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24/01/2022 | LUXEMBOURG | N°46277

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2022, 46277


Tribunal administratif N° 46277 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2021 1re chambre Audience publique du 24 janvier 2022 Recours formé par la société à responsabilité limitée A SARL, Luxembourg contre une décision du directeur de l’administration des Contribution directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46277 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 juillet 2021 par la

société à responsabilité limitée ETUDE NOESEN, inscrite au Tableau V du barreau de Luxem...

Tribunal administratif N° 46277 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2021 1re chambre Audience publique du 24 janvier 2022 Recours formé par la société à responsabilité limitée A SARL, Luxembourg contre une décision du directeur de l’administration des Contribution directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46277 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 juillet 2021 par la société à responsabilité limitée ETUDE NOESEN, inscrite au Tableau V du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1475 Luxembourg, 1, plateau du Saint Esprit, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B251614, représentée par Maître Jean-Paul Noesen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée A SARL, établie et ayant son siège social à …, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant à l’annulation de la décision d’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 25 juin 2021 de fournir des renseignements en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, référencée sous le numéro … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 août 2021 ;

Vu l’ordonnance du président de la première chambre du tribunal administratif du 3 septembre 2021 autorisant le dépôt d’un mémoire supplémentaire par partie pour le 29 octobre 2021, respectivement le 24 décembre 2021 ;

Vu le mémoire supplémentaire, intitulé « mémoire en réplique », déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 octobre 2021 par Maître Jean-Paul Noesen au nom de la société anonyme A SARL, préqualifiée ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications respectives des parties suivant lesquelles elles marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » Le juge rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 5 janvier 2022.

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Par courrier du 25 juin 2021, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », adressa à une société « B SA », établie à … une décision d’injonction en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après dénommée la « loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2019 différents renseignements et documents concernant Monsieur X et son épouse, Madame Y, ci-après désignés par « les époux XY », pour le 2 août 2021 au plus tard, ladite injonction étant libellée comme suit :

« […] En date du 16 juin 2021, l'autorité compétente de l'administration fiscale française nous a transmis une demande de renseignement en vertu de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L'autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l'absence manifeste de pertinence vraisemblable.

Les personnes physiques concernées par la demande sont Monsieur X, né le … en …, ayant une adresse au …, France et son épouse Madame Y le … à ….

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2019, les renseignements et documents suivants pour le 2 août 2021 au plus tard.

- Veuillez indiquer pour la période du 30/04/2019 au 31/12/2019 si Monsieur X a été employé par la société B S.A.. Dans l'affirmative, veuillez indiquer les périodes d'emploi.

- Veuillez indiquer où l'emploi a été exercé (en France, au Luxembourg, autre Etat) et veuillez préciser l'adresse.

- Veuillez indiquer si l'une des affirmations suivantes, ou toutes, conviennent :

 Monsieur X était présent au Luxembourg pendant une période ou des périodes n'excédant pas les 183 jours agréés durant une période de douze mois commençant ou se terminant dans l'année fiscale concernée, et  La rémunération est payée par, ou pour le compte d'un employeur qui n'est pas résident au Luxembourg, et  La rémunération n'est pas versée par un établissement stable que l'employeur possède au Luxembourg.

- Veuillez indiquer les montants des revenus d'emploi perçus pendant chaque année concernée. Veuillez préciser la période et la devise du/des paiement(s).

- Veuillez indiquer le montant de l'impôt sur le revenu acquitté au cours de chaque année considérée. Veuillez préciser la période et la devise du montant.

2 - Veuillez fournir le détail et la valeur des avantages de toute nature et des remboursements de dépenses propres à l'employeur. Veuillez spécifier la période et la devise.

 Veuillez indiquer tout autre revenu reçu connu et le cas échéant, les impôts payés par Monsieur X.

- Veuillez indiquer la période, le montant et la nature des revenus perçus (intérêts, dividendes, plus-values, salaires, commissions, remboursements de frais, jetons de présence…) et préciser si ces revenus ont fait l'objet d'une imposition au Luxembourg.

- Veuillez fournir la copie des documents pertinents susmentionnés.

- Veuillez indiquer depuis quelle date (JJ/MM/AAAA) la société B S.A. est enregistrée en tant qu'employeur au Luxembourg.

- Veuillez indiquer si la société B S.A. est concerné par la location de main-d’œuvre au Luxembourg.

- Veuillez indiquer si la société B S.A. a des locaux au Luxembourg. Dans l'affirmative, veuillez spécifier et indiquer le personnel administratif lié à ces locaux.

- Veuillez indiquer quel type de contrat existe entre Monsieur X et la société B S.A.

(contrat de sous-traitance pour les travaux de construction etc., embauche de main-d’œuvre, autres à préciser).

 Veuillez préciser la durée de ces contrats.

- Veuillez indiquer si la société B S.A. utilise ses propres travailleurs ou un (des) sous-traitant(s).

- Veuillez fournir les détails sur les employés/sous-traitants (nom, adresse, date de naissance, pays de résidence, numéro d'identification fiscal).

