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07/02/2022 | LUXEMBOURG | N°43296a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 février 2022, 43296a


Tribunal administratif N° 43296a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2019 2e chambre Audience publique du 7 février 2022 Recours formé par l’association sans but lucratif … et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, en présence de la société anonyme …, …, en matière d’établissements classés

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 43296 du rôle et déposée au greffe d

u tribunal administratif en date du 17 juillet 2019 par Maître Alain Bingen, avocat à la Cour, inscri...

Tribunal administratif N° 43296a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2019 2e chambre Audience publique du 7 février 2022 Recours formé par l’association sans but lucratif … et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, en présence de la société anonyme …, …, en matière d’établissements classés

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 43296 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 juillet 2019 par Maître Alain Bingen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom 1) de l’association sans but lucratif …, établie à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, 2) de Monsieur …, demeurant à L-…, 3) de Madame …, demeurant à L-…, 4) de Madame …, demeurant à L-…, 5) de Monsieur …, demeurant à L-…, 6) de Madame …, demeurant à L-…, 7) de Monsieur …, demeurant à L-…, 8) de Madame …, demeurant à L-…, 9) de Monsieur …, demeurant à L-…, 10) de Madame …, demeurant à L-…, 11) de Monsieur …, demeurant à L-…, et 1 12) de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté n° … du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire du 28 mai 2019 portant autorisation de construction, d’aménagement et d’exploitation d’une centrale d’énergie de trigénération biomasse à …, Zone industrielle … ;

Revu la requête en intervention volontaire déposée au greffe du tribunal administratif le 21 octobre 2019 par la société à responsabilité limitée NautaDutilh Avocats Luxembourg SARL, établie et ayant son siège social à L-1233 Luxembourg, 2, rue Jean Bertholet, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B189905, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Vincent Wellens, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions ;

Vu le jugement du tribunal administratif du 9 septembre 2020, portant le numéro 43296 du rôle ;

Vu l’arrêt de la Cour administrative du 4 février 2021, portant le numéro 45110C du rôle ;

Revu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Alain Bingen, Maître Vincent Wellens et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2021.

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A la suite d’une demande présentée le 21 juillet 2017 par la société anonyme …, ci-après désignée par « la société A », renseignant comme maître de l’ouvrage la société anonyme …, ci-après désignée par « la société B », et comme exploitant « C», le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, ci-après désigné par « le ministre », délivra, par arrêté n° … du 28 mai 2019, l’autorisation de procéder à la construction, à l’aménagement et à l’exploitation d’une centrale d’énergie de trigénération biomasse à …, ci-après désignée par « la centrale biomasse », l’autorisation ayant été sollicitée pour les éléments suivants :

 « une centrale de trigénération biomasse de puissance thermique de 9 MW »,  « une chaudière destinée à la production de vapeur de puissance thermique de 20 MW »,  « un groupe de production d’eau glacée par absorption de puissance frigorifique de 2,5 MW », 2  « un groupe de production d’eau glacée par compression à condensation à eau de puissance frigorifique d’environ 1500 kW fonctionnant avec le fluide R134a »,  « deux compresseurs à vis de puissance nominale unitaire d’environ 30 kW »,  « deux sécheurs d’air frigorifiques de puissance frigorifique d’environ 1 kW fonctionnant avec le fluide R134a »,  « un transformateur sec de puissance nominale de 7,5 MVA »,  « deux transformateurs sec de puissance nominale d’environs 1.000 kVA »,  « un pont roulant de capacité de levage de 12 t »,  « un chariot élévateur à gaz de charge utile de 1 t »,  « deux potences avec palans de charge utile unitaire de 1 t »,  « un dépôt de coupeaux de bois comprenant :

- un silo de dépotage d’un volume d’environ 90 m3[,] - quatre silo[s] de stockage de volume d’environ 1.000 m3 unitaire »,  « un stockage de substances et mélanges classés dans les catégories de dangers les plus graves (mention d’avertissement « danger ») d’une capacité maximale de stockage de 300 litres »,  « un stockage de substances et mélanges classés comme dangereux (mention d’avertissement « attention » ou sans mention d’avertissement) d’une capacité maximale de stockage de 100 litres »,  « un dépôt d’environ 20 litres de produits du type graisse et lubrifiants »,  « un groupe électrogène de secours de puissance nominale électrique de 506 kVA » et  « un réservoir de gasoil d’une capacité de 656 litres ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2019, (i) l’association sans but lucratif …, ci-après désignée par « l’ASBL », ainsi que (ii) Monsieur …, Madame …, Madame …, Monsieur …, Madame …, Monsieur …, Madame …, Monsieur …, Madame …, Monsieur … et Monsieur …, ci-après désignés par « les Citoyens », introduisirent un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 28 mai 2019.

3 Par jugement du 9 septembre 2020, portant le numéro 43296 du rôle, le tribunal (i) reçut l’intervention volontaire de la société anonyme …, ci-après désignée par « la société D », en la forme, (ii) écarta des débats, pour cause de tardiveté, le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2020 par la société à responsabilité limitée NautaDutilh Avocats Luxembourg SARL, pour le compte de la société D, (iii) après avoir constaté que l’article 19, alinéa 1er de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés, ci-après désignée par « la loi du 10 juin 1999 », prévoit un recours au fond en la présente matière et après s’être déclaré compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, déclara ledit recours irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir dans le chef des parties demanderesses, (iv) dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, (v) rejeta la demande de la société D tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 10.000 euros et (vi) condamna les demandeurs aux frais et dépens.

Par arrêt du 4 février 2021, portant le numéro 45110C du rôle, la Cour administrative dit l’appel introduit le 19 octobre 2020 par l’ASBL et les Citoyens à l’encontre dudit jugement partiellement fondé et, partant, par réformation de ce jugement, dit que c’était à tort que le tribunal avait déclaré irrecevable le recours en réformation des demandeurs originaires pour défaut d’intérêt à agir dans leur chef et réserva les frais et dépens de première instance, tout en confirmant le jugement entrepris pour le surplus et en renvoyant le dossier devant le tribunal administratif en prosécution de cause.

Compte tenu de cet arrêt de la Cour administrative ayant réformé le jugement du 9 septembre 2020 uniquement en ce qui concerne l’intérêt à agir des demandeurs, ainsi que les frais et dépens de première instance, tout en le confirmant pour le surplus, la question de la compétence du tribunal pour connaître du recours principal en réformation, celle de la recevabilité de l’intervention volontaire de la société D, celle de l’admissibilité du mémoire en duplique déposé par le litismandataire de cette dernière, celle de la recevabilité ratione temporis du recours et celle de l’intérêt à agir des demandeurs ont été définitivement tranchées, de sorte que le tribunal ne reviendra pas sur ces questions. Pour le même motif, il en est de même en ce qui concerne le constat, fait par le tribunal dans son jugement du 9 septembre 2020, selon lequel il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que les moyens d’irrecevabilité ayant trait à l’expiration du délai pour agir et à un défaut d’intérêt à agir des demandeurs, tels que soulevés par les parties défenderesse et tierce intéressée, ont, ainsi, été définitivement rejetés, le tribunal conclut qu’en l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours principal en réformation est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes de la loi.

Moyens et arguments des parties A l’appui de leur recours, les demandeurs se prévalent de l’article « 7.7.a) » de la loi du 10 juin 1999, qui prévoirait que les demandes d’autorisation indiquent les noms, prénoms, qualité et domicile du demandeur et de l’exploitant.

4 En l’espèce, la société A aurait introduit la demande tendant à la délivrance de l’autorisation litigieuse pour le compte de « C», lequel y serait désigné comme l’exploitant de l’établissement classé en cause, tandis que le maître de l’ouvrage y indiqué serait la société B.

Ainsi, le demandeur serait la société A, tandis que l’exploitant serait « C».

Les demandeurs précisent ensuite que l’article 2.14 de la loi du 10 juin 1999 définirait la notion d’« exploitant » comme correspondant à toute personne physique ou morale qui exploiterait ou détiendrait, en tout ou en partie, un établissement ou toute personne qui se serait vu déléguer à l’égard de ce fonctionnement technique un pouvoir économique déterminant.

Or, « C» serait dépourvu de personnalité juridique, en ce qu’il ne s’agirait ni d’une personne physique ni d’une personne morale.

Dans ce contexte, les demandeurs se prévalent de la définition de la notion de « titrisation », telle que figurant à l’article 1er (1) de la loi modifiée du 22 mars 2004 relative à la titrisation et portant modification de - la loi modifiée du 5 avril 1993 relative au secteur financier - la loi modifiée du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier - la loi du 27 juillet 2003 sur le trust et les contrats fiduciaires - la loi modifiée du 4 décembre 1967 relative à l’impôt sur le revenu - la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’impôt sur la fortune - la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, ci-après désignée par « la loi du 22 mars 2004 », pour soutenir que ladite loi « (…) fourni[rait] un cadre juridique pour le special purpose vehicle (…) ».

L’article 4 (1) de cette loi prévoirait que les sociétés de titrisation devraient prendre la forme d’une société anonyme, d’une société en commandite par actions, d’une société à responsabilité limitée ou d’une société coopérative organisée comme une société anonyme.

« C», qui serait dépourvu de siège social, n’aurait cependant pas pris l’une de ces formes et n’aurait pas été constitué en respectant les formalités prévues par la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales.

Ainsi, l’autorisation litigieuse aurait été accordée à une personne morale inexistante, sinon nulle.

Après avoir soutenu qu’en présence d’un exploitant détenteur de l’autorisation déférée qui serait une entité sans personnalité morale et non identifiable, il leur aurait été impossible de se conformer au prescrit de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », imposant la signification de la requête aux tiers intéressés, les demandeurs soulignent que « C» serait pas non plus inscrit au registre de commerce et des sociétés (« RCS »). Or, en vertu de l’article 22 (1), alinéa 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises et modifiant certaines autres dispositions légales, ci-après désignée par « la loi du 19 décembre 2002 », serait irrecevable toute action principale, reconventionnelle ou en intervention qui trouverait sa cause dans une activité commerciale pour laquelle le requérant n’aurait pas été 5 immatriculé lors de l’introduction de l’action, de sorte que l’intervention d’un « special purpose vehicle » néant serait irrecevable.

