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02/02/2022 | LUXEMBOURG | N°45343

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2022, 45343


Tribunal administratif Numéro 45343 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2020 3e chambre Audience publique du 2 février 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45343 du rôle et déposée le 11 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant

à l’annulation :

1) de la décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics d...

Tribunal administratif Numéro 45343 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2020 3e chambre Audience publique du 2 février 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45343 du rôle et déposée le 11 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation :

1) de la décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 16 septembre 2020 rectifiant le solde du capital des points du permis de conduire de Monsieur …, 2) de la décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 16 septembre 2020 portant retrait de six points du capital dont est doté son permis de conduire et constatant que le solde des points restants est réduit à zéro, et 3) de la décision confirmative du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 9 novembre 2020 prise sur recours gracieux introduit le 30 octobre 2020 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 avril 2021 par Maître Alain BINGEN, au nom de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Alain BINGEN du 21 juin 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 juin 2021.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 Vu l’avis du tribunal administratif du 11 novembre 2021 prononçant la rupture du délibéré en vue d’un changement de composition ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 décembre 2021.

Par jugement de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch du 18 janvier 2019, Monsieur … fut condamné à une amende de 1.000.-€ et à une interdiction de conduire de 18 mois, assortie d’un sursis de 15 mois, pour avoir circulé, le 27 octobre 2018, sur la voie publique avec un taux d’alcool de 0,98 mg par litre d’air expiré et pour ne pas s’être comporté raisonnablement et prudemment de façon à ne pas constituer un danger pour la circulation.

Par courrier recommandé du 1er avril 2019, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, ci-après désigné par le « ministre », constata, d’une part, le retrait de six points du capital de points dont était doté le permis de conduire de Monsieur … suite au jugement correctionnel prémentionné du 18 janvier 2019 et, d’autre part, que le capital de points est réduit à six.

Par jugement de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 19 juin 2020, Monsieur … fut condamné à une amende de 1.500.-€ et à une interdiction de conduire de 18 mois excepté des trajets d’aller et de retour effectués entre sa résidence principale, secondaire ou toute autre lieu où il se rend de façon habituelle pour des motifs d’ordre familial et le lieu de travail et le retour ainsi que les trajets effectués dans l’intérêt prouvé de son employeur, pour avoir circulé, le 8 février 2020, sur la voie publique avec un taux d’alcool de 0,75 mg par litre d’air expiré et pour défaut de circuler en marche normale près du bord droit de la chaussée.

En date du 31 juillet 2020, Monsieur … participa à la formation complémentaire au centre de formation pour conducteurs prévue à l’article 2bis, paragraphe 4, de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignée par la « loi du 14 février 1955 ».

En date du même jour, le ministre s’adressa à Monsieur … dans les termes suivants :

« […] Suite à votre participation du 31 juillet 2020 au cours de formation complémentaire prévu à l’article 2bis, paragraphe 4, de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, j’ai l’honneur de vous informer que le capital de points dont est doté votre permis de conduire est augmenté de 3 points et s’élève dès à présent à 9 points. […] La présente information vous est adressée sous réserve de toute infraction donnant lieu à un retrait de points, commise avant le 31 juillet 2020 et pas encore renseignée dans votre dossier, rendant ainsi nécessaire une adaptation du nombre de points inscrits sur votre permis de conduire. […] ».

2 Il se dégage du dossier administratif qu’en date du 11 août 2020, le ministère de la mobilité et des travaux publics, Département de la mobilité et des transports, fut informé de la condamnation pénale de Monsieur … par jugement de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 19 juin 2020, prémentionné.

Par courrier recommandé du 16 septembre 2020, le ministre rectifia le solde du capital des points du permis de conduire de Monsieur … suite à la communication du prédit jugement.

Cette décision est libellée comme suit :

« […] Par la présente, je me permets de vous faire part qu’une rectification a été apportée à votre dossier du permis à points.

En effet, je vous avais informé en date du 31 juillet 2020 de la restitution de trois points suite à votre participation au cours de formation complémentaire prévu à l’article 2bis paragraphe 4 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques Or, les conditions légales régissant le permis à points (art. 2bis de la loi modifiée d 14 février 1955 régissant la circulation sur toutes les voies publiques) prévoient que la réduction de points intervient de plein droit au moment où une décision judiciaire pour une infraction au Code de la Route devient irrévocable, voire au moment où le contrevenant s’acquitte de la taxe de l’avertissement taxé pour une de ces infractions.

