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17/01/2022 | LUXEMBOURG | N°20906a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 janvier 2022, 20906a


Tribunal administratif N°20906a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2006 2e chambre Audience publique du 17 janvier 2022 Recours introduit par la société …, … contre deux décisions du ministre des Travaux publics en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 20906 du rôle et déposée le 13 janvier 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy Perrot, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de la société de droit allemand …, établie et ayant son siège socia...

Tribunal administratif N°20906a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2006 2e chambre Audience publique du 17 janvier 2022 Recours introduit par la société …, … contre deux décisions du ministre des Travaux publics en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 20906 du rôle et déposée le 13 janvier 2006 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy Perrot, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société de droit allemand …, établie et ayant son siège social à D-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Travaux publics du 7 octobre 2005 portant annulation de la procédure de soumission publique engagée dans le cadre de l’appel d’offres lancé pour des travaux de revêtement de parvis à exécuter dans l’intérêt de la quatrième extension du palais de la Cour de Justice des Communautés européennes à Luxembourg et de la décision dudit ministre du 28 septembre 2005 portant autorisation de procéder par voie de marché négocié ;

Vu le jugement rendu par le tribunal administratif en date du 1er juin 2006 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour de Maître Jean-Philippe Hallez, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2021 pour compte de la société de droit allemand …, préqualifiée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Philippe Hallez et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 décembre 2021.

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La société de droit allemand …, ci-après dénommée la « société … », participa à la soumission publique relative aux travaux de revêtement de parvis à exécuter dans l’intérêt de la quatrième extension du palais de la Cour de Justice des Communautés européennes à Luxembourg, l’ouverture de ladite soumission ayant été fixée au 15 mars 2005.

En sa séance du 27 juillet 2005, la Commission des soumissions instituée auprès du ministère des Travaux publics recommanda au ministre des Travaux publics, ci-après dénommé le « ministre », d’annuler ladite mise en adjudication publique au motif qu’aucune offre conforme n’avait été proposée et elle marqua son accord avec le recours à la procédure négociée sans publication d’avis préalable conformément à l’article 46 a) de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, ci-après dénommée la « loi de 2003 ».

Par courrier du 12 août 2005, le ministre informa la société … de ce qui suit :

1 « J’ai l’honneur de vous informer que l’examen des offres a fait ressortir que les deux offres remises ne sont pas conformes aux clauses techniques du cahier des charges et ne peuvent donc pas être retenues pour l’adjudication.

Voilà pourquoi la Commission des Soumissions, dans son avis No … du 27 juillet 2005, propose de procéder à l’annulation de ladite mise en adjudication publique.

Eu égard à ce qui précède et en conformité avec l’article 91 1) du règlement grand-

ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics, je me propose d’annuler la mise en adjudication sous rubrique au motif qu’aucune des offres ne répond aux conditions prescrites.

Dans ce contexte, je me permets de vous rendre attentif à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations de l’Etat et des communes, qui vous donne la possibilité de présenter dans le délai de la huitaine vos observations quant à mon intention d’annuler la mise en adjudication […] ».

Par courrier du 19 août 2005 à l’adresse du ministre, le directeur de l’administration des Bâtiments publics, ci-après dénommé le « directeur », communiqua au ministre les pièces de soumission et devis estimatif élaborés par l’association momentanée des architectes …, ci-après dénommé le « bureau d’architectes », et relatifs aux travaux d’isolation et d’étanchéité du parvis du palais de la Cour de Justice des Communautés européennes – quatrième extension, travaux évalués au montant de … euros TTC.

Suivant courrier recommandé du 30 août 2005, la société …, par l’intermédiaire de son mandataire, sollicita la communication des éléments de fait et de droit susceptible de « motiver une quelconque décision d’annuler la soumission publique sous rubrique », tout en sollicitant également la communication de l’avis de la Commission des soumissions du 27 juillet 2005.

Par courrier du 20 septembre 2005, le ministre écrivit au mandataire de la société … ce qui suit :

« En référence à votre courrier du 30 août 2005 relatif au dossier sous rubrique, je me permets de vous transmettre ci-joint l’avis de la Commission des soumissions du 27 juillet 2005 y afférent.

