La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/02/2022 | LUXEMBOURG | N°43699

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 février 2022, 43699


Tribunal administratif Numéro 43699 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2019 3e chambre Audience publique du 1er février 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie et de remise gracieuse

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43699 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2019 par Maître Kalthoum BOUGHALMI, a

vocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Mons...

Tribunal administratif Numéro 43699 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2019 3e chambre Audience publique du 1er février 2022 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie et de remise gracieuse

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43699 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2019 par Maître Kalthoum BOUGHALMI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tenant à la réformation, sinon à l’annulation :

1) de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 1er mars 2018, référenciée sous le numéro …, portant rejet de sa réclamation introduite en date du 12 septembre 2017 à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis en date du 9 juin 2017 ;

2) de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 25 juillet 2019, référenciée sous le numéro …, portant rejet de sa demande en remise gracieuse du 5 juin 2018 au sujet du bulletin d’appel en garantie émis en date du 9 juin 2017 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2020 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 février 2020 par Maître Kalthoum BOUGHALMI, au nom et pour le compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications de Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART et de Maître Kalthoum BOUGHALMI du 5 février 2021 suivant lesquelles ils marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 10 février 2021 ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1 Vu l’avis du tribunal administratif du 12 novembre 2021 prononçant la rupture du délibéré en vue d’un changement de composition ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG en sa plaidoirie à l’audience publique du 11 janvier 2022.

___________________________________________________________________________

En date du 9 juin 2017, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’égard de Monsieur …, en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée … SARL, en faillite, ci-après la « société … » , ledit bulletin déclarant Monsieur … débiteur d’un montant total de ….-€, en principal et intérêts de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2014 à 2016.

Ledit bulletin est libellé comme suit :

« […] Il est dû à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … s.à r.l. en faillite ayant eu son siège à L-…, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistré au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … à titre de l’impôt sur les traitements et salaires :

Année Principal Intérêts Total 2014 …€ …€ …€ 2015 …€ …€ …€ 2016 …€ …€ …€ Total …€ …€ …€ Il résulte de la publication au Mémorial Numéro … du …2008 que vous avez été nommé gérant de la société … s.à r.l. en faillite. Votre mandat a été renouvelé en date du …2014 (Mémorial N° … du …2014).

En cette qualité vous avez eu le pouvoir d’engager la société sous votre seule signature depuis le …2008.

En votre qualité de gérant vous étiez en charge de la gestion journalière de la société … s.à r.l. en faillite.

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous étiez personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société … s.à r.l. en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par la société … s.à r.l. en faillite à l’aide des fonds administrés.

2 En vertu de l’article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu de retenir l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu à déclarer et à verser l’impôt retenu à l’Administration des contributions directes.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la foi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions, l’employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d’une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société … s.à r.l. en faillite il vous appartenait de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d’impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2014 à 2016 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L’omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d’impôt est à qualifier d’inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … s.à r.l. en faillite.

L’omission de payer sur les fonds disponibles de la société … s.à r.l. en faillite les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d’inexécution de vos obligations.

Suite à l’inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l’Administration des contributions directes n’a pas perçu les retenues d’impôt d’un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Année Principal Intérêts Total 2014 …€ …€ …€ 2015 …€ …€ …€ 2016 …€ …€ …€ Total …€ …€ …€ En vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l’extinction de votre pouvoir de représentation.

3 Considérant qu’en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société … s.à r.l. en faillite.

Considérant que l’inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l’inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d’impôt sur les traitements et salaires d’un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l’inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l’impôt légalement dû, vous êtes constitué débiteur de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m’autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu’en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion journalière de la société … s.à r.l. en faillite j’engage votre responsabilité, l’appel en garantie s’élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l’Administration des contributions directes à Luxembourg […] ».

Il est constant en cause pour ne pas être contesté qu’en date du 12 septembre 2017, Monsieur … introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », à l’encontre dudit bulletin d’appel en garantie précité.

