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08/11/2021 | LUXEMBOURG | N°44144

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 novembre 2021, 44144


Tribunal administratif N° 44144 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 février 2020 1re chambre Audience publique du 8 novembre 2021 Recours formé par Madame A, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44144 du rôle et déposée le 11 février 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de

s avocats à Luxembourg, au nom de (1) Madame A, née le … à … (Syrie), apatride, représentée ...

Tribunal administratif N° 44144 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 février 2020 1re chambre Audience publique du 8 novembre 2021 Recours formé par Madame A, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44144 du rôle et déposée le 11 février 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de (1) Madame A, née le … à … (Syrie), apatride, représentée par son administrateur public, Monsieur B, né le … à …, apatride, demeurant ensemble à L-…, (2) Monsieur C, né le … à …, et (3) Madame D, née le … à …, apatrides, demeurant en Syrie, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 novembre 2019 rejetant la demande de regroupement familial dans le chef des parents, Monsieur C et Madame D ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2020 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2020 par Maître Frank Wies, au nom de sa mandante ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank Wies et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 septembre 2021.

En date du 20 décembre 2017, Monsieur B, accompagné de sa sœur mineure, A, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015».

Par décision du 8 mai 2018, notifiée en mains propre le 17 mai 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda à Monsieur B et à sa 1sœur A le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 7 mai 2023.

Par courrier réceptionné le 2 août 2018, le mandataire de Madame A introduisit une demande tendant principalement au regroupement familial au sens de l’article 69, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », et subsidiairement à l’obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons privées conformément à l’article 78 de la loi du 29 août 2008 dans le chef de ses parents, Monsieur C et Madame D.

Par ordonnance du 24 septembre 2018, le juge des tutelles délégué auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna, sur demande du litismandataire de la fratrie ABCD, Monsieur B administrateur public de sa sœur mineure A.

Par courrier du 12 décembre 2018, le ministre accusa bonne réception de la demande introduite en date du 2 août 2018 et sollicita la production de documents supplémentaires, dont la preuve que Monsieur C et Madame D sont à charge de A « vu qu’elle ne peut pas être considérée comme mineure non accompagnée », la preuve que les parents de A sont privés du soutien familial dans leur pays d’origine et qu’ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens ainsi que la preuve qu’ils ne reçoivent ni de rente ni d’autre revenu en Syrie.

Par courrier électronique du 23 mai 2019, le litismandataire de A insista sur le fait que cette dernière serait à considérer comme mineur non accompagné sans pour autant ajouter les pièces sollicitées par le ministre.

Par courrier du 14 juin 2019, le ministre rappela son courrier du 12 décembre 2018 en maintenant son affirmation que A ne serait pas à considérer comme mineur non accompagné.

Par décision du 8 novembre 2019, le ministre refusa de faire droit à la demande de A, décision qui est motivée comme suit :

« (…) Je me réfère au courrier du Médiateur du Grand-Duché de Luxembourg reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 23 août 2019.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, Madame A ne peut pas être considérée comme étant mineure non-

accompagnée étant donné qu'elle était accompagnée de son frère majeur qui a même été désigné administrateur public.

Conformément à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration « l'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d'origine ».

2Or, il ne ressort pas de votre demande que Monsieur C et Madame D sont à charge de leur fille ou bien de leur fils, qu'ils sont privés du soutien familial dans leur pays d'origine et qu'ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens étant donné que vous ne m'avez fait parvenir aucun document concernant ces conditions malgré plusieurs rappels.

Par ailleurs, Monsieur C et Madame D ne remplissent aucune condition afin de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L'autorisation de séjour leur est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2020, Madame A, représentée par son administrateur public, Monsieur B, ainsi que Monsieur C et Madame D ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 8 novembre 2019 refusant de faire droit à sa demande de regroupement familial dans le chef de ses parents.

Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de regroupement familial, respectivement d’autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, les demandeurs rappellent en substance les faits et rétroactes de l’affaire et explique que Madame A serait arrivée au Grand-Duché de Luxembourg en décembre 2017, accompagnée de son frère Monsieur B, après avoir bénéficié d’une relocalisation depuis la Grèce. Ils précisent que son frère aîné aurait introduit une demande de protection internationale en son nom et qu’elle aurait été « incluse par les autorités luxembourgeoises dans la même procédure ».

