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01/02/2022 | LUXEMBOURG | N°43467

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 février 2022, 43467


Tribunal administratif N° 43467 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 août 2019 3e chambre Audience publique du 1er février 2022 Recours formé par la société anonyme … SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43467 du rôle et déposée le 21 août 2019 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme … SA, établie et ay

ant son siège social à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le...

Tribunal administratif N° 43467 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 août 2019 3e chambre Audience publique du 1er février 2022 Recours formé par la société anonyme … SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43467 du rôle et déposée le 21 août 2019 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme … SA, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son administrateur unique actuellement en fonctions, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 20 mai 2019 portant rejet de la réclamation introduite contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux et de l’impôt commercial communal de l’année 2017, tous émis le 17 octobre 2018 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2019 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2020 par la société anonyme … SA, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur … et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 novembre 2020 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 11 novembre 2021 prononçant la rupture du délibéré en vue d’un changement de composition ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, et Monsieur … en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 décembre 2021.

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Suite au dépôt des déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial de l’année 2017, le bureau d’imposition Sociétés … de l’administration des Contributions directes, informa, par courrier du 1er octobre 2018, la société anonyme … SA, ci-après désignée par la « société …», sur le fondement du paragraphe 205 alinéa 3 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », qu’il envisageait de dévier des déclarations fiscales telles que déposées par ladite société pour 1 l’exercice 2017, tout en l’invitant à formuler ses éventuelles objections de façon écrite jusqu’au 26 octobre 2018. Ledit courrier est formulé comme suit :

« […] En vertu du paragraphe 205 alinéa 3 de la loi générale des impôts (AO), je vous informe, préalablement à l’imposition, qu’il sera dérogé à votre déclaration pour impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal de l’année 2017 sur le(s) point(s) suivant(s):

°La part privée des frais suivants est évaluée à :

- Direction : …€, - Réceptions et frais de représentation : …€, - Carburants : …€, - Marchandises: …€ °Loyer «L-… » déduit auprès de … sàrl, donc non déductible auprès de …s.a : …€.

Traitement fiscal : Les montants mentionnés seront ajoutés hors bilan au résultat déclaré et soumis à une retenue sur les revenus de capitaux de 15%. […] ».

Par courrier électronique du 5 octobre 2018, la société …formula ses observations à l’égard de l’imposition envisagée par le bureau d’imposition.

En date du 17 octobre 2018, le bureau d’imposition Sociétés … de l’administration des Contributions directes, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit à l’égard de la société … les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux en y indiquant pour l’année 2017 : « […] Redressement suivant notre lettre du 01.10.2018 (votre réponse du 05.10.2018 bien reçue) […] ».

En date du même jour, le bureau d’imposition émit encore à l’égard de la société …les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2017 en ajoutant une distribution cachée de bénéfices de …-€ et en indiquant « […] Distribution cachée de bénéfice, voir explications sur le bulletin de la retenue sur les revenus de capitaux […] ».

Toujours le 17 octobre 2018, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société … le bulletin de l’impôt commercial communal de l’année 2017, le bulletin sur la fortune au 1er janvier de l’année 2018, ainsi que le bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier de l’année 2018.

Par un courrier daté au 31 décembre 2018, la société … fit introduire une réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux et de l’impôt commercial communal de l’année 2017, auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », qui fut réceptionnée le 2 janvier 2019 et portée au rôle du contentieux sous le numéro … Par décision du 20 mai 2019, le directeur rejeta la réclamation introduite par la société …dans les termes suivants :

« […] Vu la requête introduite le 2 janvier 2019 par le sieur …, au nom de la société anonyme …, ayant son siège social à L-…, pour réclamer contre « le bulletin d’imposition 2017 » ;

2 Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 228, 235, numéro 5 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que la requête ne désigne pas de façon précise la décision qu’elle entend attaquer ; que par application du principe de l’effet utile selon lequel la jurisprudence tend, sur le fondement du § 249, alinéas 1er et 2 AO, à interpréter les requêtes des contribuables selon l’intention qu’elles manifestent plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes employés, la requête est à considérer comme étant dirigée contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux et de l’impôt commercial communal de l’année 2017, tous émis le 17 octobre 2018 ;

Considérant que le bulletin de l’impôt commercial communal de l’année 2017 est critiqué à l’aide de moyens qui visent le bulletin de la base d’assiette y afférente ; qu’en application du paragraphe 5 de la 2e GewStVV du 16 novembre 1943 et de la GewStR 13 (cf.

paragraphe 7 GewStG.), le bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2017 se trouve affecté d’office pour le cas où il résulterait du recours sous analyse une variation du bénéfice d’exploitation soumis à l’impôt commercial communal ;

Considérant qu’en vertu de son pouvoir discrétionnaire, il est loisible au directeur des contributions de joindre des affaires si elles lui paraissent suffisamment connexes (cf. Conseil d’Etat du 6 février 1996, n° 8925 du rôle) ; qu’en l’espèce, les réclamations ayant le même objet, il échet, dans l’intérêt d’une bonne administration de la loi, de les joindre pour y statuer ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elles sont partant recevables ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition d’avoir admis des distributions cachées de bénéfices d’un montant de … euros pour l’année 2017 en relation avec des frais de direction, de réceptions et de représentation, de carburant, d’achat de marchandises et de location ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la requérante, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ;

qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant qu’en vertu de ses statuts de constitution, la réclamante a pour objet social « l’exécution de toutes prestations se rapportant à la profession de comptable. Elle pourra également effectuer le contrôle contractuel des comptes, donner des conseils en matière fiscale, créer des sociétés et des succursales, s’occuper du secrétariat, organiser et tenir les comptabilités et analyser par des procédés de la technique comptable la situation et le fonctionnement des entreprises sous leurs différents aspects économiques, juridique, financier et aussi sous-traiter les travaux comptable (sic). L’objet est également étendu à la formation et au recrutement dans le domaine de la comptabilité et de la gestion (sic) toutes 3 les opérations se rapportant directement ou indirectement à la prise de participations sous quelque forme que ce soit, dans toute entreprise luxembourgeoises (sic) ou étrangères (sic), ainsi que l’administration, la gestion, le contrôle et le développement de ces participations.