Par décision du 1er mars 2018, référencée sous le numéro … du rôle, le directeur refusa de faire droit à la réclamation telle qu’introduite par Monsieur …, sur base des considérations suivantes :

« […] Vu la requête introduite le 12 septembre 2017 par le sieur …, demeurant à L-…, pour réclamer contre le bulletin d’appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d’imposition … en date du 9 juin 2017 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le paragraphe 119, alinéa 1er AO et les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit dans les forme et délai de la loi ; qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant co-débiteur solidaire d’une partie de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2014, 2015 et 2016 au motif qu’il aurait, en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée …, actuellement en état de faillite, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, et dont la société était redevable ;

4 Considérant que le représentant d’une personne morale est responsable du paiement des dettes d’impôt de la personne morale qu’il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu’aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le gérant, par l’inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l’impôt légalement dû, il est, en principe, constitué co-débiteur solidaire des arriérés d’impôt de la société, conformément au § 109 AO ; que la responsabilité du gérant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l’administration ;

Considérant qu’il s’avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu’en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l’auteur du dommage ne peut pas s’exonérer en invoquant une prétendue faute d’un tiers, lequel n’entrera en ligne de compte qu’au stade du recours entre les coresponsables ;

Considérant, matériellement, qu’en vertu de l’article 136, alinéa 4 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) l’employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers (§ 103 AO) ;

que la responsabilité de l’administrateur délégué, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d’impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ;

qu’il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l’empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l’imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 2… 1961, BStBI. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm. 5 Abs. 3) ;

que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en œuvre de la responsabilité d’un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef de l’administrateur délégué d’une société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l’exigence supplémentaire 5 d’une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du gérant est cependant à qualifier de fautive du moment qu’il n’accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d’avant son entrée en fonction, à l’aide des fonds administrés ;

que cette dernière prémisse l’emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu’elle s’est présentée durant les années antérieures ;

Considérant que le bulletin d’appel en garantie retient au sujet de l’engagement de la responsabilité du réclamant que « En votre qualité de gérant vous étiez en charge de la gestion journalière de la société … s. à r.l. en faillite » ;

Considérant que le réclamant fait valoir que l’empêchement « de la perception des impôt (sic) légalement dû (sic) est causé par mon ex associé (sic) « gérant de fait » qui était chargé de régler les versement (sic) des salaire (sic) et différentes charges de la société (loyer, CCSS, contributions directes …) » ;

qu’il expose encore que l’autre associé aurait détourné une partie de l’actif de la société en question et que les actions de cet associé auraient provoqué la faillite ;

Considérant qu’il résulte de l’actif constitutif de la société … (Mémorial C n° … du …2008, page …) que le réclamant était le gérant unique de la société et que celle-ci était engagée en toutes circonstances par la seule signature du gérant jusqu’en date du … 2014 ;

Considérant qu’il résulte d’une publication au Mémorial C (n° … du … 2014, page …) que suite au changement de l’objet social, un gérant supplémentaire a été nommé pour le volet électricité ;

Considérant que dès lors la « société est valablement engagée par la signature isolée du gérant dans le cadre du volet que le concerne pour toute opération ne dépassant pas la contre-valeur de cinq mille euros (5.000,- €). Au-delà de cette somme la co-signature des deux gérants est requise » ;

Considérant que la seule signature du réclamant était requise pour engager la société « … » jusqu’en novembre 2014 ;

Considérant que le réclamant est associé et gérant de la société … par opposition au gérant nommé pour le volet électricité en date du 3 novembre 2014 de sorte que le paiement des retenues sur salaires et traitements depuis la création de l’entreprise était à opérer par le réclamant ou du moins devait se faire sous son contrôle ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d’après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d’impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ; Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;

PAR CES MOTIFS 6 reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […] ».

Par courrier du 4 juin 2018, réceptionné le lendemain, Monsieur … s’adressa, à travers son litismandataire, au directeur dans les termes suivants : « […] Mon mandant me remet votre décision du 1er mars 2018.

Il me charge de former un recours gracieux contre ladite décision pour les motifs qui suivent.