En droit, les demandeurs invoquent de prime abord une violation de l’article 70, paragraphe (4) de la loi du 29 août 2008 en soutenant que, dans la mesure où Madame A serait à considérer comme mineur non accompagné elle serait dispensée de rapporter la preuve de ce que ses parents sont à sa charge et dépourvus du soutien familial dans leur pays d’origine. Ils citent à cet égard l’article 2, point m) de la loi du 18 décembre 2015, qui diffèrerait par rapport à la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après désignée par « la directive 2003/86 », sur un point important, à savoir que la directive définirait le mineur non accompagné comme étant le mineur sans être accompagné « d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume », tandis que la loi du 18 décembre 2015 aurait précisé la notion de « loi ou la coutume » en retenant les termes « adulte qui est responsable de lui par le droit en vigueur au Grand-Duché de Luxembourg ». Selon les demandeurs, il faudrait dès lors rechercher selon le droit luxembourgeois à partir de quel moment une personne adulte est à considérer comme responsable d’un mineur se trouvant sur le territoire luxembourgeois. A cet égard, ils se réfèrent à l’article 375 du Code civil et en concluent que Madame A n’aurait pas pu être considérée comme mineur accompagné au moment de son introduction de sa demande de protection internationale par la seule présence de son frère, alors que ce dernier n’aurait été désigné comme administrateur public qu’en date du 24 septembre 2018. Ainsi, tant au moment de l’octroi du statut de réfugié en date du 23 mai 32018 que lors de l’introduction de la demande de regroupement familial en date du 1er août 2018, elle n’aurait pas été accompagnée d’un adulte responsable selon le droit en vigueur au Grand-Duché de Luxembourg.

Partant du principe que Madame A aurait perdu sa qualité de mineur non accompagné à partir de la désignation de son frère aîné en tant qu’administrateur public par l’ordonnance du 24 septembre 2018, à savoir postérieurement à l’introduction de la demande de regroupement familial, les demandeurs se réfèrent à l’arrêt C-550/16 de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « CJUE », du 12 avril 2018 ayant retenu que même si le mineur non accompagné atteint la majorité au cours de l’examen de sa demande de protection internationale, il doit continuer à être considéré comme tel pour les besoins de l’examen de sa demande de regroupement familial. Les demandeurs estiment que ces principes devraient être appliqués à la demande de regroupement familial. Décider le contraire équivaudrait, d’après eux, à une méconnaissance du droit inscrit à l’article 10, paragraphe (3) de la directive 2003/86 ainsi que de l’arrêt précité de la CJUE.

Les demandeurs font encore valoir que la décision ministérielle serait contraire au principe d’égalité de traitement en soutenant que si Monsieur B avait abandonné sa soeur dès son arrivée au Luxembourg, il aurait augmenté les chances de sa sœur à voir accepter sa demande de regroupement familial, mais, en se comportant en adulte responsable et en demandant l’ouverture d’une tutelle dans le chef de sa sœur, il porterait préjudice aux chances de sa sœur de se voir réunie avec ses parents. Les demandeurs précisent encore dans ce contexte que la décision ministérielle conduirait à une inégalité de traitement par rapport aux mineurs visés par l’arrêt de la CJUE du 12 avril 2018, à savoir les mineurs ayant atteint l’âge de la majorité en cours de l’examen de leur demande de protection internationale.

Les demandeurs demandent dans ce contexte au tribunal de saisir la CJUE d’une question préjudicielle de la teneur suivante : « Dans le cadre du regroupement familial de réfugiés, faut-

il également entendre par « mineur non accompagné » au sens de l’article 2, initio et sous f), de la directive 2003/86/CE, un ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un Etat membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui par la loi ou la coutume, et qui :

- Demande l’asile, - Se voit accorder l’asile avec effet rétroactif à la date de la demande - Demande ensuite le regroupement familial au profit de ses ascendants directs au premier degré et, - Postérieurement à l’introduction de sa demande de regroupement familial, voit un membre de sa famille autre que ses ascendants directs nommer comme son administrateur public par les autorités compétentes d’un Etat membre et ainsi, par application du droit national dudit Etat membre, devenir un adulte responsable de lui. ».

Les demandeurs concluent ensuite à une violation de l’article 24, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en reprochant au ministre de ne pas avoir pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant en prenant la décision déférée. Le ministre aurait été informé de la « situation de détresse et de désarroi » de Madame A en raison de la séparation de ses parents.

