La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/01/2022 | LUXEMBOURG | N°43703a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 janvier 2022, 43703a


Tribunal administratif N° 43703a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2019 2e chambre Audience publique du 17 janvier 2022 Recours formé par Monsieur … et consorts, … et … contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 43703 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2019 par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

 Monsieur …, demeur

ant à L-…,  Monsieur …, demeurant à L-…,  Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemb...

Tribunal administratif N° 43703a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2019 2e chambre Audience publique du 17 janvier 2022 Recours formé par Monsieur … et consorts, … et … contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 43703 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2019 par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

 Monsieur …, demeurant à L-…,  Monsieur …, demeurant à L-…,  Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation de « la décision de la ministre de l’Intérieur notifiée (…) le 31 juillet 2019, portant la référence n°…, refusant d’approuver la décision du conseil communal de Diekirch du 13 juin 2019 et rejetant [leur] réclamation (…) », Vu le jugement prononcé par le tribunal administratif le 22 février 2021 recevant le recours en annulation en la forme et soulevant, au fond, avant tout autre progrès en cause, d’office « la question du bien-fondé de la décision d’incompétence du ministre pour statuer sur la réclamation lui déférée en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 » ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2021 par Maître Georges Krieger au nom des parties demanderesses ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2021 par Maître Albert Rodesch au nom de l’administration communale de Diekirch ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2021 par le délégué du gouvernement ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale ;

Vu les courriers respectifs de Maître Georges Krieger et de Maître Albert Rodesch du 14, respectivement du 18 juin 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de leur présence ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Pascale Milim en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 juin 2021.

________________________________________________________________________________

Lors de sa séance publique du 24 septembre 2015, le conseil communal de Diekirch, ci-après désigné par le « conseil communal », fut saisi par le collège des bourgmestre et échevins de Diekirch, ci-après désigné par « le collège des bourgmestre et échevins », en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », d’un projet d’aménagement général pour la commune de Diekirch, à l’égard duquel il décida à l’unanimité d’« (…) émettre un vote positif (…) de sorte que le collège des bourgmestre et échevins peut procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi (…) du 19/07/2004 (…) ».

Par courrier du 2 novembre 2015, Monsieur …, Monsieur … et Monsieur …, ainsi que son épouse, Madame …, désignés ci-après par « les consorts … », propriétaires respectifs de différentes parcelles inscrites au cadastre de la commune de Diekirch, section … « … », sous les numéros …, …, …, …, …, … et …, désignées ci-après par « les parcelles …, …, …, …, …, … et … », soumirent au collège des bourgmestre et échevins des objections à l’encontre dudit projet d’aménagement général.

Lors de sa séance publique du 24 mars 2016, le conseil communal décida d’approuver :

« unanimement la partie graphique du projet d'aménagement général, modifiée suivant les avis de la commission d'aménagement et du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - département de l'environnement, ainsi que sur base des réclamations (…) unanimement la partie écrite du projet d'aménagement général, modifiée suivant l'avis de la commission d'aménagement et du Ministère du Développement durable et des Infrastructures -

département de l'environnement, ainsi que sur base des réclamations (…) unanimement • la partie graphique du projet d'aménagement général, modifiée suivant les avis de la commission d'aménagement et du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - département de l'environnement, ainsi que sur base des réclamations • la partie écrite du projet d'aménagement général, modifiée suivant l'avis de la commission d'aménagement et du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - département de l'environnement, ainsi que sur base des réclamations (…) ».

Le conseil communal prit, par ailleurs, position sur les objections formulées par les consorts … en décidant unanimement de ne pas y réserver de suite favorable.

Le 13 avril 2016, les consorts … introduisirent auprès du ministre de l’Intérieur, ci-après désigné par « le ministre », une réclamation à l’encontre de la susdite délibération du conseil communal du 24 mars 2016.

Par décision du 19 octobre 2016, le ministre approuva ladite délibération du conseil communal du 24 mars 2016 portant adoption du plan d’aménagement général et déclara recevable mais non fondée la réclamation des consorts ….

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2017, les consorts … firent introduire un recours en annulation contre « 1) la délibération du conseil communal de la commune de Diekirch du 24 mars 2016 portant adoption du projet d’aménagement général, parties écrite et graphique ; 2) la décision d’approbation du ministre de l’Intérieur notifiée aux requérants le 4 novembre 2016, portant la référence n°… ».

