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27/09/2021 | LUXEMBOURG | N°45116

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2021, 45116


Tribunal administratif N° 45116 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2020 2e chambre Audience publique du 27 septembre 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45116 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 octobre 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh

, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo...

Tribunal administratif N° 45116 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2020 2e chambre Audience publique du 27 septembre 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45116 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 octobre 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né … à … (Tchad), de nationalité tchadienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 septembre 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 décembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, du 22 avril 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie à l’audience publique du 26 avril 2021.

En date du 16 août 2019, Monsieur … déposa une demande de protection internationale en Italie.

Le 23 août 2019, Monsieur … y passa un premier entretien pour la relocalisation depuis l’Italie vers le Luxembourg, avec des agents du ministère des Affaires étrangères luxembourgeois, direction de l’Immigration, dénommé ci-après « le ministère ».

Le 16 septembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 12015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

En date des 28 novembre et 3 décembre 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 22 septembre 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) En mains le rapport d'entretien effectué en Italie le 23 août 2019, le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 septembre 2019 ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 28 novembre et du 3 décembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos explications que vous seriez originaire de « … », un village à 25 kilomètres de la ville de … au Tchad. Vous y auriez vécu pendant toute votre vie avec vos parents et votre fratrie. Vous précisez ne pas avoir été scolarisé et avoir travaillé dans l'agriculture.

En ce qui concerne votre trajet, vous expliquez que vous auriez quitté votre village le 25 décembre 2014 et auriez séjourné pendant neuf mois à « … », où vous auriez travaillé en tant que serveur dans un restaurant. Vous auriez finalement quitté votre pays d'origine le 2 septembre 2015 en direction de la Libye, où vous seriez resté pendant cinq ans et auriez travaillé de façon irrégulière (p.3/4 du rapport d'entretien pour la relocalisation depuis l'Italie). Vous y auriez été exploité, arrêté et torturé, raison pour laquelle vous auriez continué votre chemin en direction de l'Italie avant de venir au Luxembourg par le biais d'un programme de relocalisation.

Lors du 1er entretien en Italie, vous indiquez avoir quitté votre pays d'origine à cause des conditions de vie au Tchad. Ainsi vous expliquez que « Les conditions de vie au Tchad sont misérables, on n'a pas les nécessités de base, et pas le droit d'aller dans les écoles car elles sont privées… ». Vous continuez votre récit en évoquant que « Personnellement je n'ai pas été menacé, mais ma famille a été menacée par des voleurs, ils tirent les plantes de la terre et donc on n'a plus rien » (p.2/4 du rapport d'entretien pour la relocalisation depuis l'Italie).

Vous ajoutez que vous auriez décidé de partir en Libye « car c'était une opportunité de gagner plus d'argent » (p.3/4 du rapport d'entretien pour la relocalisation depuis l'Italie) et vous mentionnez avoir aidé votre famille depuis le départ de votre pays d'origine en leur envoyant de l'argent.

Vous déclarez lors de l'entretien avec l'agent du ministère que vous auriez quitté votre pays d'origine en raison de votre peur d'être tué par la milice « Goran » après votre refus de rejoindre leurs rangs. Vous expliquez que cette milice forcerait « des jeunes pour travailler 2pour eux et le travail consiste à voler l'agriculture des autres personnes » (p.5/15 du rapport d'entretien). Dans ce contexte vous expliquez que lorsque vous auriez eu 18 ans, « ils [Rem.:

la milice] sont venus pour me chercher pour aller travailler pour eux » (p.6/15 du rapport d'entretien). Le 25 décembre 2014 vous auriez finalement décidé d'aller à ….

Vous continuez votre récit en évoquant qu'à …, des personnes non autrement identifiées seraient souvent venues au restaurant où vous auriez travaillé. Vous estimez d'abord qu'il se serait agi des miliciens qui auraient voulu « prendre les jeunes » (p.9/15 du rapport d'entretien) pour avouer plus tard que « je ne sais pas si ce sont des milices ou des bandits » (p.11/15 du rapport d'entretien). Vous vous seriez caché en dessous d'une table.

