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01/02/2022 | LUXEMBOURG | N°44331

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 février 2022, 44331


Tribunal administratif N° 44331 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mars 2020 3e chambre Audience publique du 1er février 2022 Recours formé par Monsieur …, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44331 du rôle et déposée le 27 mars 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Turq...

Tribunal administratif N° 44331 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mars 2020 3e chambre Audience publique du 1er février 2022 Recours formé par Monsieur …, … contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44331 du rôle et déposée le 27 mars 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 février 2020 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2020 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en remplacement de Maître Frank WIES, préqualifié, déposée au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2020 pour compte de Monsieur …, préqualifié,;

Vu l’avis du tribunal administrait du 7 octobre 2020 autorisant les parties à déposer chacune un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2020 ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marlène AYBECK, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 septembre 2021.

Le 15 janvier 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le 1ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour.

En date des 27 juin et 22 octobre 2019, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 février 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 15 janvier 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 27 juin et 22 octobre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de … en Turquie, d'ethnie kurde et agnostique.

Vous indiquez que vous auriez quitté votre pays d'origine à cause de plusieurs incidents dans lesquels vous auriez été impliqué depuis les années 1990.

En 1994, vous auriez travaillé auprès d'une société productrice de thé près de la frontière turco-géorgienne. Vous faites état d'un incident, sans néanmoins donner une quelconque précision quant au lieu et à la date des faits et qui aurait nécessité une intervention « musclée » de la police. Vous précisez que vous auriez pris une photo de cette intervention et que vous vous seriez éloigné des lieux, ce qui vous aurait valu d'être interrogé à deux reprises. Vous faites également état de tentatives d'intimidation par les policiers lors des interrogatoires et vous ajoutez que vous auriez été suivi par une personne en civil pendant plusieurs mois. Vous auriez démissionné en date du 21 avril 1994 à cause de cette personne qui vous aurait suivi et vous vous seriez établi à Ankara.

Vous auriez ensuite travaillé auprès du « Ministère de la Culture » [sic] en qualité de « … » jusqu'au 20 décembre 1996. Vous auriez ensuite été affecté au « Ministère de l'Agriculture » [sic] dans la « … » [sic] en qualité d'…. Le directeur de cette administration aurait été « très nationaliste » et vous avancez que vous auriez été « exclu » à cause de vos « idées » et vos « pensées politiques ». Vous auriez alors commencé à chercher un emploi qui ne prendrait « pas en compte » votre ethnie et vos « idées politiques ».

Le 7 août 2002 vous auriez commencé à travailler au sein du « Ministère de l'Environnement » [sic] où vous auriez « intégré le département … » en qualité d'« … ».

Vous mentionnez ensuite qu'un cousin de votre oncle se serait présenté en tant que candidat indépendant dans la ville de … aux élections législatives turques de novembre 2002.

Vous l'auriez soutenu avec votre épouse. Vous indiquez que vous auriez subi des violences par des « partisans » du Parti de la justice et du développement (AKP) et vos collègues auraient commencé à vous « poser des problèmes ». Cette situation aurait perduré jusqu'en 2005.

2 En 2005, vous auriez préparé un projet concernant « un raisin spécial » qui « était populaire il y a 2000 ans ». Le projet n'aurait finalement pas vu le jour, fait pour lequel on vous aurait tenu responsable et par conséquent vous aurez été affecté à un autre poste à … à Istanbul « en fonction temporaire » en date du 19 mai 2005 et vous auriez écrit un livre sur place.

Après votre retour à …, vous auriez été obligé de déménager dans un autre quartier parce que vos voisins vous auraient mis sous « pression ». Vous auriez finalement publié votre livre et vous précisez que certains passages parleraient « de l'évolution ainsi que des débuts de l'homme ». La direction de votre administration et vos collègues vous auraient « accusé d'être mécréant ».

En date du 15 mars 2012 vous auriez été convoqué au commissariat afin d'être interrogé sur votre livre. Un procès-verbal aurait été dressé à votre encontre et vous auriez été « rétrogradé ».

Ensuite vous faites état d'une affaire de corruption au niveau gouvernemental qui aurait éclaté entre les 17 et 25 décembre 2013. Vous auriez participé avec votre épouse à une manifestation organisée à ce sujet en date du 1er mars 2014. La police serait intervenue et aurait dispersé les manifestants « à l'aide de bombes lacrymogènes ainsi que de canon à eau à haute pression ».

En date du 2 décembre 2015 des agents de police auraient vérifié votre identité et vous auraient forcé de monter dans leur voiture. Ils vous auraient posé des questions concernant vos origines et auraient demandé ce que vous penseriez des policiers qui seraient tués à l'Est de la Turquie. Ensuite ils vous auraient insulté et malmené en vous assenant avec des coups de pied et de poing. Vous auriez été blessé à la main droite et vous auriez eu « une fracture du crâne ». Vous auriez été hospitalisé et le médecin aurait établi un certificat médical indiquant que vous auriez des maux de tête. Vous seriez allé chez un autre médecin, qui vous aurait accordé un arrêt de maladie de deux jours. Ensuite vous vous seriez adressé à un avocat pour porter plainte contre les policiers en question. Une semaine plus tard, une voiture avec quatre occupants aurait « trainé » devant votre domicile. Cette « surveillance » aurait duré jusqu'en date du 15 juillet 2016.

Vous auriez ensuite commencé à écrire un second livre, afin de « mettre en lumière les erreurs du gouvernement ». D'ailleurs vous avancez que « le coup d'Etat » serait « une farce organisée par l'Etat et le gouvernement ». Vous auriez été en contact avec une personne dénommée « … » [sic], à laquelle vous auriez envoyé des messages écrits concernant « le coup d'Etat ».

En date du 16 janvier 2017, vous auriez trouvé votre bureau vidé de vos affaires et vous vous seriez rendu auprès de la « direction » afin d'obtenir des explications. Le responsable se serait fâché et vous aurait répondu qu'il aurait été décidé « de vérifier plusieurs personnes ».

Vous auriez également dû rendre des comptes et vous auriez obtenu un délai de sept jours pour vous « défendre ». Le 25 janvier 2017 vous auriez reçu une lettre d'« avertissement » avec une « sanction disciplinaire ».

Le 20 février 2017 votre supérieur vous aurait expliqué que vous risqueriez d'être licencié à cause des « objets » trouvés dans votre bureau et que vous risqueriez également de perdre 3vos « droits » et votre « pension ». Le lendemain de cette conversation vous auriez introduit une demande de retraite anticipée, mais vous indiquez que vous n'auriez pas obtenu de retraite pendant un an et demi.

En date du 24 juin 2018, vous auriez trouvé dans votre boite aux lettres un bulletin de vote avec une photo d'une personne assise à une table avec des armes et des munitions « faisant le signe nationaliste et du parti politique MHP ». Vous avancez qu'il s'agirait d'une menace.

En date du 3 août 2018, vous auriez reçu un message sur votre téléphone portable venant de « … » [sic]. Il vous aurait averti que vous seriez sur « une liste gouvernementale », vous indiquez ne pas savoir de quelle liste il s'agirait.

Le 5 novembre 2018 vous auriez reçu une convocation pour vous « présenter au commissariat pour être auditionné ». Vous n'auriez donné aucune suite à cette convocation et le 12 novembre 2018, quatre policiers seraient venus à votre domicile. Ils auraient fouillé votre appartement puis confisqué plusieurs objets. Deux policiers seraient revenus le lendemain matin et vous auraient emmené au poste de police. Vous auriez été « accusé d'insultes aux autorités publiques et de faire de la propagande pour une organisation terroriste ». Vous soupçonneriez que le dénommé « …» [sic] aurait « donné des informations » aux autorités turques concernant le livre que vous auriez été en train d'écrire. La police aurait confisqué une photo sur laquelle votre épouse serait visible avec deux députés du Parti démocratique des peuples (HDP), photo qui aurait été prise lors de la manifestation précitée du 1er mars 2014.

Ils auraient également confisqué « un reçu » concernant « une donation de 150 lires turques à …, le président du HTP » [sic]. Vous indiquez que les agents vous auraient interrogé et qu'ils vous auraient « torturé » et laissé partir le même jour.