En outre, en ce qui concerne les non-conformités d’ordre technique, je vous prie de bien vouloir trouver en annexe un tableau comparatif et analytique élaboré par notre bureau d’architecture dont il en ressort notamment que votre mandante, en ce qui concerne le lot « béton », a remis des échantillons non-conformes aux exigences exposées au cahier des charges et au bordereau.

Enfin, je me permets de vous informer que j’ai l’intention d’entériner ma proposition d’annulation de la présente soumission, tout en poursuivant la recommandation de la Commission des soumissions en recourant par la suite à un marché négocié, de sorte que votre mandante aura l’opportunité d’entrer en négociations avec mes services pour le présent marché ».

Suivant courrier du 28 septembre 2005 à l’adresse du directeur, le ministre approuva 2les devis-bordereau et cahier spécial des charges proposés par ledit directeur le 19 août 2005 et l’autorisa à conclure un marché négocié avec l’offrant le moins disant conformément à l’article 47 a) de la loi de 2003 pour une dépense estimée au montant de … euros TTC.

Suivant arrêté du 7 octobre 2005, le ministre procéda à l’annulation de la mise en adjudication publique du 15 mars 2005 relative aux travaux de revêtement de parvis à exécuter dans l’intérêt de la quatrième extension de la Cour de Justice des Communautés européennes à Luxembourg-Kirchberg. Ledit arrêté repose sur les motifs et considérants suivants :

« Vu le résultat de la soumission publique du 15 mars 2005 relative aux travaux de revêtement de parvis à exécuter dans l’intérêt de la 4e extension de la Cour de Justice des Communautés européennes à Luxembourg-Kirchberg ;

Attendu que les deux offres remises ne sont pas conformes aux clauses techniques du cahier des charges ;

Vu qu’il y a donc lieu d’annuler la mise en adjudication au motif qu’aucune des offres ne répond aux conditions prescrites ;

Vu l’article 91 (1) du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics ;

Vu l’avis favorable No … du 28 juillet 2005 de la Commission des Soumissions ;

Sur la proposition du Directeur des Bâtiments publics du 15 juillet 2005, No … ».

Par courrier du 6 décembre 2005, le mandataire de la société … s’adressa au ministre en les termes suivants :

« Par la présente, j’ai l’honneur de vous rappeler que je suis toujours chargé d’assurer la défense des intérêts de la société …, établie à …, à D-….

Par courrier du 20 septembre 2005, vous me faisiez part de votre intention d’entériner l’avis de la Commission des soumissions qui vous recommandait l’annulation de la soumission en référence. Par ailleurs, vous m’indiquiez que ma mandante serait invitée à entamer des discussions avec vos services, apparemment selon la procédure du marché négocié, après un appel d’offres jugé infructueux.

Or, sauf erreur ou omission, aucune décision n’est encore intervenue à la date de ce jour et ma mandante n’a toujours pas été entendue en personne au sens de l’article 9 alinéa 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, comme elle vous l’avait pourtant demandé par mon courrier en date du 30 août dernier ».

En date du 13 décembre 2005, la société … apprit l’annulation de la soumission publique litigieuse de manière indirecte, par l’intermédiaire d’un courrier daté au 12 décembre 2005 de la société anonyme …, chargée de la coordination du chantier, qui l’informa au nom de l’Etat que « suite à l’annulation de la soumission y afférente, l’Administration des Bâtiments Publics a décidé d’appliquer la procédure d’un marché négocié pour une partie du dossier » et invita la société … à manifester son intérêt pour les travaux en question.

3 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2006, la société … fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 7 octobre 2005 portant annulation de la procédure de soumission publique pour les travaux de revêtements de parvis à exécuter dans l’intérêt de la quatrième extension du palais de la Cour de Justice des Communautés européennes à Luxembourg et de la décision du 28 septembre 2005 dudit ministre de recourir à la procédure de marché négocié.