Vous mentionnez en outre qu'en date du 15 novembre 2014, vous, votre famille et les villageois auriez demandé « nos droits pour des écoles, de l'électricité et de l'eau » (p.6/15 du rapport d'entretien) auprès de la police au village, mais que les autorités vous auraient frappé et placé votre frère en garde à vue pendant six jours avant de le relâcher. Plus tard vous changez votre récit et évoquez ne pas avoir participé à cet événement, mais de toujours avoir été caché.

Vous ne présentez aucun document d'identité pour étayer vos dires. Vous présentez deux certificats médicaux datant du 25 novembre et du 19 décembre 2019.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout progrès en cause, notons que les prétendus problèmes rencontrés en Libye ne sont pas pris en considération dans le cadre de l'évaluation de votre demande de protection internationale. En effet, suivant l'article 2 de la Loi de 2015 sont pris en compte dans le cadre de l'examen d'une demande de protection internationale uniquement les faits qui se sont déroulés dans le pays d'origine du demandeur. Etant donné que vous êtes de nationalité tchadienne, les faits qui se seraient déroulés en dehors de votre pays d'origine, c'est-à-dire le Tchad, ne sauraient pas être pris en considération dans l'évaluation de votre demande de protection internationale.

 Quant à la crédibilité de votre récit Monsieur, je suis amené à remettre en cause la crédibilité de votre récit.

Les volets de votre récit ayant trait au refus de rejoindre la milice « Goran » et aux problèmes qui auraient découlé de cette « manifestation pour vos droits » ne sont manifestement pas crédibles.

Interrogé par un agent du ministère en Italie en date du 23 août 2019 sur les raisons pour lesquelles vous auriez quitté votre pays d'origine, vous précisez que les seules raisons pour lesquelles vous auriez quitté le Tchad auraient été les menaces proférées à l'encontre de votre famille par des « voleurs » et la mauvaise situation générale au Tchad. Au cours de cet entretien vous pointez du doigt que la population manquerait de tout dont des biens de première nécessité et que le gouvernement serait corrompu.

Vous indiquez également que votre famille serait tributaire des fonds que vous lui feriez parvenir depuis que vous auriez quitté votre pays d'origine pour travailler.

3Vous n'avez à aucun moment mentionné un quelconque problème avec une milice qui serait en lien avec des prétendues intentions de vous recruter de « forcé », respectivement des altercations avec les autorités après avoir demandé « nos droits pour des écoles, de l'électricité et de l'eau » (p.6/15 du rapport d'entretien). Or il s'agit des éléments que vous mettez en avant lors de votre audition dans le cadre de votre demande de protection internationale au Luxembourg. Dans ce contexte il convient de souligner qu'il est tout simplement impossible que vous ayez omis de faire part de ces éléments clés aux autorités italiennes de sorte qu'il est indéniable que vous avez inventé ces éléments pour les ajouter à vos problèmes d'ordre économique dans le seul but d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.

Vos tentatives d'explications ne sauraient emporter la conviction du Ministre alors que vous vous bornez à répondre à l'agent en charge de l'entretien qui vous a questionné afin de comprendre comment il est possible que ce motif n'apparaisse qu'au moment de l'entretien au Luxembourg alors qu'il en a nullement été question antérieurement que « Ce jour-là, ils ne m'ont pas posé cette question » (p.6/15 du rapport d'entretien). Or lorsqu'une autorité qu'elle soit italienne ou luxembourgeoise vous demande pourquoi vous avez quitté votre pays d'origine la réponse est nécessairement la même. Il est évident que vous avez spontanément raconté la vérité aux autorités italiennes et que les « nouveaux éléments » du récit ont été ajoutés par après car vous vous êtes rendu compte que des seuls motifs d'ordre économique sont insuffisants pour obtenir une protection en Europe.