Elle pourra notamment employer ses fonds à la création, à la gestion, au développement, à la mise en valeur et à la liquidation d’un portefeuille se composant de titres et brevets de toute origine, participer à la création, au développement et au contrôle de toute entreprise, acquérir par voie d’apport, de souscription, de prise ferme ou d’option d’achat et de toute autre manière, tous titres et brevets, les réaliser par voie de vente, de cession, d’échange ou autrement…» ;

Considérant qu’au niveau de sa déclaration pour l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial, la société déclara un bénéfice d’exploitation d’un montant de … euros par rapport à un chiffre d’affaires de … euros ; qu’après vérification de cette déclaration, le bureau d’imposition lui demanda, en date du 10 août 2018, des explications et données supplémentaires ; qu’il sollicita notamment des explications au sujet des comptes suivants - participations détenues dans des entreprises liées, - compte de régularisation, - achats de biens, - achats non stockés, - frais de marketing, - salaires et traitements, - ventes d’éléments destinés à la revente, - prestations de services, - autres éléments du chiffre d’affaires, - loyers et charges et rémunérations d’intermédiaires ;

Considérant que la société fournit un certain nombre d’éléments concluants, mais resta pourtant en défaut de justifier l’ensemble des dépenses sur lesquelles portait la requête du bureau d’imposition ; qu’aussi, celui-ci lui demanda des données supplémentaires concernant certaines dépenses, et la réponse de la requérante du 13 septembre 2018 n’ayant toujours pas apporté les éclaircissements requis, le bureau d’imposition lui envoya, en date du 1er octobre 2018, une lettre exposant les redressements qu’il entendait faire par rapport au bénéfice déclaré ; que par un courrier du 5 octobre 2018, la réclamante contesta l’ensemble de ces redressements, se limitant toutefois à en critiquer le principe sans apporter d’éléments nouveaux ou d’explications concluantes permettant de les invalider ; qu’elle affirma que l’ensemble des dépenses déclarées étaient liées à l’activité de la société et demanda que lui soient détaillées les factures précises jugées d’ordre privé par le bureau ; qu’en conséquence, le bureau d’imposition émit les bulletins en cause en date du 17 octobre 2018, majorant le bénéfice déclaré de … euros, montant qu’il soumit à la retenue d’impôt sur revenus de capitaux ; que ce montant représente notamment la somme des dépenses suivantes :

Objet de la dépense Montant déclaré Montant non admis Frais de direction … euros … euros Réceptions et représentation … euros … euros Carburant … euros … euros Achats de marchandises … euros … euros Loyer d’un commerce à … … euros … euros Total … … euros 4 Considérant que, jugeant ces redressements injustifiés, la requérante explique à travers sa réclamation que les dépenses en cause n’auraient pas été faites au profit de son actionnaire et gérant, mais bien au profit de la société elle-même, dont elles auraient servi à assurer les activités ; qu’elle expose notamment que la « société … S.A. détient deux autorisations d’établissement (..) l’autorisation « Commerce et autres services commerciaux » ainsi que l’autorisation de « Comptable ». Etant donné qu[elle est] autorisée à faire du commerce, [elle a] acheté pour … EUR de marchandise destiné (sic) à la revente. Ce montant se décompose de la manière suivante : … EUR : Achat de véhicule d’occasion (revendu l’année même) (…), … EUR : Achat de véhicule d’occasion (en cours de réparation) (…), … EUR: Achat de montre destiné (sic) à la revente (…) » ; qu’au sujet des frais de direction, elle fait valoir que « [son gérant] doit faire beaucoup de déplacement (sic) nationaux et internationaux car 95% de [sa] clientèle ne vient pas dans [son] bureau … De ce fait, [il] doit se déplacer [lui]-même chez les clients. (…). [La société] a plus de 8 clients en Suède, plusieurs en Belgique et en France à plus de 300 KM et 95% de [ses] clients Luxembourgeois (sic) sont à 85 KM du siège social. (…) [Elle] participe aux missions économiques et conférences organisées par la Chambre de commerce de Luxembourg, Luxembourg for Finance et d’autres organisations pour promouvoir votre société et attirer des entrepreneurs au Luxembourg. (Lituanie, Dubaï, Paris, Bruxelles, Stockholm, Pays bas (sic), Londres, République Tchèque …) » ; qu’à l’appui de ses propos, elle a joint à sa réclamation une panoplie de billets, notes et tickets de caisse afin de justifier aussi bien les frais de direction que les frais de carburant et les frais de réceptions et de représentation ; qu’au sujet des loyers en rapport avec le bureau situé à …, elle explique que « … S.A. a repris le bail d’… SARL au mois de février 2017. Les employés travaillent dans ces locaux. Le contrat de bail a bien été changé en conséquence. (Pièce N° 8) » et a annexé à sa requête une copie d’un extrait de la balance de la société … s.à r.l. ;

Considérant qu’en vertu de l’article 164, alinéa 3 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.), il y a distribution cachée de bénéfices si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ; que cette disposition entérine l’application du principe suivant lequel il y a lieu, pour les besoins du fisc, de restituer aux actes leur véritable caractère et doit partant s’interpréter en fonction de cette finalité (Conseil d’État du 13 janvier 1987, n° 6690 du rôle ; décision directoriale C 9679) ;