- Veuillez fournir des copies de tous les documents pertinents susmentionnés, ainsi que :

 Le contrat de travail entre la société A S.A. et Monsieur X.

 Le contrat de location des locaux commerciaux de la société A S.A. à Luxembourg depuis le 30/04/2019 jusqu'au 31/12/2019, ainsi que les quittances de loyers correspondantes.

La société C détient des parts dans la société française D. En 2019, les deux sociétés sont cédées à la nouvelle société de droit luxembourgeois A S.A. dont la société E détient en contrepartie 47% des parts.

3 - Veuillez indiquer si les investissements ont appartenu ou appartiennent à la société A S.A. Dans l'affirmative, veuillez préciser la période de détention (début et fin des investissements).

- Veuillez indiquer la date (JJ/MM/AAAA) et le prix d'acquisition des investissements en précisant la devise de l'achat.

- Veuillez indiquer comment l'investissement a été financé.

- Veuillez indiquer si Monsieur X possède (les) actif(s) ou en dispose la sous-

licence.

- Veuillez indiquer s'il existe un montant lié à l'investissement versé à l'investisseur.

Dans l'affirmative veuillez spécifier la date, le montant et la devise.

- Veuillez indiquer s'il s'agit d'un rendement sur investissement et / ou un produit de la vente (dividendes, intérêts, prix de vente, autre rendement sur investissement) et si des taxes ont été retenues (dans l'affirmative veuillez indiquer le montant des impôts payés et la raison).

- Veuillez fournir copie de tous les documents pertinents relatifs aux tirets précédents, ainsi que la liste et valeur des participations de la société A S.A. dans d'autres sociétés au 1er janvier de chaque année de la période concernée.

Concernant le compte courant d'associé, ou tout autre compte, ouvert au nom de Monsieur X:

- Veuillez indiquer si les investissements ont appartenu ou appartiennent à Monsieur X. Dans l'affirmative, veuillez préciser la période de détention (début et fin des investissements).

- Veuillez indiquer la date (JJ/MM/AAAA) et le prix d'acquisition des investissements en précisant la devise de l'achat.

- Veuillez indiquer comment l'investissement a été financé.

- Veuillez indiquer si Monsieur X possède l'(les) actif(s) ou en dispose la sous-

licence.

- Veuillez préciser s'il existe un montant lié à l'investissement versé à l'investisseur.

Dans l'affirmative, veuillez spécifier la date (JJ/MM/AAAA), le montant et la devise de l'investissement.

- Veuillez indiquer s'il s'agit d'un rendement sur investissement et / ou un produit de la vente (dividendes, intérêts, prix de vente, autre rendement sur investissement) et si des taxes ont été retenues (dans l'affirmative veuillez indiquer le montant des impôts payés et la raison).

- Veuillez fournir copie de tous les documents pertinents relatifs aux tirets précédents, ainsi que les relevés du compte courant d'associé, ou de tout autre 4 compte, ouvert au nom de Monsieur X pour la période visée par la demande, incluant le solde au 1er janvier de chaque année.

Concernant les parts de la société A S.A. détenues par Monsieur X.

- Veuillez indiquer si les investissements ont appartenu ou appartiennent à Monsieur X. Dans l'affirmative, veuillez préciser la période de détention (début et fin des investissements).

- Veuillez indiquer la date (JJ/MM/AAAA) et le prix d'acquisition des investissements en précisant la devise de l'achat.

- Veuillez indiquer comment l'investissement a été financé.

- Veuillez indiquer si le rendement sur investissement et / ou le prix de vente obtenu sont payés à d'autres personnes que les bénéficiaires de l'investissement.

- Veuillez indiquer si Monsieur X possède l'(les) actif(s) ou en dispose la sous-

licence.

- Veuillez préciser s'il existe un montant lié à l'investissement versé à l'investisseur.

Dans l'affirmative, veuillez spécifier la date (JJ/MM/AAAA), le montant et la devise de l'investissement.

- Veuillez indiquer s'il s'agit d'un rendement sur investissement et / ou un produit de la vente (dividendes, intérêts, prix de vente, autre rendement sur investissement) et si des taxes ont été retenues (dans l'affirmative veuillez indiquer le montant des impôts payés et la raison).

- Veuillez fournir copie de tous les documents pertinents relatifs aux tirets précédents, ainsi que :

 Les procès-verbaux des assemblées générales approuvant le versement de dividendes.

 Les documents comptables matérialisant le paiement des dividendes.

- Veuillez indiquer si Monsieur X dispose d'une carte bancaire au nom de la société A S.A., ou d'une carte bancaire, à son nom, adossée à un compte bancaire ouvert au nom de la société A S.A. Dans l'affirmative, veuillez indiquer la banque et le compte adossé à la carte.

- Veuillez fournir la copie de tous les documents pertinents, ainsi que la copie des relevés de la carte bancaire. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 juillet 2021, la société à responsabilité limitée A SARL, ci-après désignée par « la société A », a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision d’injonction précitée du 25 juin 2021 prise par le directeur.