En conclusion, les demandeurs soutiennent que la demande d’autorisation introduite pour le compte d’un exploitant inexistant, sinon nul aurait dû être déclarée irrecevable, de sorte que l’arrêté ministériel déféré devrait encourir la réformation, les demandeurs soulignant, dans ce contexte, que leurs droits de la défense seraient lésés « (…) en face d’une entité fictive et sans identité, affranchie de toutes responsabilités et ne pouvant être mise en cause à défaut d’exister (…) ».

A titre subsidiaire, les demandeurs font valoir que la qualité de l’exploitant ne ressortirait pas de la demande d’autorisation, alors que l’indication afférente aurait été obligatoire.

Par ailleurs, « C» n’aurait pas qualité pour « (…) figurer comme exploitant (…) », de sorte que la demande d’autorisation n’aurait pu être introduite pour son compte. A cet égard, les demandeurs font plaider que cette entité ne détiendrait pas l’établissement en question et que la preuve d’une délégation d’un pouvoir économique déterminant à son profit ne serait pas rapportée.

Les demandeurs précisent encore que l’entité en question ne pourrait se prévaloir d’un droit d’occupation et d’utilisation de l’emplacement prévu pour l’installation de la centrale biomasse et qu’il en serait de même en ce qui concerne la société B.

Sur ce dernier point, les demandeurs expliquent que par acte notarié du 26 novembre 1996, un contrat de concession d’un droit de superficie portant, entre autres, sur le terrain censé accueillir ladite centrale aurait été conclu entre le Syndicat intercommunal pour la promotion du canton de Clervaux (« SICLER ») et la société anonyme …, absorbée par la suite par la société anonyme …, ci-après désignée par « la société E ». Or, lors de sa réunion du 1er juillet 2019, le SICLER aurait décidé de ne pas marquer son accord avec une rétrocession partielle du terrain utilisé par la société E en vue de la cession ultérieure à une entité souhaitant y mettre en place la centrale litigieuse.

Ainsi, au stade actuel, seule la société E aurait qualité pour solliciter l’autorisation critiquée, les demandeurs soulignant encore que dans la mesure où la demande d’autorisation ferait expressément référence aux besoins énergétiques de cette dernière société, qui n’y figurerait cependant ni en tant que demandeur, ni en tant qu’exploitant, le lien entre l’entité « C» et la société B serait plus que nébuleux.

Les demandeurs font encore valoir que ce serait à tort que le ministre aurait considéré la demande lui soumise comme ayant été complète, étant donné qu’elle aurait contenu des renseignements incohérents et erronés, sinon incomplets.

A cet égard, ils soutiennent :

i.

que le domicile de l’entité « C» n’y serait pas renseigné, ii.

que le numéro d’identité national de ladite entité n’y figurerait pas, contrairement aux dispositions de l’article « 7.7.a) » de la loi du 10 juin 1999, iii.

que l’emplacement de la centrale litigieuse serait renseigné de manière incorrecte, alors qu’il n’existerait pas de parcelle portant le numéro cadastral …, 6 iv.

que sur base d’une consommation horaire de bois de 10 tonnes et d’une plage de travail de 8.300 h/an, la consommation annuelle ne serait pas de 70.000 tonnes, mais de 83.000 tonnes, v.

que le dossier contiendrait une contradiction concernant la plage d’humidité du bois, évaluée d’abord de 30 % à 55 % et ensuite à un maximum de 55 % pour les plaquettes forestières, respectivement de 65 % pour le broyat, vi.

que la définition du bois serait nettement insuffisante, rendant en pratique le contrôle des camions bennes impossible, puisqu’il y aurait un doute sur la qualité et les composants du combustible en l’absence de critères précis, vii.

que s’agissant de la protection des eaux, et plus particulièrement du traitement et de l’évacuation des eaux usées, l’étude à fournir par la société anonyme … ferait défaut, viii.

qu’en ce qui concerne la collecte et l’utilisation de l’eau de pluie, un bassin de rétention de 200 m3 serait prévu à l’extérieur, alors que le prélèvement d’eau potable serait estimé à 90,7 m3/h soit 800.000 m3/an, ix.

que s’agissant de la lutte contre les bruits et les vibrations, il n’existerait pas de « (…) carte avec les contingents de bruit de la zone (…) », x.

qu’en ce qui concerne l’impact sonore sur l’environnement, il serait noté dans la demande que « (…) le niveau de bruit en provenance de la nouvelle centrale ne devrait pas provoquer nuisances majeures pour les environs (…) », sans que « (…) le problème de la maîtrise du bruit qui sera[it] causé par la soupape de sortie de vapeur (Hochdruckablassventil) (…) » ne serait mentionné, et xi.

que l’étude des risques et le rapport de sécurité, tels que prévus par l’article 8 (1) de la loi du 10 juin 1999, feraient défaut.

Les demandeurs concluent que compte tenu de tous ces défauts, la demande d’autorisation aurait dû être rejetée.

Plus subsidiairement, en se prévalant de l’avis du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Wincrange du 13 décembre 2018, ainsi que d’extraits de la demande d’autorisation du 21 juillet 2017 ayant trait à la finalité de la centrale projetée, les demandeurs remettent en cause l’opportunité de la décision déférée, en soutenant que les besoins en énergie électrique et thermique des exploitants implantés dans la zone industrielle devant accueillir la centrale en question, dont notamment la société E, seraient amplement couverts à l’heure actuelle, de sorte qu’il ne serait pas nécessaire d’y installer une nouvelle centrale absolument surdimensionnée, inadaptée et disproportionnée. Après avoir souligné qu’en optant pour la combustion du bois, l’exploitant privilégierait une forte augmentation des émissions, alors que « (…) la directive NECS (National Emission R[e]duction Commitments) prévoi[rait] pour le Grand-Duché de Luxembourg dans un délai de 10 ans jusqu’en 2030 une réduction pour le SO2 de -50%, le Nox de -83%, le PM2,5 de -

40%,le NH3 de -22% et le VOC de -42% (…) », les demandeurs concluent que le ministre aurait dû refuser la délivrance de l’autorisation sollicitée.

Encore plus subsidiairement, les demandeurs font valoir que le juge administratif devrait examiner si l’exploitation concrète ne génère pas, compte tenu de ses conditions d’exploitation, des nuisances excessives pour le voisinage et pour le personnel de l’établissement, ainsi que pour l’environnement humain et naturel, pour soutenir qu’en l’espèce, les conditions arrêtées ne 7 tiendraient pas compte des nuisances et dangers résultant de l’exploitation de l’installation litigieuse et que ces conditions ne seraient pas à considérer en l’état actuel de la technologie comme suffisantes pour garantir d’une manière générale la sécurité, la salubrité et la commodité par rapport au personnel occupé et au public.

A cet égard, ils expliquent que dans la demande d’autorisation, les furanes et les dioxines ne seraient pas mentionnés, alors qu’il faudrait « (…) définir clairement les proportions relatives des particules PM10 PM2,5 PM1 (…) », les demandeurs donnant à considérer, dans ce contexte, que si, sur le plan national, une forte baisse de la pollution due aux dioxines et furanes a été observée, il n’en resterait pas moins qu’au cours de la campagne de mesurage effectuée en 2016, la valeur la plus importante aurait été mesurée à ….

Si la demande d’autorisation précise certes que des mesures et des contrôles continus des rejets dans l’atmosphère seraient prévus, les demandeurs déclarent insister « (…) sur des mesures permanent[e]s 24/24h et [sur] la détermination précise des limites de pollution en concentration, masse et volume tout en respectant les normes européennes (…) », et ce, au motif que l’établissement litigieux conduirait à « (…) une forte augmentation au niveau des émissions TSP, Nox, CO par rapport à la source d’énergie sur place, à savoir essentiellement le gaz (…) », les demandeurs soulignant que les rapports afférents devraient être tenus à la disposition du public aux maisons communales de Wincrange et de Clervaux.

S’agissant du traitement des fumées, les demandeurs soutiennent que l’installation d’un filtre en tissu aux fins de la séparation des cendres volantes serait nettement insuffisante, « (…) puisqu’il y a[urait] un manque d’élimination des particules de poussière (…) ».

Finalement, les demandeurs soutiennent qu’en application de l’article 13.1, alinéa 2 de la loi du 10 juin 1999, il y aurait lieu de limiter la durée de validité de l’autorisation déférée à 5 ans.

Ainsi, ils demandent au tribunal de compléter l’autorisation déférée sur les points ainsi soulevés.

Les parties défenderesse et tierce intéressée concluent au rejet du recours.

Le délégué du gouvernement conteste l’argumentation des demandeurs selon laquelle la demande aurait dû être déclarée irrecevable pour avoir été introduite pour le compte d’un exploitant inexistant sinon nul, en donnant à considérer, en substance, qu’une personne morale n’aurait pas nécessairement la personnalité juridique, que l’article 2.14 de la loi du 10 juin 1999 définissant la notion d’exploitant viserait, à côté des personnes physiques, les personnes morales, sans exiger que ces dernières seraient investies de la personnalité juridique, et que les demandeurs ne rapporteraient pas la preuve que « C» ne serait pas une personne morale.

Subsidiairement, le représentant étatique soutient que ledit article 2.14 de la loi du 10 juin 1999 déterminerait les conditions que le futur exploitant d’un établissement classé devrait remplir, sans préciser le moment auquel ces conditions devraient être remplies. Ainsi, il ne serait pas exigé que l’exploitant serait une personne morale au moment de l’introduction de la demande, de sorte 8 que l’inexistence de la personnalité morale lors de l’introduction de la demande serait sans incidence sur la recevabilité de cette dernière.

Par ailleurs, il se dégagerait de l’article 13.5 de la loi du 10 juin 1999 que l’autorisation du ministre porterait sur une activité, indépendamment de l’identité, de l’adresse ou de la qualité de l’exploitant et un éventuel changement d’exploitant en cours de traitement de la demande n’aurait pas d’incidence sur la validité de cette dernière.

Quant à l’argumentation des demandeurs selon laquelle « C» n’aurait pas qualité pour « (…) figurer comme exploitant (…) » dans le cadre de la demande d’autorisation litigieuse, le délégué du gouvernement se prévaut de l’article 2.14, précité, de la loi du 10 juin 1999, en renvoyant à ses explications quant à la personnalité morale de « C» et en soulignant que cette disposition légale prévoirait des conditions, non pas cumulatives, mais alternatives, en ce qu’elle exigerait que, pour pouvoir être qualifiée d’exploitant, la personne physique ou morale en cause devrait soit exploiter l’établissement, soit le détenir. En l’espèce, il ne serait pas contesté que « C» envisagerait, respectivement aurait envisagé d’exploiter l’établissement classé litigieux, de sorte que cette entité remplirait les conditions légales pour pouvoir être qualifiée d’exploitant.

