madrid pendant trois mois avant de quitter l’Espagne et de vous rendre en Allemagne où vous avez introduit une demande de protection internationale. Vous auriez habité dans un appartement en colocation à Berlin pendant quatre ans et, selon vos dires, la procédure de votre demande de protection internationale serait toujours en cours. Vous seriez arrivé en train au Luxembourg en date du 1er décembre 2021.

Monsieur, vous indiquez avoir quitté l’Allemagne parce que vous auriez été discriminé dans votre colocation à cause de votre homosexualité. Vous racontez qu’un de vos colocataires vous aurait frappé en mars 2019.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 6 décembre 2021, vous avez mentionné que vous vous sentiriez épuisé et que vous auriez des problèmes de sommeil. Cependant, vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n°2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 Juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre ses transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitement inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2022, inscrite sous le numéro 46901 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 5 janvier 2022.

Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer dans le cadre du recours en réformation introduit à l’encontre de celle-ci.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base du présent litige, tels que retranscrits dans le rapport d’audition du 6 décembre 2021, tout en soulignant avoir été obligé de quitter l’Allemagne en raison des discriminations et maltraitances qu’il y aurait subies de la part de ses colocataires du fait de son homosexualité.

Il ajoute souffrir depuis ces faits de solitude et de gros problèmes de sommeil, tout en insistant sur le fait que ses conditions d’existence en Allemagne revêtiraient « un degré de pénibilité et de gravité intense » au point de nuire à son état mental. Ce serait, entre autres, pour ces mêmes raisons qu’il aurait décidé de retirer sa demande de protection internationale en Allemagne.

En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir tiré des conclusions hâtives quant à sa situation et que le doute sur une situation difficile aurait dû lui profiter.

Il réitère ensuite souffrir depuis son passage en Allemagne de solitude et de problèmes de sommeil, le tout en raison des conditions d’existence pénibles et graves auxquelles il aurait dû faire face dans ce pays.

Il donne à considérer que comme il aurait déjà eu un passé difficile dans son pays d’origine, le fait de se retrouver dans un climat négatif nuirait gravement à sa santé et notamment à son état psychologique.

A cela s’ajouterait que du fait que le gouvernement allemand ne lui aurait pas fourni de logement de décembre 2020 à décembre 2021, contrairement à ce que la loi sur l’asile exigerait, il aurait dû trouver un logement par ses propres moyens et payer un loyer, sans toutefois disposer de la moindre aide.

Ce seraient ces mêmes raisons et le fait que sa demande de protection internationale n’aurait jamais abouti qui l’auraient amené à retirer sa demande de protection internationale en Allemagne et à déposer une telle demande auprès des autorités luxembourgeoises qui devraient, au vu des faits relatés par lui, se déclarer compétentes pour en connaître.

A titre subsidiaire, et à supposer que les autorités luxembourgeoises ne soient pas compétentes pour traiter sa demande de protection internationale, il estime que le ministre aurait dû faire application de la clause de souveraineté inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et ce, eu égard à son lourd passé dans son pays d’origine, son orientation sexuelle, son état moral amoindri et les conditions d’accueil dont il aurait bénéficié en Allemagne.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés2.

Le tribunal relève ensuite qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, voire des suites à réserver à la décision de rejet d’une telle demande, et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes prévoit que « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 13 novembre 2017 et, d’autre part, par le fait que les autorités 2 Trib. adm. 17 septembre 2018, n° 40026 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

allemandes ont accepté sa reprise en charge en date du 22 décembre 2021, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

En l’occurrence, le demandeur semble contester dans son recours, de l’entendement du tribunal, la compétence de principe de l’Allemagne, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, au motif qu’il aurait retiré sa demande de protection internationale introduite en Allemagne, faute d’avoir abouti.

Or, hormis le fait qu’il ne donne aucune indication quant à la base légale sur laquelle il fonde sa contestation, il y a lieu de constater qu’il ressort à la fois du résultat des recherches effectuées le 6 décembre 2021 dans la base de données EURODAC versées au dossier et des déclarations faites par le demandeur lui-même lors de son audition par la police grand-ducale et lors de son entretien Dublin III qu’il a déposé une demande de protection internationale en Allemagne le 13 novembre 2017, étant encore relevé que le demandeur a déclaré à la police grand-ducale que cette demande avait été rejetée par les autorités allemandes en 2018. Si lors de son entretien Dublin III, il a soudainement affirmé que sa demande de protection internationale serait toujours en cours d’instruction en Allemagne, respectivement si dans son recours il déclare pour la première fois avoir retiré cette demande, faute d’avoir abouti, ces affirmations sont contredites par le fait que les autorités allemandes ont expressément accepté de le reprendre en charge sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, disposition couvrant justement l’hypothèse d’un ressortissant de pays tiers dont la demande a été rejetée dans un Etat membre et qui a présenté une demande de protection internationale auprès d’un autre Etat membre. Cette conclusion se trouve encore corroborée par le contenu du courrier de son avocat allemand daté du 2 décembre 2021, versé par le demandeur lui-même aux débats, dont il se dégage qu’il a sollicité de la part de celui-ci non pas qu’il retire sa demande de protection internationale mais qu’il retire le recours contentieux introduit contre la décision de rejet de cette demande par les autorités allemandes (« Sie wünschen, dass ich die Klage vor dem Verwaltungsgericht Potsdam zurücknehme. »).

Il s’ensuit qu’en application de l’article 18, paragraphe (1), point d), c’est l’Allemagne qui est compétente pour connaître de la demande de protection internationale de Monsieur …, respectivement des suites à y donner.

