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25/08/2021 | LUXEMBOURG | N°46377

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 août 2021, 46377


Tribunal administratif N° 46377 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 août 2021 chambre de vacation Audience publique de vacation du 25 août 2021 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L.29.8.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46377 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 août 2021 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo

nsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, actuellement retenu au Centr...

Tribunal administratif N° 46377 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 août 2021 chambre de vacation Audience publique de vacation du 25 août 2021 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L.29.8.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46377 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 août 2021 par Maître Pascale Petoud, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l'Immigration et de l’Asile du 13 août 2021 décidant de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 août 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pascale Petoud et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 25 août 2021.

Il ressort d’un procès-verbal, « Fremdennotiz », de la police grand-ducale du 13 août 2021, portant le numéro …, que Monsieur … a été interpellé, à l’occasion d’un accident de la route entre Bergem et Foetz, sans être en possession d’un passeport, respectivement d’un titre de séjour valable, ne pouvant s’identifier qu’à l’aide d’un permis de conduire kosovare. Il résulte des recherches auprès du Centre de coopération policière et douanière que Monsieur … est recherché en France dans le cadre de la police général des étrangers avec interdiction administrative de retour lui notifiée le 18 mars 2020.

Par un arrêté du 13 août 2021, notifié en mains propres à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, tout en lui enjoignant de quitter le territoire sans délai, la même décision comportant encore une interdiction de territoire pour une durée de cinq ans à l’égard de Monsieur ….

Par un deuxième arrêté du même jour, également notifié en mains propres à l’intéressé le 13 août 2021, Monsieur … fut placé en rétention administrative. Ledit arrêté est basé sur les considérations suivantes :

« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal no … du 13 août 2021 établi par la police grand-ducale ;

Vu ma décision de retour du 13 août 2021, lui notifiée le même jour ;

Vu ma décision d’interdiction d’entrée sur le territoire du 13 août 2021, lui notifiée le même jour ;

Attendu que l'intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par un courrier de son litismandataire du 16 août 2021, Monsieur … informa le ministre qu’il serait domicilié en France, à …, où il vivrait avec sa femme et ses trois enfants, déclarant se trouver sur le territoire français depuis le 15 janvier 2014 et que sa situation administrative y serait en cours d’examen. Au vu de ces circonstances et de sa volonté de rejoindre rapidement sa femme et ses enfants en France, il sollicita la levée de la mesure de placement dont il fait l’objet, demande à laquelle il ne fut cependant pas fait droit.

Par requête déposée le 20 août 2021 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision de placement en rétention précitée du 13 août 2021.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de prorogation de placement au Centre de rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours le demandeur fait préciser en fait qu’il serait domicilié en France, à F-…, où il vivrait avec sa femme, Madame …, ressortissante de nationalité kosovare, née le … à …, et leurs trois enfants, à savoir … né le … à … (Moselle), … né le … à … (Meurthe-et-Moselle) et … né le … également à ….

Etant donné que sa situation administrative serait en cours d'examen en France, il n'aurait pas été en mesure de présenter un passeport et un visa en cours de validité aux agents de la police grand-ducale le 13 août 2021, alors même qu'il aurait lui-même appelé la police suite à l'accident de voiture dont il aurait été victime après avoir aidé un ami avec des travaux de jardinage.

En droit et après avoir cité l’article 120 de la loi du 29 août 2008, ainsi que l’article 15 et le considérant n° 16 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures applicables par les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE », le demandeur fait plaider que son placement en rétention administrative aurait été pris en violation du principe de proportionnalité, alors qu’il aurait clairement manifesté son intention de retourner en France vivre auprès de sa famille, et ce, tant dans le procès-verbal de la police grand-ducale du 13 août 2021 que par la suite, dans le courrier de son litismandataire du 16 août 2021.

Il critique encore que le risque de fuite n’aurait pas été apprécié au regard de sa situation particulière, alors que son domicile en France se situerait dans la zone frontalière avec le Luxembourg et qu’il aurait fourni un acte de naissance au ministre.