Aussi, suite à des abus de biens sociaux, vols, et escroquerie de la part de Monsieur …, frère de mon mandant, demeurant à L-…, la société … dont mon mandant était le gérant technique, a été mise en faillite suivant jugement déclaratif du … 2016.

Avant que la faillite ne soit prononcée, mon mandant a déposé une plainte auprès de Monsieur le Juge d’instruction directeur, en date du 22 septembre 2016, dont copie en annexe, par l’intermédiaire de son ancien litis-mandataire, au nom et pour le compte de la société …, Maitre Andreas KOMNINOS.

A la lecture de cette plainte, vous constaterez que Monsieur …, ainsi que la société …, ont été littéralement abusés par Monsieur …, qui en a profité pour créer une nouvelle société.

Mon mandant avait confié la gérance administrative à son frère qui n’a fait que voler le matériel de la société …, sans s’occuper aucunement des factures à payer par la prédite société, ni auprès de Votre administration, ni auprès des autres créanciers.

Mon mandant conteste toute faute de sa part, dans le cadre de la gestion de la société …, alors qu’il ne s’occupait pas de la gestion journalière, respectivement de la gestion administrative.

A titre subsidiaire, si par impossible Vous estimiez que mon mandant avait commis une faute, dans le cadre de la gestion de la société …, quod non, mon mandant me charge de formuler ce recours gracieux, alors qu’il vit dans une situation de grande précarité, qui ne lui permet pas de rembourser le montant de … €.

A ce titre, je vous prie de bien vouloir trouver les pièces attestant de cette situation dramatique. […] ».

Par décision du 25 juillet 2019, référenciée sous le numéro …, le directeur rejeta la demande de Monsieur … en ces termes : « […] Vu la demande présentée le 5 juin 2018 par Maître Kalthoum BOUGHALMI, demeurant professionnellement à L-4132 ESCH-SUR-

ALZETTE, 16, Grand-Rue, en sa qualité de conseil et au nom du sieur …, demeurant à L-…, ayant pour objet une remise d’impôts et d’intérêts de retard du bulletin d’appel en garantie émis en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d’imposition … en date du 9 juin 2017 par voie gracieuse ;

7 Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu’il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;

Considérant que d’après le paragraphe 131 AO une remise gracieuse n’est envisageable que dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;

Considérant qu’il ne ressort de la demande aucun élément de rigueur incompatible avec l’équité au sens du paragraphe 131 AO ;

Considérant que le bureau d’imposition compétent, après avoir constaté que le demandeur était tenu en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée en faillite … de payer sur les fonds administrés les impôts sur les traitements et salaires dont la société était redevable et qu’il avait négligé de remplir les obligations qui lui incombaient à cet égard, l’a déclaré responsable du non-paiement de l’impôt sur les traitements et salaires comme des intérêts de retard calculés des années 2014, 2015 et 2016 ;

Considérant que le demandeur s’est abstenu d’affecter les sommes retenues au paiement de l’impôt dû pour compte des salariés, étant relevé qu’il s’agit de sommes d’argent qui, dès le versement du salaire, ne doivent pas recevoir une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû par le salarié ; or, en ne donnant pas à ces montants l’affectation qu’ils doivent recevoir, le représentant de la société détourne lesdits montants à d’autres fins, ce qui constitue à l’évidence une inexécution gravement fautive de ses devoirs (cf. C.A.

N°271260 du 06,01.2011) ;

Considérant donc qu’une rigueur objective n’a pas pu être constatée en l’espèce ;

Considérant que la demande de remise gracieuse ne doit ni servir à contourner la forclusion attachée au délai contentieux ou le réexamen d’office, ni à multiplier les voies de recours comme dans le cas d’espèce où le directeur des contributions a rejeté la réclamation du requérant par sa décision sur réclamation du 1er mars 2018 ;

Considérant en plus, en l’occurrence il apparaît qu’il pourrait y avoir faute professionnelle de tiers intervenants; que dans ce contexte il n’appartient pas au Trésor, en cas de préjudice subi sur le plan fiscal par suite de faute des tiers intervenants, d’en dégager le requérant précité de sa responsabilité à charge du budget public ;