En date du 25 décembre 2018 vous auriez « trouvé une balle d'arme à feu » devant la porte de votre domicile « avec des traces de sang » au sol. Vous auriez appelé la police, qui ne se serait pas déplacée. Vous seriez allé au commissariat et la police vous aurait dit qu'elle ferait « quelque chose », mais vous avancez qu'elle n'aurait donné aucune suite à cette affaire.

Le 26 décembre 2018 vous auriez « décidé de prendre des photos et de faire une attestation avec les deux concierges ».

Vous expliquez que votre épouse aurait eu peur pour vous et que vous auriez décidé de quitter votre pays d'origine. Vous seriez finalement parti en date du 14 janvier 2019. Elle en revanche est restée en Turquie.

Vous présentez votre carte d'identité turque et plusieurs documents pour étayer vos dires dont vous trouverez l'énumération en annexe de la présente décision. […] ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision, précitée, du ministre du 27 février 2020 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Monsieur … fut une nouvelle fois entendu par un agent du ministère en date du 2 juillet 2021.

4 1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 27 février 2020, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … reprend, en substance, les faits à la base de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans le rapport d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère.

En droit et quant au refus de lui accorder le statut de réfugié, il reproche au ministre une erreur manifeste d’appréciation, voire une mauvaise interprétation de ses déclarations lors de son entretien, dans la mesure où celui-ci aurait, à tort, considéré que sa demande de protection internationale aurait été formulée sur base des faits survenus en date de 1994, le demandeur expliquant, à cet égard, qu’il aurait relevé ces mêmes faits afin de situer le commencement de ses problèmes.

Il donne à considérer que malgré les apparences d'une démocratie moderne en Turquie, les libertés individuelles, dont notamment la liberté d'expression, n’y seraient respectées qu'à condition de correspondre aux idées religieuses et politiques actuelles du pouvoir en place, tout en insistant sur le fait qu’étant d'origine kurde et ayant des opinions et orientations politiques et religieuses différentes de la population turque majoritairement musulmane et conservatrice, il aurait constamment été victime de menaces, de persécutions et de violences.

Il avance que son premier interrogatoire par la police en 1994 aurait marqué le début des persécutions et des discriminations dont il aurait été victime en raison de son ethnie et de ses origines kurdes, tout en expliquant que la police de Rize lui aurait reproché de s'être installé dans une région majoritairement musulmane et conservatrice. Depuis cet indicent, il aurait été injustement fiché dans les bases de données de la police.

Il explique, par ailleurs, que les faits mis en avant en 2002 seraient une illustration supplémentaire des discriminations et des persécutions qu’aurait subie la majorité des Kurdes en Turquie, dont lui-même.

Il soutient ensuite que le fait d’avoir travaillé au sein de plusieurs administrations publiques turques depuis 1994 n’exclurait pas qu'il aurait été victime de persécutions. Il met en exergue que les persécutions et discriminations dont il aurait été victime de la part de ses collègues de travail au sein du ministère de l'Agriculture l’auraient obligé à s’inscrire à un examen étatique afin de pouvoir intégrer un autre ministère. Ainsi, il aurait été insulté et rejeté par ses collègues de travail et ses supérieurs hiérarchiques de décembre 1996 à août 2002, le demandeur précisant encore qu’il aurait validé l’examen d’entrée au ministère de l’Environnement en se classant 3ème parmi l’ensemble des candidats, ce qui aurait encore été source de discriminations.

5Il fait valoir qu’il aurait été réaffecté à … en 2005 non pas à cause de l'échec du projet relatif à la culture de vignes, tel que le soutiendrait, à tort, le ministre, mais puisqu’il aurait mis en avant et pointé du doigt les malversations du ministère, à savoir la formation à l'étranger des 20 membres non qualifiés avec leurs conjoints.

Il soutient que son origine kurde aurait toujours été le problème principal à la base des mésententes avec ses collègues de travail et ses supérieurs hiérarchiques, tout en insistant sur le fait qu’il aurait été au quotidien victime d’harcèlements verbaux et ce tout au long de sa carrière dans les diverses administrations publiques.

Le demandeur reproche ensuite au ministre d’indiquer dans sa décision qu’il aurait été interrogé le 15 mars 2012 pour avoir écrit un livre parlant de « l'évolution ainsi que des débuts de l’homme », sans en tirer les conséquences logiques.

Il fait valoir que la publication de son livre, ainsi que l'interrogatoire subséquent auprès de la police, auraient entrainé dans son chef une série de conséquences, dont notamment la perte de son procès et les insultes de la part de ses collègues de travail et supérieurs hiérarchiques. Il précise qu’il aurait été traité de mécréant et de traître au motif que les faits repris dans son livre seraient contraires aux idées et principes de la religion musulmane, tout en insistant sur le fait que les persécutions en relation avec la publication de cet ouvrage constitueraient manifestement une violation de sa liberté d'expression.

Il conteste ensuite l’affirmation du ministre suivant laquelle son bureau aurait été vidé suite à une insubordination de sa part, le demandeur expliquant à cet égard que lorsqu’il se serait rendu dans le bureau de son supérieur hiérarchique pour lui demander des explications, celui-ci aurait indiqué qu'il aurait été procédé à des vérifications auprès de plusieurs fonctionnaires, à savoir « des gens comme toi, des terroristes ».

En se référant aux procès-verbaux, référencés sous les numéros 1142 et 1154, établis le 16 janvier 2017 par le ministère de l'Environnement et de l’Urbanisme turque, il fait valoir que la perquisition qui aurait eu lieu dans son bureau aurait été illégale et contraire à ses droits.

Quant à l’affirmation du ministre que des simples pressions, menaces, réaffectations et sanctions disciplinaires ne seraient manifestement pas d'une gravité suffisante pour constituer des actes de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et de la loi du 18 décembre 2015, il insiste sur le fait que pendant toute sa carrière de fonctionnaire, il aurait été confronté au mépris, à l'exclusion ainsi qu'à des violences verbales et psychologiques de la part de ses collègues de travail et de ses supérieurs hiérarchiques, et ce uniquement à cause de son ethnie et de ses opinions politiques, tout en précisant qu’au vu de sa formation spécifique en tant qu'ingénieur en agriculture, il lui aurait été très difficile de trouver un emploi dans le secteur privé.

Il donne à considérer que la circonstance qu’il aurait demandé sa retraite en 2017 s’expliquerait par le fait que son supérieur l'aurait informé que malgré tous ses efforts pour défendre ses droits, la décision de le licencier aurait déjà été prise et qu'afin de ne pas perdre ses droits sociaux, il ne lui resterait plus qu'à démissionner ou demander sa retraite.

Il soutient ensuite que la photo mettant en avant un individu faisant le signe nationaliste du parti politique « MHP » avec des armes, ainsi que le bulletin de vote officiel, tous deux 6reçus en date du 24 juin 2018, constitueraient clairement des menaces en raison de ses orientations politiques.

En ce qui concerne l’incident en relation avec la balle de pistolet et les traces de sang trouvées sur son palier, il reproche au ministre d’avoir retenu à tort que celui-ci n'entrerait pas dans le champ d'application de la Convention de Genève, alors qu’il s’agirait là, une fois de plus, d’une menace de mort proférée à son encontre.

Il donne à considérer qu’en dépit du fait que cet incident avait été dénoncé à la police, celle-ci n'aurait toutefois pas daigné de se déplacer sur les lieux. Le demandeur ajoute que lorsqu’il se serait rendu auprès de la police afin d'obtenir de l'aide, celle-ci n’aurait pas procédé aux expertises requises, telle que la vérification des empreintes sur la balle de pistolet ou sur son palier, et en conclut que la police ne serait pas encline à l’aider et à le protéger, contrairement à ce qu’aurait retenu le ministre.

Le demandeur met ensuite en avant que les actes de tortures qu’il aurait subis de la part des agents de police en date du 2 décembre 2015 auraient été d'une gravité telle qu’il serait encore à l'heure actuelle traumatisé et obligé à suivre une thérapie psychologique. Après avoir repris les déclarations faites à cet égard lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration, il insiste sur le fait que le premier rapport médical, attestant uniquement de lésions au front et au cou, ne reflèterait pas la réalité suite à la pression desdits policiers.