Par jugement du 1er juin 2006, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation tout en recevant le recours subsidiaire en annulation en la forme. Ensuite, face aux contestations de la société … suivant laquelle ce serait à tort que son offre avait été déclarée non conforme par rapport au cahier des charges, et donc également à tort que l’adjudication publique avait été annulée au motif qu’aucune des offres présentées ne répondait aux conditions prescrites, et dans la mesure où le tribunal estima ne pas être en mesure, à défaut de données et connaissances techniques adéquates, de constater lui-même si les caractéristiques techniques de l’offre de la société demanderesse répondaient aux prescriptions du cahier des charges, il nomma, avant tout autre progrès en cause, un expert avec la mission d’examiner :

1) si la fiche technique des aménagements extérieurs pour les accès aux véhicules de pompiers annexée à l’offre de la requérante correspond à la norme SLW 30, soit à la norme DIN 1072 ;

2) que les indications fournies dans l’appel d’offres par le pouvoir adjudicateur sur les dimensions de fabrication pour les dalles grand format en béton constituaient seulement des recommandations et non pas une obligation imposée au soumissionnaire ;

3) que la fiche technique communiquée avec l’offre ne dépasse pas les tolérances du bordereau en ce qui concerne les dalles grand format en béton ;

4) que la résistance du béton à la compression ne pouvait être déterminée en fonction d’un prétendu § 1 qui ne figure pas dans l’appel d’offres ;

5) que la société … a indiqué dans son offre les caractéristiques concernant la résistance du béton à la compression ;

6) que l’offre de la société … répond à la classe d’exposition du béton selon la catégorie DNA EN 206 : Cat 4 LP XC4 XD3 XF4 XA1 ;

7) que la fiche technique de l’offre émise par la société … répond à l’exigence d’une surface antidérapante R11 selon la norme DIN 51130 ;

8) que l’offre de la société … apporte les renseignements requis par l’appel d’offres en ce qui concerne la résistance, selon les recommandations RILEM CDC2, au gel et au dégel en présence d’agents de déverglaçage ;

9) que la surface des échantillons n’a pas été limée et que le traitement de la texture a été réalisé en partie par lavage, en partie à l’acide ;

10) que les tons des échantillons de dalle réalisés par la société … sont conformes aux échantillons et de même ton que ceux exposés chez l’Administration des bâtiments publics ;

11) que l’adoption d’un système bicouche pour l’exécution les faces latérales des échantillons permet d’avoir du béton apparent sur ces faces ;

12) que les représentants de la société … ont bien vu les échantillons, comme cela ressort de la réalisation dans les mêmes tons des échantillons de dalles ;

13) que les échantillons fournis renseignent un classement horizontal et vertical, avec indication de la couleur, de la texture et du matériau.

4 Dans le même jugement, le tribunal réserva les frais et fixa l’affaire au rôle général.

Il se dégage ensuite des éléments du dossier et des divers échanges y figurant que le premier expert commis, Monsieur …, après avoir, dans un premier temps, accepté le 8 juin 2006 la mission lui confiée par le tribunal, informa celui-ci par courrier du 27 juin 2007 qu’il y renonçait, faute, d’une part, pour la société … d’avoir consigné en temps utile la somme de ….-

euros à titre d’avance sur frais et honoraires d’expert et, d’autre part, pour n’avoir, plus d’un an après sa nomination et malgré diverses relances, reçu aucune réponse aux questionnaires qu’il avait adressés aux parties, mis à part des textes législatifs et réglementaires versés par le mandataire de la société demanderesse.

Par ordonnance du 24 septembre 2007, le premier vice-président et président de la deuxième chambre du tribunal administratif nomma expert, en remplacement de Monsieur …, Monsieur …, aux fins d’accomplir la mission telle que fixée dans le jugement du 1er juin 2006.

Il se dégage des éléments du dossier que le nouvel expert sollicita le 7 novembre 2007 la prorogation du délai lui accordé pour déposer son rapport faute de s’être vu communiquer toutes les pièces nécessaires à l’accomplissement de sa mission, prorogation qui lui fut accordée par ordonnance du 9 novembre 2007.