S’agissant ensuite de l’argumentation des demandeurs selon laquelle seule la société E aurait eu qualité pour solliciter l’autorisation déférée, le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre ne serait pas concerné par un projet de morcellement d’une parcelle ou un contrat de concession, alors que ledit ministre autoriserait l’exploitation d’un établissement sur une parcelle existante, si toutes les conditions relevant de sa compétence sont remplies, et ce indépendamment de la répartition de cette parcelle et du droit de propriété afférent. En effet, il ne se dégagerait d’aucune disposition de la loi du 10 juin 1999 que seuls des propriétaires ou exploitants d’une parcelle pourraient introduire une demande d’autorisation, le représentant étatique soulignant que l’article 7 de ladite loi viserait le « requérant » et non pas le « propriétaire » et/ou l’« exploitant ».

Par conséquent, le ministre ne serait pas obligé de vérifier si le requérant est le propriétaire et/ou l’exploitant de la parcelle concernée et il ne serait, d’ailleurs, pas compétent pour ce faire.

Quant aux contestations des demandeurs ayant trait à l’indication du domicile de « C» dans la demande, le délégué du gouvernement déclare ne pas contester que le domicile indiqué dans cette dernière serait erroné, mais soutient que dans la mesure où une adresse aurait bien été fournie, la demande ne saurait être qualifiée d’incomplète à cet égard. En tout état de cause, ni la loi du 10 juin 1999, ni une quelconque autre disposition légale ne prévoiraient de sanction en cas d’indication erronée du domicile de l’exploitant et les demandeurs n’en tireraient aucune conséquence juridique.

Quant au défaut d’indication d’un numéro d’identité national, le délégué du gouvernement souligne qu’aux termes de l’article 7.10 de la loi du 10 juin 1999, pareille indication serait exigée pour les entreprises occupant du personnel salarié. Or, lors de l’introduction de la demande, « C» n’aurait ni constitué une entreprise, ni occupé du personnel salarié, de sorte qu’aucun numéro d’identité national n’aurait dû être indiqué.

9 En outre, l’existence, remise en cause par les demandeurs, de la parcelle portant le numéro cadastral … se dégagerait d’un extrait cadastral daté au 27 janvier 2017 et annexé à la demande.

Les autres éléments, qui, d’après les demandeurs, rendraient la demande incomplète ne relèveraient pas de la compétence du ministre ayant le Travail dans ses attributions, mais de celle du ministre ayant l’Environnement dans ces attributions. Il en serait ainsi (i) de la consommation annuelle de bois, (ii) de la plage d’humidité du bois, (iii) de la définition du bois, (iv) de la protection des eaux, (v) de la collecte et de l’utilisation de l’eau de pluie, ainsi que (v) des bruits et des vibrations.

Le délégué du gouvernement soutient ensuite que l’étude des risques et le rapport de sécurité, tels que visés à l’article 8 de la loi du 10 juin 1999, n’auraient pas été obligatoires en l’espèce, étant donné que les seuils fixés par l’annexe du règlement grand-ducal modifié du 10 mai 2012 portant nouvelles nomenclature et classification des établissements classés, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 10 mai 2012 », sous le point 010128, sous-point 3, « Stockage de liquides et de gaz », respectivement sous le point 010129, sous-point 3, portant le même intitulé, au-delà desquels l’établissement de ces étude et rapport serait exigé, n’auraient pas été dépassés en l’espèce.

Quant à la contestation, par les demandeurs, de l’opportunité de la délivrance de l’autorisation sollicitée, le délégué du gouvernement soutient, en se prévalant des dispositions de l’article 13.5 de la loi du 10 juin 1999, qu’il n’appartiendrait pas au ministre d’évaluer l’utilité, ni la nécessité de l’exploitation d’un établissement. En tout état de cause, la fabrication de produits à partir d’énergie renouvelable produite à partir de biomasse devrait être un intérêt suffisant pour rendre la demande d’autorisation opportune.

Le délégué du gouvernement conteste ensuite l’argumentation des demandeurs selon laquelle les conditions d’exploitation, telles que fixées dans l’arrêté ministériel déféré, seraient insuffisantes. Après avoir souligné qu’une enquête publique aurait eu lieu en l’espèce et qu’au cours de cette dernière, les demandeurs auraient pu formuler leurs observations, il fait valoir que ledit arrêté serait conforme aux dispositions réglementaires en vigueur et que les reproches des demandeurs seraient de nature purement générale et se limiteraient à des affirmations non autrement étayées. Les risques et spécificités du projet rentrant dans la sphère de compétence du ministre auraient été pris en considération lors de l’instruction de la demande et l’arrêté litigieux imposerait, en conséquence, à l’exploitant le respect de conditions générales et spécifiques, adaptées au projet.

Finalement, le représentant étatique fait valoir que la limitation dans le temps d’une autorisation serait laissée à l’appréciation du ministre, qui, en l’espèce, n’aurait pas perçu de nécessité de fixer une telle limite temporelle.

La société D explique, quant à elle, avoir été créée le 21 mars 2018 et avoir comme actionnaire majoritaire la société B. Son objet serait la mise en œuvre et l’exploitation de centrales d’énergie. Sur demande de la société E, elle poursuivrait la réalisation du projet de construction et d’exploitation d’une centrale biomasse à … sur le site de cette dernière société au sein de la zone industrielle …. Cette centrale devrait permettre de fournir de l’énergie thermique et frigorifique à 10 la société E afin que son usine, située sur le terrain adjacent, devienne autonome énergétiquement grâce à un système exploitant une énergie renouvelable. Le surplus d’énergie produite par ladite centrale serait injecté dans le réseau public. Actuellement, les besoins énergétiques de la société E seraient couverts par un système de combustion d’énergies fossiles, à savoir le gaz naturel et le mazout.

Aux fins de la réalisation de ce projet, la société D aurait missionné la société A, qui aurait introduit la demande en obtention de l’autorisation litigieuse en date du 21 juillet 2017.

A cette date, la société D n’aurait cependant pas encore été immatriculée au RCS, de sorte que la demande aurait visé comme bénéficiaire de la future autorisation la société en formation désignée sous les termes « C», termes que le ministre aurait repris dans sa décision. Suite à la signature de ses statuts en date du 13 mars 2018 et son immatriculation au RCS le 21 mars 2018, la société D aurait, par décision de son conseil d’administration du 7 novembre 2019, repris l’ensemble des actes qui auraient été conclus pour son compte lorsqu’elle aurait été une société en formation et qui auraient été relatifs à la centrale biomasse. Par la suite, la société D aurait informé le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, ci-après désigné par « le ministère », l’Inspection du Travail et des Mines (« ITM ») et l’administration de l’Environnement de cette reprise. Par courrier du 6 décembre 2019, l’ITM lui aurait répondu que l’autorisation litigieuse conférerait un droit réel qui s’attacherait à l’établissement concerné et non pas à la personne à laquelle elle aurait été accordée.

La société D précise encore qu’après avoir constaté que certaines informations figurant dans le dossier de demande d’autorisation et se rapportant aux performances de la centrale biomasse seraient erronées, la société A aurait, par courrier recommandé du 8 septembre 2017, transmis un avenant au dossier de demande à l’administration de l’Environnement, dans lequel elle aurait redressé ces erreurs.

En droit, et s’agissant d’abord des contestations des demandeurs quant à l’identité de l’exploitant indiqué dans la demande, la société D fait sienne l’argumentation développée dans le susdit courrier de l’ITM du 6 décembre 2019, selon laquelle l’autorisation litigieuse conférerait un droit réel qui s’attacherait à l’établissement concerné et non pas à la personne à laquelle elle aurait été accordée, pour en déduire que la validité de ladite autorisation ne dépendrait pas de la qualité de l’exploitant, mais de la situation de l’établissement concerné.

Il y aurait, dès lors, lieu de confirmer l’autorisation en question, en ce qu’elle aurait été régulièrement accordée pour un établissement spécifique.

Par ailleurs, et contrairement à l’argumentation des demandeurs, ladite autorisation aurait été accordée à une véritable personne morale, à savoir la société D, qui aurait été une société en formation lors de l’adoption de l’autorisation querellée. En effet, en droit luxembourgeois, l’existence d’une personne morale ne serait pas subordonnée à son inscription au RCS. La société serait créée et existerait en tant que personne morale, dès que ses fondateurs auraient manifesté leur volonté concrète de constituer une société, la partie tierce intéressée se prévalant, à cet égard, d’un arrêt de la Cour d’appel du 29 janvier 2003, portant le numéro 26150 du rôle. A partir du moment où les associés auraient manifesté cette volonté concrète de constituer une société, cette 11 dernière serait qualifiée de société en formation, notion, qui, selon la doctrine, viserait la situation des actes préparatoires à l’exploitation future accomplis par les fondateurs pour le compte de la société, avant la signature des statuts. La société acquerrait sa capacité juridique dès la signature des statuts. L’inscription au RCS n’aurait, dès lors, d’incidence ni sur la capacité juridique de la société, ni sur son existence en tant que personne morale. Ainsi, la société en formation, non encore inscrite au RCS, serait une véritable personne morale. En l’espèce, lors de l’introduction de la demande, soit le 21 juillet 2017, la société D aurait été une société en formation, disposant de la personnalité morale. La société tierce intéressée rappelle, par ailleurs, que par réunion de son conseil d’administration du 7 novembre 2019, elle aurait repris les actes relatifs à l’autorisation déférée, en ce compris la demande afférente.

Elle conclut que l’autorisation litigieuse aurait été valablement délivrée à cette société en formation, désignée sous les termes « C».

Par ailleurs, la société D fait valoir que les contestations d’ordre environnemental soulevées par les demandeurs échapperaient à la compétence du ministre, de sorte à être dépourvues de pertinence.

Quant aux contestations des demandeurs ayant trait à la parcelle devant accueillir l’établissement litigieux, la société tierce intéressée fait plaider que dans le cadre de la demande d’autorisation, elle aurait clairement indiqué que cette parcelle ne serait pas sa propriété, tout en expliquant les modalités selon laquelle la centrale biomasse pourrait quand même y être érigée.