A cela s'ajoute que vos réponses concernant cette milice « Goran » sont hasardeuses et peu précises. En effet, vous ne connaissez manifestement rien sur cette milice. Vous évoquez à plusieurs reprises que « Moi, je ne les connais pas. Ils s'habillent en uniforme militaire […] Je ne les connaissais pas. Ils sont venus en voiture » (p.6/15 du rapport d'entretien), et que « Je ne sais pas s'ils sont pro ou anti Gouvernement, je ne sais pas » (p.9/15 du rapport d'entretien). Invité à donner des précisions quant à ces réponses plus que générales vous n'êtes à même de dire uniquement qu' « ils sont venus, ils trouvent des groupes de jeunes. Ils ont pris quelques-uns et d'autres ont réussi à s'enfuir. Ils te demandent pour aller travailler pour eux Tu dois y aller car si tu refuses, ils te tuent avec leur arme » (p7/15 du rapport d'entretien). Or il échet de mentionner qu'il s'agit en l'occurrence d'une réponse bien trop superficielle pour être celle d'une personne ayant prétendument eu des problèmes avec cette milice pendant des mois, problèmes qui auraient été l'élément déclencheur pour quitter le pays, laisser derrière vous famille et amis et prendre la route de l'exil.

Ce même constat s'applique à vos dires selon lesquelles vous auriez été recherché par cette même milice à « … » dans le restaurant où vous auriez travaillé pendant environ neuf mois. A la simple demande de donner le nom de ce restaurant, vous évoquez que «Je ne connais pas le nom de ce restaurant où je travaillais » (p.10/15 du rapport d'entretien). Cette déclaration montre indubitablement que votre histoire est inventée de toutes pièces car une personne ayant travaillé pendant presque une année dans un endroit est au moins censée connaître le nom de cet établissement. De plus vous ajoutez à la fin de votre entretien finalement ne pas savoir qui en aurait prétendument eu après vous dans ce restaurant ce qui confirme le constat que tout ceci n'est qu'un tissu de mensonges.

De plus, vous avez clairement menti en ce qui concerne votre prétendue démarche effectuée auprès de la « police » au Tchad dans le but de revendiquer vos droits en novembre 2014. En effet, vous évoquez d'abord que « nous sommes partis pour demander nos droits pour avoir des écoles, de l'électricité et de l'eau au Gouvernement » et qu' « Ils [Rem.: les autorités] nous ont frappés » (p.6/15 du rapport d'entretien). Après que l'agent du ministère ait creusé pour obtenir plus de précisions de vous quant à cette histoire, vous avez avoué que « lorsqu'ils 4sont allés demander leurs droits au Gouvernement, je n'étais pas avec eux… moi je suis resté caché jusqu'au jour où je suis parti du village. Donc j'étais toujours caché dans les champs » (p.8/15 du rapport d'entretien).

Force est ainsi de constater que ces contradictions manifestes et flagrantes montrent que vous avez inventé et ajouté des éléments supplémentaires à votre récit après votre arrivée au Luxembourg et ce certainement dans le but d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.

Votre récit n'étant pas crédible sur ces points, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Monsieur, de tout ce qui précède, on peut conclure que vous avez quitté votre pays d'origine principalement pour des raisons économiques Quand bien même votre récit serait crédible, il s'avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l'octroi du statut de réfugié, respectivement pour l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire  Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous déclarez avoir reçu des visites des membres de la milice « Goran » qui vous auraient incité à rejoindre leurs rangs pour travailler pour eux. Or, il convient de retenir que les faits évoqués ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'ils ne répondent à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, qui prévoient une protection à toute personne persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, sa nationalité, sa religion, son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. En effet, les représailles que vous craindriez seraient dues à votre refus de rejoindre leurs rangs.

5Quand bien même ce fait serait lié à l'un des motifs de la Convention de Genève, force est cependant de constater qu'il n'est pas suffisamment grave pour qu'on puisse retenir dans votre chef l'existence d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Quand bien même ce fait serait lié à l'un des motifs de la Convention de Genève et qu'il serait suffisamment grave pour constituer un acte de persécution, notons que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce étant donné qu'il ne ressort pas du rapport d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de cette milice. Vous n'avez en effet à aucun moment requis la protection des autorités de votre pays et par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités tchadiennes seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque.