Suite à une nouvelle demande en ce sens formulée par l’expert dans un courrier du 22 novembre 2007 et réitérée le 7 décembre 2007, le tribunal invita les parties à se présenter le 17 décembre 2007 en chambre du conseil afin de prendre position quant à ce courrier.

Par courrier du 17 décembre 2007, le litismandataire de la société … informa le tribunal qu’il n’avait reçu ni instructions ni prise de position de sa mandante en sollicitant par conséquent un report de la convocation en chambre du conseil au mois de janvier 2008.

Par courrier du 4 janvier 2008, le litismandataire de la société … informa le tribunal que sa mandante lui avait finalement communiqué sa prise de position quant au courrier de l’expert du 7 décembre 2007 et qu’elle acceptait de consigner la somme de ….- euros à titre de provision sur honoraires dudit expert, de même qu’elle acceptait une prorogation du délai pour déposer son rapport d’expertise.

Par ordonnance du 8 janvier 2008, le premier vice-président et président de la deuxième chambre du tribunal administratif prorogea une nouvelle fois le délai pour la remise du rapport d’expertise.

Par courrier du 19 février 2008, le litismandataire de la société demanderesse s’adressa au tribunal dans les termes suivants :

« J’ai l’honneur, par la présente, de revenir à l’affaire émargée et de vous adresser copie du courrier de la Commission européenne à mon confrère allemand …, dans le cadre de la plainte qu’il avait déposée en 2006 pour le compte de notre mandante, la société ….

Il ressort de ce courrier en date du 27 août 2007 que l’Etat du Grand-duché de Luxembourg a explicitement reconnu devant la Commission européenne avoir violé les dispositions de l’article 7 de la directive CEE n° 93/37 du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, violations qui confortent la 5société … dans sa demande d’annulation des décisions déférées. Il conviendrait d’en tirer les conséquences dans le cadre de la présente procédure.

Par ailleurs, je fais suite au courrier que m’a adressé Monsieur le Greffier, … en date du 18 février 2008, me transmettant la demande de Monsieur l’expert … de voir taxés ses honoraires par votre Tribunal. Par courrier parallèle en date ce jour, j’ai demandé à ma mandante de bien vouloir prendre position sur cette demande. Je ne manquerai évidemment pas de vous en faire part, dès qu’elle me parviendra. […] ».

Par courrier du 15 décembre 2009, le tribunal pria le litismandataire de la société … de l’informer des suites qu’il entendait réserver à cette affaire, fixée au 18 janvier 2010 pour fixation.

Par courrier du 22 janvier 2010, le délégué du gouvernement informa le tribunal de ce qui suit : « […] Après avoir pris contact tant avec le Ministère du Développement durable et des Infrastructures qu’avec le mandataire de la société requérante, il a été convenu de commun accord de mettre l’affaire au rôle général. ».

Par courrier du 25 janvier 2010, le tribunal porta à la connaissance de la société … que son litismandataire, Maître Guy Perrot, l’avait informé du dépôt de son mandat tout en recommandant à la société demanderesse de prendre contact avec un avocat inscrit à la liste 1 du tableau de l’ordre des avocats susceptible de continuer à défendre ses intérêts devant le tribunal administratif, courrier auquel il ne fut donné aucune suite.

Par courrier du 3 février 2021, le délégué du gouvernement s’adressa au tribunal dans les termes suivants :

« Je me permets de revenir à cette affaire qui a été enrôlée fin 2005 et qui se trouve au rôle général depuis des années.

Etant donné que les règles relatives à la péremption d’instance et la péremption d’action sont applicables de manière supplétive en matière de procédure contentieuse devant les juridictions de l’ordre administratif, je vous saurais gré de bien vouloir ordonner la péremption d’instance, sinon la radiation de cette affaire.

A notre connaissance, la partie adverse n’est pas représentée par un avocat. […] ».