Dans ce contexte, j’ai été informée par le Parquet que le jugement N°1462/2020 du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 19 juin 2020, prononcé à votre encontre, notamment pour « avoir circulé, même en l’absence de signes manifestes d’ivresse avec un taux d’alcool de 0,75 mg par litre d’air expiré » en date du 8 février 2020 à Bissen, rue des Moulins, est devenu irrévocable en date du 30 juillet 2020.

Partant, je suis au regret de vous faire part que la restitution des trois points du capital de votre permis de conduire intervenu en date du 31 juillet 2020 est à considérer comme nulle et non avenue.

Par conséquent, je me permets d’attirer votre attention sur le fait que la modification susvisée a été redressée dans le fichier du permis à points.

Dès lors, je me dois de vous signaler que votre permis de conduire a été imputé de 6 (six) points pour l’infraction pour laquelle vous avez été condamné dans le jugement mentionné ci-dessus. Au vu des développements qui précèdent votre capital de points s’élève à zéro (0) points (cf. courrier recommandé n° … portant sur le décompte des points). […] ».

Par courrier recommandé du même jour, le ministre, constata, d’une part, le retrait de six points du capital de points dont était doté le permis de conduire de Monsieur … suite au jugement correctionnel du 19 juin 2020 et, d’autre part, que le capital de points est réduit à zéro.

Cette décision est libellée comme suit :

« […] Conformément aux dispositions légales régissant le permis à points, je tiens à vous informer que 6 points ont été retirés du capital dont est doté votre permis de conduire pour les infractions suivantes au Code de la Route :

3 Libellé de l’infraction :

Avoir circulé avec un taux d’alcool d’au moins 0,55mg par litre d’air expiré Nombre de points déduits :

6 Date du fait : 8 février 2020 06:32 Lieu du fait : BISSEN - RUE DES MOULINS Instance judiciaire : le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle.

Date de la décision judiciaire : 19 juin 2020 Date à laquelle la décision judiciaire est devenue irrévocable : 30 juillet 2020 Par ailleurs, je me permets de vous rappeler que le capital de points dont est doté votre permis de conduire a déjà été réduit suite à l’avertissement taxé suivant ou à la condamnation judiciaire suivante :

Libellé de l’infraction :

Avoir circulé avec un taux d’alcool d’au moins 0,55mg par litre d’air expiré Nombre de points déduits :

6 Date du fait : 27 octobre 2018 03:50 Lieu du fait : N15 – ENTRE « SCHUMANSECK » ET LE PREMIER ROND-POINT A POMERLOCH Instance judiciaire : le Tribunal d’arrondissement de et à Diekrich, chambre correctionnelle.

Date de la décision judiciaire : 18 janvier 2019 Date à laquelle la décision judiciaire est devenue irrévocable : 28 février 2019

_________________________________

Nombre de points restants : 0 […] ».

Par un arrêté du 17 septembre 2020, le ministre constata l’épuisement du capital de points affecté au permis de conduire de Monsieur … et suspendit pour douze mois son droit de conduire un véhicule automoteur.

Par courrier du 30 octobre 2020, Monsieur … fit introduire, par le biais de son litismandataire, un recours gracieux contre les décisions ministérielles des 16 septembre 2020.

Par décision du 9 novembre 2020, le ministre prit position comme suit par rapport audit recours gracieux :

« […] Par la présente, j’accuse bonne réception de votre recours gracieux contre la décision ministérielle du 17 septembre 2020 ayant porté suspension du droit de conduire de Monsieur … par courrier du 20 octobre 2020.

Dans ce contexte, je me permets de vous informer qu’en vertu des dispositions légales régissant le permis à points, en l’occurrence l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1995 4 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, le retrait de points suite à un avertissement taxé a lieu de plein droit au moment du paiement de la taxe et la réduction de points suite à une décision judiciaire intervient de plein droit au moment où cette décision devient irrévocable.

Comme motif à la base de votre recours, vous indiquez le fait que votre mandant n’a pas pu participer au cours de formation complémentaire de 3 points, initialement programmé pour la fin du mois de mars 2020. Or, toutes les formations ont dû être annulées par le Centre de Formation de pour Conducteur en raison de l’état de crise sanitaire due au virus COVID-19 et aucune formation n’a pu être effectuée durant plusieurs mois.

La loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques ne prévoit malheureusement pas de dispositif permettant au ministre en charge des Transports d’autoriser une restitution des points à titre exceptionnel.