Au vu des considérations qui précèdent, les contestations du demandeur quant à la compétence de principe de l’Allemagne pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner sont d’ores et déjà à rejeter pour ne pas être fondées.

Il y a ensuite lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre de ce faire.

Le tribunal se doit de constater que le demandeur ne se prévaut pas de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III pour faire valoir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne.

S’il devait avoir entendu invoquer à travers ses développements visant à dénoncer ses conditions d’existence en Allemagne, les actes de discrimination et les maltraitances dont il y aurait été victime de la part de ses colocataires en raison de son homosexualité et ses problèmes de santé, l’existence d’un risque de faire l’objet, en Allemagne, de traitements inhumains ou dégradants au sens des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et 4 de la Charte, de sorte que son transfert interviendrait en violation de ces articles, le tribunal est tout d’abord amené à rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et le Protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4,5.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption -

réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6. Dans son arrêt du 16 février 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile7, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore que la CJUE a, dans un arrêt du 19 mars 20198, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans 3 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

4 Ibidem, point. 79.

5 Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point. 95.

8 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, précité.

la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de cet arrêt du 19 mars 2019 que pour relever de l’article 4 de la Charte, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine9.

Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

Toujours, suivant la jurisprudence de la CJUE et plus particulièrement de l’arrêt du 16 février 201710, l’article 4 de la Charte doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt précité de la CJUE du 19 mars 201911 qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.

Ceci étant relevé, le tribunal est toutefois amené à retenir qu’en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer qu’en cas de retour en Allemagne, il risquerait d’encourir un quelconque traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions internationales 9 Idem, pt. 92.

10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75. CJUE.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

précitées, respectivement dans le sens retenu par la CJUE, nécessitant, tel que retenu ci-avant, des actes devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses.

En effet, le tribunal constate tout d’abord qu’il ne se dégage pas des éléments à sa disposition que l’Allemagne ait refusé ou omis de traiter la demande de protection internationale de Monsieur …, alors qu’au contraire, tel que cela vient d’être retenu ci-avant, sa demande de protection internationale a fait l’objet d’une décision de rejet contre laquelle il a introduit un recours en justice avant de décider de le retirer.

Le tribunal relève ensuite qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à son analyse que les autorités allemandes compétentes auraient violé le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles auraient refusé de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, Monsieur … n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile n’y aurait pas été conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32 UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (« directive Procédure »).

S’agissant ensuite de ses conditions d’existence en Allemagne, le tribunal se doit de constater que l’affirmation du demandeur suivant laquelle celles-ci auraient revêtu « un degré de pénibilité et de gravité intense » reste à l’état de pure allégation pour n’être sous-tendue par aucun élément concret, respectivement pour être contredite par les pièces du dossier.

En effet, s’il affirme plus particulièrement que les autorités allemandes ne lui auraient pas fourni de logement de décembre 2020 à décembre 2021, cette affirmation se trouve contredite par l’« Aufenthaltsgestattung », émise le 8 décembre 2020 et valable jusqu’au 8 décembre 2021 qui indique le foyer qui lui a été assigné à …, ….

Pour ce qui est du reproche suivant lequel il n’aurait bénéficié d’aucune aide en Allemagne, celui-ci reste également à l’état de pure allégation, le demandeur ne précisant ni quelle aide lui aurait été concrètement refusée, ni les démarches infructueuses qu’il aurait entreprises.

Par ailleurs, il convient de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide allemand – que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents allemands - était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système allemand n’était pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive Procédure, ainsi que de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.

En ce qui concerne ensuite les actes de discrimination et les maltraitances dont il déclare avoir été victime de la part de ses colocataires, donc de personnes privées, sans relation avec l’Etat allemand, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal qu’alors même qu’il aurait sollicité une aide de la part des autorités allemandes, notamment en dénonçant formellement les agissements dont il déclare avoir été victime en raison de son homosexualité, une telle aide lui aurait été refusée. Il ressort, au contraire, du dossier administratif qu’à l’appui de sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg, le demandeur a versé la copie d’une plainte qu’il a déposée le 22 décembre 2019 pour vol auprès de la police de Berlin, de sorte qu’il a bien eu accès aux autorités policières allemandes lorsqu’il s’est adressé à elles. A défaut d’établir d’une quelconque manière une absence de protection de la part de l’Etat allemand, respectivement de la justice allemande relative aux agissements dont il aurait été victime de la part de ses colocataires et dont il craint qu’ils ne se reproduisent, sa crainte d’être victime de traitements inhumains ou dégradants de ce chef en cas de retour en Allemagne doit s’analyser comme étant purement hypothétique.

Pour ce qui est enfin de l’état de santé prétendument « amoindri » du demandeur, celui-

ci reste en défaut de verser la moindre pièce de nature à justifier la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, ni surtout ne fournit-il des indices concrets qu’il ne pourrait pas bénéficier en Allemagne des soins médicaux dont il pourrait le cas échéant avoir besoin.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté, au système de santé allemand, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droits internes, voire devant les instances européennes adéquates, tel que relevé ci-avant.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que le demandeur n’apporte pas la preuve que, dans son cas précis, ses droits tels que consacrés par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ne seraient pas garantis en cas de retour en Allemagne, ni d’ailleurs que, de manière générale, les droits des demandeurs d’une protection internationale déboutés ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Allemagne, ou encore que ceux-ci n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal ne décèle pas de risque que le transfert du demandeur intervienne en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.[…]», le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201712. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir 12 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge13, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration14.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision entreprise par rapport aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 7 février 2022 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 février 2022 Le greffier du tribunal administratif 13 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

14 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées 13


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 46901
Date de la décision : 07/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-07;46901 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award