Considérant que d’après l’article 45, alinéa 1er L.I.R., les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise constituent des dépenses exploitation déductibles ; qu’il faut donc analyser si les montants reconsidérés par le bureau d’imposition comme distributions cachées de bénéfices constituent des dépenses d’exploitation au sens de l’article 45 L.I.R. ;

Considérant qu’il résulte des comptes annuels présentés par la réclamante en annexe de ses déclarations fiscales que les dépenses en question se composent notamment de frais de carburant, de frais de réceptions et de représentation et de frais de direction, tous liés, d’après les explications de la requérante, soit à des visites rendues à ses clients, soit à des voyages et conférences entrepris à des fins de promotion ;

Considérant que les frais de voiture, les frais de représentation et les frais de voyage provoqués exclusivement par l’activité professionnelle constituent des dépenses d’exploitation (article 45) et sont à porter en déduction du résultat de cette activité ;

5 Considérant que si, en principe, il incombe aux contribuables de fournir la preuve de la totalité des déplacements à des fins de détermination de la part de l’utilisation professionnelle au moyen notamment d’un carnet de bord, les contribuables doivent au moins, en l’absence de ce moyen de preuve, pouvoir présenter des annotations et autres pièces à l’appui pouvant être raisonnablement prises en considération pour étayer une quote-part professionnelle justifiée ;

Considérant que « la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable. A ce titre, en ce qui concerne la question de la déductibilité de dépenses, il appartient non seulement au contribuable de rapporter la preuve de l’existence matérielle de ces dépenses - c’est-à-dire que les dépenses alléguées ont causé une diminution effective du patrimoine du contribuable - mais encore la preuve de la relation économique de la dépense alléguée avec la catégorie de revenu choisie. Plus particulièrement, en ce qui concerne des dépenses d’exploitation, il appartient à cet égard au contribuable, en application des articles 12 et 45 L.I.R. de rapporter la preuve que les frais mis en avant se rapportent exclusivement à l’exploitation de l’entreprise, cette obligation de preuve pouvant encore, dans certains cas, être renforcée » (Tribunal administratif du 23 mars 2009, n° 24703 du rôle) ;

Considérant qu’au niveau de sa déclaration pour l’impôt sur le revenu des collectivités, la société a fait valoir des frais de carburant de … euros ; qu’au niveau de sa réclamation, cherchant à justifier les frais déclarés, elle a présenté des tickets de caisse pour des achats de diesel et d’essence dont la somme, sans compter les copies doubles, ne dépasse pas un montant de … euros ; que l’ensemble des tickets n’est ni annotée ni mis en rapport avec un déplacement particulier ; que la réclamante n’a pas non plus présenté des carnets de bord relatant les déplacements effectués en cours d’année et permettant de retracer les trajets parcourus et leur but ; qu’elle n’a ni précisé quels étaient ses clients ni à quelles date et lieu son gérant les aurait rencontré ; qu’en guise de justificatif des déplacements, elle a fourni comme seules pièces un formulaire concernant sa participation à une mission économique aux Emirats Arabes Unis en février 2017, une invitation à un sommet de commerce et d’investissement en Ukraine en avril 2018, organisé par la région Flandres, un document concernant une participation à une mission de la Chambre de commerce en Lituanie en octobre 2017, un remerciement concernant sa participation à une réunion de Luxembourg for Finance à Paris en décembre 2018, un autre remerciement pour sa participation à une réunion de Luxembourg for Finance à Stockholm en mai 2017 et un dernier remerciement pour sa participation à une conférence de l’ALFI à Londres en mai 2018 ; qu’outre les évènements n’ayant pas eu lieu au cours de l’année 2017, il a pu être constaté sur les pièces présentées, i.e. les notes d’hôtels et de restaurant, que le gérant de la société requérante s’est effectivement déplacé aux Emirats Arabes Unis au mois de février, à Stockholm en mai et en Lituanie au mois d’octobre ; que compte tenu des pièces présentées, ces déplacements ont assurément un lien avec l’activité de la réclamante ; qu’au vu de l’ensemble des notes d’hôtels et de restaurant ainsi que des billets d’avion, de train et de parking présentés, il a cependant pu être constaté que son gérant a encore voyagé à Paris fin février et à la mi-mars, en Suède de fin mars à début avril, à Enghien-les-Bains fin mai, encore en Suède à la mi-juin, en République tchèque du 20 au 23 juin, en Suède de fin juin à début juillet et au début du mois d’août, à Saint-Malo à la mi-août, en Suède fin août et fin septembre, aux Pays-Bas début octobre et à Bruxelles à la mi-novembre ; que parmi tous les déplacements constatés, un lien évident avec l’activité de la société a pu être établi pour trois voyages seulement, la 6 requérante restant en défaut d’exposer de façon circonstanciée dans quel but précis ou à quelles fins déterminées tous les autres voyages eurent lieu ;

Considérant qu’il faut encore remarquer que la requérante déclara des frais de direction d’un montant de … euros et des frais de réceptions et de représentation d’un montant de … euros, alors que résultent de la vérification des pièces fournies des montants de … euros pour les frais de direction et de … euros seulement pour les frais de réceptions et de représentation ;

Considérant que « les frais de restaurant causés par une invitation de l’exploitant au bénéfice de fournisseurs ou clients constituent des dépenses d’exploitation s’analysant en des avantages alloués à des personnes déterminées dont le bureau d’imposition peut exiger, sur pied du paragraphe 205a (2) A. O., la désignation exacte des bénéficiaires par le contribuable, de sorte que le contribuable se trouve soumis à une obligation renforcée de preuve d’une relation économique avec son entreprise, entraînant qu’il devrait être en mesure de justifier concrètement le montant des frais de représentation par lui ainsi mis en avant » (Tribunal administratif du 12 février 2003, n° 14855 du rôle) ;