Ils invoquent finalement une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et de libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en ce que 4le refus opposé à Madame A de pouvoir se réunir avec ses parents constituerait une ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soulignent que le droit luxembourgeois connaîtrait deux définitions divergentes du statut de mineur non accompagné, à savoir celle retenue dans la loi du 18 décembre 2015 et celle précisée dans la loi du 28 août 2009. Ils observent que la définition retenue par le ministre ne préciserait pas le pays dont la loi ou coutume devrait s’appliquer, de sorte qu’il devrait s’agir soit de la loi du for, à savoir la loi luxembourgeoise, soit de la loi du statut personnel, à savoir la loi de l’Etat dont la personne possède la nationalité. Ils donnent à considérer que l’interprétation ministérielle mènerait à la situation où pendant l’examen de la demande de protection internationale Madame A serait à considérer comme mineur non accompagné selon l’article 2, point m) de la loi du 18 décembre 2015, tandis qu’elle perdrait ce statut à l’occasion de sa demande de regroupement familial par application de la loi syrienne.

Pour autant que le tribunal retiendrait que les termes « la loi ou la coutume » feraient référence à la loi syrienne, les demandeurs font plaider que, selon la source citée par la partie gouvernementale, la garde d’une personne mineure serait conjointement réservée aux parents aussi longtemps qu’ils sont unis par les liens du mariage. Les parents de Madame A resteraient mariés, de sorte que le principe de la garde conjointe s’appliquerait. Les termes « If there is no father » de l’extrait cité par le délégué du gouvernement ne sauraient être appliqués à l’espèce, alors que le père de Madame A serait toujours en vie. Les demandeurs se réfèrent encore aux articles 130 et 131 du Code du statut personnel syrien selon lesquels il faudrait que l’homme ait une femme pour s’occuper de l’enfant et que l’attribution de la « hadhana » devrait être demandée et que celui qui serait en droit de l’obtenir serait déchu de ce droit s’il n’en avait pas fait la demande dans le délai d’un an « qui court à compter du jour où la personne apprend que ce droit lui appartient », alors que, d’un côté, Monsieur B serait venu sans son épouse, qui ne l’aurait rejoint au Luxembourg qu’à la suite d’une demande de regroupement familial, et, d’un autre côté, il serait déchu du droit de demander la « hadhana » sur sa sœur au plus tard depuis mars 2017 à défaut de l’avoir réclamée selon le droit syrien.

Les demandeurs insistent finalement sur le caractère disproportionné de l’ingérence de l’Etat dans leur droit au respect de la vie familiale, dans la mesure où le refus de la demande de regroupement familial les empêcherait de réunir la cellule familiale déchirée par les événements ayant motivé l’octroi de la protection internationale, alors que Madame A aurait, au vu de sa minorité, un besoin renforcé de pouvoir vivre et grandir auprès de ses parents. Ils versent à cet égard une attestation du Service psycho-social et d’accompagnement scolaire du … soulignant la souffrance psychologique dans laquelle Madame A se trouverait actuellement.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Au-delà des faits et rétroactes tels que relatés ci-dessus, il précise que la notion de « mineur non accompagné » serait, contrairement à l’affirmation de la demanderesse, définie à l’article 68, point d) de la loi du 29 août 2008 et non pas dans la loi du 18 décembre 2015. Il se bae sur un rapport du « Norwegian Country of Origin Information Centre, Landinfo », intitulé « Syria : Marriage legislation and tradition », pour conclure qu’au vu de la législation applicable en Syrie, en cas d’absence du père du mineur concerné, la tutelle sur celui-ci reviendrait au grand-père paternel ou, à défaut, à un autre membre masculin de la famille. Dans la mesure où Madame A aurait été accompagnée de son frère majeur, ce dernier serait 5responsable d’elle en vertu de la loi syrienne, constat qui se trouverait encore conforté par l’ordonnance n° 18/2017 rendue par le Parquet du Tribunal de première instance de Kilkis, lors de leur séjour en Grèce. Pour autant que Madame A n’aurait pas été à considérer comme mineur non accompagné au moment du dépôt de sa demande de protection internationale, respectivement de l’introduction de sa demande de regroupement familial, le fait que son frère aurait entretemps été désigné comme administrateur ad hoc par ordonnance du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, serait à considérer comme « circonstances ultérieures » à prendre en compte dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de regroupement familial, telles que retenues par la CJUE dans son arrêt, précité, du 12 avril 2018.