Notons dans ce contexte que le gouvernement tchadien a mis en place plusieurs mesures pour contrer ces violences communautaires : « Le dispositif militaire à l'Est est largement renforcé avec le déploiement de nouveaux contingents. Les autorités intensifient l'opération de désarmement déjà en cours, et multiplient les arrestations ». Des mesures allant « de la multiplication des contrôles en tout genre à l'instauration d'un couvre-feu, en passant par des interdictions de rassemblement et de mouvement. Les forces de l'ordre filtrent les entrées dans les grandes villes comme Abéché et ont fermé certains axes ; les autorités ont interdit les déplacements en moto sauf en ville, et prohibé les rassemblements » ont été mises à exécution.

En effet, «la stratégie d'endiguement des violences intercommunautaires semble porter ses fruits ».

Monsieur, à cela s'ajoute vous ne semblez pas savoir qui serait venu au restaurant à « … ». En effet, vous évoquez que «je ne sais pas si ce sont des milices ou des bandits » (p.11/15 du rapport d'entretien). Demandé ce que ces personnes non autrement identifiées auraient fait au restaurant, vous répondez que « Dès que je les voyais, je me cachais et je ne sais pas ce qu'ils ont fait » (p.11/15 du rapport d'entretien). Ceci traduit donc clairement un sentiment général d'insécurité et non une réelle crainte de persécution. Or, un simple sentiment d'insécurité, qui n'est basé sur aucun fait réel ou probable ne saurait cependant constituer une persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ressort en outre clairement de votre dossier administratif que des motifs économiques sous-tendent votre demande de protection internationale. Vous évoquez ainsi que «Je voulais aller en Libye car c'était une opportunité de gagner plus d'argent » (p.3/4 du rapport d'entretien pour la relocalisation depuis l'Italie) et que « Lorsque je travaillais au Tchad et en Libye, j'envoyais de l'argent à ma famille » (p.2/4 du rapport d'entretien pour la relocalisation depuis l'Italie).

Or, notons que ces motifs économiques ne sauraient pas non plus justifier l'octroi du statut de réfugié alors qu'ils ne sont nullement liés aux critères définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

6  Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez quitté le Tchad et introduit une demande de protection internationale au Luxembourg parce que vous auriez été poussé par « la milice Goran » à rejoindre leurs rangs.

A cet égard, il est utile de rappeler que vous auriez pu requérir la protection des autorités tchadiennes. A cela s'ajoute qu'il convient de constater que vous êtes majeur et donc parfaitement capable de vous installer dans une autre partie de votre pays d'origine, comme N'Djamena, pour être à l'abri de représailles de « Goran ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

7 En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine au motif que « Je ne sais pas où » (p.12/15 du rapport d'entretien).

Or, ce motif ne constitue pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine.

Ainsi, vous auriez pu vous installer à N'Djamena, la capitale administrative et la plus grande ville du Tchad avec plus d'un million d'habitants ou encore à Moundou, la capitale économique au lieu de vous enfuir en direction de l'Europe. Tenant compte de votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées, vous n'établissez pas de raisons suffisantes pour lesquelles vous n'auriez pas été en mesure de profiter d'une possibilité de fuite interne à N'Djamena ou Moundou. Vous ne soulevez par conséquent pas de raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de Tchad, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2020, Monsieur … a fait déposer un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 22 septembre 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 22 septembre 2020, prise en son double volet, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … renvoie, en substance, aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits par l’agent compétent du ministère dans le rapport d’entretien.

Concernant la crédibilité de son récit, il explique n’avoir quasiment pas fréquenté l’école et qu’il serait de ce fait illettré. Il ajoute que sa langue maternelle serait le « Rotana-

Ouaddaï » et qu’il parlerait arabe. Ainsi, il aurait compris l’interprète en langue arabe qui aurait été présent lors de son audition au ministère, mais dans la mesure où l’arabe n’aurait pas été sa langue maternelle et qu’il n’aurait pas disposé d’un vocabulaire suffisant pour se faire comprendre correctement, il ne serait pas exclu qu’il y ait eu des problèmes de compréhension avec l’interprète. Il précise encore que son pays serait l’un des plus pauvres au monde et qu’il serait naturel qu’il ait fait part des difficultés économiques auxquelles il aurait eu à faire face.