Considérant qu’une remise pour rigueur subjective n’est justifiée que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive de moyens de subsistance indispensables ;

Considérant qu’une rigueur excessive, incompatible avec le principe d’équité au sens du paragraphe 131 AO ne peut être admise au vu de la motivation présentée ;

Considérant donc en ce qui concerne une rigueur objective et subjective, force est de constater que les motifs invoqués par le requérant ne permettent pas de retenir une iniquité ;

Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ;

8 PAR CES MOTIFS, DECIDE :

La demande en remise gracieuse est rejetée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 octobre 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) de la décision précitée du directeur du 1er mars 2018 portant rejet de sa réclamation introduite en date du 12 septembre 2017 à l’encontre du bulletin d’appel en garantie, et 2) de la décision précitée du directeur du 25 juillet 2019 portant rejet de sa demande en remise gracieuse.

Aux termes du paragraphe 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable. Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désigné par la « loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt. Etant donné que le paragraphe 131 AO, en combinaison avec l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi du 7 novembre 1996, prévoit également un recours de pleine juridiction en matière de remise gracieuse, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions directoriales précitées des 1er mars 2018 et 25 juillet 2019, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours au motif qu’il aurait été dirigé à l’encontre de deux décisions directoriales sans aucun lien, qui ne seraient ni connexes ni liées. Sur base d’un jugement du tribunal administratif du 8 mai 2008, inscrit sous le numéro 23194 du rôle, dont la solution serait transposable en l’espèce, il fait valoir que la requête se caractériserait par la poursuite d’objets diamétralement opposés et partant incompatibles, de sorte qu’il serait contraire tant à la logique juridique qu’au principe d’une bonne administration de la justice de les juger par une seule et même décision et que le recours serait partant à déclarer irrecevable.

Dans un deuxième temps, le délégué du gouvernement conclut encore à l’irrecevabilité ratione temporis du recours dirigé contre la décision directoriale du 1er mars 2018.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir que ce serait faux de prétendre que ses deux demandes ne seraient pas liées. Il estime que la connexité entre les deux décisions serait manifeste, étant donné qu’il existerait entre les demandes un lien tel que la solution de l’une des affaires ait, ou puisse avoir, une influence sur la solution de l’autre, le demandeur soulignant que les deux demandes auraient pour but de voir anéantir le bulletin d’appel en garantie du 9 juin 2017. Ainsi, la jurisprudence citée par le délégué du gouvernement ne s’appliquerait pas en l’espèce et un recours cumulé serait possible dans la mesure où les demandes en cause porteraient, par leur objet, sur la même situation en fait, qu’elles présenteraient un lien de connexité suffisamment étroit et qu ’il serait dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de les juger par une seule et même 9 décision, le demandeur soulignant encore que l’objet d’une action en justice serait constitué par le résultat que la partie demanderesse entend obtenir et qu ’en l’occurrence, il entendrait se voir décharger du paiement de la somme de ….-€ à titre d’impôts. Il s’ensuivrait que son recours serait à déclarer recevable pour avoir été introduit tant contre la décision directoriale du 1er mars 2018 que contre celle du 25 juillet 2019.

Ce serait encore à tort que la partie étatique ait conclu à l’irrecevabilité pour cause de tardiveté du recours dirigé contre la décision du directeur du 1er mars 2018, alors que l’article 13, paragraphe (2), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par la « loi du 21 juin 1999 », consacrerait la possibilité d’introduire un recours gracieux en matière administrative, qui ne serait soumis à aucune condition de capacité ni d’intérêt et que le requérant pourrait invoquer tous moyens de droit, de fait, d’équité ou d’opportunité, pour exercer le recours contre tout acte émanant d’une autorité publique. En se basant sur le paragraphe 249, alinéa 2 AO, il donne encore à considérer que toutes les fois que la voie de la réclamation est celle qui présente de l’intérêt pour le contribuable, sa déclaration devrait être considérée comme l’expression de sa volonté d’exercer un recours contentieux.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement fait valoir qu’une demande de remise gracieuse ne tenterait pas à la même fin qu’une réclamation dirigée contre un bulletin d’appel en garantie et que les deux demandes n’auraient pas pour objet « d’anéantir » le bulletin d’appel en garantie du 9 juin 2017, dans la mesure où une réclamation contre un bulletin d’appel en garantie aurait pour objet d’obtenir l’annulation dudit bulletin, tandis que la demande en remise gracieuse aurait pour objet une décharge de l’impôt. La jurisprudence du 8 mai 2008, inscrit sous le numéro 23194 du rôle, serait dès lors parfaitement transposable en l’espèce.