Le délégué du gouvernement insiste ensuite sur le fait que la disposition de l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 accorderait au ministre une compétence discrétionnaire, de sorte à être exceptionnelle en laissant au ministre un pouvoir d’appréciation s’exerçant au cas par cas. Il conclut finalement que les parents de Madame A ne rempliraient ni la condition d’être à charge de leur fille ni qu’ils ne bénéficieraient pas d’un soutien familial dans leur pays d’origine.

La partie gouvernementale fait finalement valoir que la décision déférée serait conforme tant au droit national qu’au droit international et insiste encore une fois sur le fait que la demanderesse ne serait pas à considérer comme mineur non accompagné.

Dans son mémoire en duplique, tout en admettant que les éléments, dont il se prévaut pour démontrer que Monsieur B dispose du droit de garde sur sa sœur mineure suivant la coutume syrienne, auraient une faible valeur probante, le délégué du gouvernement souligne qu’aucun des parents de Madame A ne serait actuellement capable d’exercer l’autorité parentale sur cette dernière, tel que cela aurait été constaté par le juge des tutelles, de sorte qu’au plus tard depuis l’ordonnance du 24 septembre 2018 la demanderesse ne serait plus à considérer comme un mineur non accompagné.

Il affirme finalement que ce serait à tort que Madame A prétend qu’elle n’aurait pas la possibilité de prouver que ses parents seraient à sa charge, étant donné qu’elle aurait introduit la demande de regroupement familial dans le délai des trois mois suivant l’octroi d’un statut de protection international prévu à l’article 69, paragraphe 3 de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’elle ne devrait pas rapporter la preuve de disposer de ressources propres suffisantes.

Le tribunal relève, à titre liminaire, que les demandeurs n’ont formulé aucun moyen par rapport à l’affirmation du ministre qu’aucune condition permettant aux parents de Madame A de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont énumérées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 n’est remplie en l’espèce, de sorte que ce volet de la décision n’a pas à être examiné par le tribunal.

S’agissant ensuite du refus de la demande de regroupement familial, il échet de constater qu’aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

61. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

Ainsi, et contrairement à l’affirmation du délégué du gouvernement, l’intéressé bénéficiant de l’exception prévue au paragraphe (3) de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, selon laquelle le bénéficiaire d’une protection internationale ayant introduit une demande de regroupement familial endéans le délai de trois mois à partir de l’octroi de la protection internationale, est certes exempt de rapporter la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour lui-même et les personnes dans le chef desquelles il demande le regroupement familial, mais il doit néanmoins a priori rapporter la preuve que les conditions de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, concernant la personne du regroupé, sont remplies.

A cet égard, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

7(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».

Il y a lieu de relever que l’article 70, précité, de la loi du 29 août 2008 opère une distinction entre la demande de regroupement familial introduite dans le chef des ascendants directs au premier degré par un mineur non accompagné au sens de la loi du 29 août 2008, d’une part, et celle qui est introduite par un regroupant qui n’est pas à qualifier comme tel dans le chef des mêmes personnes, d’autre part, étant relevé que dans le premier cas de figure le ministre a l’obligation d’accorder la demande de regroupement familial sans que les conditions fixées au paragraphe (5), point a) de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne doivent être remplies. Dans d’autres mots, un mineur non accompagné bénéficiaire d’une protection internationale ayant introduit une demande de regroupement familial dans le délai de trois mois à partir de l’octroi de la protection internationale ne doit rapporter ni la preuve qu’il bénéficie de ressources stables, régulières et suffisantes, d’un logement et d’une couverture d’une assurance maladie ni celle que ses ascendants directs sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.

Or, en l’espèce, il échet de constater que Madame A a certes introduit sa demande de regroupement familial endéans le délai de trois mois prévu à l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte à ne pas devoir rapporter la preuve des conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la même loi, il n’en reste pas moins qu’il dépend de la réponse à la question de savoir si elle est à considérer ou non comme mineur non accompagné, question qui est actuellement litigieuse, si elle doit rapporter la preuve des conditions inscrites à l’article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008.