En se référant au procès-verbal de police établi lors du dépôt de sa plainte en date du 15 décembre 2015 en relation avec les violences et tortures qui lui auraient été infligées de la part d’agents de police, le demandeur reproche au ministre d’avoir retenu que ces faits ne revêtiraient pas le degré de gravité suffisant pour être assimilés à des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, tout en renvoyant, à cet égard, au rapport du docteur … du 24 mars 2020 duquel il se dégagerait qu’il serait toujours suivi médicalement en raison des traumatismes subis, ledit docteur ayant, par ailleurs, retenu qu'il « faut qu'il continue le processus thérapeutique ».

Il soutient que malgré la plainte déposée en relation avec ces faits et l’ouverture d’une enquête, aucune suite n'y aurait été donnée, tout en renvoyant, dans ce contexte, à son entretien lors duquel il aurait déjà souligné que la police ne se serait pas montrée coopérante, ni à son égard, ni à l’égard de son avocat. Il s’ensuivrait que, contrairement à ce qu’aurait retenu le ministre, les autorités turques n’auraient pas été disposées à le protéger.

Il donne ensuite à considérer qu’en date du 3 août 2018, il aurait été averti par une connaissance, un dénommé …, de la circonstance qu’il serait inscrit sur une liste gouvernementale, avertissement qui serait à prendre au sérieux au vu de l'enchaînement des faits depuis 1994.

Il fait valoir que le fait qu’il ne se serait pas présenté au commissariat de police suite à la convocation qu’il aurait reçue le 5 novembre 2018 ne permettrait pas aux autorités de police turques de procéder à une perquisition sans nouvelle convocation, tel que le tenterait d’expliquer le ministre. A cela s’ajouterait que l'article 118, alinéa 1er du Code pénal turc disposerait qu'aucune perquisition ne peut être effectuée au domicile, sur le lieu de travail ou dans d'autres endroits fermés durant la nuit, de sorte que la perquisition effectuée par quatre policiers le 12 novembre 2018 à 23:00 heures à son domicile, ainsi que la confiscation d'un 7certain nombre d'objets personnels pour lesquelles aucun mandat n’aurait été communiqué seraient parfaitement illégales.

Il met ensuite en avant le traumatisme qu’il aurait subi à cause des violences physiques, morales et sexuelles de la part des policiers, traumatisme dont attesterait également le rapport précité du docteur … dont il cite des extraits.

Quant au reproche du ministre de ne pas avoir porté plainte auprès d'une autre autorité de son pays d’origine, il fait valoir qu’en ayant déjà une première fois porté plainte pour des faits similaires, plainte qui serait restée sans suites, il n’aurait pas vu l'intérêt de dénoncer ces faits à la police ou aux autorités judiciaires turques, organes dans lesquels il aurait perdu toute confiance.

Il fait valoir qu’il ressortirait en tout état de cause à suffisance des « décisions » de la Cour européenne des droits de l'homme, ci-après désignée par « la CourEDH », que la Turquie ne serait pas un pays qui veille au respect des libertés fondamentales et des droits de l'Homme.

Quant à l’affirmation du ministre suivant laquelle 19% de la population en Turquie serait d’origine kurde et qu’elle y vivrait paisiblement, il met en exergue qu’il serait indéniable que la censure exercée en Turquie ne permettrait pas de déterminer le pourcentage réel de la population turque d'origine kurde vivant « paisiblement » en Turquie, population qui y serait, au contraire, toujours discriminée.

Il donne encore à considérer que la police aurait confisqué bon nombre de ses objets personnels, dont notamment son ordinateur portable, ainsi que les brouillons de son second livre relatifs à la théorie de l'organisation du coup d'Etat par le régime actuel, confiscations qui l’exposeraient sans doute à une arrestation et à un emprisonnement en cas de retour en Turquie.

Il met en avant que son état de santé psychologique ne lui permettrait en tout état de cause pas de retourner dans son pays d’origine, alors que le processus de guérison ne ferait que débuter, le demandeur rappelant à cet égard qu’il souffrirait de séquelles psychologiques sévères qui nécessiteraient un suivi et un traitement réguliers.

En citant les termes de l’article 41, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 ainsi qu’un extrait de la position du Conseil de l'Europe du 4 mars 1996 relative à la preuve des faits et l’application du bénéfice du doute, il conclut que les raisons qui l’auraient amené à quitter son pays natal seraient suffisamment graves pour retenir dans son chef l'existence d'une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Le demandeur soutient ensuite que le risque d'être arrêté par le gouvernement turc, d'être persécuté et d'être torturé voire tué par la police turque en cas de retour dans son pays d’origine serait assez grave pour tomber dans le champ d’application de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015.

Il reproche, à cet égard, plus particulièrement au ministre de ne pas avoir pris en considération son état psychologique, tout en insistant sur le fait que la décision de quitter la Turquie, respectivement celle de ne pas y retourner aurait été très difficile pour lui alors qu’il aurait dû se séparer de son pays, de sa famille et de ses racines.

8Après avoir rappelé qu’il aurait été torturé à différentes occasions, sans aucun motif légitime, mais en raison de ses origines kurdes et de ses orientations politiques et religieuses et en insistant sur le fait qu’en l’absence de toute protection étatique, il aurait dû fuir son pays d’origine, il conclut que les trois conditions pour pouvoir prétendre au statut de réfugié seraient remplies dans son chef.

Il s’ensuivrait que la décision entreprise serait à réformer et que le statut de réfugié devrait lui être accordé.

S’agissant de la protection subsidiaire, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait une mauvaise interprétation des faits de l’espèce, tout en relevant qu’au lieu d’analyser chaque incident isolément, celui-ci aurait dû prendre en considération l’ensemble de son récit.

Il reproche encore au ministre d’avoir conclu à tort qu’il n’aurait apporté aucun élément crédible de nature à établir l’existence dans son chef de raisons sérieuses de croire qu'il endurerait, en cas de retour dans son pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Ainsi, rien ne permettrait d'écarter le risque dans son chef d'être arrêté en raison des faits ci-avant relatés et plus particulièrement en raison du fait qu'il aurait commencé à rédiger un second livre relatif à la théorie du coup d'Etat avancé par le gouvernement actuel.

Il ressortirait également de ce qui précède et des pièces versées en cause qu’il ne pourrait obtenir une protection adéquate contre ces atteintes dans son pays d'origine, ce à quoi s’ajouterait le risque pour lui d’être arrêté et emprisonné arbitrairement dès son retour en Turquie.

Il s’ensuivrait de l’ensemble des considérations qui précèdent que les conditions pour pouvoir bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef.

Par avis du tribunal du 7 octobre 2020, le demandeur a été autorisé à prendre position par écrit par rapport « aux nouvelles pièces versées », ce qu’il a fait en déposant le 6 novembre 2020 un mémoire supplémentaire au greffe du tribunal administratif.

A titre liminaire et par rapport au mémoire supplémentaire déposé par le demandeur en date du 6 novembre 2020, il échet de relever qu’aux termes de l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) Contre les décisions de refus ou de retrait de la protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Les deux recours doivent faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Le recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. Le mémoire en réponse doit être fourni dans un délai de deux mois à dater de la signification de la requête introductive. ».

Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, l’article 35, paragraphe (1), précité, limite donc le nombre de mémoires de la part de chaque partie à un seul, y compris la requête introductive d’instance. Dans l’hypothèse où, dans l’intérêt de l’instruction de l’affaire, le président du tribunal ou le président de la 9chambre appelée à connaître de l’affaire ordonne la production de mémoires supplémentaires en application de l’article 7, alinéa 3, de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », tel que cela est le cas en l’espèce, ces mémoires supplémentaires, qui doivent s’analyser en une exception à la règle inscrite à l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 selon laquelle il ne pourra y avoir plus d’un mémoire par partie, sont nécessairement strictement circonscrits, quant à leur objet, à la seule question soulevée par le tribunal administratif, respectivement au cadre posé par celui-ci lorsqu’il accorde la production de mémoires supplémentaires.