Par courrier recommandé du 22 février 2021, le greffe du tribunal administratif s’adressa à la société … pour lui transmettre le courrier du 3 février 2021, précité, tout en rappelant que, par courrier du 25 janvier 2010, elle avait déjà été rendue attentive au fait qu’elle devait être obligatoirement représentée par un avocat à la Cour et en lui demandant d’informer le tribunal le plus rapidement possible des suites qu’elle entendait donner à cette affaire.

Par courrier recommandé du 22 mars 2021, le greffe du tribunal administratif s’adressa de nouveau à la société … pour lui rappeler les termes de son courrier du 22 février 2021.

Par courrier électronique du 26 avril 2021, Maître Jean-Philippe Hallez informa le tribunal que la société … l’avait chargé de la défense de ses intérêts et qu’il devait encore recevoir de celle-ci des instructions quant aux suites à réserver à la procédure sous analyse.

6Par courrier électronique du 7 juin 2021, le tribunal se renseigna auprès du litismandataire de la société demanderesse pour connaître les suites que sa mandante entendait réserver à cette affaire, demande qui dut être réitérée le 30 juin 2021, suite à quoi le tribunal fut prié par le litismandataire de la société demanderesse de « mettre cette affaire encore en suspens alors que la sté … [lui avait] donné pour instructions de tenter de trouver un arrangement avec le Ministère notamment concernant cette affaire. ».

Par courrier électronique du 7 décembre 2021 et après avoir été informé par le tribunal que l’affaire en cause serait appelée pour plaidoiries à l’audience du 13 décembre 2021, le litismandataire de la société … transmit au tribunal une copie d’un courrier adressé le 27 août 2021 au ministère de la Mobilité et des Travaux publics, ledit courrier ayant la teneur suivante :

« J’ai l’honneur de vous informer que la société à responsabilité limitée de droit allemand …, établie et ayant son siège social à D-…, m’a chargé de la défense de ses intérêts.

Ma mandante m’a demandé de prendre en contact avec vous afin de tenter de trouver un arrangement concernant la procédure contentieuse pendante devant le Tribunal administratif de Luxembourg (requête du 13.01.2006 tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Travaux publics du 7 octobre 2005 portant annulation de la procédure de soumission publique engagée dans le cadre de l’appel d’offres lancé pour des travaux de revêtement de parvis à exécuter dans l’intérêt de la quatrième extension du palais de la Cour de Justice des Communautés européennes à Luxembourg et de la décision dudit ministre du 28 septembre 2005 portant autorisation de procéder par voie de marché négocié – rôle n°20906).

M. …, gérant de la société …, est disposé à se rendre à Luxembourg en vos bureaux afin de discuter des bases d’un arrangement.

Je vous remercie de bien vouloir me communiquer les coordonnées de la personne en charge de ce dossier au Ministère afin que je puisse m’entretenir avec elle de cette affaire et en cas d’accord sur le principe, fixer une date de réunion.

Je reste à votre disposition pour toute précision complémentaire sur cette affaire.

[…] ».

Par un deuxième courrier électronique du 7 décembre 2021, le litismandataire de la société demanderesse s’adressa encore au tribunal dans les termes suivants :

« […] M. … me charge de demander une remise de cette affaire à minimum deux mois pour permettre à la société … de trouver un arrangement avec l’Etat du GD de Luxembourg.

L’arrangement visé par M. … est un arrangement global portant sur cette affaire n°20906 devant le Tribunal administratif ainsi que sur un litige civil opposant la société … à l’Etat du GD de Luxembourg concernant des indemnités de retard sur un marché négocié de travaux d’isolation et d’étanchéité sur le parvis de la CJCE.

Je serai quoiqu’il en soit présent à l’audience du 13.12.2021 pour, à titre principal, renouveler cette demande de remise de l’affaire. […] ».