Au vu des développements qui précèdent, je suis dès lors au regret de ne pas pouvoir donner de suite favorable à votre recours gracieux. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 16 septembre 2020 rectifiant le solde du capital des points de son permis de conduire, de la décision du ministre du même jour portant retrait de six points du capital dont est doté son permis de conduire et constatant que le solde des points restants est réduit à zéro, et de la décision confirmative du ministre du 9 novembre 2020 prise sur recours gracieux.

Ni la loi du 14 février 1955, ni l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ni d’autres dispositions légales ne prévoyant de recours au fond en la présente matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation dirigé contre les décisions du ministre des 16 septembre et 9 novembre 2020, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle d’abord les faits et rétroactes à la base des décisions litigieuses, en expliquant qu’en vue de reconstituer trois points de son permis de conduire, il se serait inscrit à la formation complémentaire au centre de formation pour conducteurs, laquelle aurait été initialement prévue à la fin du mois de mars 2020 et que suite au règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, ladite formation complémentaire aurait été annulée et aurait été reportée au 31 juillet 2020.

Le demandeur est ainsi d’avis que la suspension temporaire des formations complémentaires au centre de formation pour conducteurs en raison du Covid-19 représenterait un événement imprévisible, irrésistible provenant d’une cause extérieure, et constituerait dès lors un cas de force majeure dans son chef, de sorte que le principe général de tempérament de la rigueur de la loi en cas de force majeure devrait s’appliquer, principe, qui serait encore indissociable du principe général de droit de la continuité du service public, corollaire du principe de la permanence de l’Etat.

Il en conclut que la récupération de trois points du capital de son permis de conduire aurait pu intervenir en temps utile, à savoir à la fin du mois de mars 2020, et en tout cas avant 5 le jugement correctionnel du 19 juin 2020, s’il n’y avait pas eu ce cas de force majeure, de sorte qu’en retenant que la loi du 14 février 1955 n’autoriserait pas une restitution des points à titre exceptionnel et en ne prenant pas en considération les effets de la crise sanitaire, le ministre aurait violé « ces deux » principes généraux de droit.

Dans son mémoire en réplique, Monsieur … ajoute que la situation exceptionnelle lors de la crise sanitaire appellerait l’application du principe général de la force majeure et du principe général de la continuité du service public pour régler une situation non prévue par la loi du 14 février 1955, de sorte que le ministre aurait dû tempérer la rigueur de la loi. D’autre part, recourir au principe de continuité impliquant qu’une activité répondant à un besoin d’intérêt général et érigé, à ce titre, en service public devrait pouvoir être assurée de manière continue, régulière et sans interruption, permettrait également de s’écarter des termes de la loi du 14 février 1955.

En affirmant qu’il aurait effectué en temps utile les démarches nécessaires pour reconstituer son capital de points de son permis de conduire, le demandeur estime que si la crise sanitaire n’était pas survenue, il aurait pu récupérer trois points de son permis de conduire bien avant sa deuxième condamnation pénale, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait rectifié le solde du capital des points du permis de conduire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, étant précisé que le tribunal ne peut prendre en considération que les éléments se rapportant à la situation de fait telle qu’elle existait au jour de la décision attaquée à laquelle le tribunal doit limiter son analyse dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi.

L’article 2bis de la loi du 14 février 1955 dispose dans son paragraphe 2 : […] Pour autant qu’une des infractions mentionnées ci-avant ait été commise sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, toute condamnation judiciaire qui est devenue irrévocable, et tout avertissement taxé dont le contrevenant s’est acquitté entraîne une réduction du nombre de points affecté au permis de conduire. Cette réduction intervient de plein droit. […] La réduction de points suite à une décision judiciaire a lieu au moment où cette décision devient irrévocable. […].

Le paragraphe 4 du même article dispose quant à lui que : « Le titulaire d’un permis de conduire qui justifie avoir participé à un cours répondant aux conditions de la formation complémentaire prévue au premier alinéa de l’article «4sexies», a droit à la reconstitution de 3 points sans que le nouveau total puisse cependant excéder 12 points, et sans que cette reconstitution puisse intervenir plus d’une fois dans un délai de 3 ans. La durée d’exécution d’une interdiction de conduire judiciaire sans exceptions, non assortie du sursis, la durée d’application d’un retrait administratif du permis de conduire qui intervient dans les conditions du paragraphe 1er de l’article 2 ou d’une suspension du droit de conduire ne comptent pas pour le calcul de la durée de ce délai. L’intéressé est informé par écrit de cette reconstitution de points.