En l’espèce, force est de relever que suite à un courrier du mandataire du demandeur du 5 octobre 2020 à travers lequel celui-ci a sollicité l’autorisation de produire un mémoire supplémentaire en application de l’article 7, alinéa 3, de la loi du 21 juin 1999, précité, au motif que son mandant lui aurait « communiqué des pièces supplémentaires relatives à la procédure judiciaire à son encontre actuellement en Turquie, ainsi que de la situation de son épouse et de ses enfants lesquelles continuent d’être persécutées par les autorités turques afin de pouvoir mettre la main sur Monsieur … […] », le tribunal a, par avis du 7 octobre 2020, autorisé les parties à déposer chacune un mémoire supplémentaire « quant aux nouvelles pièces versées », à savoir en l’occurrence (i) la copie de la traduction assermentée et sa copie en langue originale d'un mandat d'arrêt émis par la 5ème chambre de la Cour pénale de la Paix d'Istanbul du 14 juillet 2020, (ii) la copie de la traduction assermentée et sa copie en langue originale d'un écrit établi par Maître A CANAN FIRAT du 5 août 2020, (iii) la copie de la traduction assermentée et sa copie en langue originale d'un écrit établi par Maître A CANAN FIRAT communiqué à Maître Marlène AYBEK par mail en date du 16 septembre 2020, (iv) le procès-verbal de deux voisins du demandeur lors de son arrestation le 12 novembre 2018 et (v) deux certificats établis les 24 mars et 1er octobre 2020 par Madame …, psychologue.

Le tribunal constate que dans son mémoire supplémentaire du 6 novembre 2020, le demandeur ne s’est pas limité à prendre position par rapport aux nouvelles pièces en relation avec lesquelles il a été autorisé à produire un mémoire supplémentaire, mais qu’il a pris position sur un bon nombre de points mis en avant par la partie étatique dans son mémoire en réponse du 29 mai 2020, tout en développant, par ailleurs, son argumentation au fond s’agissant du refus du ministre de lui octroyer une protection internationale.

Or, en ce faisant, le demandeur a en réalité produit un mémoire en réplique par rapport au mémoire en réponse et ce au mépris des dispositions de l’article 35, paragraphe (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015 n’autorisant chacune des parties à fournir qu’un seul mémoire, y compris la requête introductive d’instance, de sorte que tous les développements contenus dans son mémoire supplémentaire ainsi que les pièces y relatives, pour autant qu’ils dépassent le cadre strictement circonscrit par l’avis, précité, du tribunal du 7 octobre 2020, à savoir de prendre position par rapport aux nouvelles pièces dont il est fait mention dans le courrier du mandataire du demandeur du 5 octobre 2020 et citées in extenso ci-dessus, sont à écarter des débats, étant rappelé que l’autorisation de déposer un mémoire supplémentaire ne peut avoir trait qu’au cadre strictement circonscrit par le tribunal, mais ne saurait permettre à une partie ni de développer des moyens et arguments nouveaux touchant le fond de l’affaire, ni de compléter ceux-ci.

Il s’ensuit que le tribunal, aux fins de l’examen du bien-fondé du refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, ne prendra en considération que les seuls développements contenus dans la requête introductive d’instance, ainsi que les 10explications par rapport aux nouvelles pièces contenues dans le mémoire supplémentaire du demandeur du 6 novembre 2020, à savoir celles relatives à la procédure judiciaire à son encontre en Turquie, d’une part, et celles relatives à la situation de son épouse et de ses enfants qui continueraient d’être persécutés par les autorités turques « afin de pouvoir mettre la main sur Monsieur … », d’autre part.

Le demandeur explique, à cet égard, dans son mémoire supplémentaire, que les nouvelles pièces en question proviendraient du système turc « UYAP » et qu’elles seraient relatives à la procédure judiciaire actuellement en cours en Turquie à son encontre, ainsi qu’à la situation de son épouse, Madame …, qui continuerait d’être persécutée par les autorités turques et ce malgré le fait qu’il ait quitté son pays d’origine en janvier 2019, tout en soulignant que lesdites autorités lui auraient interdit de quitter la Turquie, l’obligeant ainsi de se cacher depuis plus de 16 mois.

Il explique que la première pièce serait un ordre d'arrestation à son encontre duquel il ressortirait qu’il serait « prévenu des faits d'offense au Président, apologie d'actes de terrorisme, offense à la nation turque, au gouvernement de la République de Turquie et aux institutions et organes de l'Etat entre 2016 et 2018 à Ankara et à Istanbul ».

La deuxième pièce, dont il cite des extraits, constituerait un courrier de son avocat, Maître FIRAT, qui l’aurait représenté officiellement en Turquie depuis le 8 mars 2016, et dans lequel celui-ci expliquerait dans en détail tout ce qu’il aurait subi durant les années précédant son départ de son pays d’origine, et, surtout, ce qu'il y risquerait de subir en cas d'arrestation.

La troisième pièce, dont il cite également des extraits, constituerait pareillement un courrier de son avocat, Maître FIRAT, dans lequel celui-ci expliquerait la situation de son épouse, Madame …, qui devrait se cacher comme une exilée dans son propre pays en raison des accusations portées contre lui.

La quatrième pièce reprendrait les déclarations de ses voisins lors de la descente et de la perquisition à son domicile par les agents de police le 12 novembre 2018.

Le demandeur soutient qu’il ressortirait dès lors clairement et sans équivoque des pièces versées en cause qu'il serait recherché par les autorités turques pour des faits tenant à l'expression de son opposition face au régime actuel en Turquie, mais également que son épouse et son fils continueraient à subir des actes de persécution de la part des autorités turques.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il devrait être conclu qu’il remplirait les conditions d'octroi du statut de réfugié pour des raisons politiques.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de 11son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le 12ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

A la base de sa demande de protection internationale, Monsieur … fait, de manière générale, état de la situation sécuritaire des Kurdes vivant dans son pays d’origine, ainsi que des discriminations que devrait subir cette population minoritaire en Turquie à cause de leur appartenance ethnique. Personnellement, il se prévaut de différents incidents qui se seraient produits en Turquie depuis 1994 jusqu’à son départ de son pays d’origine le 14 janvier 20191 et qui seraient plus particulièrement liés à ses opinions politiques et religieuses, respectivement à son origine kurde. Il s’agit notamment du fait :

(i) qu’il aurait été témoin d'une intervention policière en 1994 lors de laquelle il aurait photographié des agents de police, ce qui aurait eu pour conséquence qu’il aurait été interrogé à deux reprises par des agents de police et qu’il aurait été suivi pendant un ou deux mois par une personne armée ;

(ii) qu’il aurait été « attaqué » en novembre 2002 dans la ville de … par des « partisans » d'origine kurde du parti AKP alors qu'il s'y serait rendu afin de soutenir le cousin de son oncle qui se serait présenté aux élections législatives de 2002 en tant que candidat indépendant ;

1 Page 5/18 du rapport d’entretien du demandeur.

13(iii) qu’il aurait travaillé dans plusieurs administrations publiques turques à partir de 1996 où il aurait rencontré des problèmes tout au long de sa carrière, notamment en 2005 lorsqu’il aurait été réaffecté, en 2012 lorsqu’il aurait été interrogé puis « rétrogradé » pour avoir écrit un livre sur « l'évolution ainsi que des débuts de l'homme », et en 2017 lorsque son bureau aurait été perquisitionné, suite à quoi il aurait reçu une lettre d'avertissement incluant une sanction disciplinaire ;

(iv) qu’il aurait été maltraité par des agents de police en date du 2 décembre 2015 ;

(v) qu’il aurait reçu en date du 24 juin 2018 une lettre d'un inconnu contenant un bulletin de vote avec une photo ;

(vi) que suite à une convocation de la part de la police à laquelle il n'aurait pas donné suite, il aurait fait l’objet d’une perquisition à son domicile le 12 novembre 2018 par quatre policiers, perquisition après laquelle il aurait été emmené au commissariat de police où il aurait été interrogé et maltraité en raison du fait, selon lui, qu'il aurait écrit un deuxième ouvrage, non publié, avant d'être relâché le jour même ;

(vii) qu’il aurait découvert une balle de pistolet et des traces de sang devant son domicile en date du 25 décembre 2018, fait qu'il qualifie de menace de mort et lequel il aurait dénoncé à la police ; et (viii) qu’il souffrirait d’ennuis médicaux d'ordre psychologique à cause du traumatisme qu’il aurait vécu dans son pays d’origine.