7A l’audience des plaidoiries du 13 décembre 2021, après avoir rappelé, en substance, les antécédents de cette affaire, tels que repris ci-avant, et pointé le fait que depuis l’année 2010, il était resté sans aucune nouvelle quant aux suites à réserver à celle-ci, le tribunal a soulevé d’office, conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », la question du maintien dans le chef de la société demanderesse d’un intérêt à agir, et plus particulièrement d’un intérêt à voir toujours sanctionner les actes faisant l’objet du recours sous analyse par leur annulation.

Confrontée à cette question, le litismandataire de la société demanderesse a, en substance, réitéré les développements contenus dans ses courriers électroniques du 7 décembre 2021 quant à la volonté de sa mandante de trouver un arrangement avec l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, respectivement en pointant le fait qu’en cas d’annulation des actes litigieux par le tribunal, la société demanderesse pourrait éventuellement engager une action civile contre l’Etat afin de compenser de cette manière les indemnités de retard qu’elle a elle-même été condamnée à payer à l’Etat en 2015.

Le délégué du gouvernement a, quant à lui, maintenu que, selon lui, l’instance était périmée, tout en déclarant qu’il lui serait impossible de saisir les explications par le biais desquelles la société demanderesse entend justifier son intérêt à la poursuite de cette affaire, de sorte à ne pas non plus pouvoir prendre utilement position par rapport à la question soulevée d’office par le tribunal.

Le tribunal est tout d’abord amené à préciser que la recevabilité d’un recours est conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement, sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations1, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.

L’exigence de la subsistance de l’objet du recours est en général liée à l’exigence du maintien de l’intérêt à agir, et plus particulièrement de l’intérêt à voir sanctionner l’acte faisant l’objet du recours, étant précisé que l’existence d’un tel intérêt à agir présuppose que la censure de l’acte querellé soit de nature à procurer au demandeur une satisfaction personnelle et certaine2. Ainsi, le recours en annulation, recevable pour avoir rencontré notamment la condition de l’intérêt à agir au moment de son introduction, devient sans objet en cours d’instance contentieuse lorsque le demandeur est resté en défaut d’établir, voir seulement d’alléguer un quelconque avantage que l’annulation de l’acte litigieux pourrait lui procurer3.

1 Trib. adm. 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 61 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 20 octobre 2010, n° 26758 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 33 et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 6 octobre 2004, n°17642 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n°57 et les autres références y citées.

8Or, la première personne à déterminer s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès4.

Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite5. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours devient sans objet.

Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé6. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté.

En l’espèce, le tribunal constate tout d’abord que suite au dépôt, en date du 25 janvier 2010, de son mandat par le prédécesseur de l’actuel litismandataire de la société demanderesse, celle-ci n’a manifesté plus aucun intérêt en relation avec l’affaire en cause, en mandatant un nouvel avocat afin de poursuivre cette affaire en vue d’obtenir une annulation des actes litigieux, voire même en s’enquérant des suites réservées par l’expert mandaté par le tribunal par le biais de son jugement du 1er juin 2006. C’est, en effet, seulement suite à l’initiative prise par la partie étatique en date du 3 février 2021 que cette affaire a été réappelée.

A cela s’ajoute que même après s’être vu adresser le 22 février 2021 un premier courrier recommandé à travers lequel elle a été informée par le tribunal de la nécessité de se faire représenter par un avocat à la Cour aussi bien si elle souhaitait maintenir la présente affaire ou bien si elle entendait s’en désister, cela a encore pris deux mois et nécessité un rappel, avant que l’actuel litismandataire ne se constitue et deux mois de plus avant que celui-ci ne soit à même d’informer le tribunal au sujet des instructions qu’il avait reçues de sa mandante quant aux suites à donner à cette affaire et qui se résumaient à chercher à trouver un arrangement avec l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.

Il s’ensuit que de par l’attitude affichée par la société demanderesse depuis le dépôt de son mandat par son ancien litismandataire en janvier 2010, celle-ci doit être considérée comme n’ayant pas témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’elle a mue par sa requête introductive du 13 janvier 2006.

4 Trib. adm. 11 mai 2016, n°35579 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n°34 et les autres références y citées.