Par un jugement du 19 avril 2018, inscrit sous le numéro 39032 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours en annulation précité recevable en la forme et, quant au fond, le déclara justifié. Le tribunal annula partant la délibération du conseil communal du 24 mars 2016 portant adoption de la partie graphique et de la partie écrite du projet d'aménagement général de Diekirch ainsi que la décision du ministre du 19 octobre 2016 approuvant la délibération précitée du conseil communal du 24 mars 2016.

Sur appel formé tant par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg que par l’administration communale de Diekirch contre le jugement du tribunal administratif précité du 19 avril 2018, la Cour administrative, par arrêt du 7 février 2019, inscrit sous les numéros 41199C et 41209C du rôle, confirma partiellement le jugement dont appel. La Cour annula, ainsi, la délibération du conseil communal du 24 mars 2016 et la décision d’approbation afférente du ministre de l’Intérieur du 19 octobre 2016 « de manière partielle et limitée à la question du reclassement des parcelles litigieuses de Messieurs … et …, ainsi que des époux …-… » et dit qu’il n’y avait pas lieu à annulation de ces deux actes pour le surplus.

En ce qui concerne plus particulièrement le classement urbanistique des parcelles des consorts …, la Cour retint notamment que leur situation en zone potentiellement inondable ne devait constituer « pas plus que pour le passé, un obstacle irrémédiable à toute forme de constructibilité à l’endroit ».

La Cour précisa que : « Cette conclusion est à tirer sur le plan des principes en ce qu’elle aboutit à l’annulation des délibération communale et décision étatique critiquées en ce qui concerne le reclassement des terrains litigieux d’une zone constructible en une zone non constructible, sans qu’à ce stade du litige, il ne soit nécessaire de différencier vers quelle zone constructible exactement le nouveau classement aurait dû se diriger. Il convient en effet que les autorités communales puissent, dans un esprit de subsidiarité, revoir la situation à nouveau et placer les terrains litigieux, chacun en ce qui le concerne, en zone constructible, tel que cela a été le cas jusque lors, quitte à prévoir les conditions et modalités adéquates, le cas échéant différenciées, compte tenu de la situation potentiellement inondable de ceux-ci dans le contexte donné suivant une saine appréciation du principe de précaution tel que mis en avant par le directeur dans le cadre des dispositions de l’article 39 de la loi du 19 décembre 2008 conditionnant directement ce classement. ». Enfin, la Cour renvoya « le dossier devant le conseil communal de Diekirch dans la limite de l’annulation partielle prononcée ».

Suite à cet arrêt de la Cour administrative, le conseil communal s’est réuni le 6 mai 2019.

L’extrait du registre aux délibérations du conseil communal énonce l’ordre du jour de la délibération du 6 mai 2009 comme suit : « URBANISME : Prise de position quant à la réclamation de « … …, … … ET … … » (article 14 de la loi modifiée du 19/07/2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain) ». Il ressort dudit extrait du registre aux délibérations que le conseil communal a retenu qu’il était : « maintenant appelé à statuer une nouvelle fois sur la réclamation du 02 novembre 2015 introduite par Messieurs … et …, ainsi que par les époux …-… » et que le vote consécutif du conseil communal a abouti à un partage des voix. L’extrait du registre afférent indique ainsi que le conseil communal : « procède au vote qui donne : 6 voix positives, 6 voix négatives et 1 abstention ». Le même extrait du registre renseigne, en dernier lieu, la conclusion tirée par le conseil communal du partage de voix comme suit : « Comme il y a partage des voix, le présent point est reporté à la prochaine séance du Conseil communal conformément à l’article 19 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ».

En date du 13 juin 2019, le conseil communal s’est de nouveau réuni pour délibérer sur les réclamations dirigées par les consorts … contre le projet d’aménagement général. Le vote du conseil communal a aboutit au résultat suivant : « 6 voix positives, 6 voix négatives et 1 abstention ». D’aprèsl’extrait du registre aux délibérations du conseil communal de la séance afférente le conseil communal tira la conclusion suivante de ce vote : « Etant donné qu’il y a de nouveau partage de voix, le bourgmestre a voix prépondérante selon l’article 19 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988. Comme lors du vote le bourgmestre s’est abstenu, le résultat final du vote reste inchangé.