Etant donné que l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 prévoit un recours en annulation contre la décision d’injonction adressée au détenteur des renseignements demandés, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation dirigé contre la décision du directeur du 25 juin 2021, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse invoque deux moyens, à savoir (i) un premier moyen fondé sur la contestation de la qualité de contribuable français des époux XY et (ii) un second moyen fondé sur un défaut d’indication « dans la demande de renseignements » de la finalité fiscale des informations demandées.

Quant au premier moyen, elle fait valoir que les autorités françaises seraient en aveu que Madame Y ne serait pas résidente française. Quant à Monsieur X, la demanderesse affirme que les autorités françaises allègueraient à tort une adresse, alors que celle-ci serait contredite par les pièces dont elle-même disposerait et émanant de 1'Etat belge, certifiant que Monsieur X, tout comme son épouse, auraient été résidents belges sur toute la période visée.

La décision d’injonction n’allèguerait, par ailleurs, aucune raison selon laquelle les époux XY auraient des obligations fiscales en France à titre de non-résidents.

Dès lors, le critère de pertinence vraisemblable ne serait pas vérifié, de sorte que la décision attaquée violerait l'article 3 de la loi du 25 novembre 2014, sinon constituerait un détournement ou un excès de pouvoir.

En second lieu, la demanderesse affirme que la décision attaquée violerait les exigences de l'article 20, paragraphe (2), point b) de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après désignée par la « directive 2011/16/UE », en ce qu’elle n’indiquerait pas la finalité fiscale de la demande.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, rappelle les principes se dégageant du rôle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 16 mai 2017, n° C-682/15, ci-après désigné par « l’arrêt Berlioz », quant à l’envergure du contrôle de la pertinence vraisemblable des informations demandées, reprend la motivation de la demande d’échange de renseignements des autorités françaises et conclut qu’il en ressortirait que les renseignements sollicités porteraient sur un cas d’imposition précis et spécifique et auraient trait à des contribuables déterminés, à savoir les époux XY. Il indique que les informations recueillies en France seraient de nature à établir que les époux XY sont des contribuables français, qui y devraient déclarer l’ensemble de leurs revenus de source française et étrangère et l’ensemble de leur patrimoine situé en France et à l’étranger. La demande viserait à appréhender l’ensemble des revenus et du patrimoine des contribuables en France et à l’étranger. Au vu du descriptif fourni, la demande répondrait à la condition de légalité tenant à la pertinence vraisemblable des informations demandées.

Dans son mémoire supplémentaire, intitulé « mémoire en réplique », la société demanderesse estime que la procédure telle que décrite dans la loi du 25 novembre 2014 serait contraire à l'article 6 de la Convention des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), au motif qu’elle resterait la seule partie au procès qui n’aurait accès qu'à une partie du dossier « tel que déterminé par le bon vouloir du Délégué du Gouvernement ou éventuellement par le Tribunal », alors que tant l’Etat que le tribunal auraient accès à la demande d’échange de renseignements des autorités françaises. Elle reproche à la partieétatique d’avoir « sélectionné de manière unilatérale et en utilisant un pouvoir discrétionnaire » les éléments de la demande de renseignements auxquels elle a accès. En citant l’arrêt Berlioz à propos de la question de l’accès à la demande de renseignements, la demanderesse affirme que « sous l’apparence de sauvegarder les droits de la défense », on aurait « donné à la défense une illusion qu’elle était traitée de manière égalitaire ». Elle déduit des termes « en principe » employés dans ce contexte par la CJUE dans l’arrêt Berlioz que l’accès uniquement limité aux informations visées à l’article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE, tel que retenu par la CJUE, pourrait recevoir des exceptions, puisque ces informations ne seraient pas forcément suffisantes pour assurer les droits de la défense et la validité d’un recours effectif. En tout cas, les époux XY ne disposeraient pas des informations nécessaires à leur défense et ne seraient pas traités sur un pied d’égalité comme ils n’auraient pas accès à l’ensemble des documents.

Dans ce contexte, la demanderesse s’interroge encore sur le degré d’impartialité que le tribunal pourrait avoir aux yeux de la partie concernée comme c’est le tribunal qui déciderait des informations et pièces à dévoiler.

D’autre part, la demanderesse conteste en substance la pertinence vraisemblable des informations demandées en se référant à l’arrêt Berlioz et à un arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, n° C-245/19 et C 246/19 du rôle.

A cet égard, elle reproche de prime abord un défaut d’indication du tiers, en relevant que la décision d’injonction se réfère à une société « B SA », société qui n’existerait pas et qui n’aurait pas de siège au …. Elle est d’avis que cet élément seul devrait entraîner la nullité « de la demande ».

En ce qui concerne l’identification du contribuable visé, elle donne à considérer que si la décision d’injonction se référait aux époux XY en tant que contribuables visés, les questions concerneraient en revanche Monsieur X, de sorte qu’elle déclare se rapporter à prudence de justice à cet égard.

Quant au lien requis entre les renseignements demandés avec l'enquête en France, elle conteste en substance que les époux XY seraient résidents français, alors que cette preuve devrait, d’après elle, être rapportée.