5 Idem 6 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.

9Ce constat se trouve corroboré par le fait que la société demanderesse n’est pas en mesure d’expliquer dans quelle mesure, à l’heure actuelle, soit plus de 15 ans après l’introduction d’un recours contentieux à l’encontre des actes litigieux, l’annulation de ceux-ci pourrait encore lui procurer une satisfaction personnelle et certaine.

Si elle entend certes justifier la subsistance d’un intérêt par le fait qu’en cas d’annulation des actes litigieux, elle pourrait éventuellement introduire une action en dommages et intérêts contre l’Etat luxembourgeois dans le but de compenser des dommages et intérêts qu’elle a elle-même été condamnée à payer à l’Etat dans une action civile l’ayant opposée à celui-ci en relation avec des indemnités de retard, le tribunal se doit de préciser que si une décision d’annulation, respectivement de réformation peut permettre, sinon faciliter une demande d’indemnité au juge ordinaire, compte tenu de la jurisprudence actuellement fluctuante des juridictions civiles, il ne s’agit que d’un aspect accessoire de l’intérêt, qui doit en premier lieu être de faire disparaître l’acte attaqué de l’ordre juridique, respectivement de le voir remplacé par un acte conforme aux attentes de l’administré, ce qui est la finalité du recours en annulation, respectivement celle du recours en réformation auprès des juridictions administratives. Si cependant l’annulation, respectivement la réformation sollicitée de l’acte ne tend pas à une telle finalité, mais à permettre, respectivement à faciliter au demandeur, grâce à la décision d’annulation ou de réformation, l’administration de la preuve d’une faute de l’Etat dans une action éventuelle fondée sur la responsabilité de l’Etat, la seule possibilité invoquée par le demandeur d’une action judiciaire en paiement de dommages et intérêts, à défaut d’indication de tout autre intérêt administratif, ne suffit pas à justifier qu’il possède l’intérêt légal requis. En effet, la thèse suivant laquelle une éventuelle action en responsabilité suffirait à elle seule, c’est-à-dire à défaut de tout autre intérêt administratif, à justifier l’existence d’un intérêt pour agir devant les juridictions administratives aboutirait à vider de sa substance la condition de recevabilité que constitue l’exigence d’un intérêt et à dénaturer le recours devant les juridictions administratives7.

Ainsi, la seule invocation par la société demanderesse d’une hypothétique action en dommages et intérêts, dans le seul but de compenser les dommages et intérêts qu’elle a elle-

même été condamnée à payer à l’Etat - compensation dont elle ne semble, qui plus est, jusqu’à maintenant jamais avoir vu l’utilité puisque d’après ses propres explications, le jugement l’ayant condamnée à verser des dommages et intérêts à l’Etat a acquis autorité de chose jugée en 2015 - n’est à l’évidence pas de nature à justifier le maintien dans son chef d’un intérêt suffisant à la poursuite de l’action introduite devant le tribunal administratif le 13 janvier 2006.

Ce constat s’impose d’autant plus qu’à travers son argumentation, la société demanderesse admet qu’en réalité, la seule raison pour laquelle elle souhaite maintenir le présent recours, est de pouvoir faire pression sur l’Etat afin de trouver un arrangement global avec celui-ci, façon de faire que le tribunal ne saurait en tout état de cause cautionner.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le recours est à rejeter pour avoir perdu son objet.

Eu égard à l’issue du litige, la demande de la société demanderesse tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500.- euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 est également à rejeter.

7 Trib. adm., 16 janvier 2006, n° 19949 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 44 et l’autre référence y citée ; dans le même ordre d’idées : trib. adm., 6 octobre 2010, n° 26617 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Procédure contentieuse, n° 45 et l’autre référence y citée.

10Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

vidant le jugement du 1er juin 2006 ;

rejette le recours pour avoir perdu son objet ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la société demanderesse ;

met les frais et dépens à charge de la société demanderesse.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Hélène Steichen, premier juge, Daniel Weber, premier juge, et lu à l’audience publique du 17 janvier 2022 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 janvier 2022 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20906a
Date de la décision : 17/01/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-01-17;20906a ?

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