Il fait, par ailleurs, état du fait que sa famille et plus particulièrement son épouse, Madame Madame …, serait menacée en Turquie à cause des accusations portées contre lui.

Or, si les craintes avancées ainsi par le demandeur dans le cadre de sa demande de protection internationale sont certes motivées par ses opinions politiques, voire par son appartenance au groupe ethnique des Kurdes, de sorte à pouvoir a priori être rattachées à des motifs de persécution énumérés à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, force est toutefois de constater que le demandeur est resté en défaut de faire état d’un quelconque incident concret susceptible d’être qualifié de persécution au sens de la Convention de Genève.

S’agissant, tout d’abord, des incidents qui se seraient produits en 1994, à savoir les deux interrogatoires lors desquels le demandeur aurait été intimidé par des agents de police à la suite d’une intervention « musclée » de la police2 qu’il aurait prise en photo, ainsi que le fait qu’une semaine après le deuxième interrogatoire par la police pour ces mêmes faits, il aurait été suivi pendant un ou deux mois par une personne armée, c’est à bon droit que le ministre a relevé que ces faits sont trop éloignés dans le temps pour justifier à ce jour, soit 26 ans plus tard, l’octroi dans le chef de Monsieur … d’un statut de réfugié, ceci plus particulièrement au vu du fait que le demandeur n’a relevé aucun autre incident qui se serait produit par après en relation avec ces incidents, le demandeur ayant, au contraire, affirmé lors de son entretien par rapport à la personne armée que « J’ai juste été suivi. Il ne s’est rien passé d’autre. »3 « J’ai été suivi pendant encore une semaine ou 10 jours. Après, je suis retourné à … Je ne l’ai plus revu par la suite. »4.

En ce qui concerne ensuite les menaces et agressions exercées par les candidats et « partisans » d’origine kurde du parti AKP lors des élections législatives ayant eu lieu en novembre 2002 dans la ville de …et auxquelles le demandeur se serait rendu pour soutenir la 2 Page 5/18 du rapport d’entretien.

3 Page 10/18 du rapport d’entretien 4 Idem.

14candidature indépendante du cousin de son oncle, un dénommé …, le tribunal rejoint le ministre dans son constat que ces faits sont également trop éloignés dans le temps pour justifier aujourd’hui l’octroi dans le chef du demandeur du statut de réfugié, ce d’autant plus que le demandeur n’a pas fait état d’incidents semblables qui se seraient produits par la suite dans ce même contexte, de sorte qu’il peut être raisonnablement exclu qu’un tel événement devrait se reproduire en cas de retour du demandeur dans son pays d’origine.

Il n’existe dès lors aucune raison de penser que le demandeur risquerait une persécution future en lien avec son soutien à la candidature du cousin de son oncle aux élections législatives de novembre 2002, ce qui est d’autant plus vrai alors qu’il y a entretemps eu en Turquie, tel que cela se dégage des explications non contestées de la partie étatique, six autres élections législatives, à savoir en 2007, en 2011, en juin et novembre 2015 et en 2018, sans que rien ne soit arrivé au demandeur.

Si le demandeur fait, dans ce contexte, encore état de « problèmes » qu’il aurait eus avec ses collègues de travail non autrement identifiés qui, après avoir découvert que le cousin de son oncle était candidat kurde auxdites élections législatives, auraient commencé à l’« insulter » et à le « discriminer »5, force est de constater que de telles altercations non autrement précisées par le demandeur et surtout non suivies d’actes concrets de la part des personnes concernées ne revêtent le degré de gravité requis pour pouvoir être considérés comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.

Aucune crainte fondée de persécution ne saurait dès lors être retenue dans le chef de Monsieur … en raison des faits qui se seraient produits en relation avec les élections législatives de novembre 2002.

S’agissant ensuite des faits invoqués par le demandeur en relation avec ses collègues de travail, respectivement avec ses supérieurs hiérarchiques avec qui il aurait depuis 1996 et tout au long de sa carrière toujours eu des problèmes à cause de son origine ethnique et de ses pensées politiques, force est de constater que ces faits ne sont pas non plus de nature à retenir dans son chef une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

En effet, il ne résulte d’aucun élément tangible soumis à l’appréciation du tribunal que les opinions politiques ou encore l’appartenance ethnique du demandeur sont à l’origine des problèmes qu’il aurait rencontrés au long de sa carrière auprès des différentes administrations étatiques, respectivement que ces problèmes remplissent les conditions pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.

Tout d’abord, il échet de constater que l’allégation non autrement circonstanciée suivant laquelle à cause de ses opinions et pensées politiques, il serait considéré « comme un ennemi » par ses collègues de travail au sein du ministère de l’Agriculture où il aurait travaillé depuis 1996, qui l’auraient « exclu », ce qui l’aurait amené à quitter son poste pour intégrer le ministère de l’Environnement, est en tout état de cause insuffisante pour retenir que Monsieur … aurait été victime de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, à défaut d’être suffisamment grave.

5 Page 11/18 du rapport d’entretien.

15 En ce qui concerne ensuite les autres incidents qui se seraient produits au sein du ministère de l’Environnement à partir de 2005, à savoir la réaffectation du demandeur en 2005, sa rétrogradation en 2012 pour avoir écrit un livre parlant « de l'évolution ainsi que des débuts de l'homme », ainsi que la perquisition dans son bureau en 2017 à la suite de laquelle il aurait reçu une lettre d'avertissement incluant une sanction disciplinaire, le tribunal est amené à retenir, à l’instar de la partie étatique, qu’il n’est pas établi en l’espèce que les problèmes ainsi rencontrés rentrent dans le champ d’application de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015.

En effet, il ne résulte d’aucun élément concret et tangible soumis en l’espèce que ces faits sont en relation avec les opinions politiques du demandeur ou avec son appartenance à un certain groupe social.

Il ressort, au contraire, des déclarations du concerné que son réaffectation temporaire en mai 2005 à … serait due au fait que son supérieur hiérarchique lui aurait reproché d’avoir raté « le deal » avec les Néerlandais en relation avec son projet du « raisin spécial »6. Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur a encore soutenu que cette réaffectation serait en outre le résultat du fait qu’il aurait « mis en avant et pointé du doigt les malversations du Ministère, à savoir la formation à l’étranger des 20 membres non qualifiés avec leurs conjoints. »7, de sorte qu’il n’existe aucun lien entre cette réaffectation et ses opinions politiques ou son ethnie, tel que le soutient le demandeur.

Si le demandeur fait dans ce contexte encore valoir qu’il aurait saisi le tribunal turque alors qu’il aurait été accusé à tort de terrorisme et de traître envers son pays par ses supérieurs hiérarchiques8, il échet toutefois de constater que cette accusation non autrement établie reste à l’état de pure allégation, alors qu’il ressort du « mémoire en réponse » du ministère de l’Environnement turc du 8 août 20059, tel que versé en cause par le demandeur, que celui-ci a été affecté temporairement à … en raison de ses qualifications professionnelles et pour répondre à un manque de personnel dans le secteur de l’ingénierie agronome, en vue de servir « l’intérêt public » et le « besoin du service ».

Pour ce qui est de sa rétrogradation en 2012 que le demandeur met en relation avec la publication de son premier livre sur « l’évolution ainsi que des débuts de l’homme », force est de constater que Monsieur … admet lui-même lors de son entretien que « comme j’aurais dû travailler sur les tomates et pas écrire le livre, mes supérieurs n’étaient pas contents. […] Dans l’établissement où je travaillais, les collègues ainsi que la direction n’étaient pas contents. Ils auraient préféré que je fasse mon travail à … au lieu d’écrire un livre. »10, de sorte que cette rétrogradation est totalement étrangère à une quelconque persécution dans le chef du demandeur, motivée par l’un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, mais trouve sa cause dans une insubordination dans l’exercice de ses fonctions.

Il en est de même en ce qui concerne la perquisition ayant eu lieu dans son bureau le 16 janvier 2017, alors qu’il se dégage clairement de la lettre établie par la « Direction Générale de la Protection de la Nature » du « Ministère de l'environnement et de l'urbanisme » datée du 6 Page 7/18 du rapport d’entretien.