Il réitère encore ses considérations suivant lesquelles le recours dirigé contre la décision directoriale serait en tout état de cause tardif.

Il échet d’abord de relever qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen tiré de l’irrecevabilité ratione temporis du recours dirigé contre la décision du directeur du 1er mars 2018, il ressort de l’article 8, paragraphe (3) 4. de la loi du 7 novembre 1996, que le délai pour introduire un recours contre une décision du directeur portant rejet d’une réclamation introduite à l’encontre d’un bulletin d’appel en garantie, telle que la décision déférée, est de trois mois.

Aux termes du paragraphe 258, alinéa (2) AO, « Die Entscheidungen sind dem Steuerpflichtigen verschlossen zuzustellen. Der Minister der Finanzen kann statt der Zustellung eine einfachere Form der Bekanntgabe zulassen ».

Conformément au paragraphe 88 AO, « (1) Für Zustellungen gelten die Vorschriften der Zivilprozessordnung über Zustellungen von Amts wegen.

(2) Zustellen können auch Beamte der Steuer-, der Polizei- oder der Gemeindeverwaltung.

10 (3) Die Behörde kann durch eingeschriebenen Brief zustellen. Die Zustellung gilt mit dem dritten Tag nach der Aufgabe zur Post als bewirkt, es sei denn, dass der Zustellungsempfänger nachweist, dass ihm das zuzustellende Schriftstück nicht innerhalb dieser Zeit zugegangen ist. […] ».

Il a été jugé, par rapport à cet article, que si la « Zustellung » doit, au vœu de son alinéa (1), en principe être opérée en conformité avec les dispositions de la « Zivilprozessordnung », renvoi qui doit être compris au Luxembourg comme visant le Nouveau Code de Procédure Civile, il autorise à travers son alinéa (3) toute « Behörde » visée par ses dispositions, donc également le directeur en sa qualité de « Rechtsmittelbehörde » au sens des paragraphes 228 et suivants AO, à utiliser un mode simplifié de « Zustellung » par le biais de la notification par voie de « eingeschriebener Brief » dans tous les cas où la « Zustellung » est prescrite ; partant notamment pour une décision directoriale sur réclamation laquelle est « geschlossen zuzustellen » au prescrit du paragraphe 258, alinéa (2) AO2.

En vue de déterminer les formalités obligatoirement attachées à l’envoi d’un « eingeschriebener Brief », il convient de constater que la « Zustellung » au sens du paragraphe 88 AO s’analyse par essence en une remise actée entourée d’un certain formalisme, lequel est destiné à constituer une preuve de la réception de l’acte à notifier par son destinataire. L’originalité de l’alinéa (3) du paragraphe 88 AO par rapport à son alinéa (1) réside dans le fait que l’autorité est dispensée de l’obligation de s’aménager une preuve concrète de la prise de connaissance effective de l’acte par son destinataire et que l’autorité est seulement tenue de prouver la date à laquelle l’enveloppe contenant l’acte a été remise à la poste. En outre, la preuve concrète de la réception par le destinataire est remplacée par l’alinéa (3) en cas de notification par « eingeschriebener Brief » par une présomption juris tantum de réception au troisième jour après la remise à la poste3.