8Il aurait cependant, devant les autorités italiennes, expliqué que sa famille serait victime de menaces de la part de voleurs qui lui prendraient le fruit de son labeur. Devant l’agent du ministère, il aurait complété son récit en invoquant les problèmes avec les milices, qui forceraient les recrues à travailler pour eux et à commettre des vols. Il conclut à cet égard que ses déclarations ne seraient pas contradictoires mais complémentaires. Quant à l’absence de précision concernant les milices qui auraient essayé de le recruter, il met en avant son manque d’instruction et d’éducation, ainsi que l’absence d’accès à l’information. Quant au nom du restaurant dans lequel il aurait travaillé à …, Monsieur … indique que de nombreux restaurants au Tchad n’auraient pas de noms ou qu’il n’aurait pas pu le lire en raison de son illettrisme.

Enfin, en ce qui concerne le rassemblement du 15 novembre 2014, le demandeur reconnaît s’être inclus à tort dans cet évènement auquel seule sa famille aurait participé, pendant qu’il aurait été caché, et ajoute que cela pourrait s’imputer au fait qu’il se soit mal exprimé.

En droit, le demandeur fait plaider que les faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale seraient d’une gravité suffisante au regard des exigences de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, il aurait subi de graves violations des droits fondamentaux de l’Homme, dans la mesure où il aurait été victime d’une tentative de recrutement forcé par les milices, par lesquelles il serait toujours recherché.

Les actes dont il aurait ainsi été victime, qui seraient à qualifier d’actes de persécution, au sens de l’article 42 (2) de la loi du 18 décembre 2015, s’inscriraient sur une toile de fond politique, étant donné qu’il aurait clairement refusé de s’enrôler auprès des milices et de travailler pour elles. Le demandeur en déduit que la décision ministérielle portant refus d’octroi du statut de réfugié devrait encourir la réformation.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Plus particulièrement, il fait valoir qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des atteintes graves alors qu’il aurait déjà souffert de telles atteintes et qu’elles l’auraient poussé à fuir son pays d’origine. Par ailleurs, il donne à considérer que le fait de vivre dans la crainte constante que ces atteintes se réalisent constituerait pour lui un véritable traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), le demandeur mettant encore en exergue le manque de sécurité qui caractériserait son pays d’origine et le fait qu’il ne saurait y bénéficier d’une protection étatique appropriée. En conclusion, il soutient que la décision ministérielle portant refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devrait encourir la réformation pour violation de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il souligne qu’il n’existerait pas de « bonne raison », au sens de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de croire que les atteintes graves dont il aurait été victime ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant à la possibilité d’une fuite interne, le demandeur indique avoir déménagé à …, sans succès, alors que les milices seraient régulièrement venues dans le restaurant dans lequel il aurait travaillé. Il n’aurait pas su où aller et aurait préféré subir l’instabilité politique de la Lybie plutôt que de rester au Tchad, où aucune aide ni protection ne lui aurait été offerte. Il ajoute que les faits qu’il aurait subis l’empêcheraient de se réinstaller dans une quelconque partie de son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

9A titre liminaire, en ce qui concerne la demande de Monsieur …, telle que formulée dans le dispositif de la requête introductive d’instance, tendant à se voir communiquer l’intégralité du dossier administratif et, notamment « (…) le rapport d’entretien des autorités italiennes pour la relocalisation, sur lequel l’autorité ministérielle a[urait] principalement fondé sa décision (…) », le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse une farde de pièces correspondant au dossier administratif et comprenant le rapport relatif à l’audition du demandeur du 23 août 2019 « pour la relocalisation depuis IT – navire « … » - août 2019 » réalisée par un agent du ministère. Par ailleurs, il ressort du dossier administratif qu’une copie dudit dossier a été communiquée au mandataire de Monsieur … en date des 4 octobre 2019 et 21 octobre 2020.