7 Page 7 du recours.

8 Idem.

9 Page 2 de la pièce n° 16 de Maître Frank WIES.

10 Page 7/18 du rapport d’entretien.

16même jour, qu'« un procès-verbal a été établi le même jour indiquant que vous avez critiqué les décisions de l'autorité, que vous ne les avez pas reconnues et que vous supposez qu'elles agissent en violation de la loi sans montrer une attitude digne d'un fonctionnaire et, par ailleurs, que vous avez perturbé l'environnement de travail et de paix intérieure en vous opposant à votre supérieur », de sorte que cette perquisition et la sanction disciplinaire qui s’en est suivie ont plutôt comme origine l’insubordination du demandeur qu’une persécution qui serait en relation avec ses opinions politiques ou avec son ethnie kurde. Les affirmations à cet égard sont dès lors rejetées pour être purement hypothétiques.

Même à admettre que les faits invoqués par le demandeur en relation avec ses collègues de travail ou ses supérieurs hiérarchiques seraient en lien avec l’un des motifs énoncés par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, il échet de relever que des simples pressions, insultes, réaffectations et sanctions disciplinaires ne revêtent pas le degré de gravité requis au sens de l’article 42 de la même loi pour pouvoir être considérées comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat est d’autant plus vrai alors que malgré les insultes et injustices qu’aurait subies le demandeur tout au long de sa carrière, celui-

ci a continué à travailler pour l’Etat turc pendant plus de deux décennies quand bien même il aurait raisonnablement pu chercher un emploi dans le secteur privé, étant précisé que la simple affirmation non autrement circonstanciée suivant laquelle, au vu de sa formation spécifique en tant qu’ingénieur en agriculture, il lui aurait été très difficile de trouver un emploi dans le secteur privé, est largement insuffisante à cet égard. Par ailleurs, dans la mesure où le demandeur a déclaré avoir pris sa retraite en 2017, aucune crainte future de persécution de la part de ses collègues de travail ne peut de toute façon être retenue en l’espèce.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, aucune persécution ni aucune crainte de persécution ne peuvent être retenues dans le chef du demandeur pour les faits qui se seraient produits au sein des différentes administrations étatiques depuis 1996 jusqu’à sa retraite en 2017.

En ce qui concerne ensuite la lettre que le demandeur affirme avoir reçue le 24 juin 2018 contenant un bulletin de vote et une photo d’une personne assise à une table avec des armes et des munitions « faisant le signe nationaliste et du parti politique MHP », il échet de relever que ce fait ne saurait pas non plus justifier l’octroi dans le chef de Monsieur … du statut de réfugié dans la mesure où, d’une part, le demandeur ignore l’identité de l’expéditeur de cette lettre ou encore les motivations à la base de cet acte et où, d’autre part, cette lettre que le demandeur qualifie de menace n’a jamais été suivie d’un quelconque acte concret, de sorte à ne pas revêtir le degré de gravité requis pour être qualifié d’acte de persécution.

Il en est de même en ce qui concerne la balle de pistolet et les traces de sang que le demandeur aurait découvertes le 25 décembre 2018 sur son palier devant son domicile dans le mesure où le demandeur ignore une fois de plus les circonstances de cet incident, ainsi que l’identité de la personne à l’origine de cet acte. Par ailleurs, le fait que la police n’aurait donné aucune suite à la dénonciation du demandeur par rapport à cet incident est en tout état de cause insuffisant pour justifier à lui seul l’octroi dans le chef de Monsieur … du statut de réfugié, voire de retenir que les autorités turques seraient défaillantes ou n’auraient pas voulu l’aider, ceci plus particulièrement dans la mesure où le demandeur a quitté son pays d’origine seulement quelque temps après ledit incident sans attendre les résultats de l’enquête éventuellement effectuée.

17En ce qui concerne ensuite l’inscription du demandeur sur une « liste gouvernementale » non définie, dont il aurait été averti par une connaissance, à savoir un dénommé …, ce fait non autrement développé ni quant aux raisons de cette inscription ni quant à ses conséquences ne saurait suffire pour octroyer au demandeur le statut de réfugié.

En ce qui concerne ensuite les différents incidents dont a fait état le demandeur en relation avec la police, force est de constater que ceux-ci ne sont pas non plus de nature à justifier l’octroi dans son chef du statut de réfugié.

S’agissant, tout d’abord, de la convocation qu’aurait reçue le demandeur de la part de la police pour s’expliquer sur la publication de son premier livre ainsi que des insultes qui auraient été proférées à son encontre lors de l’interrogatoire du 15 mars 2012 suite à cette convocation, force est de constater que si les comportements qu’ont adoptés les agents de police à l’égard de Monsieur … sont certes condamnables, des simples insultes proférées par des agents de police et non suivies d’actes concrets ne sont pas suffisamment graves pour justifier l’octroi d’un statut de réfugié dans le chef du demandeur.

En ce qui concerne ensuite les maltraitances qu’aurait subies le demandeur en date du 2 décembre 2015 de la part d’agents de police non autrement identifiés et indépendamment de la gravité de ces faits, telle que contestée par la partie étatique, force est de rappeler que conformément à l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, la protection contre les persécutions doit être effective et non temporaire et qu’une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1), points a) et b) de l’article 39 de la même loi, donc notamment l’Etat, prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

Or, dans la mesure où le demandeur a affirmé lors de son entretien que le parquet général l’aurait envoyé au commissariat de … où il aurait pu, ensemble avec son avocat, faire une déposition contre les agissements desdits policiers11 et que cette affaire serait passée en audience devant un tribunal12, il y a lieu d’admettre, en l’absence de tout élément probant contraire, que les autorités de poursuite turques ont correctement fait leur travail. Il n’est dès lors pas établi en l’espèce que les autorités de police ou judiciaires turques compétentes ne seraient pas disposées ou incapables d’offrir au demandeur une protection appropriée, étant relevé que la simple affirmation non autrement sous-tendue et circonstanciée suivant laquelle après la tentative du coup d’Etat, il n’aurait plus rien entendu de cette affaire est insuffisante pour conclure que le demandeur ne serait pas disposé à recevoir une protection efficace dans son pays d’origine si de tels agissements devraient se reproduire de la part de la police turque.

S’agissant, enfin, de la convocation de la police du 5 novembre 2018 à laquelle le demandeur n'aurait pas donné suite, ce qui, selon lui, aurait eu pour conséquence qu’une perquisition aurait été effectuée à son domicile en date du 12 novembre 2018 par quatre policiers lors de laquelle des objets personnels auraient été confisqués et que le lendemain, il aurait été emmené au commissariat de police en vue d’un interrogatoire pendant lequel il aurait été insulté et maltraité par des agents de police, le tribunal constate qu’aussi condamnables que peuvent être les comportements adoptés par les policiers lors de cet interrogatoire, il ne ressort 11 Page 8/18 du rapport d’entretien.

12 Page 13/18 du rapport d’entretien.

18toutefois d’aucun élément du dossier que les mauvais traitements dont a fait état le demandeur de la part desdits policiers devraient se reproduire en cas de retour dans son pays d’origine, étant, à cet égard, relevé que le demandeur a d’ailleurs lui-même affirmé lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration que la police se serait rendue à son domicile et qu’elle l’aurait emmené au commissariat seulement parce qu’il n’aurait donné aucune suite à la convocation qu’il avait reçue le 5 novembre 201813. Force est, de surcroît, de constater que le demandeur n’a pas porté plainte auprès d’un autre commissariat de police, respectivement auprès d’une quelconque autorité de son pays d’origine pour dénoncer les agissements condamnables qu’il invoque de la part desdits policiers. Or, la simple affirmation suivant laquelle il n’aurait pas vu l’intérêt de porter une nouvelle fois plainte comme la première plainte portée en 2015 contre les agents de police serait restée sans suite et qu’il aurait perdu toute confiance en la police et la justice turques n’est en tout état de cause pas suffisante pour conclure que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire du pays d’origine du demandeur n’auraient pas voulu ou pu l’aider ou lui offrir une protection adéquate, en l’absence de toute démarche effectuée à cet égard.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a retenu qu’aucune persécution respectivement aucune crainte de persécution ne saurait être retenue dans le chef du demandeur en relation avec les problèmes qu’il a rencontrés avec la police turque en novembre 2018.