En l’espèce, et si la date de la remise à la poste de la décision directoriale du 1er mars 2018 ne ressort pas explicitement du dossier fiscal soumis à l’appréciation du tribunal, il n’en reste pas moins, qu’il ressort du courrier du litismandataire du demandeur du 4 juin 2018 que « Mon mandant me remet votre décision du 1er mars 2018 », de sorte à admettre que la décision litigieuse, laquelle contient encore une instruction sur les voies de recours, a été notifiée à Monsieur … antérieurement au 4 juin 2018, le demandeur n’alléguant, par ailleurs, pas ne pas avoir réceptionné la décision dont question en temps utile.

Etant donné que la décision directoriale du 1er mars 2018 a été notifiée au demandeur au plus tard le 4 juin 2018, son recours déposé contre ladite décision en date du 24 octobre 2019, soit plus qu’une année après, l’a été manifestement au-delà du délai de trois mois prévu par l’article 8, paragraphe (3) 4. de la loi du 7 novembre 1996.

Le recours en réformation dirigé contre la décision du directeur du 1er mars 2018, ayant été introduit en dehors du délai de la loi, est dès lors irrecevable ratione temporis.

Cette constatation n’est pas énervée par les considérations du demandeur relatives à l’article 13, paragraphe (2), de la loi du 21 juin 1999 consacrant la possibilité d’introduire un 2 Trib. adm., 21 juin 2004, n° 17075 du rôle, confirmé par Cour adm., 13 janvier 2005, n° 18477C du rôle, Pas.

adm. 2021, V° Impôts, n° 1086 et les autres références y citées.

3 Ibidem.

11 recours gracieux en matière administrative, le demandeur alléguant ainsi avoir, à travers le courrier du 4 juin 2018, exercé un recours gracieux contre la décision directoriale du 1er mars 2018.

Or, à cet égard, force est de constater qu’il n’existe pas de recours gracieux à l’encontre d’une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation dirigée contre un bulletin d’appel en garantie4.

En effet, en matière d’appel en garantie, une procédure spécifique est expressément prévue à travers la voie de la réclamation à introduire devant le directeur.

Conformément au paragraphe 228 AO, auquel renvoie le paragraphe 119 AO, la voie de recours précontentieuse ouverte à l’encontre d’un bulletin d’appel en garantie est la réclamation à introduire dans un délai de trois mois auprès du directeur qui procède alors à un réexamen intégral de la cause du réclamant. Il résulte encore de la combinaison du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), 1. de la loi du 7 novembre 1996 que la décision du directeur statuant sur les mérites de cette réclamation peut seulement être entreprise par un recours contentieux à introduire devant le tribunal administratif.

Ainsi, en l’absence de prévision en matière d’appel en garantie, d’une voie de recours gracieux à l’encontre d’une décision prise par le directeur sur réclamation, le courrier du demandeur du 4 juin 2018 n’a partant pas pu ouvrir un nouveau délai.

Au regard de la conclusion du tribunal ci-avant, suivant laquelle le recours dirigé contre la décision directoriale du 1er mars 2018 est irrecevable ratione temporis, il n’y a pas lieu d’examiner plus en avant le moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique tenant à un défaut de connexité suffisante entre les décisions déférées, cette analyse devenant, en effet, surabondant.

Au vu de ce qui précède, et à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité, le recours en réformation dirigé contre la décision du directeur du 25 juillet 2019, est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Avant tout progrès, le tribunal tient à souligner qu’étant donné qu’il vient de retenir que le recours dirigé contre la décision ministérielle du 1er août 2018 est irrecevable ratione temporis, il ne tient pas compte des moyens dirigés par le demandeur à l’encontre de cette décision. Ainsi, le tribunal ne tient pas compte des explications contenues dans la requête introductive d’instance, suivant lesquelles le demandeur aurait constitué la société … le … 2008 et qu’en date du … 2012, il aurait cédé 49% des parts sociales de ladite société à son frère, lequel n’aurait cependant pas été désigné en tant que dirigeant de droit de la société … par les statuts de celle-ci, malgré la circonstance que celui-ci aurait exercé un réel pouvoir de gestion dans la société en question, et qu’en 2016, le frère aurait démissionné de son poste ensemble avec six autres salariés pour rejoindre une société tierce, suite à quoi le demandeur aurait déposé une plainte au pénal qui aurait été classée sans suites, et suite à quoi il aurait été obligé de faire l’aveu de la faille de la société …. Il ne tient pas non plus compte des moyens du demandeur fondés sur une motivation incomplète de la décision du 1er août 2018 ainsi que sur une violation, par le ministre, des paragraphes 103 et 109 AO, en ce (i) que ladite décision 4 En ce sens, trib. adm., 9 mars 2011, n° 27253 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1088.