Sur ce point, elle soutient qu’actuellement, la société E détiendrait un droit de superficie sur le terrain concerné. Ce droit de superficie devrait être restitué au SICLER, qui, à son tour, devrait le transmettre à la société D. Le numéro cadastral indiqué dans la demande, à savoir le numéro …, serait un numéro provisoire résultant d’un projet de morcellement de la parcelle actuelle, portant le numéro cadastral …. Il ne s’agirait, dès lors, pas d’un faux numéro cadastral, tel que les demandeurs le soutiendraient, à tort. Le fait que la société D ne serait, ainsi, pas encore titulaire d’un droit de superficie ou d’un droit équivalent sur la parcelle en question n’affecterait nullement la validité de l’autorisation déférée, étant donné que le ministre aurait pris sa décision en connaissance de cause. En tout état de cause et contrairement à l’argumentation des demandeurs, le SICLER n’aurait pas encore adopté de décision définitive quant au droit de superficie relatif à la parcelle devant accueillir la centrale biomasse.

Si le tribunal devait estimer que les contestations d’ordre environnemental, telles que soulevées par les demandeurs, seraient pertinentes en la cause, malgré le fait qu’elles échapperaient, selon la société tierce intéressée, à la compétence du ministre ayant pris la décision litigieuse, cette dernière fait valoir que les contestations en question seraient en tout état de cause non fondées.

A cet égard, la société D insiste sur le fait que le dossier de demande préciserait les dangers que pourrait représenter la centrale biomasse, les mesures préventives pour circonscrire ces dangers, les nuisances pouvant émaner de ladite centrale, telles que les bruits, les vibrations ou encore la production de déchets, ainsi que les mesures mises en œuvre pour limiter ces nuisances.

Ledit dossier détaillerait même les risques pouvant résulter d’un fonctionnement anormal de la centrale, tout en précisant les mesures adoptées pour éviter leur réalisation ou diminuer au 12 maximum leur impact, lorsqu’ils ne pourraient être évités. Ainsi, les mesures détaillées dans la demande auraient permis aux autorités compétentes d’apprécier l’impact que pourrait avoir la centrale litigieuse sur son environnement et les mesures afférentes, telles que mises en œuvre par la société tierce intéressée. La décision déférée aurait, dès lors, été prise en considération de ces mesures, la société D soulignant que le ministre aurait retenu, dans la décision en question, que les conditions d’exploitation seraient à considérer en l’état actuel de la technologie comme suffisantes pour garantir de manière générale la sécurité, la salubrité et la commodité par rapport au personnel occupé et au public.

Quant aux contestations des demandeurs ayant trait à la consommation en eau de la centrale biomasse et aux dimensions du bassin de rétention, la société tierce intéressée fait valoir que la consommation en eau de 800.000 m3 par an, telle qu’invoquée par les demandeurs, serait inexacte, étant donné que ce chiffre aurait été obtenu sur base de l’indication, dans la demande, d’une consommation horaire de 90,7 m3 et que cette indication serait le résultat d’une faute de frappe, la consommation horaire réelle étant, selon la société D, de 0,7 m3, ce qui équivaudrait à une consommation annuelle de 6.132 m3, de sorte que contrairement à l’argumentation des demandeurs, le bassin de rétention serait suffisamment dimensionné.

Quant à l’argumentation des demandeurs selon laquelle la demande ne préciserait pas les numéros d’identité nationale des salariés de l’exploitant, la société D souligne que si la demande envisage certes l’occupation de douze salariés pour assurer la bon fonctionnement de la centrale biomasse, il n’en resterait pas moins qu’il ne s’agirait que du nombre de salariés prévus, lesquels n’auraient pas encore été embauchés par elle-même au jour du dépôt de la demande et ne le seraient d’ailleurs pas non plus à l’heure actuelle, alors que la centrale ne serait pas encore construite, de sorte qu’il n’aurait pas été possible d’indiquer leurs numéros d’identité nationale respectifs.

L’absence de ces numéros d’identification nationale ne serait, dès lors, pas de nature à rendre la demande incomplète.

La société D conclut ensuite au rejet de l’argumentation des demandeurs ayant trait à l’absence de l’étude des risques et du rapport de sécurité, tels que visés par l’article 8 (1) de la loi du 10 juin 1999, au motif que cette étude et ce rapport ne seraient exigés par cette dernière disposition légale que s’ils sont prescrits par le ministre ayant le Travail dans ses attributions, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Par ailleurs, s’agissant de l’argumentation des demandeurs ayant trait à l’absence d’indications quant aux particules fines pouvant être produites par la centrale biomasse, la société D fait valoir que les particules fines ne figureraient pas parmi les éléments devant figurer dans une demande d’autorisation, tels qu’énumérés par l’article 7 de la loi du 10 juin 1999. Nonobstant ce constat, la demande aborderait les particules fines pouvant provenir des silos de bois, en précisant que ces derniers n’en produiraient pas, compte tenu de la granulométrie des copeaux de bois, ainsi que celles pouvant provenir de la cheminée de la centrale, laquelle serait équipée d’un filtre à manches destiné à retenir la poussière fine, afin qu’elle soit évacuée et traitée.

S’agissant ensuite des contestations des demandeurs quant aux émissions et à l’utilité de la centrale biomasse, la société D fait valoir que le projet afférent s’inscrirait dans une dynamique de protection de l’environnement et de développement d’une énergie renouvelable pour les habitants 13 et les entreprises du Luxembourg, en ce que ladite centrale serait destinée à remplacer la combustion de sources d’énergie fossile, à savoir le gaz naturel et le mazout, par l’utilisation d’une source d’énergie renouvelable.

Par ailleurs, les demandeurs ne seraient pas recevables à apprécier l’opportunité des décisions stratégiques de développement de la société E, et plus particulièrement la volonté de cette dernière de devenir énergétiquement autonome à l’aide d’une énergie renouvelable, de sorte qu’ils ne pourraient valablement soutenir que les besoins énergétiques de cette société seraient actuellement comblés.

Quant à la directive (EU) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques, modifiant la directive 2003/35/CE et abrogeant la directive 2001/81/CE, qui serait invoquée par les demandeurs, la société tierce intéressée fait valoir que cette directive, transposée en droit interne par le règlement grand-ducal du 27 juin 2018 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques, imposerait au Luxembourg de réduire les émissions de certains gaz polluants, dont l’oxyde d’azote (NOx). Or, la combustion d’une biomasse naturelle, telle que celle qui serait utilisée pour le fonctionnement de la centrale biomasse litigieuse, ne générerait aucune émission d’oxyde d’azote, contrairement à un système de combustion de gaz naturel et de mazout, de sorte que la réalisation de cette centrale s’inscrirait dans le cadre de la poursuite des objectifs envisagés par ladite directive. La demande formulée par les parties demanderesses d’obtenir la mise en place de mesures permanentes, 24 heures sur 24, pour contrôler les émissions atmosphériques serait, dès lors, à rejeter pour défaut de pertinence.

De même, il n’y aurait pas lieu de limiter la durée de validité de l’autorisation litigieuse à cinq ans, étant donné que la loi du 10 juin 1999 permettrait à l’administration d’accorder une autorisation d’exploitation pour une durée illimitée, si elle le juge opportun, tel que cela aurait été le cas en l’espèce. Cette solution serait justifiée, compte tenu des caractéristiques de l’établissement concerné, étant donné que la centrale biomasse aurait pour objectif de réduire l’impact sur l’environnement de la consommation énergétique de la société E et que l’effet positif escompté sur l’environnement ne deviendrait significatif que si ladite centrale fonctionne durant une période prolongée, outre le fait qu’il s’agirait d’un établissement d’une taille importante, qui nécessiterait des investissements d’une certaine ampleur, lesquels ne seraient rentabilisés qu’à long terme.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent sur le fait que la personnalité juridique constituerait une condition nécessaire pour être exploitant, au sens de l’article 2.14 de la loi du 10 juin 1999. Ils ajoutent, dans ce contexte, qu’une personne juridique serait soit une personne physique, soit une personne morale, tout en précisant que l’existence d’une personne morale dépendrait d’un acte de volonté, d’un contrat. Sur ce dernier point, ils précisent qu’en droit luxembourgeois, la personnalité morale des sociétés commerciales naîtrait de la conclusion du contrat de société. Si l’acte constitutif peut fixer une date ultérieure pour le commencement de la société en retardant dans le temps sa date de naissance, l’inverse ne serait pas possible, de sorte que la société ne saurait être créée par un acte ayant un effet rétroactif.

14 Par ailleurs, après avoir souligné que la personnalité morale « (…) ser[virait] à identifier la société (…) » et que les sociétés auraient un nom, un domicile et une nationalité, les demandeurs réfutent l’argumentation de la partie étatique selon laquelle une personne morale n’aurait pas nécessairement la personnalité juridique, en insistant sur le fait qu’il n’existerait pas de personne morale sans personnalité juridique.

En outre, les demandeurs font valoir que dans la mesure où l’autorisation d’exploitation serait délivrée à un exploitant et à partir du moment où la loi prévoirait que les noms, prénoms, qualité et domicile du demandeur et de l’exploitant devraient être indiqués dans les demandes d’autorisation, il serait évident, compte tenu de la définition légale de la notion d’« exploitant », que l’exploitant devrait exister, c’est-à-dire avoir la personnalité juridique au jour de l’introduction de la demande.

A titre subsidiaire, les demandeurs réfutent l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle l’indication inexacte du domicile de l’exploitant dans la demande d’autorisation ne porterait pas à conséquence, en faisant valoir que les précisions les plus élémentaires quant à l’identité de l’exploitant feraient défaut, ce qui rendrait impossible une mise en cause de la responsabilité civile de ce dernier en cas de survenance d’un sinistre dans le cadre de l’exploitation de la centrale biomasse.

Par ailleurs, ils insistent sur le fait que le numéro cadastral de la parcelle devant accueillir ladite centrale, tel qu’indiqué dans la demande, serait inexact, en soulignant que le projet de morcellement en vue de la création d’une nouvelle parcelle, tel qu’évoqué par la société D, n’aurait pas abouti à ce jour, et ce en raison de l’absence de l’autorisation requise à cette fin de la part du conseil communal de la commune concernée et de la susdite décision négative du SICLER du 1er juillet 2019.

Contrairement à l’argumentation de la société D, les chiffres figurant dans la demande du 21 juillet 2017 ne seraient pas attribuables à des fautes de frappe. La demande indiquerait clairement une consommation d’eau de 800.000 m3 par an, qui aurait été calculée à partir d’une consommation horaire de 90,7 m3.