Considérant qu’il en résulte que, en matière de preuve, les notes, tickets de caisse et factures présentés par la requérante ne peuvent être considérés comme concluants, tout comme ne le peuvent les affirmations non autrement étayées concernant les visites de clients ;

que ces justificatifs, quoiqu’ils permettent d’établir la réalité d’une partie des frais déclarés ne sauraient servir de moyens de preuve concluants pour justifier un lien entre les déplacements, voyages et invitations du gérant et l’objet de la société ;

Considérant qu’un gestionnaire même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, n’assumerait pas des frais dont la relation avec l’activité de la société n’est pas clairement établie ; qu’ainsi, « l’administration peut supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise si les circonstances la rendent probable, sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas de diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées » (Tribunal administratif du 9 juin 2008, n° 23324 du rôle et Cour administrative du 11 février 2009, n° 24642c du rôle) ;

Considérant que le montant de la distribution cachée de bénéfices évalué par le bureau d’imposition pour les frais de carburant, de direction et de représentation est à confirmer ; que la requérante ayant su établir, en partie toutefois, la réalité des dépenses qu’elle fit valoir sans cependant justifier un rapport effectif de leur totalité avec son activité, le bureau d’imposition a, de bon droit, procédé à la taxation des dépenses liées à l’exploitation, le § 217 AO prévoyant expressément le procédé de la taxation pour les cas où les bases d’imposition ne peuvent pas être déterminées autrement ;

Considérant que les distributions mises en compte comprennent, à côté des frais de direction, de carburant et de représentation, encore des achats de marchandises et des loyers d’un montant de … euros, respectivement … euros ; que les achats de marchandises en cause représentent notamment l’achat de deux voitures d’occasion au prix de … euros, respectivement … euros, et celle d’une montre de collection au prix de … euros ; que le bureau d’imposition jugea ces dépenses de nature privée et ne les considéra pas comme des 7 dépenses d’exploitation ; qu’expliquant disposer d’une autorisation d’établissement portant sur une activité de « commerce et autres services commerciaux », la réclamante affirme avoir acquis ces biens dans le but de les revendre à gain et précise d’ailleurs avoir revendu la voiture achetée à … euros au prix de … euros ; que suivant ses propos, ni la seconde voiture ni la montre bracelet n’ont été revendues à la date que porte sa réclamation ;

Considérant qu’à part l’autorisation d’établissement citée, la réclamante n’a fourni aucune explication au sujet de ces opérations pourtant étrangères à son objet social statutairement fixé de sorte que leur utilité présumée reste obscure ; que malgré le fait qu’il est loisible à toute société de poser tous actes de commerce qui lui semblent propices à la réalisation de son objet, encore faut-il qu’il y ait une relation effective avec son objet social ou la réalisation de son objet social ; que les opérations d’achat et de vente de voitures d’occasion ou de bijoux ne font pas partie, même indirectement, des objets sociaux de la requérante ni ne sauraient contribuer, de quelque manière que ce soit, à leur réalisation ; que ces transactions poursuivaient manifestement des desseins étrangers à l’activité de la réclamante ; qu’en conséquence, les achats en cause n’auraient pas dû être actes au nom et pour compte de la requérante et les dépenses y relatives ne représentent pas des dépenses d’exploitation déductibles ;

Considérant que la requérante a son siège social à l’adresse … à … ; qu’elle y a pris à bail un bureau de 55 m2 contre un loyer de … euros au profit de son associé et gérant ;

qu’elle a encore fait valoir, parmi les dépenses déclarées, des termes de loyers payés pour une surface commerciale située dans la … à …, d’un montant mensuel de … euros ; que le bureau d’imposition ne porta en déduction que les seuls loyers réglés pour le bureau à …, puisque la location du commerce à … aurait profité à la société « … s.à r.1. » qui aurait occupé cet immeuble depuis le début du bail ; qu’à travers sa réclamation, la requérante explique que le contrat de bail aurait été modifié au mois de février 2017, courrait désormais à son nom et que son personnel y travaillerait ; qu’à l’appui de ces explications, elle a annexé à sa réclamation un extrait des comptes annuels de la société « … s.à r.l. » montrant quelle-ci n’a réglé qu’un seul terme de loyer de … euros au cours de l’année en cause ;

Considérant qu’à côté de la société « … », le requérante compte encore au titre de sociétés liées les sociétés « … » et « … » ; que la constitution de cette dernière datant de l’année 2018 seulement, il n’en reste pas moins que le nombre de sociétés établies à … - et exerçant leurs activités aussi bien à … que vraisemblablement à … - s’établit à trois ; que le contrat de bail qu’a repris la réclamante au mois de février 2017 et dont elle a précisé avoir annexé une copie à sa requête, n’est autre que le contrat d’origine, signé le 30 mars 2013 par le bailleur et les deux sociétés « … s.a. » et « … s.à r.l. » alors que la requérante semblait évoquer un nouveau contrat ; que la requérante étant encore restée en défaut d’en fournir toute preuve de paiement, le débiteur effectif des loyers n’a pas pu être déterminé de façon certaine ;

Considérant qu’il en résulte que, à défaut d’avoir su établir à suffisance d’une part, la réalité des frais de location, et d’autre part la relation des frais de carburant, de direction, de représentation de même que les achats de deux voitures d’occasion et d’une montre de collection avec l’objet social de la société requérante, les dépenses litigieuses sont à considérer, pour la première, comme n’étant pas une dépense à charge de la requérante, et pour les suivantes, comme des dépenses à caractère mixte, provoquées tant par des motifs d’ordre privé que des motifs d’ordre professionnel ; que ces dépenses tombent sous 8 l’interdiction de déduction formulée par l’article 12 L.I.R., étant donné qu’il reste impossible, d’après des critères objectifs et vérifiables, de procéder à une ventilation nette entre les dépenses liées à la vie privée du gérant et celles liées à l’activité commerciale de la société ;