12 en question n’indiquerait pas le comportement fautif lui reproché pour simplement renvoyer aux dispositions légales applicables et ne pas qualifier in specie un comportement fautif dans son chef tenant à des circonstances particulières, (ii) qu’il n’aurait pas été habilité à engager la société … pour un montant supérieur à 5.000,00.-€, (iii) que l’administration des Contributions directeurs n’aurait pas détaillé de quelle manière l’imposition aurait été établie, sur quelle somme elle s’appuierait, et n’aurait pas indiqué si la société … avait fait l’objet d’une procédure de recouvrement, respectivement si des paiements avaient déjà été faits et pourquoi le choix de l’appeler en garantie serait tombé sur lui-même et pas sur les deux autres gérants, (iv) que la faute incomberait à son frère, qui aurait joué le rôle primordial dans la société … pour avoir singé et résilié des contrats de travail, pour avoir procédé à la modification des statuts de la société, pour avoir été en possession de l’autorisation d’établissement et pour avoir eu une procuration sur les comptes de la société …, rôle, duquel il aurait cependant abusé.

En revanche, le tribunal examinera exclusivement les moyens et arguments du demandeur dirigés contre la décision du directeur du 25 juillet 2019 en matière de remise gracieuse, développés exclusivement dans son mémoire en réplique.

A l’appui de son recours dirigé contre la décision directoriale du 25 juillet 2019, Monsieur … avance que sa situation personnelle serait très précaire, alors qu’il serait, depuis l’année 2017, tributaire de ses parents et connaissances ainsi que des aides sociales pour bénéficier du revenu d’inclusion sociale. Il habiterait encore un appartement mis à sa disposition gratuitement, de sorte qu’il vivrait d’un revenu mensuel d’uniquement ….-€. Cette situation économique des plus précaires ne lui permettrait pas de vivre décemment, et le paiement de l’impôt lui réclamé suivant bulletin d’appel en garantie du 9 juin 2017, compromettrait son existence.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de recours pour ne pas être fondé.

Aux termes du paragraphe 131 AO, une remise gracieuse se conçoit « dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ».

Il résulte de cette disposition qu’une remise gracieuse n’est envisageable que, soit objectivement ratione materiae, si objectivement l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur, soit subjectivement ratione personae dans le chef du contribuable concerné, si la perception de l’impôt apparaît comme constituant une rigueur incompatible avec le principe d’équité, sa situation personnelle étant telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables.

Une demande de remise d’impôt s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de 13 la fixation de cette même dette. La fonction de la remise en équité ne saurait être d’abolir les délais pour exercer un droit5.

Il convient encore de préciser qu’une rigueur objective ne peut pas résulter d’une fausse application de la loi fiscale, étant donné que la voie de la remise gracieuse est exclusive de celle contentieuse de la fixation de l’impôt. Admettre le contraire reviendrait à admettre que l’intégralité du contrôle de la légalité soit reportée dans la procédure de remise gracieuse et toute demande en remise gracieuse devrait dans cette logique aboutir invariablement chaque fois qu’une illégalité est constatée, l’intention du législateur n’ayant jamais pu être d’admettre qu’une imposition soit faite contrairement aux textes ou en méconnaissance de la réalité économique6.

En l’espèce, force est de constater que le demandeur n’invoque aucune rigueur objective dans son chef, mais se contentant en effet d’invoquer une rigueur subjective résultant de sa situation financière précaire.

En ce qui concerne les éventuelles raisons subjectives pouvant justifier une remise gracieuse, dont l’existence s’apprécie au jour où le tribunal est amené à statuer, il échet de constater qu’il ne saurait y être fait droit que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables.