Au vu des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments permettant de remettre en cause le caractère complet du dossier administratif versé par la partie étatique, le tribunal conclut que la demande en communication de l’intégralité dudit dossier est à rejeter comme étant devenue sans objet.

Quant au bien-fondé de la décision déférée, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou 10b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« (…) a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, 11elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Ensuite, le tribunal est amené à préciser que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur … ne serait pas crédible dans son ensemble.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.2 En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur.

En effet, si, au cours de ses auditions ayant suivi le dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg, le demandeur a fait état de tentatives de recrutement forcé par une milice, force est de constater qu’au cours de son audition du 23 août 2019 réalisée en Italie en vue de son éventuelle relocalisation au Luxembourg, le demandeur, interrogé sur les motifs gisant à la base de sa demande d’asile, n’a pas fait la moindre allusion à des milices ou à une tentative de recrutement forcé dont il aurait fait l’objet, contrairement à ce qu’il soutient dans sa requête introductive d’instance. En effet, lors de son entretien dans le cadre de la relocalisation, à la question de l’agent « Pour quelles raisons avez-vous quitté votre pays d’origine ? », Monsieur … a répondu par : « Les conditions de vie au Tchad sont misérables, on n’a pas les nécessités de base, et pas le droit d’aller dans les écoles car elles sont privées.

Le gouvernement est corrompu. J’ai peur d’être arrêté en raison du conflit qui règne au Tchad.

Personnellement je n’ai pas été menacé, mais ma famille a été menacée par des voleurs, ils tirent les plantes de la terre et donc on n’a plus rien. »3. Il a également ajouté que « Je voulais 2 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 135 et les autres références y citées.

3 Rapport d’entretien pour la relocalisation du 23 août 2019, page 2.

12aller en Libye car c’était une opportunité de gagner plus d’argent. »4, faisant ainsi état principalement de raisons économiques et générales, ainsi que du vol des récoltes de sa famille par des voleurs qui ne l’auraient jamais personnellement menacé.

Ainsi, le demandeur a non seulement omis de mentionner les éléments clefs de son récit lors de son audition en Italie en date du 23 août 2019, mais il a également fait des déclarations contradictoires à cet égard dans le cadre de ses entretiens successifs. Il a en effet expliqué de manière claire et non équivoque lors de son audition du 23 août 2019 ne jamais avoir été personnellement menacé par les « voleurs » pour ensuite soutenir, au cours des auditions réalisées au Luxembourg, qu’il aurait été personnellement menacé par des miliciens de l’ethnie Goran en indiquant que : « (…) Ils sont venus me demander personnellement pour venir travailler avec eux. (…) »5, et a répondu à la question « Où étiez-vous quand on vous a demandé à travailler pour la milice ? » par « J’étais dehors, au village. J’étais avec eux. »6, avant d’indiquer finalement que lorsque les miliciens sont venus chez lui « (…) J’étais à la maison et mes parents m’ont caché (…) » 7, et qu’il n’aurait ainsi pas été en contact avec eux.

Il n’a également pas mentionné la moindre manifestation lors de son audition du 23 août 2019 pour ensuite relater dans un premier temps avoir participé à une manifestation avec des membres de sa famille le 15 novembre 2014 lors de laquelle les autorités les auraient frappés et auraient incarcéré son frère8, pour ensuite expliquer qu’il n’aurait pas participé à cette manifestation alors qu’il aurait été caché dans les champs pendant ce temps9.

Confronté à ces contradictions par l’agent en charge de ses entretiens au Luxembourg qui a relevé que « Lors de votre entretien du 22 août 2019, vous avez informé les autorités italiennes que vous avez quitté votre pays étant donné que vous n’avez pas les nécessités de base ni la possibilité de faire des études. Donc vous avez donné les mêmes raisons aux autorités italiennes qu’aux autorités luxembourgeoises. Nullement vous mentionnez le fait que des milices soient venues auprès de vous dans le but que vous deviez travailler pour cette dernière. », le demandeur s’est simplement borné à affirmer que : « Ce jour-là, ils ne m’ont pas posé cette question. »10, explication qui n’est pas suffisante et qui laisse de convaincre le tribunal.

