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25/08/2021 | LUXEMBOURG | N°46335

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 août 2021, 46335


Tribunal administratif N° 46335 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2021 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 25 août 2021 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46335 du rôle et déposée le 6 août 2021 au greffe du tribunal administrati

f par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats ...

Tribunal administratif N° 46335 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2021 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 25 août 2021 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46335 du rôle et déposée le 6 août 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Soudan), de nationalité soudanaise, alias …, déclarant être né le … à … (Soudan), de nationalité soudanaise, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité soudanaise alias …, déclarant être né le …, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 juillet 2021 de le transférer vers Malte, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 août 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 25 août 2021 et vu les remarques écrites de Maître Ibtihal El Bouyousfi du 24 août 2021 et celles de Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin du même jour, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

Le 7 juin 2021, Monsieur …, alias …, alias …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, ainsi que sur base de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur … dans la base de données EURODAC, qu’il avait déposé une première demande de protection internationale en Belgique en date du 16 novembre 2020.

1Toujours le même jour, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 8 juin 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités belges aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par arrêté du 11 juin 2021, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, désignée ci-après par « la SHUK », pour une durée de trois mois.

Par courrier du 15 juin 2021, les autorités belges refusèrent la reprise en charge de Monsieur …, au motif que les autorités maltaises avaient déjà accepté la reprise en charge de Monsieur … par un courrier du 8 janvier 2021, suite à une demande de reprise en charge de leur part en date du 6 janvier 2021.

En date du 17 juin 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités maltaises aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par courrier du 25 juin 2021, les autorités maltaises acceptèrent la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par décision du 21 juillet 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 22 juillet 2021, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers Malte, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 juin 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection Internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers Malte qui est l`État membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 7 juin 2021.

2 1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 7 juin 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 16 novembre 2020.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 7 juin 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 8 juin 2021 une demande de reprise en charge aux autorités belges sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut refusée par lesdites autorités belges en date du 15 juin 2021. Dans leur réponse, les autorités belges ont informé qu'ils ont envoyé une demande de prise en charge aux autorités maltaises en date du 6 janvier 2021, basée sur un « hit » Eurodac de catégorie 2, et que cette demande fut acceptée par lesdites autorités maltaises sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII.

Par conséquent, la Direction de l'immigration a adressé en date du 17 juin 2021 une demande de reprise en charge aux autorités maltaises sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités maltaises en date du 25 juin 2021.

2. Quant aux bases légales En tant qu'État membre de l'Union européenne, l'État luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point b) du règlement DIII, l'État responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'État normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur 3risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 7 juin 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 16 novembre 2020.

Par ailleurs, il ressort des informations des autorités belges que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière maltaise.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Soudan en juin 2017. Vous seriez resté en Libye pendant deux ans et demi avant d'embarquer sur un bateau pour vous rendre à Malte.

Vous y auriez vécu pendant un an et deux mois et vous prétendez ne pas avoir eu la possibilité d'introduire une demande de protection internationale. A l'aide d'une fausse carte d'identité française, vous auriez réussi à quitter Malte et à vous rendre en Belgique. Votre demande de protection internationale en Belgique aurait été rejetée et vous auriez quitté le pays pour ne pas être transféré à Malte. En date du 3 juin 2021, vous seriez arrivé au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 7 juin 2021, vous avez mentionné que des médecins en Libye auraient constaté une tuberculose chez vous en 2017. Par ailleurs, vous indiquez que vous prenez des médicaments contre la douleur. Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers Malte qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que Malte est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que Malte est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 Juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que Malte profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, Malte est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

4Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre ses transferts vers Malte sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que Malte ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence à Malte revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers Malte, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers Malte, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers Malte en informant les autorités maltaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités maltaises n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2021, inscrite sous le numéro 46335 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle, précitée, du 21 juillet 2021 décidant de le transférer 5vers Malte, l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer dans le cadre du recours principal en réformation introduit à l’encontre de celle-ci.

Le recours principal en réformation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur rappelle tout d’abord les faits et rétroactes à la base de la décision déférée. Il souligne qu’il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale à Malte en raison du fait que les autorités maltaises ne lui auraient pas offert une telle possibilité et qu’il aurait été, dès son débarquement le 1er octobre 2019, placé en rétention pour n’être libéré qu’en date du 3 juillet 2020 après s’être vu notifier un ordre de quitter le territoire de la part des autorités maltaises. Toujours sans possibilité de déposer une demande de protection internationale à Malte, il serait, à l’aide d’un passeur, parti en Belgique où il aurait déposé une demande de protection internationale en date du 11 novembre 2020. Sa demande y ayant été rejetée au motif de la compétence des autorités maltaises, il aurait quitté la Belgique par crainte d’un transfert à Malte pour venir au Luxembourg. Il indique encore qu’en 2017 des médecins libyens lui auraient indiqué qu’il serait atteint d’une tuberculose sans pour autant recevoir un traitement. Il précise, par ailleurs, souffrir à l’heure actuelle de douleurs provenant d’actes de tortures au Soudan contre lesquelles il prendrait des médicaments.

En droit, le demandeur, en se basant sur l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, reproche au ministre une erreur manifeste d’appréciation, sinon une violation dudit article, dans la mesure où la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale se ferait au moment de l’introduction de la première demande de protection internationale et au vue de la situation à ladite date, les dispositions de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III ne s’appliquerait plus 12 mois après la date de franchissement irrégulier de la frontière d’un Etat membre.