6 L’option du premier alinéa du présent paragraphe n’est plus donnée dès le moment où, sous l’effet de condamnations judiciaires devenues irrévocables ou d’avertissements taxés dont l’intéressé s’est acquitté, le nombre de points affecté au permis de conduire est réduit à zéro.

Elle n’est pas non plus donnée dans un délai de 24 mois qui suit le terme d’une suspension du droit de conduire ».

Il suit des dispositions légales précitées, (i) que la réduction de points suite à une décision judiciaire a lieu au moment où cette décision devient irrévocable et (ii) que le titulaire d’un permis de conduire qui justifie avoir participé à la formation complémentaire au centre de formation pour conducteurs, a droit à la reconstitution de 3 points de son permis de conduire, sous condition toutefois que sous l’effet de condamnations judiciaires devenues irrévocables, le nombre de points affecté au permis de conduire n’est pas réduit à zéro.

En l’espèce, il est constant en cause pour résulter des éléments du dossier administratif et pour ne pas être contesté que la condamnation de Monsieur … par jugement de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 19 juin 2020, a entraîné une perte de six points du capital dont est doté son permis de conduire.

Il est également constant en cause que ledit jugement de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 19 juin 2020 est devenu irrévocable en date du 30 juillet 2020, de sorte que la réduction de six points du capital dont était doté le permis de conduire du demandeur, constatée à travers la décision ministérielle du 16 septembre 2020, a eu lieu en date du 30 juillet 2020.

Finalement, il est également constant en cause que le demandeur a participé à la formation complémentaire au centre de formation pour conducteurs en date du 31 juillet 2020, c’est-à-dire postérieurement à la date à laquelle le jugement correctionnel du 19 juin 2020 est devenu irrévocable, de sorte que cette participation à la formation complémentaire au centre de formation pour conducteurs était, au regard des dispositions légales précitées, tardive et n’a pas pu être prise en considération.

C’est dès lors a priori à juste titre que le ministre a, à travers ses décisions précitées du 16 septembre 2020, rectifié le solde du capital des points du permis de conduire de Monsieur …, retiré six points du capital dont était doté son permis de conduire et constaté que le solde des points restants est réduit à zéro, le demandeur se prévalant toutefois dans le cadre du présent recours de la violation, par le ministre, de deux principes généraux de droit.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen du demandeur fondé sur une violation du principe général de la force majeure, il échet de constater que ce principe général du droit trouve application en matière de responsabilité civile, et est consacré par le Code civil, plus particulièrement par les articles 1147 et 1148 du Code civil en matière de responsabilité contractuelle, par l’article 1302 du Code civil en matière de cession d’un bien, par l’article 1722 du Code civil en matière de bail, ou encore par l’article 1348 du Code civil en matière de preuve, et qu’il est encore consacré en matière fiscale, notamment par l’article 53 de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967.

En droit civil, la force majeure peut être définie comme un événement à caractère insurmontable, et selon certains imprévisible, indépendante de toute faute du débiteur, qui empêche ce dernier d’exécuter ses obligations ou de se conformer aux normes exclusives de la 7 faute, tout en restant dans les limites de la diligence que l’on peut attendre de lui2, le cas de force majeure étant défini comme étant un événement répondant aux trois caractéristiques suivantes : indépendant de la volonté, imprévisible, irrésistible ou insurmontable3.

En droit pénal, la force majeure peut être définie comme une situation qui s’impose à une personne et qui permet de ce fait d’écarter la responsabilité de cette dernière4.

La force majeure, en tant que principe général de droit, peut toujours être invoquée, même si elle n’est pas expressément prévue par la disposition normative en cause5.

C’est ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que même en l’absence de disposition spécifique, la reconnaissance d’un cas de force majeure est possible lorsqu’une cause extérieure invoquée par des sujets de droit a des conséquences irrésistibles et inévitables au point de rendre objectivement impossible pour les personnes concernées le respect de leurs obligations6.

En l’espèce, force est de constater qu’au regard des définitions précitées, le principe général de la force majeure ne saurait s’appliquer à la situation invoquée par le demandeur, et ceci indépendamment des trois conditions auxquelles il est soumis. En effet, pour pouvoir se prévaloir du principe de la force majeure, il faut en premier lieu, l’existence d’une faute dans le chef du demandeur de laquelle celui-ci entend se libérer à travers ledit principe, voire l’existence d’une obligation lui incombant de laquelle il entend être libérée.