Conformément aux dispositions de l’article 15 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, le dossier complet est transmis pour approbation à l’autorité supérieure. ».

Par courrier de leur litismandataire du 28 juin 2019 les consorts … ont introduit auprès du ministre leurs observations et objections à l’encontre des votes du conseil communal des 6 mai et 13 juin 2019.

Le 31 juillet 2019, le ministre s’est adressé par courrier, référencé sous le numéro …, au collège des bourgmestre et échevins. Ledit courrier est de la teneur suivante :

« Je reviens vers vous suite aux différentes délibérations que vous m’avez fait parvenir en vue de mon approbation.

Après instruction du dossier, je suis amenée à constater qu’il y a eu, par deux fois, partage des voix et abstention du bourgmestre.

De par ce fait, et conformément aux dispositions de l’article 18 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, je ne suis pas en mesure d’exercer mon pouvoir de tutelle d’approbation.

Il en résulte qu’aucune majorité n’a pu se dégager des deux votes précités, ainsi aucun projet d’aménagement général n’a pu être soumis et le conseil communal n’a pas été en mesure de prendre une décision conformément à l’article 14 de la loi précitée.

En conclusion, je me dois de vous informer que je ne saurais donner une suite favorable à votre demande d’approbation. (…) ».

Par un courrier du même jour, référencé sous le numéro …, le ministre s’est adressé au litismandataire des consorts … dans les termes suivants :

« Je reviens vers vous suite à votre courrier recommandé du 28 juin dernier.

Par ce courrier, vous entendez porter devant moi vos observations et objections en vertu de l’article 16 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal à l’encontre du vote définitif de la commune de Diekirch du 13 juin dernier.

Comme vous le mentionnez dans votre missive il y a effectivement eu, par deux fois, partage des voix et abstention du bourgmestre.

Je ne m’estime dès lors pas saisie en vue de l’exercice de mon pouvoir de tutelle d’approbation qui m’est conféré par l’article 18 de la loi précitée.

En effet, au vu de l’issue des différents votes, les autorités communales ne m’ont pas soumis de projet d’aménagement général alors qu’aucune majorité n’a pu se dégager des deux votes précités 4 et que le conseil communal n’a dès lors pas pu prendre de décision conformément à l’article 14 de la loi précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2019, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de « la décision de la ministre de l’Intérieur notifiée (…) le 31 juillet 2019 portant la référence n°…, refusant d’approuver la décision du conseil communal de Diekirch du 13 juin 2019 et rejetant [leur] réclamation (…) ».

Par jugement du 22 février 2021, le tribunal administratif a déclaré le recours en annulation recevable et quant au fond a d’office soulevé, avant tout autre progrès en cause, la question du bien-

fondé de la décision d’incompétence du ministre pour statuer sur la réclamation lui déférée en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004. Le tribunal a procédé à une analyse du courrier adressé le 31 juillet 2019 par le ministre au litismandataire des consorts … pour constater que le ministre avait expliqué que si, de manière générale, il était compétent pour connaître en tant qu’autorité de tutelle des réclamations portées devant lui dans le cadre de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004, il estimait toutefois qu’en l’espèce il n’aurait pas été valablement saisi en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004, au motif qu’il y aurait eu « par deux fois, partage des voix et abstention du bourgmestre », de sorte qu’il serait incompétent pour exercer son pouvoir de tutelle lui conféré par l’article 18 en question. L’analyse du libellé du courrier du 31 juillet 2019 a finalement amené le tribunal à le qualifier de décision d’incompétence du ministre pour connaître de la réclamation lui soumise.

Le tribunal a ensuite relevé que les parties en cause n’avaient pas pris position dans le cadre de leurs mémoires respectifs quant à la question du bien-fondé de la décision d’incompétence du ministre pour statuer sur la réclamation lui déférée en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004. Leurs mémoires avaient, en effet, essentiellement été axés, d’une part, sur la recevabilité du recours et plus particulièrement sur la question de la qualification de l’acte déféré en décision susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux et, d’autre part, sur les moyens avancés au fond.

Dès lors, le tribunal a relevé d’office et avant tout progrès en cause la question du bien-fondé de la décision d’incompétence du ministre et a invité les parties à prendre position par mémoire supplémentaire par rapport à ladite question.