Elle reproche à la partie étatique d’interférer dans le droit interne français pour tenter de démontrer, sur base de simples affirmations, la résidence fiscale française des époux XY, en soulignant que cette analyse ne serait pas de la compétence du tribunal selon une jurisprudence bien établie, mais relèverait du droit interne français.

Comme le délégué du gouvernement essayerait de prouver la résidence fiscale française des époux XY, d’après la demanderesse sans justification, il conviendrait d’en déduire que l’Etat reconnaîtrait que cette résidence ne serait pas établie, de sorte qu’à défaut de résidence fiscale des époux XY en France, il n’y aurait pas non plus de lien entre la demande et un cas d’imposition.

Elle estime que la seule indication que les époux XY auraient une résidence en France, alors qu'ils seraient résidents en Belgique, serait insuffisante. Tout en soulignant que l’administration fiscale belge aurait confirmé sans équivoque la résidence fiscale belge des époux XY, elle poursuit que s'il y avait une divergence d'appréciation entre la France et laBelgique, il conviendrait de se référer à l'article 24 de la convention de double imposition entre la Belgique et la France.

Le délégué du gouvernement ne rapporterait pas non plus la preuve que les époux XY exerceraient en France une activité professionnelle non accessoire.

La demanderesse en déduit que le défaut de résidence fiscale en France rendrait la demande d'information sans aucun lien avec l'enquête fiscale, qui n'aurait pas épuisé les moyens de droit interne pour démontrer la résidence fiscale en France.

A défaut de preuve de la résidence fiscale des époux XY, la demande d’échange de renseignements n’aurait ainsi aucun fondement et n’aurait aucun intérêt puisque des informations sur des supposés dividendes, le compte courant d’associé et autres paiements de Monsieur X n’auraient aucun impact sur l’enquête en France. En effet, il n’y aurait aucune obligation de déclarer des dividendes de source luxembourgeoise à défaut de résidence fiscale française. De plus, la partie étatique ne prouverait pas que les autorités fiscales françaises ont adressé des demandes aux époux XY sans y recevoir une réponse.

Par référence à un jugement du tribunal administratif du 5 octobre 2021, numéro 46028 du rôle, et un raisonnement a contrario, elle estime que du moment que la résidence fiscale française ne serait pas établie, la demande d’échange de renseignements ne serait pas recevable.

En troisième lieu, la demanderesse reproche à la décision d’injonction de demander tantôt à une société « B SA », tantôt à une société « A SA » de confirmer des éléments qui seraient sans rapport avec elle et qu'elle ne pourrait pas confirmer, la demanderesse en renvoyant à une « (partie surlignée en Jaune) ». En donnant à considérer qu’elle-même, la société A SARL (et non SA), ne pourrait connaître « les allers et venues » des époux XY, elle affirme qu’en réalité, il ne s’agirait pas d'un échange d'informations, mais d’une demande de témoignage, ce qui violerait « toutes les règles de toute procédure respectueuse des droits à un procès équitable ». En tout cas, la lecture de ses bilans montreraient l’existence ou l’absence de distribution de dividendes.

En dernier lieu, elle fait valoir que l’administration détiendrait d’ores et déjà les informations demandées.

Ainsi, elle souligne que le délégué du gouvernement aurait reconnu que Monsieur X aurait clairement indiqué qu'il n'avait reçu aucun revenu de la société A et reproche en substance d’exiger de celui-ci une preuve négative, impossible à fournir.

Son extrait du Registre de commerce et des Sociétés (RCS) permettrait de comprendre que les époux XY ne sont pas ses associés, de sorte à ne pas pu avoir reçu de dividende. De même, les comptes annuels déposés au RCS prouveraient la distribution respectivement l’absence d’une distribution de dividendes. En tout cas, s’il y avait distribution de dividendes, ils auraient été distribués à la société E et non pas aux époux XY, les bilans montrant qu'aucun paiement n'aurait été fait à ces derniers.

Comme en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014 l'administration fiscale compétente ne pourrait demander des informations que pour autantqu’elle ne détient pas les renseignements demandés, la demande de l’espèce serait à qualifier de pêche aux renseignements.

En guise de conclusion, la demanderesse affirme que l’absence de résidence fiscale en France, la confirmation sans équivoque de la résidence belge des époux XY, la violation du principe de l'égalité des armes, l'absence d'épuisement des moyens d'enquête interne, le fait que la demande de renseignement viserait des informations déjà en possession de l’administration et l'identification inexacte du tiers renseigné impliqueraient nécessairement la nullité de l'injonction du 25 juin 2021.

A titre liminaire, le tribunal constate que la demande d’échange de renseignements des autorités françaises est exclusivement basée sur la directive 2011/16/UE, transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, tandis que la décision d’injonction du 25 juin 2021, quant à elle, est fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

Le tribunal relève encore que la demanderesse, qui introduit le recours en tant que détenteur potentiel des informations, mais qui n’est pas le contribuable visé par la demande d’échange de renseignements, semble s’identifier avec les contribuables visés, les époux XY, puisqu’elle critique que ceux-ci ne pourraient utilement se défendre et se concentre essentiellement sur des contestations quant à la situation fiscale de ceux-ci, remettant en question en l’occurrence leur qualité de contribuables français.