Ainsi, s’il n’est pas contesté que Madame A était mineure tant au moment de son entrée sur le territoire luxembourgeois qu’au moment de la prise de la décision déférée, les parties sont néanmoins en désaccord sur la question de savoir si elle est à qualifier de mineur non accompagné au sens de l’article 2, point f) de la directive 2003/86/CE, transposée en droit luxembourgeois par l’article 68, point d) de la loi du 29 août 2008, qui définit le mineur non 8accompagné comme étant « tout ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de dix-

huit ans, entrant sur le territoire sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, aussi longtemps qu’il n’est pas effectivement pris en charge par une telle personne, ou toute personne mineure qui est laissée seule après être entrée sur le territoire. », et si elle peut, en conséquence, demander le regroupement familial dans le chef de ses parents sur le fondement de l’article 70, paragraphe (4) de la loi du 29 août 2008 qui permet, en effet, au mineur non accompagné de faire une telle demande sans que ne lui soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du même article.

Suivant un arrêt de la CJUE du 12 avril 20181, l’article 2, point f) de la directive 2003/86/CE, auquel l’article 68, point d) repose, prévoit deux conditions, à savoir celle que l’intéressé soit « mineur » et celle qu’il soit « non accompagné ». Concernant la première condition, la CJUE a décidé, dans un souci de ne pas faire dépendre le droit au regroupement familial des aléas de la durée de traitement de la demande de protection internationale sur laquelle les demandeurs de regroupement familial n’ont aucune influence, qu’il convient de se référer à la date d’introduction de la demande de protection internationale pour apprécier l’âge d’un demandeur de regroupement familial, seule date permettant de garantir un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation2, de sorte que le fait qu’un demandeur de regroupement familial ayant atteint l’âge de la majorité après l’introduction de sa demande de protection internationale est à considérer comme mineur lors de sa demande de regroupement familial introduit par la suite. A l’égard de la deuxième condition, à savoir celle selon laquelle le mineur doit être « non accompagné », la CJUE a retenu que « Si, en ce qui concerne cette seconde condition, ladite disposition se réfère au moment de l’entrée de l’intéressé sur le territoire de l’Etat membre concerné, il ressort toutefois de cette même disposition que dans certains cas de figure, des circonstances ultérieures doivent également être prises en compte : ainsi, un mineur non accompagné au moment de son entrée sur le territoire qui est ensuite pris en charge par un adulte responsable de lui par la loi ou la coutume ne satisfait pas à cette seconde condition, tandis qu’un mineur initialement accompagné, qui est ensuite laissé seul, est considéré comme étant non accompagné et y satisfait dès lors »3.

Il s’ensuit qu’un mineur, qui était initialement non accompagné et qui est ensuite pris en charge par un adulte responsable, perd la qualité de mineur non accompagné.

Compte tenu de cette analyse fondée sur la jurisprudence de la CJUE, la question préjudicielle proposée par la demanderesse n’est pas pertinente et ne revêt dès lors pas d’objet utile justifiant à être soumise à la CJUE sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Force est encore de constater, et indépendamment de la question de savoir si Madame A était à considérer comme mineur non accompagné au moment de son arrivée au Luxembourg, respectivement à la date d’introduction de la demande de regroupement familial, qu’au plus tard depuis l’ordonnance du 24 septembre 2018 du juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg ayant nommé, en application de l’article 433 du Code civil, son frère majeur, Monsieur B, comme son administrateur public en raison de la vacance de la tutelle, de sorte à devoir être 1 CJUE, 12 avril 2018, A. et S. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, affaire C-550/16.

2 Revue Europe, n° 6, juin 2018, Commentaire 221, Fabienne Gazin.

3 Ibidem, point 38.

9considéré à partir de cette date comme un adulte responsable de sa sœur par la loi, Madame A ne saurait plus être tenue comme mineur non accompagné.

En effet, tel qu’il résulte de l’ordonnance du 24 septembre 2018, précitée, selon la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, les autorités de l’Etat contractant de la résidence habituelle de l’enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens et ces mesures sont organisées suivant la loi de la résidence du mineur. Madame A résidant au Luxembourg depuis le 20 décembre 2017, les conditions d’ouverture d’une tutelle à son égard étaient dès lors à analyser par application de la loi luxembourgeoise. Selon l’article 375-2 du Code civil « Est privé de l’autorité parentale chacun des parents qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. ». L’article 433 du Code civil permet au juge des tutelles de la déférer à l’Etat et de désigner à l’enfant un administrateur public qui « aura sur la personne et les biens du mineur les mêmes attributions qu’un administrateur légal sous contrôle judiciaire »4.