Dans le cadre de leur mémoire supplémentaire, les demandeurs soutiennent que le ministre aurait bien été compétent ratione materiae et ratione temporis pour statuer sur l’approbation de la décision du conseil communal du 13 juin 2019, en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004. Ils font encore valoir que le ministre disposerait d’un pouvoir de tutelle spéciale lui conférant le pouvoir de réformer la décision du conseil communal du 13 juin 2019 dans les limites des réclamations introduites en se référant à cet égard à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 juin 2014 inscrite sous le numéro 111/14 du registre.

Les demandeurs insistent encore sur le fait que malgré l’arrêt précité de la Cour administrative du 7 février 2019, leurs terrains seraient toujours inconstructibles. La thèse défendue actuellement par la partie étatique viserait à faire perdurer cette situation et relèverait des questions au niveau du droit à un recours effectif. Or, la Cour administrative aurait pu considérer par le passé que le droit de propriété et le droit à un recours effectif s’opposeraient à ce qu’un propriétaire soit laissé durant plusieurs années dans l’expectative par rapport au classement de son terrain. Par ailleurs, la thèse actuellement défendue par la partie étatique ferait obstacle à l’autorité de la chose jugée.

L’administration communale fait de son côté en substance valoir, dans le cadre de son mémoire supplémentaire, que si le ministre était certes compétent pour approuver le PAG et trancher les réclamations en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004, cette compétencesupposerait toutefois qu’une décision d’adoption du projet d’aménagement ait été prise en amont par le conseil communal, faute de quoi il n’y aurait rien à approuver. En effet, l’adoption par le ministre d’un PAG et le fait de trancher des réclamations en l’absence d’une décision communale préalable reviendraient à violer l’autonomie communale. A supposer pour les besoins de la discussion qu’une quelconque décision ait été prise par le conseil communal, l’administration communale estime qu’il ne pourrait s’agir que d’une décision de rejet. Or, il serait évident que face à un refus d’adoption, le ministre devrait se déclarer incompétent pour trancher les réclamations ou approuver le PAG. Les références par les demandeurs à un certain nombre de jurisprudences administratives ayant retenu que le ministre pourrait statuer en lieu et place du conseil communal auraient toutes en commun qu’une décision sur le PAG aurait été prise en amont, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, de sorte que ces décisions ne seraient pas pertinentes en l’espèce. Ces décisions auraient par ailleurs rappelé qu’il serait obligatoire que le ministre prenne sa décision en tenant compte de la logique intrinsèque du plan. Or, comment le ministre pourrait-il statuer en se conformant à la logique intrinsèque d’un plan s’il ne dispose d’aucune décision préalable du conseil communal concernant le classement des parcelles litigieuses ? De même, la solution retenue par la Cour administrative dans son arrêt du 1er avril 2004, invoquée en cause par les demandeurs, ne serait pas transposable en l’espèce, étant donné que le recours était dirigé « contre l’autorité appelé à statuer (en l’occurrence le collège échevinal) et non pas seulement contre l’autorité de tutelle ». De surplus, la primauté du droit international qui consacrerait le principe de l’autonomie communale ne saurait pas être remise en cause.

Dans le cadre de son mémoire supplémentaire, la partie étatique se rallie aux moyens et arguments présentés par le litismandataire de l’administration communale dans son mémoire supplémentaire du 16 mars 2021 et, pour le surplus, maintient l’ensemble de ses moyens et arguments développés dans les mémoires antérieurement déposés.

A titre liminaire, le tribunal rappelle la particularité de la situation d’espèce qui consiste dans le fait que par décision du 24 mars 2016 du conseil communal approuvée par décision ministérielle du 19 octobre 2016, le PAG de la commune de Diekirch a été adopté et le recours contentieux introduit contre les prédites décisions n’a que partiellement été déclaré justifié par l’arrêt précité de la Cour administrative et seule la partie du PAG portant sur les parcelles des demandeurs a été annulée par ledit arrêt. Dès lors, le conseil communal, lors de ses deux délibérations précitées des 6 mai et 13 juin 2019, n’a plus été saisi que de la question du classement urbanistique par le PAG des parcelles des demandeurs ainsi que des objections afférentes de ces derniers. En ce qui concerne le reste du territoire de la commune de Diekirch, les décisions communale et ministérielle précitées des 24 mars et 19 octobre 2016 ayant adopté le PAG ont acquis force de chose décidée.