Si le demandeur fait dans ce contexte encore valoir que la convocation, la perquisition et l’interrogatoire en novembre 2018 seraient tous en relation avec l’écriture de son deuxième livre, intitulé « … », mettant, selon ses explications, en lumière « les erreurs du gouvernement »14 et si le demandeur a effectivement été entendu le 12 novembre 2018 sur la communication à un groupe de personnes restreint de certains articles à contenu politique, tel que cela ressort du « procès-verbal de l’audition de la suspecte » établi le même jour15, il ne ressort toutefois d’aucun élément du dossier que le demandeur aurait, tel qu’il le soutient dans son entretien, été « accusé d’insultes aux autorités publiques et de faire de la propagande pour une organisation terroriste »16 à cause du contenu de son deuxième ouvrage. Ce constat est d’autant plus vrai alors que le demandeur a été relâché le même jour et qu’il a pu rentrer chez lui, alors qu’il peut être raisonnablement admis que si Monsieur … avait effectivement été recherché pour des actes en lien avec le terrorisme, les agents de police ne l’auraient pas simplement relâché le lendemain.

Le tribunal se doit, à cet égard, encore de relever qu’il ne ressort, par ailleurs, d’aucun autre élément soumis à son appréciation et plus particulièrement des documents lui versés en cours de procédure et par rapport auxquels les parties ont été autorisées à prendre position par un mémoire supplémentaire, que le demandeur risquerait effectivement de faire l’objet de persécutions de la part des autorités turques à cause de ses expressions politiques en général et plus précisément à cause de l’écriture de son deuxième ouvrage « … ».

En effet, en ce qui concerne, tout d’abord, le mandat d’arrêt émis à l’encontre du demandeur le 14 juillet 2020, le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique, que s’il se dégage certes de ce document que le demandeur est recherché en vue d’un interrogatoire dans le cadre d'infractions d’« offense au président, apologie d'actes de terrorisme, offense à la nation turque, au gouvernement de la République de Turquie et aux institutions et organes de 13 Page 9/18 du rapport d’entretien.

14 Page 9/18 du rapport d’entretien.

15 Pièce n° 17, farde VI de Maître FATHOLAHZADEH.

16 Page 10/18 du rapport d’entretien.

19l'Etat » qu’il aurait commises entre 2016 et 2018 et qui sont réprimées par la « Loi antiterroriste » et le Code pénal turc, il ne s’en dégage toutefois pas que le demandeur serait recherché par les autorités turques à cause de l’écriture de son deuxième ouvrage lequel, de manière non contestée, n’a d’ailleurs jamais été publié. Il se dégage, au contraire, dudit mandat d’arrêt17, ensemble les explications de l’avocat turc du demandeur18, que Monsieur … est, à ce stade, uniquement sous le coup d’un mandat d’arrêt et en état d’arrestation pour ne pas avoir donné suite aux deux convocations qu’il a reçues en date des 18 mars et 24 juin 2020 en vue d’un interrogatoire afin qu’il s’explique sur les faits qui lui sont reprochés, ce qui ne permet toutefois pas d’établir pour quels faits exactement il sera entendu ni de retenir que le demandeur fera l’objet de nouvelles maltraitances de la part des autorités en charge de l’audition ou qu’il sera condamné de manière arbitraire, sans avoir accès à un procès équitable et sans pouvoir faire valoir ses droits de la défense.

Or, à défaut de tout élément permettant d’établir les raisons exactes de l’accusation du demandeur, le tribunal est amené à retenir que le mandat d’arrêt de l’espèce, rédigé en des termes tout à fait généraux sans autre précision quant aux infractions concrètement reprochées et ne permettant dès lors pas de corroborer les dires du demandeur, et plus particulièrement le fait qu’il serait recherché par les autorités turques à cause de son deuxième ouvrage - non publié - n’emporte pas sa conviction.

Cette conclusion est encore confortée par le fait que le demandeur n’a, malgré tous les incidents dont il a fait état depuis 1994 et plus particulièrement la publication de son premier ouvrage en 2012, jamais fait l’objet d’une quelconque condamnation pour l’expression de ses pensées politiques.

Il s’ensuit que la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine à cause de l’écriture de son deuxième ouvrage est à qualifier de purement hypothétique, respectivement doit s’analyser en un sentiment général d’insécurité.

En ce qui concerne le courrier de l’avocat turc du 5 août 2020 et indépendamment de l’impartialité ou de l’objectivité de celui-ci, telles que contestées par la partie étatique, force est de constater que ledit courrier se limite à résumer le récit du demandeur tel qu’il l’a exposé lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration et lors de la présente procédure, sans toutefois apporter un quelconque élément tangible nouveau permettant de retenir que le demandeur risquerait d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques, et plus particulièrement à cause de l’écriture de son deuxième livre, étant relevé que l’affirmation purement subjective, hypothétique et non autrement circonstanciée suivant laquelle « Il est certain que la justice ne se prononcera pas contre mon client sur la base de la justice et de l'équité, mais il sera accusé sur la base d'arguments illégaux, il sera condamné pour des motifs sans fondement juridique, il sera privé de sa liberté et il sera torturé, devenant la victime d'une infraction non démontrée, comme ces cas similaires », est insuffisante pour retenir le contraire.

17 Il y est, en effet, indiqué comme « Motifs de l’arrestation » : « Se cacher à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, puisqu’il est entendu que malgré toutes les recherche (de la justice), il ne peut être ni convoqué ni averti dans le but de faire échouer une enquête à propos d’un suspect du crime d’offense au apologie d'actes de terrorisme, offense à la nation turque, au gouvernement de la République de Turquie et aux institutions et organes de l'Etat. ».

Par ailleurs, il y est indiqué « (…) que le prévenu doit être préparé sur le lieu de l’arrestation afin d’être entendu via SEGBIS (…) » et que « (…) sa déclaration devra être prise par le Parquet Général d’Istanbul. (…) ».

18 Courrier du 5 août 2020.

20Il en est d’ailleurs de même en ce qui concerne la lettre de l’avocat turc communiquée au mandataire actuel du demandeur par courriel du 16 septembre 2020, dans la mesure où celle-

ci ne fait, dans un premier temps, que résumer le récit du demandeur, sans toutefois y ajouter un élément pertinent nouveau permettant de prouver le risque réel du demandeur d’être persécuté dans son pays d’origine pour des raisons liées à ses opinions politiques, et plus particulièrement à cause de l’écriture de son deuxième livre. Si, dans un deuxième temps, l’avocat fait encore état de menaces et d’harcèlements qu’aurait subis l’épouse du demandeur, Madame …, après le départ de celui-ci de son pays d’origine et d’une plainte qui aurait été déposée par celle-ci en relation avec les agissements de la part desdites personnes non autrement identifiées, d’une part, ainsi que d’une interdiction de quitter le territoire qui aurait été émise à son encontre par une « annotation » sur son passeport, d’autre part, force est de constater qu’aucun élément de cette lettre ne permet de démontrer que le demandeur risque effectivement d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine à cause de ses opinions politiques ou de l’écriture de son deuxième livre.

Cette même conclusion s’impose en ce qui concerne le courrier du 9 mars 2021 par le biais duquel le litismandataire de Monsieur … a informé le tribunal que l’épouse de celui-ci, Madame …, avait été arrêtée et mise en prison dans le seul but, selon lui, d’exercer une pression sur son mandant afin que celui-ci se rende aux autorités turques, alors que même si le courriel de l’avocat turc FIRAT du 7 mars 2021, versé à l’appui du courrier du 9 mars 2021, fait certes état du fait que Madame … avait été questionnée sur l’engagement politique du demandeur, il ne ressort toutefois pas dudit courrier ni d’aucun autre élément versé en cause que le demandeur risque effectivement d’être victime de persécutions en cas de retour en Turquie.