Considérant qu’un gestionnaire même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, n’assumerait pas des frais dont la relation avec l’activité de la société n’est pas clairement établie ; qu’en l’espèce, le gérant et actionnaire unique a entendu déduire des dépenses privées par le biais des biens sociaux de la société requérante ; qu’il faut en conclure que les dépenses litigieuses ne peuvent être considérées comme des dépenses d’exploitation au sens de l’article 45 L.I.R. et qu’aussi bien la majoration du résultat d’exploitation de la requérante que la mise en compte d’une distribution cachée de bénéfices sont à confirmer ;

Considérant qu’en vertu de l’article 146 L.I.R., les distributions cachées de bénéfices doivent faire l’objet d’une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux au même titre que les distributions ouvertes de bénéfices ;

Considérant qu’aux termes de l’article 148, alinéa 1er L.I.R., le taux de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux applicable pour l’année 2017 est de 15%, à moins que le débiteur des revenus ne prenne à sa charge l’impôt à retenir, ce qui, même en matière de distribution cachée de bénéfices, n’est jamais présumé ; qu’il en résulte que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a fixé le montant de la retenue sur revenus de capitaux de l’année 2017 à … euros ;

Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d’ailleurs pas autrement contestées ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées. […] ».

Par requête déposée le 21 août 2019 au greffe du tribunal administratif, la société … a fait introduire un recours contre la décision précitée du directeur du 20 mai 2019, prise sur réclamation.

A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la nature du recours introduit contre la décision précitée du directeur du 20 mai 2019, étant donné que le paragraphe 228 AO lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, prévoit un recours en réformation en la matière.

La société demanderesse a précisé qu’elle a entendu introduire le recours prévu par la loi.

Etant donné que le paragraphe 228 AO lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, prévoit un recours de pleine juridiction en ce qui concerne le recours dirigé par 9 un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin, le tribunal est compétent pour statuer en tant que juge du fond en la matière.

Dans la mesure où le recours en réformation sous analyse a encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’audience publique des plaidoiries, la société …a, quant à elle, sollicité l’allocation de dommages et intérêts d’un montant de 2.000.-€.

A cet égard, il convient de relever qu’outre le fait que le tribunal n’a pas à prendre en considération les développements oraux d’un demandeur alors qu’il lui aurait été loisible de formuler une telle demande dans le cadre de ses mémoires, le tribunal doit se déclarer matériellement incompétent pour statuer sur la même demande, alors qu’une demande en réparation d’un dommage, quel qu’il soit, a toujours un objet civil, de sorte que les tribunaux administratifs sont incompétents pour connaître d’une demande en allocation de dommages et intérêts1.

Ensuite et à l’appui de son recours, la société … expose tout d’abord, qu’elle serait détentrice de deux autorisations d’établissement pour son activité de « Commerce et autres services commerciaux » et celle de « Comptable » et que dans la mesure où elle serait autorisée à faire du commerce, elle aurait acheté des marchandises destinées à la revente pour un montant total de …-€, en l’occurrence, deux véhicules d’occasion pour un prix d’achat de …-€, respectivement de …-€ ainsi qu’une montre pour un montant de …-€.

En ce qui concerne le véhicule acheté pour ….-€, la société … fait valoir que vu son âge de 11 ans et son kilométrage, celui-ci aurait pu servir pour la durée maximale d’une année, de sorte qu’il aurait été prévu de le revendre la même année, vente qui aurait finalement eu lieu en date du 11 décembre 2017 pour un prix de …-€. La demanderesse ajoute que le prix de vente se justifierait compte tenu des problèmes techniques et des réparations à prévoir par le nouveau propriétaire. Elle en conclut que l’achat et la revente de ce véhicule justifieraient une utilisation purement professionnelle, la société demanderesse soulignant qu’elle serait en mesure de justifier le kilométrage parcouru avec le relevé kilométrique. Le véhicule acheté pour …-€ en date du 28 décembre 2017, aurait quant à lui servi à remplacer celui acheté pour …-€, la société demanderesse soulignant encore que cette voiture aurait nécessité des réparations, de sorte qu’il lui aurait été impossible de la revendre avant la fin de l’année 2017 et que le but de cette acquisition aurait également été de générer une plus-value à la revente. Ces deux véhicules auraient dès lors été utilisés à titre purement professionnel.

Elle explique ensuite que la montre d’une valeur de …-€ aurait été achetée par pure opportunité en raison de son prix et que l’intention de cet achat aurait été de la revendre dans quelques années en générant également un bénéfice professionnel.

En ce qui concerne les postes « Direction » et « Réceptions et représentation », la société … conteste que la moitié des dépenses déclarées auraient été considérées comme des dépenses privées. Elle fait valoir que son administrateur-délégué devrait faire beaucoup de déplacements nationaux et internationaux. Elle aurait ainsi 8 clients en Suède, plusieurs en Belgique, et en France et ce à plus de 300 km et 95% de ses clients se trouveraient à plus de 1 Trib. adm. (prés), 7 décembre 2007, n° 23703 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Compétence, n° 56 et les autres références y citées.

10 85 km de son siège social. Elle s’appuie à cet égard sur une liste détaillée reprenant les dates des déplacements, les personnes rencontrées, les lieux de réunion, ainsi que la distance parcourue par son administrateur-délégué. Elle souligne encore que son administrateur-

délégué participerait aux missions économiques et aux conférences organisées par la Chambre de Commerce de Luxembourg, Luxembourg For Finance, ainsi que par d’autres organisations pour promouvoir la place financière luxembourgeoise et attirer des entrepreneurs au Luxembourg. A cet égard, elle estime que les frais d’essence concernant ces voyages auraient été sous-estimés par le directeur, la société demanderesse soulignant que ces mêmes frais seraient élevés à …-€ pour 56.000 km parcourus avec un véhicule qui consomme 8 litres sur 100 km.