Il en conclut également que son placement en rétention serait de nature à violer l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ».

Finalement, le demandeur conclut à une violation de l’article 8 de la CEDH au motif que son placement en rétention le priverait de vivre ensemble avec sa femme et ses trois enfants à son domicile se situant en France à la frontière luxembourgeoise.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que l’argumentation du demandeur fondé sur l’article 15, respectivement le considérant n° 16 de la directive 2008/115/CE est à rejeter, en ce que ces dispositions ont été transposées en droit luxembourgeois et que le demandeur reste en défaut d’alléguer et a fortiori d’établir qu’il y aurait eu une mauvaise transposition de celles-ci en droit national, de sorte à ne pas pouvoir être invoquées directement.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. (…) ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque, comme en l’espèce, l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Il y a tout d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), de la loi du 29 août 2008, un risque de fuite est légalement présumé notamment lorsque l’étranger se trouve en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

En l’espèce, le tribunal relève qu’il n’est pas contesté que le demandeur se trouvait en séjour irrégulier au Luxembourg, tel que constaté par l’arrêté précité du 13 août 2021, cité par la décision déférée du même jour et qu’un ordre de quitter le territoire a été prononcé à son encontre dans le même acte, de sorte qu’il échet de constater qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement, sans que cette conclusion ne soit énervée par l’argumentation du demandeur selon laquelle il se serait identifié à l’aide d’un extrait d’acte de naissance kosovare et selon laquelle il habiterait en France à la frontière du Luxembourg avec sa famille, ces éléments n’étant pas de nature à renverser la présomption du risque de fuite pesant sur lui du fait de ne pas fournir de garanties suffisantes de représentation en vue de son éloignement, étant par ailleurs relevé que l’intention affiché du demandeur de vouloir regagner rapidement la France est plutôt de nature à corroborer le risque qu’il ne serait plus à disposition des autorités luxembourgeoises en vue d’exécuter son éloignement.

S’agissant toujours des contestations du demandeur fondées sur le principe de proportionnalité, dans la mesure où il aurait voulu invoquer une autre mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, tels qu’elles figurent à l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, force est toutefois au tribunal de constater, à la lecture de la requête introductive d’instance que le demandeur ne soumet cependant au tribunal aucun élément concluant quant à des attaches particulières au Luxembourg susceptibles de constituer des garanties de représentation effectives et renversant la présomption d’un risque de fuite qui, en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, est établie dans son chef, de sorte que le constat du ministre qu’il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement, n’encourt aucune critique, le demandeur n’ayant pas établi remplir les conditions de l’une des hypothèses énumérées sous les points a), b) et c) de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008.

Il suit partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que ce premier moyen tenant à la proportionnalité de la mesure de placement est à rejeter pour ne pas être fondé.

Il doit en aller de même, pour les mêmes motifs, en ce qui concerne le deuxième moyen tiré d’une violation de l’article 5 de la CEDH, garantissant le droit à la liberté et à la sûreté, alors que le demandeur base ce moyen uniquement sur la disproportion de la mesure de placement, étant par ailleurs relevé que ledit article prévoit expressément en son point f) la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.

Dans ce même contexte et au vu des considérations prises plus haut quant à la proportionnalité de la décision de placement, et quant à la possibilité de retenir une personne contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours, force est au tribunal de rejeter également le moyen basé sur la violation de l’article 8 de la CEDH, aux termes duquel « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. », étant par ailleurs relevé que le demandeur ne fait pas état d’une vie privée ou familiale effective au Luxembourg, mais seulement en France, et qu’il ressort des éléments du dossier administratif cités ci-avant que le ministre s’est d’ailleurs tourné vers les autorités françaises en leur adressant une demande de réadmission du demandeur.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en réformation recevable ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare être bénéficiaire de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 25 août 2021 par :

Olivier Poos, premier juge, Carine Reinesch, juge, Laura Urbany, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 août 2021 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 46377
Date de la décision : 25/08/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-08-25;46377 ?

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