Dans la mesure où aucune faute n’est reprochée au demandeur et qu’aucune obligation ne pèse sur lui - le demandeur se plaignant de son impossibilité d’avoir pu participer en temps utile à une formation facultative7 - le principe général de droit de la force majeure est inapplicable.

Le moyen fondé sur une violation, par le ministre, du principe de la force majeure, est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite le moyen tiré d’une violation du principe de continuité du service public, qui implique qu’une activité répondant à un besoin d’intérêt général et érigée, à ce titre, en service public, doit pouvoir être assurée de manière continue, régulière et sans interruption, conformément à la nature du service public et aux règles qui l’organisent et qui tend à assurer la permanence des institutions publiques et de leur fonctionnement8, force est au tribunal de constater que mise à part l’invocation générale, par le demandeur, de ce principe, celui-ci est resté en défaut de soutenir d’une quelconque manière l’applicabilité de ce principe au cas d’espèce.

2 Les principes généraux de droit administratif, actualités et applications pratiques, éditions larcier, 2017, p. 717.

3 Idem, p. 718.

4 Dalloz, Lexique des termes juridiques, 15e édition.

5 Les principes généraux de droit administratif, actualités et applications pratiques, éditions larcier, 2017, p. Page 719.

6 CJUE, du 18 mars 1980, Ferriera Valsabbia e.a./Commission, 154/78, 205/78, 206/78, 226/78 à 228/78, 263/78, 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, Rec. p. 907, point 140.

7 Soulingé par le tribunal. L’alinéa 2 du paragraphe 4 de l’article 2bis de la loi du 14 février 1955 emploie le terme « option ».

8 Les principes généraux de droit administratif, actualités et applications pratiques, éditions larcier, 2017, p. 239.

8 En effet, le demandeur est resté non seulement en défaut de prendre position quant à la place de ce principe général dans la hiérarchie des normes, laquelle est litigieuse9, mais n’a pas non plus soutenu dans quelle manière ce principe pourrait être invoqué par l’administré contre l’administration, alors que l’inverse est plutôt vrai, dans la mesure où le principe de continuité permet à l’autorité publique de se prévaloir de certaines prérogatives10, que ce principe est en règle invoqué par une autorité publique, comme moyen de défense face à l’interpellation d’un citoyen11, et qu’il tend uniquement à assurer la permanence et le fonctionnement des institutions publiques, sans imposer nécessairement l’accomplissement continu ou permanent des services auxquels le citoyen a droit, même si les obligations des autorités sont soumises au contrôle des normes de bonne administration12. Enfin, le demandeur est encore resté en défaut d’expliquer en quoi la formation complémentaire au centre de formation pour conducteurs devrait être considérée comme un service public dont les activités répondent à un besoin d’intérêt général.

Dans ces conditions, et dans la mesure où il n’appartient pas au tribunal administratif de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, le moyen tiré d’une violation du principe de continuité du service public est à rejeter pour ne pas être fondé.

A titre superfétatoire, il échet encore de constater que l’affirmation principale du demandeur à la base de son présent recours, suivant laquelle il aurait effectué en temps utile les démarches nécessaires pour reconstituer le capital de points de son permis de conduire, est sujette à caution, étant donné qu’il lui aurait été loisible de s’inscrire à la formation complémentaire au centre de formation pour conducteurs dès le 28 février 2019, c’est-à-dire, dès la date où le jugement correctionnel du 18 janvier 2019, suite auquel il a perdu les premiers six points de son permis de conduire, est devenu irrévocable. Or, la circonstance que le demandeur a préféré attendre le dernier moment pour organiser sa participation à la formation complémentaire au centre de formation pour conducteurs, à savoir le moment où il s’est fait arrêter une seconde fois sous l’influence d’alcool au volant en date du 8 février 2020 suite à quoi une seconde procédure pénale a été entamée à son encontre, au lieu de l’organiser dès que possible, à savoir dès le 28 février 2019, relève de son propre choix, de sorte que l’annulation de la formation prévue à la fin du mois de mars 2020 en raison de la situation sanitaire bien connue, ne saurait être imputable ni au ministre ni au centre de formation pour conducteurs, mais relève, au contraire, du risque que le demandeur a délibérément assumé en attendant le dernier moment.

A défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

9 Idem, p. 232 et s.

10 Idem, p 295.

11 Idem, p. 298.

12 Idem, p. 299.

9 condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 février 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 février 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 45343
Date de la décision : 02/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-02;45343 ?

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