Il s’ensuit que c’est a priori à bon droit que le ministre n’a pas examiné la demande de regroupement familial des demandeurs sous l’angle de l’article 70, paragraphe (4) de la loi du 29 août 2008, visant le regroupement familial avec les ascendants directs au premier degré d’un mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, mais sous l’angle de l’article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008.

Cette conclusion n’est infirmée ni par l’argument des demandeurs selon lequel il y aurait violation du principe d’égalité ni par celui selon lequel il y aurait violation de l’article 10, paragraphe (3) de la directive 2003/86/CE.

En effet, s’agissant d’une prétendue violation du principe d’égalité, il y a lieu de préciser que le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent, aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but5.

A cet égard, il échet de rappeler que les demandeurs analysent leur prétendu traitement inégalitaire sous deux angles. D’un côté, ils estiment que Madame A se trouverait dans une situation moins favorable que les mineurs dans le chef desquels aucune tutelle n’a été ouverte en affirmant que si son frère avait décidé de l’abandonner à la suite de leur entrée sur le territoire luxembourgeois en s’abstenant de solliciter l’ouverture d’une tutelle à son égard, elle 4 Article 433 du Code civil.

5 trib. adm. 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Lois et règlements, n° 8 et les autres références y citées.

10aurait été considérée comme mineur non accompagné, et, d’un autre côté, ils font valoir qu’en permettant de considérer comme mineur non accompagné une personne qui a atteint l’âge de la majorité à la suite de l’introduction de sa demande de protection internationale, tel que retenu par la CJUE dans son l’arrêt C-550/16 du 12 avril 2018, sans le permettre à un mineur dans le chef duquel une tutelle a été ouverte à la suite de l’introduction de la demande de regroupement familial, il existerait un traitement inégalitaire non justifié entre ces catégories de personnes.

Or, force est au tribunal de constater que les demandeurs restent en défaut de soumettre des éléments de nature à faire admettre que Madame A se trouve dans une situation comparable à celle des personnes auxquelles ils entendent la comparer. En effet, il est constant en cause que Monsieur B a accepté d’être l’administrateur public de sa sœur, de sorte qu’elle ne saurait pas être considérée comme mineur non accompagné au sens de la loi dont le but est de permettre le regroupement familial des ascendants directs des mineurs se trouvant seuls, sans personne responsable d’eux, sur le territoire luxembourgeois, ce qui n’est donc pas, respectivement plus, le cas de Madame A. Concernant la prétendue inégalité découlant du fait que selon l’arrêt C-550/16 de la CJUE du 12 avril 2018 une personne devenue majeure postérieurement à l’introduction de sa demande de protection internationale pourrait encore être considérée comme mineur non accompagné, alors qu’un mineur initialement non accompagné dans le chef duquel un membre de famille est désigné comme administrateur public dans la suite perd cette qualité, il échet de retenir que ces deux catégories se trouvent dans des situations non comparables. En effet, tel que retenu ci-avant, la solution admise par la CJUE s’imposait dans un souci d’égalité et de prévisibilité, alors qu’en raison de la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande de protection internationale est traitée, respectivement en présence d’une période d’afflux important de demandeurs de protection internationale, l’issue d’une demande de protection internationale peut être communiquée dans des délais plus ou moins longs, alors que la personne mineure, respectivement celle devenue majeure entretemps, reste seule en l’absence de personne responsable sur le territoire luxembourgeois, ce qui n’est pas le cas du mineur, qui en cours de procédure est pris en charge par une personne responsable.

S’agissant ensuite de l’argumentation de la demanderesse relative à une violation de l’article 10, paragraphe (3) de la directive 2003/86/CE , le tribunal relève que cette disposition prévoit ce qui suit : « Si le réfugié est un mineur non accompagné, les Etats membres :

a) autorisent l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial de ses ascendants directs au premier degré sans que soient appliqués les conditions fixées à l’article 4, paragraphe 2, point a) ;

b) peuvent autoriser l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial de son tuteur légal ou de tout autre membre de la famille, lorsque le réfugié n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».

A cet égard, le tribunal précise que la directive 2003/86/CE a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 29 août 2008.

Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte6.

6 Trib. adm. 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Lois et règlements, n° 76 et les autres références y citées.

11 Dans la mesure où, en l’espèce, les demandeurs ne démontrent pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’ils ne sont pas fondés à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il leur aurait appartenu d’invoquer à la base de leurs prétentions les dispositions pertinentes de la loi du 29 août 2008, à savoir l’article 70, paragraphe (4), disposition qui, tel que retenu ci-avant, n’a pas été violée par le ministre à travers la décision déférée.

Il suit de tout ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre a retenu que Madame A devrait rapporter la preuve que ses parents remplissent les conditions prévues à l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008, à savoir celles qu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine. Or, dans la mesure où Madame A n’a pas soumis au ministre des éléments lui permettant d’apprécier si les prédites conditions sont remplies dans le chef de ses parents, il a a priori pu à bon droit refuser le regroupement familial.

S’agissant ensuite des moyens ayant trait à une violation de l’article 24, paragraphe (2) de la Charte et de l’article 8 de la CEDH, il échet de rappeler qu’aux termes de ces dispositions « Dans tous les actes relatifs aux enfants qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », respectivement « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

A cet égard, il convient de relever que la Cour administrative a eu l’occasion de se prononcer à la suite de l’appel interjeté à l’encontre d’un jugement du tribunal administratif7 ayant eu à sa base des faits similaires à ceux de l’espèce et qui avait retenu qu’il était à bon droit que le ministre avait fait application de l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008, mais avait conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de sa vie familiale mériterait un examen approfondi de la part du ministre avant qu’il n’ingère dans le droit fondamental du demandeur consacré par l’article 8 de la CEDH. Ainsi, dans son arrêt du 19 novembre 2020, inscrit sous le numéro 44309C du rôle, la Cour administrative a retenu ce qui suit : « La Cour ne saurait cependant suivre les premiers juges en ce qu’ils sont, dans la suite de leur raisonnement, revenus sur cette conclusion, pour considérer néanmoins l’intéressé, en tant que mineur d’âge, de la part duquel il ne « saurait être raisonnablement exigé (…) qu’il établisse que ses parents sont à sa charge », comme mineur non accompagné.

En effet, c’est à tort que les premiers juges ont fait abstraction dans leur analyse subséquente de son frère majeur ….

Aux yeux de la Cour, la prise en considération du binôme composé des deux frères … n’implique ni une remise en cause d’un juste équilibre entre les intérêts concurrents de 7 Trib. adm., 10 février 2020, inscrit sous le numéro 42036 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

12l’individu et de la communauté dans son ensemble, partant un non-respect de la vie familiale de l’intimé, d’une part, ni ne se heurte-t-elle à l’intérêt supérieur bien compris de l’enfant, d’autre part, mais elle procède au contraire d’une approche empreinte de réalisme.

Admettre le contraire serait admettre que si le frère aîné agissait en son nom personnel et sollicitait le regroupement familial, les conditions fixées au paragraphe (5), point a), de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 devraient être remplies, alors que s’il le faisait en déclarant agir comme tuteur de son frère cadet, il y aurait dispense des mêmes conditions, la réalité des choses au niveau du/des regroupant restant strictement la même et ce serait, de la sorte, ouvrir la porte à des stratagèmes tendant à contourner les dispositions légales applicables. » Il suit des enseignements de la Cour administrative que Madame A ne saurait dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de regroupement familial dans le chef de ses parents être considérée de façon isolée, mais ensemble avec son frère majeur, qui aurait tout aussi bien pu introduire une demande de regroupement familial dans le chef de ses parents, de sorte que la décision déférée ne viole ni l’article 8 de la CEDH ni l’article 24 de la Charte, étant encore rappelé que le fait que les conditions de l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 doivent être remplies dans le chef des regroupés n’est pas de nature à rendre tout regroupement familial impossible, étant donné que Madame A n’a toujours pas à rapporter la preuve des conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, alors qu’elle a introduit la demande dans le délai des trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale.

Il s’ensuit que les moyens ayant trait à une violation de l’article 24 de la Charte, respectivement de l’article 8 de la CEDH encourent le rejet.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours en annulation pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 8 novembre 2019 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

13Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 novembre 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Géraldine Anelli, premier juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 novembre 2021 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 44144
Date de la décision : 08/11/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-11-08;44144 ?

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