Ensuite, il convient de souligner que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen de la demanderesse fondé sur une violation de son droit à un procès équitable et de ses droits de la défense, au motif que, contrairement à l’Etat et au tribunal, elle n’aurait pas eu accès intégralement à la demande de renseignement des autorités françaises, de même que le reproche suivant lequel la décision d’injonction ne préciserait pas la finalité fiscale, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25 novembre 2014 :

« La demande d'échange de renseignements ne peut pas être divulguée. La décision d’injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d’identifier les renseignements demandés ».

Aux termes de l’article 6, paragraphe (1) de la même loi :

« Par dérogation à l'article 3, paragraphe 4, le tribunal a accès à la demande d'échange de renseignements ainsi que, le cas échéant, aux demandes de complément d'information et aux compléments d'information délivrés par l'État requérant. Les éléments y contenus et relatifs à l'identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à la finalité fiscale des renseignements demandés sont séparément énoncés dans le mémoire en réponse à déposer par la partie étatique. Pour préserver les droits de la défense du requérant, le tribunal peut ordonner que la substance des informations contenues dans la demande d'échange de renseignements ainsi que, le cas échéant, dans les compléments d'information délivrés par l'État requérant lui soit communiquée, pour autant que ces informations soient pertinentes aux fins de l'examen du recours et en veillant à ce que 9 cette communication se fasse d'une manière qui tient compte de la confidentialité nécessaire. ».

En ce qui concerne l’accès à la demande d’échange de renseignements, le tribunal relève qu’il se dégage des dispositions qui précèdent que la demande d’échange de renseignements des autorités de l’Etat requérant n’est pas divulguée et que seul le tribunal peut y accéder. La partie requérante, quant à elle, n’a dès lors pas accès à cette demande, mais elle obtient, à travers le mémoire en réponse, des informations sur les éléments y contenus et relatifs à l'identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à la finalité fiscale des renseignements, le tribunal ayant encore la possibilité d’ordonner que la substance des informations contenues dans la demande d'échange de renseignements lui soit communiquée.

Le tribunal relève que dans son arrêt Berlioz du 16 mai 2017, la CJUE a entériné le caractère secret de la demande d’informations conformément à l’article 16 de la directive 2011/16/UE et a rappelé dans ce contexte que le « caractère secret [de ladite demande] s’explique par la discrétion dont l’autorité doit normalement faire preuve au stade de la collecte d’informations et qu’elle est en droit d’attendre de l’autorité requise, afin de ne pas nuire à l’efficacité de son enquête »2.

Par rapport à cette exigence de confidentialité, la CJUE a, en outre, distingué entre la phase administrative d’un échange de renseignements et la phase contentieuse découlant de l’introduction d’un recours juridictionnel, en jugeant (i) quant à la phase administrative que « le secret de la demande d’informations peut ainsi être opposé à toute personne dans le cadre d’une enquête »3, ce qui implique nécessairement que le secret peut également être opposé au détenteur de renseignements qui se voit notifier une décision d’injonction et (ii) quant à la procédure contentieuse suite à l’introduction d’un recours juridictionnel, qu’il n’était pas nécessaire pour que l’administré fasse entendre sa cause de manière « équitable », au sujet de la condition de pertinence vraisemblable, qu’il ait accès à l’ensemble de la demande d’informations, mais qu’il suffisait qu’il ait accès, dans le cadre d’un recours contentieux, à l’information minimale visée à l’article 20, paragraphe (2), de la directive 2011/16/UE, à savoir i) l’identité du contribuable concerné et ii) la finalité fiscale des informations demandées4, étant relevé que la CJUE a jugé que le droit d’accès ainsi délimité du détenteur de renseignements au contenu de la demande étrangère d’échange de renseignements est conforme aux exigences du caractère équitable du procès découlant de l’article 47, alinéa 2 de la Charte, correspondant à l’article 6, paragraphe (1) de la CEDH invoqué par la demanderesse.

L’article 6, paragraphe (1), précité, de la loi du 25 novembre 2014 est le reflet de ces considérations.

Quant à l’indication de la finalité fiscale, le libellé de l’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25 novembre 2014, suivant lequel « la décision d’injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d’identifier les renseignements demandés », exclut encore implicitement l’insertion, dans la décision d’injonction même, d’une description de la finalité de la demande de renseignements. A cet égard, il a été jugé qu’il suffit que la partie publique fournisse, dans le 2 Considérant n° 94.

3 Considérant n° 95.

4 Considérant n° 100.cadre du recours contentieux, les informations concernant l’identité du contribuable et la finalité fiscale des renseignements demandés et qu’elle explicite les raisons pour lesquelles, d’après l’analyse effectuée par le directeur, ces informations sont de nature à justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés5.

Si ainsi il est vrai que la demanderesse n’a pas eu accès à la demande d’échange de renseignements en tant que telle et que les informations essentielles, dont la finalité fiscale, n’ont été portées à sa connaissance qu’à travers le mémoire en réponse, étant relevé que la demanderesse a eu l’occasion d’y prendre position à travers un mémoire en réplique, la société requérante n’est toutefois pas fondée à conclure à l’annulation de la décision d’injonction de ce fait.