Les demandeurs soulignent ensuite que les courriels adressés à l’ASBL en date des 14 et 29 octobre 2019, tels que versés en cause par la société D, n’émaneraient pas de cette dernière, mais porteraient l’entête de la société B. Par ailleurs, s’ils évoquent un « projet D », ces courriels ne préciseraient pas qu’ils émaneraient de la société D et indiqueraient comme initiateur du projet la société E. A cela s’ajouterait qu’ils seraient antérieurs à la demande introduite le 15 novembre 2019 par la société D auprès du ministère, à travers laquelle cette dernière a demandé le transfert de l’autorisation à son nom, respectivement l’émission d’une nouvelle autorisation à son profit.

Dans ce contexte, les demandeurs soutiennent qu’« (…) une confusion totale [serait] délibérément entretenue à ce niveau (…) », tout en ajoutant que dans la mesure où « C» serait « (…) un exploitant inexistant, sinon nul (…) », il serait difficilement concevable que cette entité envisagerait d’exploiter l’établissement classé litigieux, les demandeurs précisant encore que le fait que la partie étatique aurait avoué qu’au moment de l’introduction de la demande, « C» n’aurait ni été une entreprise, ni n’aurait occupé du personnel salarié confirmerait qu’il ne s’agirait pas d’une personne juridique.

15 Par ailleurs, les demandeurs insistent sur le fait qu’il se dégagerait de la jurisprudence des juridictions administratives que la question de l’opportunité d’une autorisation en matière d’établissements classés pourrait être appréciée par le juge administratif statuant au fond, pour en déduire que le ministre aurait, quant à lui, la possibilité et le pouvoir de rejeter une demande d’octroi d’une telle autorisation pour des considérations d’opportunité.

Dans ce contexte, les demandeurs déclarent contester que le projet litigieux s’inscrirait dans une dynamique de protection de l’environnement et de développement d’une énergie renouvelable pour les habitants et les entreprises du Luxembourg, alors que l’installation projetée serait destinée à couvrir les besoins en énergie thermique et électrique de la société E.

Ils ajoutent que suivant le communiqué de presse … de la Commission européenne du 20 juin 2018, celle-ci aurait constaté que le Luxembourg aurait permis à deux sociétés du groupe … d’éluder l’impôt sur la quasi-totalité de leurs bénéfices pendant une dizaine d’années, que cette pratique serait illégale au regard des règles de l’Union européenne en matière d’aides de l’Etat, car elle conférerait un avantage indu à ce groupe, et que le Luxembourg devrait maintenant récupérer quelque … d’impôts non payés.

Par ailleurs, il se dégagerait d’une convention signée le 26 avril 2018 entre l’Etat et la société D que le gouvernement verserait à cette dernière une aide financière, plafonnée à … euros, de 23,09 % du coût effectif des investissements éligibles s’élevant à approximativement … euros.

A cet égard, les demandeurs s’interrogent sur la question de savoir si par l’intermédiaire de cette convention et l’aide financière y prévue, l’Etat ne restitue pas en fin de compte au groupe … les impôts qu’il devrait récupérer auprès de ce même groupe.

En tout état de cause, l’installation litigieuse serait absolument surdimensionnée et ne serait ni adaptée, ni proportionnée aux besoins réels de la société E, qui serait pourtant indiquée comme le principal bénéficiaire de la production de chaleur et d’énergie par la centrale biomasse, les demandeurs soulignant encore que l’excédent d’énergie non utilisée par cette entreprise serait destiné à la revente et bénéficierait également d’un régime étatique favorable. Dans ce contexte, ils se prévalent d’une étude du « Fraunhofer-Institut für System- und Innovationsforschung », intitulée « Wissenschaftliche Beratung zu Fragen der Energiestrategie Luxemburgs mit besonderm Fokus auf Erneuerbare Energien - Aktualisierung der Potenzialanalyse für Erneuerbare Energien - Ausblick auf 2030 », aux termes de laquelle « (…) das realisierbare Potenzial für Energieholz im Jahr 2030 für Luxemburg [wird] auf etwa 650 GWh eingestuft (…) », pour en déduire que 32 % de la production annuelle de bois d’énergie au Luxembourg seraient nécessaires afin d’assurer le fonctionnement de la centrale biomasse.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que la loi n’exigerait pas qu’un exploitant devrait avoir la personnalité juridique et qu’elle ne préciserait pas à quel moment les critères permettant de qualifier une personne d’exploitant, tels que prévus par l’article 2.14 de la loi du 10 juin 1999, devraient être remplis.

16 Par ailleurs, l’article 6 de la même loi ne prévoirait pas automatiquement la nécessité d’introduire une nouvelle demande d’autorisation en cas de modification de l’établissement, de sorte que « (…) la nature de l’établissement ne saurait constituer un critère déterminant dans l’octroi d’une autorisation d’exploitation (…) ».

Ce serait, dès lors, à bon droit que dans son courrier adressé à la société D, l’ITM aurait précisé, en s’appuyant sur un arrêt du Conseil d’Etat du 20 juillet 1993, portant les numéros 8792 et 8793 du rôle, qu’une autorisation délivrée sur base de la loi du 10 juin 1999 aurait le caractère d’un droit réel s’attachant à la propriété sur laquelle l’autorisation porterait, et non pas à la personne à laquelle elle serait accordée.

Si le tribunal devait estimer que l’autorisation déférée aurait été accordée à une personne inexistante, l’autorisation en question ne serait pas à annuler de ce fait, et ce en vertu de l’adage « pas de nullité sans texte », en application duquel aucun acte ne pourrait être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi, sauf le cas de l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public, cas dans lequel la nullité ne pourrait cependant être prononcée qu’à condition que celui qui l’invoque rapporte la preuve d’avoir subi un préjudice du fait de l’irrégularité. Une telle preuve ne serait pas rapportée en l’espèce, de sorte que l’arrêté ministériel déféré ne serait pas à annuler.

Appréciation du tribunal S’agissant d’abord de l’argumentation des demandeurs selon laquelle la demande d’autorisation aurait été introduite pour le compte d’un exploitant inexistant, sinon nul, de sorte qu’elle aurait dû être déclarée irrecevable, respectivement de celle selon laquelle l’autorisation litigieuse aurait été accordée à une entité dépourvue de personnalité juridique, de sorte que la décision déférée devrait encourir la réformation, le tribunal relève, en premier lieu, que c’est à tort qu’à l’appui de leur argumentaire, les demandeurs se réfèrent à un article « 7.7.a) » de la loi du 10 juin 1999, étant donné que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus », un tel article n’existe plus, le contenu des demandes d’autorisation étant désormais régi par l’article 7.10 de ladite loi.

Le tribunal précise ensuite qu’il est certes exact que cette dernière disposition légale prévoit, en son point a), que « Les demandes d’autorisation indiquent (…) les noms, prénoms, qualité et domicile du demandeur et de l’exploitant (…) ».

Il est encore exact que l’article 2.14 de la même loi définit la notion d’« exploitant » comme correspondant à « (…) toute personne physique ou morale qui exploite ou détient, en tout ou en partie, un établissement ou toute personne qui s’est vu déléguer à l’égard de ce fonctionnement technique un pouvoir économique déterminant (…) », étant relevé, dans ce contexte, que l’argumentation de la partie étatique selon laquelle une personne morale n’aurait pas nécessairement la personnalité juridique procède d’une lecture erronée de la définition citée par elle de la notion de « personne morale », aux termes de laquelle est une telle personne morale « (…) un groupement doté, sous certaines conditions, d’une personnalité juridique (…) », l’emploi, par l’auteur de l’ouvrage cité, des termes « sous certaines conditions », étant à entendre, non pas en ce sens qu’une personne morale ne serait dotée de la personnalité juridique que dans 17 certaines hypothèses, mais en ce sens que l’octroi de la personnalité juridique à un groupement, permettant de le qualifier de personne morale, est subordonné à certaines conditions.

Il n’en reste pas moins qu’il ne se dégage ni de ces articles ni d’une quelconque autre disposition normative que l’indication, comme exploitant, d’une entité dépourvue de personnalité juridique devrait nécessairement entraîner l’irrecevabilité ou le rejet de la demande et il en est, d’ailleurs, de même en ce qui concerne l’indication d’un exploitant non inscrit au RCS, pareille inscription n’étant pas exigée par la loi du 10 juin 1999 et l’article 22 (1), alinéa 1er de la loi du 19 décembre 2002, tel qu’invoqué à cet égard par les demandeurs, aux termes duquel « Est irrecevable toute action principale, reconventionnelle ou en intervention qui trouve sa cause dans une activité commerciale pour laquelle le requérant n’était pas immatriculé lors de l’introduction de l’action », concerne la recevabilité d’une action en justice, et non pas celle d’une demande d’autorisation en matière d’établissements classés.

Le tribunal relève ensuite que sous l’empire de la loi modifiée du 9 mai 1990 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes, ci-après désignée par « la loi du 9 mai 1990 », abrogée et remplacée par la loi du 10 juin 1999, le Conseil d’Etat a retenu, dans un arrêt du 20 juillet 1993, qu’une autorisation rendue en la présente matière a le caractère d’un droit réel qui s’attache à la propriété sur laquelle l’autorisation porte et non pas à la personne à laquelle elle est accordée.1 Cette solution a, par la suite, été reprise par le tribunal administratif, d’abord dans un jugement du 26 janvier 19982, et ensuite dans un jugement du 17 décembre 20083. Dans ce dernier jugement, le tribunal a expressément retenu que les autorisations en matière d’établissements classés ne sont pas nominatives, mais ont le caractère d’un droit réel, le jugement en question ayant été rendu à propos d’un arrêté de suspension d’une exploitation, certes adopté en application de la loi du 10 juin 1999, mais concernant une exploitation ayant fait l’objet d’une autorisation délivrée sous l’empire de l’ancienne loi.

Si les demandeurs font valoir que cette solution ne serait pas transposable à des autorisations rendues sur base de la loi du 10 juin 1999, telles que celle litigieuse, au motif que contrairement à la précédente loi, cette dernière imposerait l’indication, dans la demande, des noms, prénoms, qualité et domicile non seulement du demandeur, mais aussi de l’exploitant, le tribunal ne saurait cependant suivre cette argumentation.