En ce qui concerne les frais de location du bureau, la société demanderesse conteste le refus du directeur de prendre en compte la déductibilité des loyers du bureau situé à L-…, en avançant qu’elle aurait repris le bail de la société à responsabilité limitée … SARL au mois de février 2017 et que ses employés travailleraient dans ces locaux. A l’appui de ses prétentions, elle verse un contrat de bail ainsi que des preuves de paiement dudit loyer.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé. Après s’être référé aux dispositions des articles 45, 12 et 164, alinéa 3 de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR », ainsi qu’à l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », il fait d’abord valoir, en ce qui concerne l’achat des marchandises litigieuses, que ces achats n’auraient pas été effectués en vue d’une utilisation purement professionnelle étant donné que ces opérations seraient étrangères à l’objet social de la société demanderesse pour ne pas contribuer à sa réalisation.

Ce serait dès lors à juste titre que le directeur aurait refusé la déduction des dépenses y relatives de …-€.

En ce qui concerne les frais de direction, de réception et de représentation, il estime que ce serait à juste titre que le directeur a refusé la déduction de l’intégralité des frais déclarés. Après avoir rappelé que la charge de la preuve en ce qui concerne l’existence matérielle des dépenses ainsi que la relation économique des dépenses avec la catégorie de revenu visée incomberait à la société demanderesse, le délégué du gouvernement fait valoir que seules les dépenses d’exploitation qui auraient un lien exclusif avec l’exploitation de la société seraient déductibles, de sorte que le directeur pourrait ainsi refuser la déduction de dépenses dont le lien avec l’activité ne serait pas établi avec certitude à l’aide de pièces justificatives. Or, la liste de ses clients, ainsi que le relevé kilométrique comportant une liste de déplacements effectués au cours de l’année 2017 versés en cause ne permettraient pas d’établir à suffisance si tous les frais déclarés avaient effectivement été pris en charge par la société demanderesse et s’ils présentaient un lien exclusif avec l’exploitation de l’entreprise.

Concernant finalement les frais de location du bureau à …, le délégué du gouvernement fait valoir qu’étant donné que le directeur n’aurait pas disposé les pièces versées en cause par le demandeur, il aurait valablement pu refuser la déduction des faits de location à hauteur de …-€.

Dans son mémoire en réplique, la société … ajoute, en ce qui concerne l’achat de marchandises, que son objet social tel que résultant de l’extrait du registre de commerce ne serait pas complet, mais qu’il conviendrait de se rapporter à ses statuts publiés, desquels il 11 résulterait qu’elle pourrait réaliser toute opération financière, mobilière, immobilière, commerciale et industrielle qu’elle juge utile dans la réalisation et au développement de son objet social. A cela s’ajouterait qu’elle détiendrait une autorisation d’établissement « Commerce et autres services commerciaux » pour faire de telles opérations. Elle explique encore que la voiture achetée pour …-€ fin 2017 aurait été vendue le 26 août 2019 aux prix de …-€, de sorte qu’elle aurait généré une plus-value.

La société demanderesse verse ensuite une farde contenant les factures des frais de direction, de réception et de représentation contenant des annotations qui seraient en concordance avec le suivi du relevé kilométrique également versé en cause.

Il convient en premier lieu de relever qu’en ce qui concerne la charge de la preuve au cours de la procédure contentieuse se déroulant devant le tribunal administratif, conformément à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable.

Dès lors, en ce qui concerne plus particulièrement la question de la déductibilité de dépenses d’exploitation au sens de l’article 45 LIR, aux termes duquel « Sont considérées comme dépenses d’exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise », il appartient non seulement au contribuable de rapporter la preuve de l’existence matérielle de ces dépenses, c’est-à-dire que les dépenses alléguées ont causé une diminution effective de son patrimoine, mais encore la preuve de la relation économique de la dépense alléguée avec la catégorie de revenu choisie.

D’autre part, et dans la mesure où la partie étatique a refusé la déductibilité des dépenses sous le couvert de la qualification de la distribution cachée de bénéfices au sens de l’article 164, alinéa (3) LIR, aux termes duquel « les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité », il convient encore de prendre en compte les règles de preuve y relatives telles que retenues par la jurisprudence des juridictions administratives.

En effet, conformément à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999, en vertu duquel la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose en premier lieu sur le bureau d’imposition. Celui-ci doit, en effet, procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever des éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfices. Ainsi, c’est essentiellement lorsque le bureau d’imposition peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable que le bureau d’imposition peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées2.

2 Cour adm., 12 février 2009, n° 24642C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 591 et les autres décisions y visées.

12 De manière générale, il convient encore de relever que si, en la présente matière, le tribunal est certes investi du pouvoir de statuer en tant que juge du fond et qu’il est ainsi investi du pouvoir de substituer à une décision administrative jugée illégale sa propre décision, il n’en demeure pas moins que s’il est saisi d’un recours contentieux contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer s’effectue en principe dans le cadre des moyens invoqués par la partie demanderesse pour contrer les points spécifiques de l’acte déféré faisant grief, sans que son contrôle ne consiste à procéder à un réexamen général et global de la situation fiscale du contribuable. Il s’ensuit qu’il incombe au demandeur en réformation de fournir à l’appui de sa requête des éléments suffisamment précis pour permettre, le cas échéant, l’exercice utile de ce pouvoir de réformation3.

C’est sur cette toile de fond que les contestations de la demanderesse en relation avec les dépenses d’exploitation qu’elle fait valoir sont examinées.