En effet, le tribunal ne saurait faire droit à l’argumentation afférente fondée sur une inégalité des armes, étant donné que le régime de l’accès aux informations concernant la finalité fiscale d’une demande d’échange de renseignements critiquée par elle découle directement de l’interprétation de l’article 47 de la Charte effectuée par la CJUE dans l’arrêt Berlioz et réitérée dans un arrêt récent du 25 novembre 2021, cette interprétation liant les juridictions nationales des Etats membres6.

Partant, la demanderesse ne saurait prétendre que ses droits de la défense auraient été méconnus étant donné qu’elle a pu accéder à l’information minimale prévue par l’article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16 et prendre position quant à la condition de la pertinence vraisemblable desdites informations.

A cet égard, le tribunal constate qu’en l’espèce, les informations essentielles ont été fournies à travers le mémoire en réponse, en ce que les informations concernant l’identité des contribuables visés ont été fournies, à savoir les époux XY, que la finalité fiscale des renseignements demandés a été expliquée, à savoir celle de clarifier la situation fiscale des époux XY en France et que les raisons pour lesquelles ces informations sont de nature à justifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés sont indiquées.

Le tribunal retient encore que la société demanderesse a eu l’occasion de prendre amplement position par rapport au mémoire en réponse du délégué du gouvernent, de sorte que ses droits de la défense ont été respectés sous cet aspect. Dans ce contexte, il échet encore de constater que la société demanderesse reste en défaut d’expliquer concrètement en quoi, dans le cadre de la présente procédure, elle se trouverait dans une situation désavantageuse par rapport à l’Etat et notamment quel moyen exactement elle n’aurait pas été en mesure de faire valoir utilement, de sorte que ses droits de la défense auraient été violés. Au contraire, elle se limite à un débat purement théorique basé sur la prémisse que l’Etat opérerait un tri arbitraire des informations contenues dans la demande de renseignements qui pourrait être avalisé par le tribunal. Or, il convient de souligner, à cet égard, que conformément à l’arrêt Berlioz, le juge saisi d’un recours en la présente matière, par hypothèse impartial, se voit investi d’une mission particulière de veiller au respect de la substance des droits de la défense du tiers détenteur de renseignements, de sorte à renforcer davantage les droits de la société demanderesse découlant de l’article 47 de la Charte par rapport à la partie étatique.

5 Trib. adm., 23 octobre 2019, n° 43235 du rôle, Cour administrative 9 décembre 2021, n° 46594C du rôle, disponibles sous www.ja.etat.lu.

6 Cour adm., 9 décembre 2021, n° 46594C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.Or, au regard du constat que les droits de la défense de la société demanderesse sont respectés à suffisance par la communication de la substance de la demande d’échange de renseignements dans le cadre de la procédure contentieuse, la conformité des renseignements fournis par le délégué du gouvernement dans sa réponse étant par ailleurs susceptible d’être contrôlée par le tribunal, qui dispose de l’intégralité de la demande, approche ayant été jugée comme étant conforme à l’article 47 de la Charte, consacrant le droit à un procès équitable, par la CJUE dans l’arrêt Berlioz, le tribunal ne peut que rejeter le moyen de la société demanderesse fondé sur un non-respect de ses droits de la défense.

Concernant ensuite les contestations de la société demanderesse quant à la pertinence vraisemblable des informations demandées, l’article 3 de la loi du 25 novembre 2014 dispose que : « (1) L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements. La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les Conventions et lois.

L’administration fiscale compétente s’assure que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause. […] ».

Il résulte de la disposition précitée que l’administration fiscale compétente doit, d’une part, vérifier la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements et, d’autre part, s’assurer que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements, ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause.

Concernant la notion de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités par l’autorité compétente française, il y a lieu de souligner que dans l’arrêt Berlioz, la CJUE, a délimité le champ du contrôle à exercer par le juge compétent saisi dans l’Etat requis par rapport à la demande d’injonction en ce sens que « les limites applicables au contrôle de l’autorité requise s’imposent de la même manière au contrôle du juge »7 et que « le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie »8. La CJUE a encore confirmé le champ de ce contrôle juridictionnel par son arrêt du 6 octobre 20209.

Le critère de la pertinence vraisemblable se trouve explicité dans le considérant n° 9 du préambule de la directive 2011/16 UE qui le définit comme suit : « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts » 7 Arrêt Berlioz, considérant n° 85.

8 Idem, point 86.

9 Affaires jointes C-245/19 et C-246/19, considérant n° 116.ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d’informations effectif ».

La CJUE a encore précisé que « cette notion de pertinence vraisemblable reflète celle utilisée à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE tant en raison de la similitude des concepts utilisés que de la référence aux conventions de l’OCDE dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil COM(2009) 29 final, du 2 février 2009, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ayant conduit à l’adoption de la directive 2011/16 »10.

La condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés implique que la demande porte sur un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle soit relative à un contribuable déterminé, les renseignements demandés devant être vraisemblablement pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En somme, il faut qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révèleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En revanche, la décision d’injonction est à qualifier de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de renseignements qui porte sur des informations qui sont manifestement dépourvues de toute pertinence vraisemblable pour l’enquête menée par l’autorité requérante et ce eu égard au contribuable concerné, au tiers éventuellement renseigné et à la finalité fiscale poursuivie.

En ce qui concerne ensuite le rôle du tribunal saisi d’un recours en annulation contre une injonction de communiquer des renseignements, celui-ci est circonscrit par une triple limitation, à savoir, premièrement, celle découlant de sa compétence limitée de juge de l’annulation, deuxièmement, celle découlant du fait que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois, et, troisièmement, celle du critère s’imposant tant au directeur qu’au juge administratif, à savoir celui de la « pertinence vraisemblable ».

En ce qui concerne ce dernier critère, il y a lieu de relever que si le juge de l’annulation est communément appelé à examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ce contrôle doit, en la présente matière, être considéré comme plus limité, puisque le juge n’est pas appelé à vérifier si la matérialité des faits donnant lieu au contrôle lequel justifie la demande de renseignements est positivement établie, mais seulement si les renseignements sollicités paraissent être vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle ou de l’enquête poursuivie dans l’Etat requérant11. La CJUE a, en effet, rappelé à cet égard que l’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’Etat requérant, et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance12.

Il s’ensuit que la société demanderesse ne saurait être admise à apporter la preuve, au cours de la phase contentieuse, que les explications soumises par l’Etat requérant reposent sur des faits inexacts, cette faculté imposerait en effet au tribunal de se livrer à un contrôle de la matérialité des faits à la base de la demande de renseignements de l’autorité étrangère. Or, ce débat doit être porté devant les autorités compétentes de l’Etat requérant. Il n’appartient pas 10 Arrêt Berlioz, point 67.

11 Trib. adm., 12 juillet 2012, n° 30164 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1400 et les autres références y citées.

12 Arrêt Berlioz, point 77.non plus au directeur, et corrélativement au tribunal, d’examiner, d’après le droit de l’Etat requérant, la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant, cette compétence et les contestations afférentes relevant des seules autorités de l’Etat requérant.

Il n’est fait exception à cette limitation du rôle du juge luxembourgeois que dans les hypothèses où la personne ayant recouru contre une décision directoriale d’injonction de fournir des renseignements soumet en cause des éléments circonstanciés qui sont de nature à ébranler le contenu de la demande de renseignements étrangère en des volets essentiels de la situation à la base de la demande d’échange de renseignements et qui reviennent ainsi à affecter sérieusement la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées ou d’autres conditions posées à un échange de renseignements, dont celle relative à l’épuisement des sources d’informations internes13.

En l’espèce, tel que cela a été retenu ci-avant, la demande de renseignements émanant des autorités françaises indique l’identité du contribuable visé, à savoir les époux XY.

Elle contient, par ailleurs, une description exhaustive de l’affaire et la finalité fiscale pour laquelle les renseignements sont demandés.

Ainsi, la demande précise que les époux XY font l’objet d’un examen de leur situation fiscale personnelle en France - contrôle faisant suite à une procédure judiciaire ouverte en France consécutivement à une plainte pour fraude fiscale - sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2019, au regard de l'impôt sur le revenu des années 2012 à 2019, la demande ne visant toutefois que l’année 2019, la société « A SA » ayant été constituée en 2019, et que, d’après les informations des autorités françaises, ceux-ci sont susceptibles d’être considérés comme avoir leur résidence fiscale en France et non pas en Belgique comme ils le soutiennent.

Concernant la finalité fiscale pour laquelle les renseignements sont demandés, les autorités françaises expliquent que l’objectif de la demande est d’appréhender l'ensemble des revenus et du patrimoine des contribuables imposables en France et localisé à l'étranger, notamment au sein de la société demanderesse, après avoir expliqué les liens entre les époux XY, la demanderesse, l’actionnariat de celle-ci et de sociétés établies en France, en Suisse, au Royaume-Uni, en Russie et en Pologne.

Elle renseigne, par ailleurs, que l’autorité française a épuisé, dans son pays, toutes les sources habituelles de renseignements à sa disposition pour obtenir les renseignements requis, et précise encore la période visée par la demande.

En ce qui concerne l’identification du détenteur potentiel des informations, elle indique sous la rubrique B.2., visant la personne morale dans l’Etat requis, la société « A SA », avec siège à …. Si la demanderesse critique le fait que la décision d’injonction a été adressée à une société B SA et explique, par ailleurs, qu’il n’existerait à sa connaissance ni une société B SA ni une société A SA, et qu’elle-même, portant certes la dénomination sociale « A », aurait la forme sociale d’une société à responsabilité limitée, le constat s’impose que d’un point de vue formel, la demande d’échange de renseignements indique le détenteur potentiel des informations, à savoir une société « A SA ». En revanche, le fait, non contesté, que la décision 13 Cour adm., 27 mai 2014, n° 34291C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Impôts, n° 1400 et les autres références y citées. d’injonction a été adressée à une société B SA, inexistante, est une question de la qualité du détenteur visée qui sera examinée ci-après.