En effet, s’il est certes exact que l’article 7.10 a) de la loi du 10 juin 1999 impose la fourniture de ces informations relatives à l’exploitant, il n’en reste pas moins que les autorisations d’exploitation émises sur base de cette loi ne sont pas délivrées en fonction d’éléments propres à un exploitant déterminé, mais elles ont, aux termes de l’article 13.1 de la même loi, pour objet de fixer, indépendamment de la personne de l’exploitant, « (…) les conditions d’aménagement et d’exploitation qui sont jugées nécessaires pour la protection des intérêts visés à l’article 1er de [ladite loi], en tenant compte des meilleures techniques disponibles respectivement en matière d’environnement et en matière de protection des personnes (…) », ces conditions d’aménagement 1 C.E., 20 juillet 1993, nos 8792 et 8793 du rôle.

2 Trib. adm., 26 janvier 1998, n° 10158 du rôle, non publié.

3 Trib. adm., 17 décembre 2008, n° 24474 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

18 et d’exploitation devant être respectées par l’exploitant et ses éventuels successeurs sous peine des sanctions pénales prévues à l’article 25 de la loi du 10 juin 1999.

Par ailleurs, l’article 6 de la loi du 10 juin 1999 subordonne à une obligation de communication à l’administration compétente toute modification de l’exploitation de l’un des établissements y visés, soit, aux termes de l’article 2.6 de la même loi, « une modification des caractéristiques ou du fonctionnement ou une extension de l’établissement pouvant entraîner des conséquences pour les intérêts protégés par l’article 1er (…) », et impose la présentation d’une nouvelle demande d’autorisation, d’une part, en présence d’une modification substantielle, notion définie par l’article 2.7 de ladite loi comme suit : « une modification de l’établissement qui, de l’appréciation des administrations compétentes, peut avoir des incidences négatives significatives sur les intérêts protégés par l’article 1er de la présente loi; est également réputée substantielle toute modification d’une exploitation qui répond en elle-même aux seuils fixés à l’annexe I de la loi du 9 mai 2014 relative aux émissions industrielles », et, d’autre part, en cas de transfert de l’un des établissements y listés à un autre endroit. N’est ainsi pas visé le seul changement de la personne de l’exploitant d’un établissement, sans modification affectant l’établissement en tant que tel.

Au vu de ces considérations, le tribunal conclut que la solution dégagée par le Conseil d’Etat et le tribunal administratif à propos d’autorisations rendues en application de la loi du 9 mai 1990, selon laquelle les autorisations délivrées en la présente matière ne sont pas nominatives, mais ont le caractère d’un droit réel qui s’attache à la propriété sur laquelle l’autorisation porte et non pas à la personne à laquelle elle est accordée, reste valable sous l’empire de la loi du 10 juin 1999.

Il suit des développements qui précèdent que même à admettre que l’entité « C» désignée comme exploitant dans la demande d’autorisation ne soit pas investie de la personnalité juridique, cette circonstance n’est, en l’absence de disposition normative expresse en ce sens, pas de nature à affecter la recevabilité de la demande, ni la validité de l’autorisation délivrée suite à cette demande, et cela indépendamment de la question de savoir si cette entité pouvait être qualifiée de société en formation ou encore de celle de la validité et de l’opposabilité aux tiers de la reprise des engagements y relatifs par la société D.

Cette problématique se situe, au contraire, au niveau de l’exécution de l’autorisation déférée, en ce sens que cette dernière ne peut produire ses effets que par l’intermédiaire d’un exploitant, au sens de l’article 2.14 de la loi du 10 juin 1999, soit d’une personne physique ou morale exploitant ou détenant, en tout ou en partie, l’établissement, respectivement d’une personne s’étant vu déléguer à l’égard de ce fonctionnement technique un pouvoir économique déterminant.

Dans ce contexte, le tribunal relève encore que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement fait valoir que ledit article 2.14 ne précise pas à quel moment l’exploitant doit être investi de la personnalité juridique. D’ailleurs, l’exploitation d’un établissement classé par une personne morale, qui constitue l’une des hypothèses visées par ledit article 2.14, est, en principe, un événement se situant à un moment postérieur à la délivrance de l’autorisation d’exploitation, étant donné que l’exploitation d’un établissement non autorisé est passible de sanctions pénales, aux termes de l’article 25 de la loi du 10 juin 1999, et que l’article 17.1 de la même loi prévoit expressément que « Sans préjudice d’autres autorisations requises, la construction et la mise en 19 exploitation d’établissements classés ne peuvent être entamées qu’après la délivrance des autorisations requises par la présente loi (…) ».

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à rejeter l’argumentation des demandeurs selon laquelle la demande d’autorisation aurait été introduite pour le compte d’un exploitant inexistant, sinon nul, de sorte qu’elle aurait dû être déclarée irrecevable, de même que celle selon laquelle l’autorisation litigieuse aurait été accordée à une entité dépourvue de personnalité juridique, de sorte que la décision déférée devrait encourir la réformation.

Cette conclusion n’est pas énervée par la référence, faite par les demandeurs, à la loi du 22 mars 2004, étant donné qu’ils sont restés en défaut d’expliquer pour quelles raisons le présent litige concernerait, d’après eux, une opération de titrisation, notion définie par l’article 1er de ladite loi comme correspondant à « (…) l’opération par laquelle un organisme de titrisation acquiert ou assume, directement ou par l’intermédiaire d’un autre organisme, les risques liés à des créances, à d’autres biens, ou à des engagements assumés par des tiers ou inhérents à tout ou partie des activités réalisées par des tiers en émettant des valeurs mobilières dont la valeur ou le rendement dépendent de ces risques. », étant relevé, dans ce contexte, qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties dans la présentation de leurs moyens de droit.

La susdite conclusion n’est pas non plus énervée par l’argumentation des demandeurs selon laquelle leurs droits de la défense seraient lésés « (…) en face d’une entité fictive et sans identité, affranchie de toutes responsabilités et ne pouvant être mise en cause à défaut d’exister (…) », étant donné que tant au cours de la phase précontentieuse que dans le cadre du présent recours, ils ont utilement pu prendre position quant à la centrale biomasse projetée et formuler leurs contestations afférentes, en ce compris celles visant la personnalité juridique de l’exploitant de ladite centrale, de sorte qu’aucune lésion de leurs droits de la défense n’est vérifiée.

L’argumentation des demandeurs selon laquelle la qualité de l’exploitant ne ressortirait pas de la demande d’autorisation est, elle aussi, à rejeter, compte tenu, d’une part, des développements faits ci-avant dans le cadre de l’analyse du moyen ayant trait à l’absence de personnalité juridique dans le chef de l’exploitant renseigné dans la demande et, d’autre part, du fait (i) que l’obligation, inscrite à l’article 7.10 a) de la loi du 10 juin 1999, d’indiquer la qualité de l’exploitant n’est pas assortie d’une sanction, (ii) que la demande introduite en l’espèce précise que « C» intervenait en qualité de futur exploitant de l’établissement, tout en indiquant une personne physique en tant que représentant de l’entité en question, une adresse, un numéro de téléphone et une adresse pour les correspondances et (iii) que les demandeurs sont restés en défaut de préciser quels renseignements supplémentaires auraient dû être fournis au titre de l’indication de la qualité de l’exploitant.

Quant à l’argumentation des demandeurs selon laquelle « C» n’aurait pas qualité pour « (…) figurer comme exploitant (…) », de sorte que la demande d’autorisation n’aurait pu être introduite pour son compte, étant donné que cette entité ne détiendrait pas l’établissement en question et que la preuve d’une délégation d’un pouvoir économique déterminant à son profit ne serait pas rapportée, le tribunal rappelle qu’il vient de retenir que les autorisations rendues en la présente matière ne sont pas nominatives et que l’argumentaire des demandeurs ayant trait à un défaut de personnalité juridique dans le chef de « C» vient d’être rejeté.

20 Par ailleurs, l’article 2.14 de la loi du 10 juin 1999, dont les demandeurs semblent se prévaloir à l’appui de leur argumentation sous analyse, d’une part, ne limite pas la notion d’exploitant aux seules hypothèses de détention de l’établissement ou de délégation d’un pouvoir économique déterminant, mais englobe, à titre alternatif, celle de l’exploitation pure et simple de l’établissement et, d’autre part, ne précise pas à quel moment la détention de l’établissement, respectivement son exploitation ou encore la délégation d’un pouvoir économique déterminant doivent avoir lieu, de sorte à ne pas exclure une détention, une exploitation ou une délégation seulement projetées. Au contraire, étant donné que l’exploitation d’un établissement non autorisé est passible de sanctions pénales, aux termes de l’article 25 de la loi du 10 juin 1999, et que l’article 17.1 de la même loi prévoit expressément que « Sans préjudice d’autres autorisations requises, la construction et la mise en exploitation d’établissements classés ne peuvent être entamées qu’après la délivrance des autorisations requises par la présente loi (…) », l’exploitation d’un établissement est, en principe, un événement postérieur à la délivrance de l’autorisation afférente, tel que relevé ci-avant.

L’argumentation selon laquelle « C» n’aurait pas qualité pour « (…) figurer comme exploitant (…) » est, dès lors, à rejeter.

Il en est de même en ce qui concerne le moyen des demandeurs selon lequel seule la société E, en tant que bénéficiaire d’un droit de superficie sur la parcelle censée accueillir l’établissement classé litigieux, aurait eu qualité pour solliciter l’autorisation déférée, étant donné qu’ils sont restés en défaut d’invoquer une quelconque disposition normative à l’appui du moyen en question.

S’agissant des contestations des demandeurs quant au caractère complet de la demande, et en ce qui concerne, en premier lieu, leur argumentation ayant trait au défaut d’indication du domicile de l’exploitant, le tribunal relève, à l’instar du délégué du gouvernement, que la demande indique bien un domicile, à savoir L-…, de sorte que la demande ne saurait être qualifiée d’incomplète à cet égard, même s’il est constant en cause que l’indication afférente est erronée.

Sur ce dernier point, le tribunal constate, toutefois, qu’aucune disposition normative ne prévoit de sanction en cas d’indication erronée du domicile de l’exploitant. Si les demandeurs se prévalent d’une prétendue impossibilité de mettre en cause la responsabilité civile de l’exploitant, en cas de survenance d’un sinistre dans le cadre de l’exploitation de la centrale biomasse, le tribunal relève qu’outre la question de la pertinence en la présente matière de cette problématique de droit civil, l’indication erronée du domicile de l’exploitant dans la demande ne rend nullement impossible la mise en cause de la responsabilité civile de ce dernier, la détermination de l’auteur d’un fait dommageable et du domicile de ce dernier étant une question de fait dont la preuve peut être rapportée par tous les moyens et qui dépend des circonstances concrètes du cas d’espèce.

