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28/01/2022 | LUXEMBOURG | N°45042

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 janvier 2022, 45042


Tribunal administratif N° 45042 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 septembre 2020 4e chambre Audience publique du 28 janvier 2022 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45042 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 septembre 2020 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscri

t au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbi...

Tribunal administratif N° 45042 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 septembre 2020 4e chambre Audience publique du 28 janvier 2022 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45042 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 septembre 2020 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), et de son épouse, Madame…, née le … à …, agissant en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs…, né le … à … (Serbie) et…, né le … à …, tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 juillet 2020 refusant de faire droit à leur demande d’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 10 septembre 2020, rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 décembre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Louis Tinti du 15 novembre 2021 et de Madame le délégué du gouvernement Tara Désorbay du 18 novembre 2021 suivant lesquelles ils marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 23 novembre 2021, les parties étant excusées.

Par un arrêt de la Cour administrative du 19 novembre 2013, inscrit sous le numéro 32872C du rôle, Monsieur … et son épouse Madame…-, accompagnés de leur enfant mineur … … furent définitivement déboutés de leurs demandes de protection internationale introduites le 21 février 2012 auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers ».Par courrier du 10 décembre 2013 de son mandataire de l’époque, Monsieur … sollicita une autorisation de séjour pour travailleur salarié.

Par décision du 24 mars 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à la demande de Monsieur … introduite en date du 10 décembre 2013 et ordonna à ce dernier de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours.

Le 6 octobre 2015, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande de réadmission de Monsieur …, Madame…-… et leur enfant mineur… aux autorités kosovares.

En date du 7 octobre 2015, le ministre demanda à la Police grand-ducale de procéder au signalement de Monsieur … et de son épouse, Madame …-…, ci-après désignés par « les époux … ».

Le 12 octobre 2015, les autorités kosovares confirmèrent la nationalité kosovare de Monsieur … et de Madame … et acceptèrent la demande de réadmission du 6 octobre 2015.

Le 7 avril 2016, le ministère sollicita du service de police judiciaire, section des étrangers et des jeux, de la Police grand-ducale, de bien vouloir enquêter sur le lieu de résidence des époux …. Il ressort d’un rapport du service de police judiciaire, section des étrangers et des jeux, du 27 mai 2016, portant la référence SPJ15/2016/20294/3/SPJ, qu’après de multiples vérifications, les époux … ne purent pas être trouvés à leur dernière adresse connue.

Par courrier du 29 janvier 2020, le litismandataire des époux … sollicita au ministre la régularisation de la situation de ces derniers, principalement par le biais d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié pour Monsieur … et subsidiairement par l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires sur base de l’article 78, paragraphe 3 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 ».

Par décision du 9 juillet 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de régularisation Monsieur …, Madame…-…, accompagnés de leur enfant mineur… sur base des motifs suivants :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre courrier relatif à l'objet repris sous rubrique, qui m'est parvenu en date du 4 février 2020.

A titre principal, quant à la demande en obtention d'une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié en faveur de votre mandant, je suis au regret de vous informer qu'elle est irrecevable. En effet, conformément à l'article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, « La demande en obtention d'une autorisation de séjour […] doit être introduite par le ressortissant d'un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. La demande doit sous peine d'irrecevabilité être introduite avant l'entrée sur le territoire du ressortissant d'un pays tiers. » Force est de constater que votre mandant a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale par arrêt de la Cour administrative du 19 novembre 2013 et qu'il se maintient dès lors sur le territoire luxembourgeois en séjour irrégulier.

2 A ce sujet, il a lieu de rappeler que, par décision ministérielle du 6 juillet 2012, votre mandant a été invité à quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours. Ce délai étant expiré, votre mandant reste en conséquence dans l'obligation de quitter le territoire sans délai.

Quant à votre demande subsidiaire en obtention d'une autorisation de séjour sur base de l'article 78(3) de la loi modifiée du 29 août 2008 pour le compte de vos mandants, force est de constater que vous ne faites pas état de « motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité » au sens de l'article 78(3) cité. En effet, le fait que l'enfant de vos mandants, en séjour irrégulier depuis fin 2013, soit scolarisé au Luxembourg et qu'il n'aurait pas d'attache avec son pays d'origine qui est le Kosovo et non la Serbie ne saurait suffire pour être considérés comme un motif humanitaire d'une exceptionnelle gravité tel que prévu à l'article 78(3) cité justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.