D’un point de vue formel, la demande d’échange de renseignements contient dès lors les informations légalement requises.

S’agissant ensuite plus précisément des contestations de la demanderesse quant au destinataire de la décision d’injonction, la demanderesse affirmant qu’il n’y aurait pas de société B SA, celle-ci tend en réalité à remettre en question la qualité de détenteur des renseignements demandés dans le chef de la demanderesse.

A cet égard, le tribunal relève que l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 25 novembre 2014, qui dispose que « les administrations fiscales sont autorisées à requérir les renseignements de toute nature qui sont demandés pour l'application de l'échange de renseignements tel que prévu par les Conventions et lois auprès du détenteur de ces renseignements », érige la qualité de tiers détenteur des renseignements sollicités en condition pour appliquer à l’égard d’une personne déterminée la procédure d’injonction prévue par l’article 3, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014.

En l’espèce, la demande d’échange de renseignements des autorités françaises mentionne une société « A SA », avec siège à … comme personne morale dans l’Etat requis. Si la décision d’injonction a été adressée à une société B SA, établie à la même adresse, donc a priori à une société ayant une dénomination sociale différente de celle visée dans la demande d’échange de renseignements, force est de constater que les questions posées se réfèrent tantôt à une société « A SA », tantôt à une société « B SA », ce qui amène le tribunal à la conclusion que le directeur a entendu adresser la décision d’injonction à la société « A SA », mentionnée dans la demande d’échange de renseignements, et que la référence à une société « B SA » est le fruit d’une erreur matérielle.

En revanche, tant la demande d’échange de renseignements que la décision d’injonction se réfèrent à une société A ayant la forme sociale d’une société anonyme, alors que la demanderesse, déclarant être établie à la même adresse et se trouvant visiblement en relation avec les contribuables visés puisqu’elle prend non seulement position par rapport à la situation fiscale des époux XY, mais a encore versé un extrait du RCS suivant lequel Monsieur X est son administrateur et suivant lequel un de ses actionnaires est la société E dont Monsieur X est suivant les informations fournies par les autorités françaises l’unique bénéficiaire économique, a la forme sociétaire d’une société à responsabilité limitée.

La décision d’injonction vise dès lors une personne morale, d’après la demanderesse, inexistante, contestation qui n’a pas été remise en question par l’Etat qui n’a pas déposé un mémoire additionnel à la suite des explications fournies par la demanderesse, et aurait a priori dû être adressée à la société demanderesse, celle-ci se sentant concernée pour avoir pris position sur la situation fiscale des contribuables visés.

Le tribunal est toutefois amené à retenir que ce constat d’un destinataire erroné n’emporte pas nécessairement l’annulation de la décision attaquée.

En effet, en tant que juge de l’annulation, le tribunal doit examiner la légalité de la décision attaquée au regard de la situation factuelle à la disposition du directeur au moment de la prise de la décision d’injonction, de sorte qu’il convient de vérifier si le directeur a commis,au regard des éléments à sa disposition, une erreur d’appréciation en adressant sa décision à une société « A SA »14. Dans la négative, il n’y a pas lieu d’annuler la décision d’injonction, la seule conclusion qu’il convient d’en tirer étant que la demanderesse, si elle avait estimé que la décision d’injonction avait été adressée à une personne morale erronée et qu’en réalité elle-

même aurait dû se voir l’adresser, aurait dû en informer le directeur15. Ce n’est que si le directeur avait commis, au regard des éléments à sa disposition ou au regard de ceux qu’il aurait dû avoir à sa disposition, une erreur d’appréciation au niveau du destinataire de la décision d’injonction que celle-ci est à annuler.

En l’espèce, s’il est vrai que la demande de renseignements identifie une société « A SA » sous la rubrique B.2. en tant que personne morale dans le pays requis, et qu’il était a priori raisonnable d’admettre que les renseignements demandés, concernant notamment l’actionnariat et les actifs de cette société et ses relations avec les contribuables visés, étaient susceptibles d’être détenues par celle-ci, le tribunal relève toutefois qu’une simple vérification au RCS aurait permis au directeur de se rendre compte de l’inexistence, non contestée dans le cadre de la présente instance - le délégué du gouvernement n’ayant pas fourni des explications qui permettraient de remettre en question les contestations afférentes de la demanderesse -, d’une société « A » ayant la forme sociétaire d’une société anonyme. En omettant de procéder à cette vérification sur base d’informations publiquement disponibles, le directeur a commis une erreur d’appréciation.

Dans ces conditions, le tribunal est amené à annuler la décision d’injonction pour viser une personne morale inexistante, cette conclusion s’imposant sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens présentés.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision d’injonction du 25 juin 2021, portant le numéro de référence … et renvoie le dossier au directeur ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 janvier 2022 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

14 En ce sens: Cour adm. 21 mars 2019, n° 42250 C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

15 Idem.

s. Xavier Drebenstedt s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 janvier 2022 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46277
Date de la décision : 24/01/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-01-24;46277 ?

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