Par ailleurs, s’il est certes exact que la demande ne contient pas l’indication du numéro d’identité prévue à l’article 7.10 a) de la loi du 10 juin 1999, force est au tribunal de constater qu’aux termes de cette disposition légale, cette indication n’est exigée que pour les entreprises occupant du personnel salarié. Or, étant donné qu’il n’est pas établi que cette dernière condition ait été vérifiée dans le chef de « C» lors du dépôt et de l’instruction de la demande, ni d’ailleurs qu’elle le soit à l’heure actuelle, l’indication litigieuse n’était pas requise en l’espèce, de sorte que l’argumentation afférente des demandeurs est à rejeter.

21 Quant au moyen des demandeurs selon lequel l’emplacement de la centrale biomasse serait renseigné de manière incorrecte dans la demande, étant donné qu’il n’existerait pas de parcelle portant le numéro cadastral …, le tribunal constate que l’emplacement de la parcelle en question ressort de l’extrait du plan cadastral daté au 27 janvier 2017, tel que versé en cause par la société D. Même si, d’après les explications de cette dernière, ledit numéro serait un numéro provisoire attribué à ladite parcelle dans le cadre d’un projet de morcellement n’ayant pas encore abouti, le tribunal retient, au vu de cet extrait du plan cadastral et compte tenu des explications figurant dans la demande d’autorisation, selon lesquelles la centrale sera implantée sur la parcelle cadastrale accueillant l’usine de la société E, plus précisément sur « (…) une zone herbeuse comprise entre un poste électrique à l’Est et une zone de stockage de déchets de l’usine E à l’Ouest (…) », ainsi que des images aériennes figurant dans la demande, que l’emplacement de l’établissement litigieux a été décrit avec un degré de précision suffisant, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

S’agissant ensuite des contestations des demandeurs relatives aux indications de la demande d’autorisation quant (i) à la consommation annuelle de bois, (ii) à la plage d’humidité du bois, (iii) à la définition du bois, (iv) à la protection des eaux, (v) à la collecte et à l’utilisation de l’eau de pluie et (v) aux bruits et vibrations, le tribunal rappelle que la décision déférée a été prise par le ministre sur base de l’article 13.5 de la loi du 10 juin 1999, aux termes duquel « L’autorisation du ministre ayant dans ses attributions le travail, détermine les conditions d’aménagement et d’exploitation relatives à la sécurité du public et du voisinage en général ainsi qu’à la sécurité, l’hygiène et la santé sur le lieu de travail, la salubrité et l’ergonomie. ».

Même à admettre que la compétence du ministre, lui attribuée par ledit article 13.5 de la loi du 10 juin 1999, engloberait les considérations d’ordre environnemental ainsi invoquées par les demandeurs – la Cour administrative ayant, dans son arrêt, précité, du 4 février 2021, portant le numéro 45110C du rôle, déduit du libellé de la disposition légale en question que la compétence du ministre en la matière est à considérer comme étant générale –, les contestations afférentes des demandeurs encourent en tout état de cause le rejet.

En effet, si les demandeurs soutiennent que la consommation annuelle de bois serait de 83.000 tonnes, et non pas de 70.000 tonnes, force est de constater qu’ils n’invoquent aucune disposition normative qui aurait été violée de ce fait. Il en est de même en ce qui concerne la contradiction qui, d’après eux, affecterait les indications concernant la plage d’humidité du bois, qui serait évaluée d’abord de 30 % à 55 % et ensuite à un maximum de 55 % pour les plaquettes forestières, respectivement de 65 % pour le broyat. De même, s’ils estiment que la définition du bois serait insuffisante, ils restent en défaut d’indiquer une disposition normative qui réglementerait le degré de précision d’une telle définition et qui aurait été méconnue en l’espèce.

Par ailleurs, ils n’invoquent aucune disposition qui imposerait la réalisation de l’étude sur la gestion des eaux, certes annoncée dans la demande d’autorisation, mais non versée en cause, respectivement d’une « carte avec les contingents de bruit de la zone », dont l’absence est constatée dans la demande. Par ailleurs, les demandeurs soulignent qu’un bassin de rétention de 200 m3 serait prévu à l’extérieur, alors que le prélèvement d’eau potable serait estimé à 90,7 m3/h soit 800.000 m3/an, sans en tirer une quelconque conclusion, outre le fait qu’il se dégage d’un courrier recommandé envoyé par la société A à l’administration de l’Environnement en date du 8 septembre 2017, soit in tempore non suspecto, que les indications de la demande relatives à la 22 consommation en eau seraient affectées de fautes de frappe et que la consommation horaire réelle serait de 0,7 m3, ce qui équivaudrait à une consommation annuelle de 6.132 m3.

Dans ces circonstances, l’ensemble de ces contestations sont à rejeter, alors qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des demandeurs et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Pour le même motif, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne la référence non autrement étayée, faite par les demandeurs, au prétendu « (…) problème de la maîtrise du bruit qui sera[it] causé par la soupape de sortie de vapeur (Hochdruckablassventil) (…) ».

S’agissant ensuite de l’argumentation des demandeurs ayant trait à l’absence de l’étude des risques et du rapport de sécurité, tels que prévus par l’article 8 (1) de la loi du 10 juin 1999, le tribunal relève que cette disposition légale est libellée comme suit : « Un règlement grand-ducal détermine les établissements des classes 1 et 1A pour lesquels le ministre ayant le Travail dans ses attributions est habilité à prescrire au demandeur d’autorisation une étude des risques et un rapport de sécurité de l’établissement quant aux salariés, au lieu de travail et à la sécurité du public en cas de fonctionnement anormal de l’établissement en raison de leur nature, de leurs caractéristiques ou de leur localisation. Le règlement grand-ducal précise la nature des informations à fournir par le requérant dans le cadre d’une étude ainsi que toutes les modalités y relatives. (…) ».

Le règlement grand-ducal auquel il est ainsi renvoyé est le règlement grand-ducal modifié du 14 septembre 2000 concernant les études des risques et les rapports de sécurité, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 14 septembre 2000 ».

L’article 2 de ce règlement grand-ducal prévoit ce qui suit :

« 1. Sans préjudice des dispositions légales concernant les risques d’accidents majeurs, les établissements et installations figurant à l’annexe du règlement grand-ducal du 10 mai 2012 portant nouvelles nomenclature et classification des établissements classés, référencés dans la colonne 4, sont soumis d’office à la présentation d’une étude des risques et d’un rapport de sécurité.

2. Au cas où un établissement tombe sous les dispositions du présent règlement grand-

ducal et sous celles de la loi concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, les informations requises par le présent règlement grand-

ducal peuvent être intégrées dans le rapport de sécurité repris à l’annexe II de ladite loi.

3. Les établissements et installations figurant à l’annexe I sont soumis à la présentation d’une étude des risques et d’un rapport de sécurité, dès lors qu’il résulte d’un examen cas par cas effectué par l’Inspection du travail et des mines, qu’un tel établissement ou qu’une telle installation est susceptible d’avoir en cas de fonctionnement anormal des incidences notables quant aux travailleurs, au lieu de travail et à la sécurité du public, et ce en tenant compte de leurs caractéristiques et de leur localisation spécifiques. ».

23 Force est au tribunal de constater que ledit règlement grand-ducal distingue entre, d’une part, les établissements et installations figurant à l’annexe du règlement grand-ducal du 10 mai 2012, référencés dans la colonne 4, qui sont d’office soumis à la présentation d’une étude des risques et d’un rapport de sécurité, et, d’autre part, les établissements et installations figurant à son annexe I, lesquels sont soumis à la présentation de ces étude et rapport, dès lors qu’il résulte d’un examen au cas par cas effectué par l’ITM, qu’un tel établissement ou qu’une telle installation est susceptible d’avoir en cas de fonctionnement anormal des incidences notables quant aux travailleurs, au lieu de travail et à la sécurité du public, et ce en tenant compte de leurs caractéristiques et de leur localisation spécifiques.

Or, les demandeurs ne prennent aucunement position quant à la question de savoir si l’un, voire plusieurs des éléments constitutifs de la centrale litigieuse, tels qu’autorisés à travers la décision déférée, rentrent dans l’une ou l’autre de ces deux catégories.

Ainsi, ils restent en défaut d’identifier ne serait-ce qu’un seul de ces éléments qui serait repris à la colonne 4 de l’annexe du règlement grand-ducal du 10 mai 2012, et ils ne contestent pas l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle les seuils fixés par cette annexe sous le point 010128, sous-point 3, « Stockage de liquides et de gaz », respectivement sous le point 010129, sous-point 3, portant le même intitulé, au-delà desquels l’établissement de ces étude et rapport serait exigé, n’auraient pas été dépassés en l’espèce.

De même, ils n’allèguent ni a fortiori n’établissent que l’un de ces éléments tomberait dans le champ d’application de l’annexe I du règlement grand-ducal du 14 septembre 2000, qui vise les établissements pouvant « (…) donner lieu en cas de fonctionnement anormal à :

* un flux thermique supérieur à 3 kW/m2 en cas d’incendie;

* une surpression supérieure à 0,05 bar en cas d’explosion;

* la libération d’agents biologiques des catégories 2, 3 et 4;

* des événements pouvant mettre en péril la sécurité et la santé de personnes à l’occasion:

- d’irradiations ionisantes ou non ionisantes;

- d’inondations suite à la rupture d’une canalisation d’un grand diamètre ou d’une retenue d’eau;

- d’une évacuation d’un grand nombre de personnes;

- d’une évacuation de personnes malades ou à mobilité réduite;

- de la libération de substances et préparations classées comme dangereuses;

- de refroidissements extrêmes pouvant mettre en péril la sécurité de personnes;

- de suffocation. ».

De manière plus générale, ils ne prennent pas position quant à la question de savoir si l’un, voire plusieurs des éléments autorisés sont susceptibles, en cas de fonctionnement anormal, d’avoir des incidences notables quant aux travailleurs, au lieu de travail et à la sécurité du public, et ce en tenant compte de leurs caractéristiques et de leur localisation spécifiques.