Par conséquent, une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité est également refusée à vos mandants conformément à l’article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée. (…) » Par courrier de leur litismandataire du 25 août 2020, Monsieur …, Madame…-…, accompagnés de leurs enfants mineurs… et…, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent un recours gracieux contre ladite décision ministérielle de refus du 9 juillet 2020.

Dans le cadre dudit recours, ils adressèrent au ministre l’acte de naissance de l’enfant … … né le … et sollicitèrent un report à l’éloignement en cas de réponse négative du ministre.

Par décision du 10 septembre 2020, le ministre confirma sa décision de refus du 9 juillet 2020 et refusa le report à l’éloignement sollicité. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 25 août 2020 par lequel vous demandez de reconsidérer la décision ministérielle du 9 juillet 2020, sinon d'accorder un report à l’'éloignement conformément à l'article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration à vos mandants. Par la même occasion, vous exposez la naissance de….

Dans un premier temps, après avoir procédé à un réexamen du dossier de vos mandants, je suis au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux, je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande et je ne peux que confirmer ma décision du 9 juillet 2020 dans son intégralité.

Je ne suis également pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande en obtention d'un report à l'éloignement étant donné que vos mandants ne remplissent pas les conditions à l'article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. En revanche, j'invite vos mandants à prendre contact avec Mme … de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui les assistera lors de leurs démarches auprès de leur ambassade en vue d'un retour volontaire. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 septembre 2020, inscrite sous le numéro 45042 du rôle, les consorts … ont fait introduire un recours en annulation contre les décisions précitées des 9 juillet et du 10 septembre 2020 en ce qu’elles leur ont refusé une autorisation de séjour pour motifs humanitaires.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours en réformation en matière de refus d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

Le recours en annulation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs expliquent qu’ils se seraient maintenus sur le territoire luxembourgeois après avoir été déboutés de leurs demandes de protection internationale. Ils exposent être pris en charge par le frère de Monsieur …, Monsieur…, et par la sœur de celui-ci, Madame …, ceux-ci ayant établi des engagements de prise en charge conformément à l’article 4 de la loi du 29 août 2008. Les demandeurs font encore valoir qu’ils disposeraient d’une adresse à … et que l’enfant… serait scolarisé au … au Luxembourg où il serait pris en charge par un encadrement spécialisé en raison de son trouble de langage. L’enfant… serait né le …. Les demandeurs donnent finalement à considérer que Monsieur … aurait la possibilité de travailler à temps plein suite à la conclusion d’un contrat à durée indéterminé avec une société luxembourgeoise et qu’il disposerait d’une affiliation volontaire au Centre commun de la sécurité sociale.

En droit, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation des faits d’espèce, une violation de la loi, sinon une fausse application de celle-

ci, tout en précisant que le recours viserait uniquement le refus de leur accorder un titre de séjour pour raisons humanitaires.

Dans un premier temps, citant l’article 78, paragraphe (3), alinéa 1er de la loi du 29 août 2008, les demandeurs donnent à considérer que la notion « motifs humanitaires d’une extrême gravité » serait à apprécier par référence à la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats-membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE », qui prévoirait, dans son article 6, paragraphe (4), la possibilité pour les Etats membres d’accorder un titre de séjour en rapport avec des « motifs charitables, humanitaires ou autres », à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.

Les demandeurs s’appuient encore, dans ce contexte, sur un arrêt de la Cour administrative du 18 décembre 2014, inscrit sous le n° 35248C du rôle, pour conclure à l’existence dans leur chef de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78, paragraphe (3), alinéa 1er de la loi du 29 août 2008. Ils expliquent que leurs enfants, et plus particulièrement leur fils ainé …, n’auraient quasiment aucune attache avec leur pays d’origine. L’enfant … maitriserait les différentes langues usuelles du Luxembourg et présenterait de réelles capacités d’intégration, tout comme ses parents qui bénéficieraient d’un encadrement familial et de la possibilité de travailler. L’enfant … présenterait, par ailleurs, un trouble du langage justifiant un encadrement spécialisé, ce qui aurait justement été la cause les ayant poussé à rester sur le territoire luxembourgeois, circonstance indépendante de leur volonté.