A cela s’ajoute que le récit de Monsieur … reste peu détaillé et confus, notamment sur (i) le lieu où il se serait caché après la venue des miliciens au domicile de ses parents, ce dernier affirmant dans un premier temps s’être caché chez ses parents puis indiquant qu’il se serait caché dans les champs pendant plusieurs mois, et sur (ii) son séjour à …, où il aurait travaillé pendant neuf mois dans un restaurant dont il ne connait pas le nom, avec un patron dont il ne connait pas non plus le nom de famille, et qu’il a pu y vivre et y travailler alors que des miliciens seraient venus dans le restaurant tous les 3-4 jours durant cette période.

En outre, il échet de constater que le demandeur ne verse aucune pièce, notamment des rapports internationaux, qui corroborerait son vécu.

4 Ibid., page 3.

5 Rapport d’audition des 28 novembre et 3 décembre 2019, page 5.

6 Ibid., page 7.

7 Ibid., page 7.

8 Ibid., page 6.

9 Ibid., page 9.

10 Ibid., page 6.

13Le tribunal retient que ces omissions, contradictions et incohérences sont de nature à ébranler la crédibilité du récit du demandeur ayant trait à son refus de rejoindre les miliciens Goran et aux conséquences de ce refus.

En effet, même en tenant compte du niveau d’instruction du demandeur, de son vécu en Libye et des conditions de son entrée sur le territoire italien, tels que mis en exergue dans la requête introductive d’instance, il doit être raisonnablement admis que si des éléments tels que ceux décrits par le demandeur pour la première fois lors de ses auditions au Luxembourg, à savoir son refus de rejoindre les miliciens Goran et de ne pas requérir la protection des autorités de son pays d’origine qui auraient emprisonné son frère lors d’une manifestation, l’avaient réellement poussé à fuir son pays d’origine, il en aurait fait état dès son arrivée dans le premier pays sûr qu’il a pu rejoindre, en l’occurrence l’Italie, au lieu d’y indiquer que son départ de son pays d’origine s’expliquerait par des raisons économiques et de convenance personnelle, ainsi que le vol des cultures de sa famille, sans faire mention d’une quelconque manière des faits invoqués pour la première fois au Luxembourg.

Le récit du demandeur ayant trait à son refus de rejoindre les miliciens Goran et aux conséquences de ce refus n’étant pas crédible, tel que le tribunal vient de le retenir, le demandeur ne saurait, sur base de ce même récit, bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire.

Quant aux motifs économiques et de convenance personnelle invoqués par le demandeur sur la toile de fond d’un faible niveau de vie et d’un manque d’infrastructures qui caractériseraient son pays d’origine, le tribunal retient que ces motifs ne sont, de par leur nature, susceptibles d’être qualifiés ni d’actes de persécution ni d’atteintes graves au sens des articles 42 et 48, précités, de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’ils ne sauraient pas non plus justifier l’octroi d’un statut de protection internationale.

Il en est de même en ce qui concerne les vols des récoltes évoqués par le demandeur, ces faits étant, à défaut d’autres précisions à cet égard, dépourvus de la gravité requise pour établir l’existence, dans le chef de Monsieur …, d’une crainte fondée d’être persécuté ou de subir des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d’origine.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

2. Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire A l’appui de ce volet du recours, le demandeur requiert la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision lui ayant refusé l’octroi d’un statut de protection internationale. Il souligne encore qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des atteintes graves, au sens des articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015, et constituerait une violation de l’article 3 de la CEDH, aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q), de la loi du 18 décembre 2015, 14la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Tchad, le tribunal a conclu ci-avant au rejet du recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, et ne l’expose pas, par conséquent, à des actes prohibés par l’article 3 de la CEDH.

Il suit, partant, des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 22 septembre 2020 portant rejet d’un statut de protection internationale ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 27 septembre 2021 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 septembre 2021 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 45116
Date de la décision : 27/09/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-09-27;45116 ?

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