Quant à la question de la procédure de classement des parcelles des demandeurs, le tribunal rappelle ensuite et toujours à titre liminaire les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi du 19 juillet 2004 relatives à la procédure d’adoption d’un PAG. Ainsi, l’article 14 de ladite loi, intitulé « Vote du conseil communal », dispose que : « Le projet d’aménagement général ensemble avec toutes les pièces mentionnées à l’article 10 est soumis avec l’avis de la commission d’aménagement et, le cas échéant, avec l’avis du ministre ayant dans ses attributions l’environnement, le rapport sur les incidences environnementales, les réclamations et les propositions de modifications du collège des bourgmestre et échevins, au conseil communal.

Au plus tard dans les trois mois à compter de l’échéance du délai prévu à l’article 11, alinéa 2, le conseil communal décide de l’approbation ou du rejet du projet d’aménagement général.

Il peut approuver le projet dans sa forme originale ou y apporter des modifications qui soit sont proposées par la commission d’aménagement, soit répondent en tout ou en partie à l’avis émis 6 par le ministre ayant l’Environnement dans ses attributions, soit prennent en compte en tout ou en partie des observations et objections présentées.

Si le conseil communal entend apporter des modifications autres que celles visées à l’alinéa qui précède, il renvoie le dossier devant le collège des bourgmestre et échevins qui est tenu de recommencer la procédure prévue aux articles 10 et suivants.

Le conseil communal peut rejeter le projet d’aménagement général présenté. Dans ce cas, le dossier est clôturé. ».

L’article 15 de la loi du 19 juillet 2004 relatif à la publication du vote du conseil communal dispose que : « Dans les huit jours qui suivent le vote du conseil communal, sa décision est affichée dans la commune pendant quinze jours, de la façon usuelle, et notifiée par lettre recommandée avec avis de réception aux personnes ayant introduit une réclamation écrite. Dans les quinze jours qui suivent l’affichage dans la commune le dossier complet est transmis pour approbation au ministre, lequel prend sa décision dans un délai de trois mois suivant la réception du dossier. » Aux termes de l’article 16 de la même loi, intitulé « Réclamations contre le vote du conseil communal », : « Les réclamations contre le vote du conseil communal introduites par les personnes ayant réclamé contre le projet d’aménagement général conformément à l’article 13 doivent être adressées au ministre dans les quinze jours suivant la notification prévue à l’article qui précède, sous peine de forclusion.

Les réclamations dirigées contre les modifications apportées au projet par le conseil communal doivent être adressées au ministre dans les quinze jours de l’affichage prévu à l’article qui précède, sous peine de forclusion.

Sont recevables les réclamations des personnes ayant introduit leurs observations et objections conformément à l’article 13 et les réclamations dirigées contre les modifications apportées au projet par le conseil communal lors du vote. ».

Enfin, l’article 18 de la même loi dispose que : « Le ministre statue sur les réclamations dans les trois mois qui suivent le délai prévu à l’article 16 alinéa 1, respectivement dans les trois mois suivant la réception des avis de la commission d’aménagement et du conseil communal prévus à l’article qui précède, en même temps qu’il décide de l’approbation définitive du projet d’aménagement général, qui prend dès lors la désignation de plan d’aménagement général.

Avant de statuer, le ministre vérifie la conformité et la compatibilité du projet de plan d’aménagement général avec les dispositions de la loi, et notamment les objectifs énoncés à l’article 2, avec ses règlements d’exécution ainsi qu’avec les plans et programmes déclarés obligatoires en vertu de la loi précitée du 30 juillet 2013 ou se trouvant à l’état de projet soumis à l’avis des communes. ».