Dans un deuxième temps, les demandeurs soutiennent que le refus d’accorder le titre de séjour litigieux, heurterait le principe de proportionnalité, alors que l’effet de ce refus apparaîtrait comme disproportionné par rapport au but légitimement poursuivi par l’autoritéadministrative, à savoir qu’il serait disproportionné de les contraindre à retourner dans leur pays d’origine, alors qu’ils se seraient parfaitement intégrés au Luxembourg depuis leur arrivée en 2012. A cela s’ajouterait que Monsieur … pourrait, sans difficultés, travailler au Luxembourg, tel que cela ressortirait du contrat de travail versé en cause, afin d’assurer leur indépendance matérielle et sans devenir une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale, étant encore précisé qu’une prise en charge aurait été présentée tant au nom de son frère qu’au nom de sa sœur.

Finalement, les demandeurs invoquent l’article 3 de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant suivant lequel l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale. A cet égard, ils donnent à considérer qu’après huit années de présence sur le sol luxembourgeois, particulièrement pour l’enfant …, il serait permis de retenir que l’intérêt supérieur de l’enfant serait certainement de poursuivre son existence au Luxembourg où se situeraient l’essentiel de ses repères culturels de même que les meilleures garanties quant à son avenir, ainsi que celui des membres de sa famille.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs reprochent au délégué du gouvernement d’avoir détaché la maladie dont souffre l’enfant … des autres éléments d’appréciation invoqués à la base de la demande. Ils donnent à considérer que tous les éléments soutenant la demande seraient à apprécier dans leur ensemble sans qu’il n’y ait lieu de les apprécier séparément, ce qui conduirait à une fausse application de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008. Les demandeurs estiment que les problèmes de santé de l’enfant …, appréciés ensemble avec la circonstance qu’il n’aurait pratiquement connu que le Luxembourg, devrait permettre de les rendre éligible à l’octroi du titre de séjour pour raisons humanitaires d’une extrême gravité, étant donné que constitueraient des motifs humanitaires d’une extrême gravité le fait de permettre à un enfant souffrant d’un handicap de pouvoir continuer à vivre dans le pays dans lequel il aurait quasiment toujours vécu, où il aurait appris à parler chacune des langues officielles, alors même qu’il ne maîtriserait pas la langue de son pays d’origine où il serait tenu de rentrer. Les demandeurs donnent également à considérer que la considération suivant laquelle ils se seraient maintenus sur le territoire luxembourgeois nonobstant un ordre de quitter le territoire et qu’ils auraient pu régulariser leur situation administrative en retournant volontairement dans leur pays d’origine, ne sauraient remettre en cause le caractère disproportionné du refus de leur accorder un titre de séjour dans leur cas d’espèce.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que le recours serait à rejeter pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal constate que les demandeurs limitent leur recours à l’annulation du refus de leur accorder une autorisation de séjour pour raisons humanitaires d’une extrême gravité, de sorte que le tribunal doit se considérer comme n’étant pas saisi du volet des décisions déférées concernant, d’une part, le refus d’octroi d’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié et, d’autre part, le refus d’un report à l’éloignement.

En ce qui concerne la demande d’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, il y a lieu d’examiner si les demandeurs remplissent les conditions prévues par l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel :

« (3) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers. La demande est irrecevable si elle se base sur des motifs invoqués au cours d’une demande antérieure qui a 5 été rejetée par le ministre. En cas d’octroi d’une autorisation de séjour telle que visée ci-

dessus, une décision de retour prise antérieurement est annulée. (…) » L’article 78 paragraphe (3), précité, permet dès lors au ministre, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, d’accorder un droit de séjour s’il estime que le ressortissant du pays tiers a fait état de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité.

Le ministre dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, ce qui ne doit cependant pas l’empêcher de respecter le principe général de proportionnalité invoqué par les demandeurs. En effet, le pouvoir discrétionnaire du ministre n’échappe pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision.2 En l’espèce, il n’est pas allégué par la décision déférée que les demandeurs constitueraient une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, de sorte que les demandeurs sont à considérer comme avoir rempli cette première condition d’application de l’article 78, paragraphe (3), précité.

En ce qui concerne le refus de qualifier les faits invoqués de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, force est au tribunal de rappeler que cette disposition est le fruit de la transposition de l’article 6, paragraphe 4 de la directive européenne 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d’accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Le législateur luxembourgeois en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d’espèces où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l’Homme.