Quant à l’achat de marchandises L’administration des Contributions directes a refusé la prise en compte des montants déclarés relatifs à l’achat des deux voitures pour …-€, respectivement pour …-€ et d’une montre pour …-€ pour être étrangers à l’objet social de la demanderesse, tandis que la société demanderesse estime qu’ils devraient être pris en considération, au motif que lesdits achats auraient été effectués dans un but de « faire une plus-value à la revente ».

En l’espèce, il ressort d’un extrait des statuts de la société demanderesse, que pendant l’année d’imposition litigieuse, celle-ci a eu comme objet social : « […] l’exécution de toutes prestations se rapportant à la profession de comptable. Elle pourra également effectuer le contrôle contractuel des comptes, donner des conseils en matière fiscale, créer des sociétés et des succursales, s’occuper du secrétariat, organiser et tenir les comptabilités et analyser par des procédés de la technique comptable la situation et le fonctionnement des entreprises sous leurs différents aspects économique, juridique, financier et aussi sous-traiter les travaux comptable.

L’objet est également étendu à la formation et au recrutement dans le domaine de la comptabilité et de la gestion toutes les opérations se rapportant directement ou indirectement à la prise de participations sous quelque forme que ce soit, dans toute entreprise luxembourgeoises ou étrangères, ainsi que l’administration, la gestion, le contrôle et le développement de ces participations.

Elle pourra notamment employer ses fonds à la création, à la gestion, au développement, à la mise en valeur et à la liquidation d’un portefeuille se composant de tous titres et brevets de toute origine, participer à la création, au développement et au contrôle de toute entreprise, acquérir par voie d’apport, de souscription, de prise ferme ou d’option d’achat et de toute autre manière, tous titres et brevets, les réaliser par voie de vente, de cession, d’échange ou autrement et faire mettre en valeur ces titres et brevets.

Elle pourra emprunter sous quelque forme que ce soit. Elle pourra, dans les limites fixées par la loi du 10 août 1915, accorder à toute société du groupe ou à tout actionnaire tous concours, prêts, avances ou garanties.

3 Trib. adm., 31 mai 2006, n° 20705 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1130 et les autres références y citées.

13 Elle pourra également accomplir toutes les opérations se rapportant directement ou indirectement à l’acquisition, la gestion et la vente, sous quelque forme que ce soit, de tous biens immobiliers situés au Luxembourg ou à l’étranger.

Elle peut de même émettre des titres et/ou obligations, souscrire à des instruments de gestion alternative et autres reconnaissances de dettes. Notamment, la Société peut procéder à l’émission d’emprunts obligataires convertibles ou non, ou faire appel à l’épargne publique, dans le respect des normes légales.

En général, la Société pourra prendre toute mesure de contrôle et de surveillance pour sauvegarder ses droits et pourra, aux conditions et dans les termes prévus par la loi, réaliser toute opération financière, mobilière, immobilière, commerciale et industrielle qu’elle jugera utile à la réalisation et au développement de son objet social. ».

Il ressort de la lecture des statuts de la demanderesse telles qu’en vigueur lors de l’année d’imposition litigieuse, que les opérations d’achat et de revente des voitures et des bijoux sont sans aucun lien effectif, ni directement ni même indirectement, avec l’objet social de la demanderesse tel que cité in extenso ci-avant, et ne sauraient pas non plus contribuer d’une quelconque manière à la réalisation dudit objet social.

Cette constatation n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse selon laquelle les opérations litigieuses seraient prévues par le dernier paragraphe de l’objet social lui permettant de « réaliser toute opération financière, mobilière, immobilière, commerciale et industrielle qu’elle jugera utile à la réalisation et au développement de son objet social. ». En effet, le paragraphe en question se limite à autoriser toutes opérations mobilières « utiles à la réalisation et au développement de son objet social », c’est-à-dire, les opérations mobilières en relation avec la prestation de services de comptabilité et les prestations auxiliaires, excluant ainsi l’achat et la revente des véhicules et des bijoux.

Cette constatation n’est pas non plus énervée par l’existence d’une autorisation d’établissement « Commerce et autres services » dans le chef de la demanderesse ni par l’extrait de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la demanderesse du 23 novembre 2020, versée en cause, élargissant notamment son objet social au commerce de véhicules, dans la mesure où, d’un côté, l’existence d’une autorisation d’établissement « Commerce et autres services » ne saurait couvrir une activité non prévue par les statuts de la société demanderesse, et, de l’autre côté, c’est la version des statuts telle qu’en vigueur pour l’année d’imposition litigieuse, à savoir l’année d’imposition 2017, qui est pertinente en l’espèce, de sorte que la modification des statuts en date du 23 novembre 2020 reste sans incidence sur la constatation directoriale suivant laquelle l’achat et la revente des véhicules et des bijoux sont étrangers à l’objet social de la demanderesse.

Il ressort de tout ce qui précède que c’est à juste titre que le directeur a refusé la déductibilité des frais relatifs à l’achat de deux véhicules et d’une montre pour un montant de …-€ au titre de l’article 45, paragraphe (1) LIR.

Quant aux frais de direction, de réception et représentation ainsi que de carburant En l’espèce, la société demanderesse entend déduire l’intégralité de ces frais dont elle a fait état dans sa déclaration d’impôt, alors que le directeur a uniquement accepté un 14 montant de …-€ sur un total de …-€ déclarés à titre de frais de direction, un montant de …-€ sur …-€ déclarés à titre de frais de réception et de représentation et un montant de …-€ sur un total de …-€ déclarés à titre de frais de carburant au motif que la preuve de l’existence matérielle d’une partie de ces dépenses ainsi que la relation économique de la dépense alléguée avec la catégorie de revenu visée ne seraient pas établies.