Or, outre son état d’indigence, le contribuable doit mériter la mesure de remise gracieuse. Il doit être digne de clémence. Ainsi, sa mauvaise situation économique ne doit pas lui être imputable et il doit toujours avoir rempli consciencieusement ses obligations fiscales, la fonction de la remise en équité n’étant pas de libérer le contribuable, qui a agi fautivement, de sa charge d’impôt7.

En l’espèce, et si les pièces versées en cause par Monsieur … permettent certes a priori, d’établir qu’en vue de la situation financière dans laquelle il se trouve actuellement, le paiement de l’impôt est susceptible d’affecter sensiblement son existence économique, il n’en reste pas moins que, comme constaté ci-avant, ce dernier a fait l’objet d’un bulletin d’appel en garantie en date du 9 juin 2017 le déclarant, en sa qualité de gérant de la société en faillite …, débiteur d’un montant total de ….-€, en principal et intérêts, résultant de retenues d’impôt sur les traitements et salaires non réalisées pour les années 2014 à 2016. Il convient encore de relever que ledit bulletin d’appel en garantie, confirmé par la décision du directeur du 1er mars 2018, est entretemps coulé en force de chose décidée, le demandeur n’ayant pas remis en cause le bien-fondé, respectivement la légalité de la décision du 1er mars 2018 en temps utile.

Or, dans ledit bulletin d’appel en garantie, confirmée par décision du 1er mars 2018, le demandeur a explicitement été désigné comme responsable, en sa qualité de gérant de la société …, de la retenue d’impôt sur salaires et traitements pour les années 2014 à 2016 et ce, sur base du paragraphe 103 AO, tout en retenant que la non-continuation des retenues d’impôt en question à l’administration des Contributions directes est à qualifier de fautive, étant rappelé à cet égard que dès lors que le débiteur du revenu a opéré la retenue sans la continuer 5 Trib. adm., 17 octobre 2001, n° 13099 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 733 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 28 janvier 2004, n° 16541 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 733 et les autres références y citées.

7 Cour adm., 21 janvier 2021, n° 44766C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 778.

14 au fisc et a de ce fait nécessairement détourné les sommes retenues à d’autres fins, son comportement est en règle générale à considérer comme fautif puisque celui qui opère des retenues ne peut ignorer que la loi qui l’oblige à effectuer les retenues l’oblige également de transférer ces fonds au receveur8. Le demandeur a ainsi fait preuve d’une légèreté, respectivement d’une insouciance impardonnable qui doit être considérée comme faute grave, étant encore relevé qu’en ne donnant pas aux montants correspondant aux retenues sur salaires l’affectation qu’ils doivent recevoir, le représentant d’une société détourne lesdits montants à d’autres fins, ce qui constitue à l’évidence une inexécution gravement fautive de ses devoirs9.

Ainsi, et eu égard à l’origine de la dette fiscale litigieuse, retenue à travers des décisions coulées en force de chose décidée, le demandeur ne saurait actuellement valablement prétendre que sa situation économique difficile ne lui serait pas imputable et qu’il aurait toujours rempli consciencieusement ses obligations fiscales.

Dans la mesure où le tribunal a retenu ci-avant que la fonction de la remise en équité ne saurait être de permettre au contribuable, ayant agi fautivement, de se voir libérer de sa charge d’impôt et qu’il ressort des considérations qui précèdent que Monsieur … n’a pas rapporté la preuve d’une rigueur subjective dans son chef, le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du directeur de l’administration des Contributions directes des 1er mars 2018 et 25 juillet 2019 ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

déclare le recours irrecevable ratione temportis pour autant qu’il est dirigé contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 1er mars 2018, partant le rejette ;

déclare le recours dirigé contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 25 juillet 2019 recevable ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er février 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, 8 Trib. adm., 22 mai 2013, n° 31503 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 568 et les autres références y citées.

9 Voir, p. ex. : Trib. adm., 1er juin 2016, n° 36298 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

15 Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er février 2022 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 43699
Date de la décision : 01/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-01;43699 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award