Force est au tribunal de constater qu’afin d’établir l’existence dans leur chef de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, les demandeurs se prévalent en substance de leur situation de vie au Luxembourg, à savoir la scolarisation de l’enfant …, le manque d’attache de celui-ci et de son plus jeune frère avec leur pays d’origine et la possibilité pour Monsieur … de travailler sur le territoire luxembourgeois, situation remise en cause en cas de refus de l’autorisation de séjour litigieuse.

Or, il a été jugé que le ministre n’excède pas ses pouvoirs en retenant que le degré d’intégration, un comportement exemplaire, la scolarisation des enfants ainsi que l’absence d’une quelconque condamnation ne saurait suffire pour être considérés comme des motifs 2 trib. adm., 8 mai 2017, n° 38205 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 573.humanitaires d’une exceptionnelle gravité au sens de la loi3, de même que l’existence de liens familiaux et la perspective d’un avenir professionnel au Luxembourg constituent des considérations étrangères à des motifs humanitaires au sens de la disposition légale précitée4, de sorte que les moyens tablant sur ces faits, tenant à une violation de la loi, respectivement une erreur manifeste ou un excès de pouvoir, sont à rejeter.

Les demandeurs reprochent encore à la décision ministérielle déférée d’être contraire à la Convention relative aux droits de l’enfant, et notamment à son article 3, dans la mesure où, en l’espèce, le ministre n’aurait pas pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur … et aurait, de ce fait, violé le principe de proportionnalité.

L’article 3 de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant qui impose à toutes les autorités publiques ou privées de tenir compte dans leurs décisions de l’intérêt supérieur de l’enfant est libellé comme suit « (1) Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (2). Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. (3) Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ».

Si cette disposition impose effectivement une obligation de moyen à charge des autorités, le libellé essentiellement général, nécessitant une concrétisation de cette obligation n’est cependant pas de nature à imprimer à celle-ci le caractère d’une obligation indépendante dont la violation serait de nature à entraîner per se l’annulation de la décision administrative déférée, mais plutôt la nature d’un principe d’interprétation à respecter lors de l’application d’autres dispositions légales, notamment les autres articles de la même Convention accordant des droits directs à l’enfant5.

Force est de relever que ces dispositions ne tiennent pas en échec les dispositions légales relatives aux conditions d’entrée et de séjour au Luxembourg, de même qu’elles ne confèrent pas un droit subjectif à un enfant l’autorisant à séjourner dans un pays de son choix6, étant encore précisé qu’en l’espèce le séjour des deux parents au Luxembourg a depuis toujours été précaire, voire irrégulier depuis 2013.

Même s’il est concevable que les demandeurs préfèrent continuer la scolarisation de leur enfant … au Luxembourg, il n’est pas suffisamment établi qu’une scolarisation au Kosovo s’avérerait impossible ou que le système éducatif de leur pays d’origine ne permette pas de garantir à suffisance les intérêts supérieurs de leur enfant, d’autant plus que la durée de scolarisation au Luxembourg est encore relativement faible7. L’allégation que l’enfant … doive 3 trib. adm., 14 décembre 2009, n° 25911, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 562 et les autres références y citées.

4 Cour adm. 13 juin 2013, n° 32252C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 5 trib. adm. 23 janvier 2008, n° 23224 et 23426, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n° 560 et les autres références y citées.

6 Cour adm. 10 avril 2008, n° 23943C, Pas. adm. 2021, V° Etrangers, n°579 et les autres références y citées.

7 Cour adm., 11 décembre 2012, n° 30874C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.luen cas de retour au Kosovo apprendre la langue de son pays d’origine, qu’il ne maitriserait pas, n’est pas non plus de nature à suffisamment mettre en cause la proportionnalité de la décision déférée. Il en est de même en ce qui concerne le trouble du langage de l’enfant …, pour lequel il suit un encadrement spécialisé.

Le moyen tendant à l’annulation de la décision déférée pour être intervenue en violation de la Convention relative aux droits de l’enfant doit dès lors également être rejeté pour ne pas être fondé.

Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs le bénéfice d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, sans commettre une erreur d’appréciation et sans dépasser la marge d’appréciation dévolue par l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte que le recours en annulation y relatif est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 janvier 2022 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 janvier 2022 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 45042
Date de la décision : 28/01/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-01-28;45042 ?

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