Dans ces circonstances, et dans la mesure où il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties dans la présentation de leurs moyens, tel que relevé ci-avant, le moyen ayant 24 trait à l’absence de l’étude des risques et du rapport de sécurité, tels que prévus par l’article 8 (1) de la loi du 10 juin 1999, est à rejeter.

Au vu des considérations qui précèdent, les contestations des demandeurs quant au caractère complet de la demande sont à rejeter dans leur ensemble.

S’agissant ensuite de l’argumentation des demandeurs remettant en cause l’utilité et la nécessité de la centrale biomasse, qui serait surdimensionnée, inadaptée et disproportionnée, il convient de préciser que le juge administratif, statuant dans le cadre d’un recours en réformation, peut et doit se livrer à un examen du bien-fondé d’une décision en matière d’établissements classés sous le double aspect de sa légalité et de son opportunité. Il ne saurait cependant dépasser son rôle de juge qui consiste à statuer par rapport à une espèce donnée. Il ne saurait, en particulier, étendre son contrôle de l’opportunité de manière à empiéter sur le terrain des choix de politique générale, en imposant à une matière des orientations qui dépassent le cadre d’une décision limitée à une espèce donnée.4 Quant à l’objectif de l’installation projetée de la centrale biomasse, le tribunal constate qu’il se dégage de la demande d’autorisation afférente, et plus particulièrement des extraits de cette dernière, tels que cités dans la requête introductive d’instance, que cet objectif consiste à permettre à la société E de couvrir ses besoins en énergie thermique en recourant à une source d’énergie renouvelable, la biomasse, au lieu des sources d’énergie fossile actuellement utilisées, à savoir le gaz et le mazout.

Cette finalité est a priori conforme aux objectifs de protection de l’environnement et de promotion d’un développement durable, tels que prévus par l’article 1er de la loi du 10 juin 19995.

Si les demandeurs soutiennent que la centrale biomasse, en produisant de l’énergie par la combustion de bois, conduirait à une forte augmentation des émissions, force est au tribunal de constater que cette argumentation n’est pas étayée par des pièces probantes. S’il se dégage certes de la demande d’autorisation que « (…) la future chaufferie sera à l’origine principalement d’émissions des substances suivantes : CO, NOx, SOx, CO2, Particules (poussières) (…) »6, il n’est cependant pas établi que ces émissions seraient plus importantes, respectivement plus nocives que celles des chaudières à gaz et à mazout actuellement utilisées par la société E, étant relevé, dans ce contexte, qu’il se dégage de la demande d’autorisation que par rapport à ces anciennes chaudières, la centrale biomasse permettra une économie de CO2 de 33.982 tonnes par an et de 508.385 tonnes sur une période de 15 ans7.

4 Trib. adm., 12 juillet 2000, n° 11322 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etablissements classés, n° 173 et les autres références y citées.

5 Art. 1er de la loi du 10 juin 1999 : « La présente loi a pour objet de :

- réaliser la prévention et la réduction intégrées des pollutions en provenance des établissements ;

- protéger la sécurité, la salubrité ou la commodité par rapport au public, au voisinage ou au personnel des établissements, la santé et la sécurité des salariés au travail ainsi que l’environnement humain et naturel ;

- promouvoir un développement durable. (…) ».

6 Page 56 de la demande.

7 Page 58 de la demande.

25 Dans ces circonstances, le seul fait que le volume d’énergie produite, à savoir 20 MW, dépasse les seuls besoins énergétiques de la société E, lesquels s’élèvent à 9 MW, ne permet pas de remettre en cause l’opportunité de la décision déférée, étant donné qu’il se dégage de la demande d’autorisation que le surplus d’énergie sera injecté dans le réseau électrique public, permettant ainsi à la collectivité de bénéficier d’énergie électrique produite à partir d’une source d’énergie renouvelable.

Au vu des développements qui précèdent et compte tenu du fait que le choix stratégique de la société E d’être énergétiquement autonome, en recourant à une source d’énergie renouvelable, n’est pas critiquable en soi, le tribunal conclut que l’argumentation des demandeurs remettant en cause l’utilité et la nécessité de la centrale biomasse est à rejeter.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation des demandeurs selon laquelle 32 % de la production annuelle de bois d’énergie au Luxembourg seraient nécessaires afin d’assurer le fonctionnement de la centrale biomasse. En effet, s’il se dégage certes de l’étude du « Fraunhofer-

Institut für System- und Innovationsforschung », intitulée « Wissenschaftliche Beratung zu Fragen der Energiestrategie Luxemburgs mit besonderm Fokus auf Erneuerbare Energien -

Aktualisierung der Potenzialanalyse für Erneuerbare Energien - Ausblick auf 2030 », telle qu’invoquée dans ce contexte par les demandeurs, que « (…) das realisierbare Potenzial für Energieholz im Jahr 2030 für Luxemburg [wird] auf etwa 650 GWh eingestuft (…) », ce qui correspond à 650.000 MWh, il se dégage de la demande d’autorisation que la production annuelle de chaleur et d’électricité de la centrale biomasse sera de 36 MWh8, respectivement de 32 MWh9, ce qui n’équivaut qu’à 0.006 %, respectivement à 0.005 %, et non pas à 32 %, du potentiel de 650 MWh ainsi estimé pour l’année 2030.

La susdite conclusion n’est pas non plus énervée par les simples doutes, non corroborés par de quelconques éléments concrets, tels qu’émis par les demandeurs quant à la question de savoir si l’aide financière prévue par la susdite convention signée le 26 avril 2018 entre l’Etat et la société D ne constitue pas en réalité un moyen détourné pour permettre à l’Etat de rembourser au groupe … des impôts non payés qu’il serait, aux termes du communiqué de presse … de la Commission européenne du 20 juin 2018, censé récupérer auprès de ce dernier, étant encore souligné que ladite convention et l’aide financière y prévue ne font pas l’objet du présent recours, lequel est dirigé exclusivement à l’encontre de l’arrêté ministériel du 28 mai 2019, de sorte que l’argumentation en question est à écarter pour défaut de pertinence.

Quant aux contestations des demandeurs selon lesquelles les conditions d’exploitation arrêtées ne tiendraient pas compte des nuisances et dangers émanant de la centrale biomasse et ne seraient pas à considérer en l’état actuel de la technologie comme suffisantes pour garantir d’une manière générale la sécurité, la salubrité et la commodité par rapport au personnel occupé et au public, le tribunal constate que les arguments développés dans ce contexte par eux se résument à de simples affirmations à caractère général, qui ne sont pas autrement étayées.

8 Page 26 de la demande.

9 Ibid..

26 Ainsi, s’ils expliquent que dans la demande d’autorisation, les furanes et les dioxines ne seraient pas mentionnés, alors qu’il faudrait « (…) définir clairement les proportions relatives des particules PM10 PM2,5 PM1 (…) », ils sont cependant restés en défaut d’établir que la centrale biomasse serait une source potentielle de furanes et de dioxines, de fournir une quelconque explication, sources à l’appui, quant à la nature exacte de ces « (… ) particules PM10 PM2,5 PM1 (…) » et à leur lien avec les dioxines et les furanes, et d’expliquer pour quelles raisons et sur quelle base juridique, il y aurait lieu de définir « (…) les proportions relatives [de ces] particules (…) ».

L’argumentation afférente est, dès lors, à rejeter.

De même, si, quant aux rejets dans l’atmosphère, les demandeurs insistent sur la mise en place de « (…) mesures permanents 24/24h et [sur] la détermination précise des limites de pollution en concentration, masse et volume tout en respectant les normes européennes (…) », force est au tribunal de constater, d’une part, qu’ils ont omis d’identifier les « (…) normes européennes (…) » auxquelles ils se réfèrent et, d’autre part, que la prémisse sur laquelle repose leur argumentation, à savoir celle selon laquelle l’établissement classé litigieux conduirait à « (…) une forte augmentation au niveau des émissions TSP, Nox, CO par rapport à la source d’énergie sur place, à savoir essentiellement le gaz (…) », n’est pas étayée par un quelconque élément probant, le tribunal renvoyant, sur ce point, aux constats faits ci-avant dans le cadre de l’analyse du moyen des demandeurs tendant à remettre en cause l’utilité et la nécessité de la centrale biomasse. L’argumentation sous analyse encourt, par conséquent, le rejet.

En outre, les demandeurs ne fournissent aucun élément probant à l’appui de leur affirmation selon laquelle, en ce qui concerne le traitement des fumées, l’installation d’un filtre en tissu aux fins de la séparation des cendres volantes serait nettement insuffisante, « (…) puisqu’il y a[urait] un manque d’élimination des particules de poussière (…) », de sorte que l’affirmation en question est à écarter.

Dans ces circonstances, le tribunal ne perçoit, par ailleurs, pas de raison valable pour laquelle il y aurait lieu de limiter la durée de validité de l’autorisation litigieuse à 5 ans, sur base de l’article 13.1, alinéa 2 de la loi du 10 juin 1999, aux termes duquel « [l]es autorisations peuvent être limitées dans le temps et peuvent fixer le délai dans lequel l’établissement devra être mis en exploitation. », de sorte que la demande afférente des demandeurs est à rejeter.

Compte tenu des développements faits ci-avant, les contestations des demandeurs selon lesquelles les conditions d’exploitation arrêtées ne tiendraient pas compte des nuisances et dangers émanant de la centrale biomasse et ne seraient pas à considérer en l’état actuel de la technologie comme suffisantes pour garantir d’une manière générale la sécurité, la salubrité et la commodité par rapport au personnel occupé et au public sont à rejeter dans leur ensemble.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Finalement, le tribunal constate que le jugement, précité, du 9 septembre 2020 n’a pas été réformé par la Cour administrative, dans son arrêt du 4 février 2021, en ce qui concerne le rejet, par le tribunal, de la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 10.000 euros, telle que formulée devant lui par la société D, la Cour ne s’étant prononcée que par rapport à la 27 demande d’indemnité de procédure formulée en instance d’appel. Le tribunal ne saurait, dès lors, revenir sur cette demande dans le cadre du présent jugement.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties et sur renvoi de l’arrêt de la Cour administrative du 4 février 2021, portant le numéro 45110C du rôle ;

vidant le jugement du 9 septembre 2020 ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Hélène Steichen, premier juge, Daniel Weber, premier juge, et lu à l’audience publique du 7 février 2022 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 février 2022 Le greffier du tribunal administratif 28


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 43296a
Date de la décision : 07/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-07;43296a ?

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