La réclamation portée devant le ministre, en application de l’article 16 de la loi du 19 juillet 2004, ne peut être dirigée que contre le vote du conseil communal adopté conformément à l’article 14 de la même loi et le ministre ne saurait statuer que sur les réclamations dirigées contre ce vote et dont il est valablement saisi. En vertu dudit article 14, alinéa 2, le conseil communal dispose de deux possibilités, ainsi, il peut décider, soit, de l’approbation, soit, du rejet du PAG. En l’espèce, toutefois, les délibérations du conseil communal ont abouti à deux reprises, à savoir, le 6 mai et le 13 juin 2019, à un partage des voix. Ce partage des voix ne constitue ni une approbation, ni un rejet de la partie du PAG portant sur le classement des parcelles des demandeurs et ne peut partant pas être qualifié de « vote » au sens des articles 14 et 16 précités de la loi du 19 juillet 2004. Un tel partage de voix ne saurait pas non plus être interprété, tel que le suggèrent les demandeurs, comme refus implicite de faire droit à leur réclamation devant le conseil communal et comme refus implicite d’approuver leprojet d’aménagement général en ce qui concerne leurs parcelles. En effet, aucune disposition légale ne consacre le principe d’un tel rejet implicite en cas de partage des voix du conseil communal en matière d’actes règlementaires. Bien au contraire l’article 19 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, désignée ci-après par « la loi communale », prévoit expressément une procédure à respecter en cas de partage des voix en disposant que : « Le conseil décide à la majorité des suffrages.

En cas de partage, l’objet en discussion devra être reporté à l’ordre du jour de la séance suivante;

au même cas de partage dans cette seconde séance, le bourgmestre, ou celui qui le remplace, a voix prépondérante.

Les membres du conseil votent à haute voix, à main levée ou par assis et levé. Le vote à haute voix a lieu par ordre alphabétique et commence par le conseiller dont le nom est sorti premier de l’urne. ». La loi reste muette quant à la question de la procédure à suivre dans l’hypothèse d’un second partage des voix. Toutefois et alors même que ce silence de la loi peut aboutir à des situations quasi inextricables, tel qu’en l’occurrence, où les parcelles des demandeurs sont maintenues en zone non constructible malgré l’arrêt de la Cour administrative précité, il ne saurait pas pour autant être admis, en l’absence de tout texte normatif afférent, qu’un second partage des voix au niveau du conseil communal vaudrait d’office rejet implicite du projet d’aménagement général ainsi que des réclamations soumises au conseil communal.

En tout état de cause, dans la mesure où le partage des voix auquel ont abouti les délibérations du conseil communal du 6 mai et 13 juin 2019 ne constitue ni une approbation ni un rejet de la partie du PAG portant sur le classement des parcelles des demandeurs, et donc pas de « vote » au sens des articles 14 et 16 de la loi du 19 juillet 2004, d’une part, il ne saurait faire l’objet d’une réclamation devant le ministre et, d’autre part, le ministre n’est pas compétent pour statuer sur une réclamation introduite contre un tel partage des voix.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a décidé qu’il n’était pas valablement saisi d’une décision du conseil communal au sens de l’article 14 de la loi du 19 juillet 2004 dans la mesure où aucune majorité n’a pu se dégager des deux votes du conseil communal, de sorte qu’il ne pouvait pas exercer son pouvoir de tutelle en application de l’article 18 de la loi du 19 juillet 2004 et qu’il était partant incompétent pour prendre une décision en l’espèce.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements des demandeurs fondés sur les jurisprudences précitées des juridictions administratives selon lesquelles le ministre serait tenu dans le cadre de son pouvoir de tutelle de statuer en lieu et place du conseil communal. En effet, tel que l’administration communale le soulève à juste titre, les jurisprudences auxquelles se réfèrent les demandeurs s’inscrivent toutes dans le contexte de la procédure d’adoption d’un plan d’aménagement au cours de laquelle le conseil communal a pris une décision au sens des articles 14 et 16 de la loi du 19 juillet 2004 et ne sont partant pas transposables dans le contexte du recours sous examen pour lequel le tribunal vient précisément de retenir que le conseil communal n’a pas adopté de décision au sens desdits articles.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen soulevé en cause, le recours sous analyse est donc à rejeter pour ne pas être fondé.

Enfin, au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande des consorts … tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000 euros, en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, qui dispose que « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

De même la demande formulée par l’administration communale tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros est à rejeter étant donné que ladite demande omet, par ailleurs, de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie défenderesse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

vidant le jugement du 22 février 2021 ;

au fond, déclare le recours en annulation non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros formulée par les consorts … ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros formulée par l’administration communale de Diekirch ;

condamne les consorts … aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 17 janvier 2022 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 janvier 2022 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 43703a
Date de la décision : 17/01/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-01-17;43703a ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award