A cet égard, il échet de prime abord au tribunal de constater que dans le cadre de sa réclamation auprès du directeur, la société demanderesse s’est basée sur une panoplie de billets, notes et tickets de caisse qui n’étaient ni annotés ni mis en rapport avec un déplacement particulier et le but dudit déplacement et que ces pièces ont, tel que souligné à juste titre par le directeur, permis de prouver la réalité et le but professionnel de certains des déplacements uniquement.

Force est ensuite de constater que dans le cadre du présent recours, la société demanderesse a versé une liste de ses sociétés clients, comportant les noms, pays et villes de résidence des dirigeants de l’intégralité de ses clients. Elle a également établi un relevé kilométrique suivant lequel son administrateur-délégué aurait parcouru 56.000 km à des fins professionnelles durant l’année 2017. Ce relevé comporte encore une liste détaillée des déplacements effectués ainsi que de leurs dates et les raisons des déplacements. A cela s’ajoute que la société demanderesse a fourni dans le cadre du présent recours, les billets, notes et tickets de caisse, tels que soumis au directeur, cette fois-ci annotés à la main et ainsi mis en rapport avec des déplacements particuliers chez les clients.

Or, il se dégage d’une comparaison du relevé kilométrique avec les billets, notes et tickets de caisse annotés, tels que versés en cause, que ces derniers correspondent en général avec ledit relevé kilométrique, voire, avec la liste détaillée des déplacements effectués, notamment en ce qui concerne les lieux des déplacements, leurs dates, les raisons professionnelles et les noms des clients, de sorte qu’ils sont de nature à permettre de retracer à suffisance les trajets professionnels de la société demanderesse.

En effet, et sans nier que la panoplie de billets, notes et tickets de caisse non annotés ni mis en rapport avec un déplacement professionnel concret a légitimement pu amener l’administration de conclure à un défaut de preuve, par la société demanderesse, de l’existence matérielle d’une partie de ces dépenses, il n’en reste pas moins que les explications et preuves documentaires présentées par la société demanderesse au stade de la procédure contentieuse sont de nature à justifier les déplacements professionnels litigieux, de manière à ne pas fournir d’indices quelconques plaidant en faveur de l’existence de distributions cachées de bénéfices accordées par la société demanderesse à son administrateur-délégué.

Le tribunal arrive partant à la conclusion que les redressements effectués par le bureau d’imposition et entièrement confirmés par le directeur ne sont pas justifiés et que le recours sous examen est à cet égard fondé.

Dans la mesure où la société demanderesse a établi des pièces explicatives supplémentaires quant à ses clients et déplacements professionnels au cours de l’année 2017 lesquelles n’avaient pu être prises en compte ni par le bureau d’imposition ni par le directeur, pour avoir seulement été produites dans le cadre du présent recours, il y a lieu de réformer la décision directoriale déférée en ce sens que c’est à tort que le directeur a retenu un montant de 15 …-€ à titre de frais de direction, un montant de …-€ à titre de frais de réception et de représentation et un montant de …-€ à titre de frais de carburant dans le chef de la société demanderesse.

Il y a encore lieu de renvoyer le litige devant le directeur afin de lui permettre d’examiner les pièces versées en cause et de procéder à l’imposition de la société demanderesse, étant souligné qu’il était dans l’intention du législateur de ne pas faire du tribunal un « taxateur » et de ne pas l’amener à « s’immiscer dans le domaine de l’administration » sous peine de « compromettre son statut judiciaire »4, son rôle consistant à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires à l’application utile de la législation fiscale, sans pour autant porter sur l’intégralité de l’imposition, ni aboutir à fixer nécessairement une nouvelle cote d’impôt5.

Quant aux frais de location d’un local commercial à … En ce qui concerne les frais de location du local commercial à …, la demanderesse entend déduire l’intégralité de ces frais en déclarant avoir repris le bail de la société à responsabilité … SARL au mois de février 2017.

En l’espèce, il se dégage des nouvelles pièces versées en cause par la demanderesse, à savoir d’un contrat de bail à loyer conclu en date du 1er février 2017 entre le bailleur et la société demanderesse ainsi que des preuves de paiement du loyer y relatives depuis février 2017, que la société demanderesse a effectivement repris le bail dont question et payé les mensualités dues.

Dans ces conditions, et à défaut de contestations de la partie étatique dans son mémoire en réponse, le tribunal est amené à retenir qu’au regard des pièces supplémentaires fournies par la demanderesse au cours de la procédure contentieuse, non encore à la disposition du directeur au moment de la prise de sa décision, il y a lieu, de réformer la décision du directeur en ce que c’est à tort que celui-ci a refusé la prise en considération des loyers relatifs à la location du local commercial à … pour l’année d’imposition 2017.

Au vu de l’ensemble des conclusions qui précèdent, il y a lieu de déclarer le recours sous analyse partiellement fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande de la société … SA en allocation de dommages et intérêts d’un montant de 2.000.-€ ;

reçoit le recours en réformation en la forme;

4 cf. doc. parl. 3940A2, p. 11, ad (3) 8. et doc. parl. 3940A4, avis complémentaire du Conseil d’Etat, p. 7, ad amendement 5.

5 Trib. adm., 29 mars 1999, n° 10428, confirmé par Cour adm., 11 janvier 2000, n° 11285C, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1163 et les autres références y citées.

16 au fond, le déclare partiellement justifié ;

partant, par réformation dit que c’est à tort que le directeur a retenu un montant de …-€ à titre de frais de direction, un montant de …-€ à titre de frais de réception et de représentation et un montant de …-€ à titre de frais de carburant ;

dit encore que c’est à tort que le directeur a refusé la prise en considération des loyers relatifs à la location du local commercial à … ;

rejette le recours pour le surplus ;

renvoie le dossier en prosécution de cause devant le directeur de l’administration des Contributions directes ;

partage les frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er février 2022 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er février 2022 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 43467
Date de la décision : 01/02/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-02-01;43467 ?

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