Cette conclusion est encore confortée par le comportement qu’a adopté le demandeur lors de son audition en date du 2 juillet 2021 auprès de la direction de l’Immigration. Il ressort, en effet, du compte-rendu établi à cette occasion que lorsque l’agent en charge de l’audition a demandé à Monsieur … s’il pouvait lui transmettre les originaux des documents dont il se prévaut en relation avec l’arrestation de son épouse, respectivement avec les accusations portées contre lui, le demandeur lui a remis une photocopie d’une page du portail « UYAP », tout en prétendant qu’il s’agirait de « sa procédure »19, étant, à cet égard, précisé qu’il se dégage des explications non contestées de la partie étatique que ledit portail « UYAP », sur lequel peuvent être consultés les dossiers pénaux complets des différents clients d’un avocat, tels notamment les actes d’accusations, les dépositions, les mandats d’arrêts et les jugements, est uniquement accessible par l’avocat mandaté en question. Il échet ensuite de constater que lorsque le demandeur a contacté son fils par téléphone pour avoir le numéro de téléphone de son avocat afin que celui-ci lui communique les documents pertinents, il a ordonné à son fils en langue turque de dire à son avocat « qu’elle ne fasse rien »20, tout en répétant plus tard à celui-ci d’envoyer les papiers de son épouse « mais de pas faire de « truc ». »21. Il ressort ensuite du même compte-rendu que lorsque Monsieur … a contacté l’avocat en question dans le bureau de l’agent par rapport aux documents sollicités : « […] Elle décroche et nous informe qu’elle ne peut pas nous donner d’informations. Monsieur a dit à l’avocat au téléphone de ne pas envoyer de documents alors même que l’avocat s’apprêtait à nous fournir les documents.

Il a ensuite dit à l’avocat qu’elle était supposée dire non. Il a ensuite insisté qu’elle ne devrait rien nous remettre. L’avocate a tout de suite raccroché quand elle a entendu qu’un des agents parlait le turc et avait compris ce que Monsieur disait. […] »22, laissant clairement douter de 19 Page 2 du compte-rendu du 2 juillet 2021.

20 Page 4 du compte-rendu du 2 juillet 2021.

21 Idem.

22 Idem.

21la réalité des craintes du demandeur de faire l’objet de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine.

Si le demandeur a certes versé en cours de délibéré un relevé intégral de la page « UYAP » avec sa traduction23, force est toutefois de relever, à l’instar de la partie étatique, que ce document ne fait que confirmer qu’un seul dossier a été ouvert en Turquie contre le demandeur, à savoir le mandat d’arrêt émis à son encontre en date du 14 juillet 2020, dont il a été retenu ci-avant qu’il est insuffisant pour retenir qu’il serait recherché pour les faits invoqués en l’espèce, étant relevé que les autres dossiers biffés en noir ne semblent pas être pertinents, respectivement ne pas concerner le demandeur.

S’agissant, enfin, du procès-verbal établi par les deux voisins du demandeur en date du 13 novembre 2018, force est de constater que celui-ci ne fait que relater ce qui s’est produit lors de la perquisition au domicile de Monsieur … le 12 novembre 2018, sans toutefois établir de façon non équivoque les raisons de cette perquisition.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, les craintes du demandeur de faire l’objet de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine à cause de ses opinions politiques, et plus concrètement à cause de l’écriture de son deuxième livre sont à qualifier de purement hypothétiques, respectivement doivent s’analyser en un sentiment général d’insécurité.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le ministre a conclu que les faits invoqués en l’espèce par le demandeur en relation avec ses opinions politiques, respectivement avec son appartenance ethnique ne remplissent pas les conditions d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015.

Si le demandeur se prévaut encore de la situation générale des Kurdes vivant en Turquie qui y feraient tous les jours l’objet de discriminations de la part de la population turque majoritairement musulmane et conservatrice, il échet de relever que la Cour administrative24 et le tribunal administratif25 ont déjà à plusieurs reprises retenu que la situation générale des Kurdes en Turquie n’est pas telle que tout membre de la minorité kurde puisse valablement se prévaloir d’une crainte fondée d’être persécuté du seul fait de sa présence sur le territoire turc, sans que le demandeur n’ait invoqué en l’espèce un quelconque élément permettant de retenir le contraire, étant relevé que le renvoi dans son recours à un seul article de presse, intitulé « Les Kurdes, peuple écartelé au Proche-Orient », publié à une date inconnue sur le site du journal « L’Express » - ledit article de presse étant, de surcroît, non pertinent en l’espèce pour indiquer seulement que l’Etat turc mènerait une guerre acharnée contre l’organisation armée du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) -, ainsi que l’affirmation non autrement circonstanciée suivant laquelle il ressortirait « de bon nombre d’articles que les kurdes de Turquie ne mènent pas une vie paisible comme le prétend le Ministre »26, sont en tout état de cause insuffisants à cet égard. S’agissant des autres articles de presse et rapports internationaux versés en cause par l’ancien mandataire du demandeur en date du 9 juin 202027, de même que ceux versés par 23 Pièce numéro 19 de la farde de pièces VI.

24 Cour adm., 22 octobre 2019, n° 43318C du rôle ; Cour adm., 26 novembre 2019, n° 43606C du rôle ; Cour adm., 19 décembre 2019, n° 43716C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.

25 Trib. adm., 6 mai 2020, n° 42814 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

26 Page 11 du recours.

27 Pièces n° 21 à 34 de la farde II de Maître WIES.

22l’actuel mandataire du demandeur en date du 21 décembre 202028, force est de constater qu’il s’agit de publications générales versées en cause sans explications ni mise en relation concrète avec les événements vécus par le demandeur, de sorte qu’elles ne sont pas de nature à justifier l’octroi dans son chef du statut de réfugié, étant précisé que dans la mesure où l’ancien mandataire du demandeur n’a pas plus amplement développé ce point dans le recours, il n’appartient pas non plus au tribunal d’analyser les documents versés en cause et de rechercher lui-même les passages pertinents qui auraient pu s’appliquer à la situation personnelle et particulière du demandeur.

En ce qui concerne, enfin, le reproche du ministre de ne pas avoir pris en considération l’état psychologique du demandeur, il échet de rappeler que des motifs d’ordre médical ne sauraient justifier l’octroi d’un statut de réfugié dans le chef d’un demandeur de protection internationale à défaut d’être listés parmi les critères de fond prévus à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015. Il s’ensuit que tous les développements et pièces y relatifs sont à rejeter pour ne pas être fondés.

C’est partant à juste titre que le ministre a refusé d’accorder au demandeur le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi 28 Pièces 9 à 13 de la farde III de Maître FATHOLAHZADEH.

23des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Le demandeur n’alléguant pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens du point a) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, ni que sa vie serait en danger en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens du point c) dudit article, le tribunal se limitera à examiner s’il risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 point b) de la même loi, en cas de retour dans son pays d’origine.

Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé, d’une part, que les faits mis en avant par Monsieur … étaient soit trop éloignés dans le temps pour justifier aujourd’hui l’octroi d’une protection internationale, soit purement hypothétiques, soit pas d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, respectivement que le demandeur n’a pas apporté la preuve que l’Etat ou d’autres organisations étatiques sur le territoire turc ne seraient pas capables ou pas disposées à lui fournir une protection adéquate contre les agissements qu’il craint d’y subir notamment de la part de la police ou qu’il y ferait l’objet d’une condamnation injuste et arbitraire, et, d’autre part, que la situation générale des Kurdes en Turquie n’est pas de nature à établir, dans le chef du demandeur, une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

24Principalement, le demandeur fait valoir que l’ordre de quitter le territoire encourrait la réformation comme conséquence de la réformation de la décision ministérielle portant refus de lui octroyer une protection internationale.

Subsidiairement, il fait valoir que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’Immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour en « Irak » impliquerait que sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre pouvait valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

En ce qui concerne la demande subsidiaire de voir réformer l’ordre de quitter le territoire pour être contraire à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, le tribunal relève qu’aux termes dudit article 129 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ». Si l’article 3 de la CEDH proscrit ainsi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité. En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être 25éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou à des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la CourEDH évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par le demandeur en cas de retour en Turquie, le tribunal a conclu ci-avant que celui-ci n’a pas fourni d’éléments de nature à justifier dans son chef l’existence d’une crainte actuelle et fondée de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine et que, de ce fait, il ne saurait prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH29, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Turquie soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH.

A défaut d’autres moyens invoqués, il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 février 2020 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef Monsieur … ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire du 27 février 2020 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er février 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, 29 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

26Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er février 2022 Le greffier du tribunal administratif 27


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 44331
Date de la décision : 01/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-01;44331 ?

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