Or, il aurait déposé une première demande de protection internationale en Belgique en date du 16 novembre 2020 et il ne ressortirait d’aucune pièce du dossier administratif qu’il aurait préalablement déposé une telle demande à Malte.

Dans ce contexte, il estime par ailleurs que les autorités maltaises auraient reconnu leur compétence à l’égard des autorités belges sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III et non pas sur base de l’article 13, paragraphe (1), ce alors que leur compétence sur base de ce dernier article aurait pris fin avant même l’introduction de sa demande de protection internationale en Belgique.

Subsidiairement, le demandeur reproche au ministre une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où ce dernier aurait omis de prendre en compte la défaillance du fonctionnement du système d’asile maltais, le demandeur estimant en effet qu’il y existerait actuellement des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

6 Le demandeur ajoute que suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE »1, ainsi que celle de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après « la CourEDH »2, une défaillance systémique au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III serait constituée par un manque de structure dans la procédure d’asile d’un Etat, qui, en tant que condition nécessaire mais non suffisante, causerait des violations de la loi.

Dans ce contexte, il cite un rapport de l’organisation Asylum Information Database (AIDA), intitulé « Country Report : Malta, 2020 Update », mis à jour en mai 2021, duquel il ressortirait que des demandeurs d’asile qui auraient été transférés sur base du règlement Dublin III auraient des difficultés à accéder aux procédures après leur retour à Malte et que les personnes qui auraient quitté Malte sans autorisation courraient le risque d’être signalés et faire l’objet de poursuites pénales après leur retour.

Il s’appuie encore sur un article de presse intitulé « UN slams ‘shocking’ conditions for migrants in Malta - Little access to daylight, clean water or sanitation, report says », publié le 2 octobre 20203 sur le site d’information « Times of Malta ».

Il se prévaut ensuite d’un rapport du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe, ci-après le « CPT » du 11 mars 2021, selon lequel les conditions de détention dans les centres pénitentiaires dans lesquels seraient détenus les demandeurs de protection internationale ne respecteraient pas les exigences minimales définies par ses soins et que ce dernier aurait, lors de sa visite en septembre 2020, critiqué la taille des cellules, les conditions d’hygiène, l’accès restreint à l’eau potable et le manque de protection contre les températures extrêmes.

L’organisation Global Detention Project critiquerait également dans une publication de juin 2019 intitulée « Immigration Detention in Malta : Betraying European Values ? », la politique maltaise relative aux détentions illimitées de temps des demandeurs d’asile.

Il se base encore sur article d’Infomigrants intitulé « Malte : Nous sommes dans une situation misérable » duquel il ressortirait que les autorités maltaises peineraient à traiter les demandes de protection internationale.

Dans ce contexte, le demandeur estime qu’il existerait un nombre important d’incertitudes quant à sa situation en cas de transfert à Malte, notamment par rapport à ses conditions d’accueil, son lieu d’hébergement, ainsi que son accès aux infrastructures de base, à la nourriture, aux soins essentiels, à la procédure d’asile et au respect du droit européen et international.

En deuxième lieu, le demandeur s’empare d’une violation, par le ministre, de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en ce que celui-ci aurait commis une erreur manifeste d’appréciation quant au traitement prévisible que les autorités maltaises lui réserveraient en cas de transfert à Malte, dans la mesure où il risquerait d’être arrêté et placé en détention après sa 1 CJUE, 21 décembre 2011, affaire C-411/10, N.S. c/ Secretary of State for the Home Department; CJUE, 12 septembre 2007, affaire C-380/05, Centro Europa.

2 CourEDH, 21 janvier 2011, Requête no 30696/09, M.S.S. c/ Belgique et Grèce.

3 https://timesofmalta.com/articles/view/un-slams-shocking-conditions-for-migrants-in-malta.821692.

7remise aux autorités maltaises, le demandeur se basant, à cet égard, sur un arrêt de la CourEDH4, suivant lequel les conditions actuelles de détention des demandeurs de protection internationale pourraient entraîner une violation de l’article 3 de la CEDH.

Le demandeur fait encore valoir que le ministre n’aurait pas pris en compte la situation du système d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte, mais aurait appliqué le principe de la confiance mutuelle, tout en ayant présumé que les autorités maltaises respecteraient la protection des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, sans cependant avoir pris en compte ses explications exposées dans le cadre de son entretien Dublin III et en particulier les mauvais traitements qu’il aurait subis et sa détention ainsi que les informations publiquement disponibles qui établiraient un risque de violation de ses droits fondamentaux garantis par l’article 3 de la CEDH, respectivement par l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ». Il reproche, à cet égard, au ministre de ne pas avoir écarté le principe de confiance mutuelle à l’égard de Malte en raison des publications prémentionnées, en faisant valoir qu’en adoptant une telle approche, le ministre aurait ignoré les arrêts de la CourEDH de 20115 suivant lesquels il ne serait plus question de faire « aveuglement » confiance aux Etats membres de l’Union européenne dans le cadre de l’application du règlement Dublin III, mais que chaque Etat membre devrait s’enquérir au préalable de la manière dont les autorités étrangères appliqueraient en pratique la législation en matière d’asile. A cela s’ajouterait que la condamnation récente de Malte par la CourEDH6 rendrait la réalisation du « risque réel » de son exposition à des traitements inhumains et dégradants « certaine » et « pour le moins impossible à écarter ».

En troisième lieu, le demandeur invoque une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en faisant valoir que le ministre aurait dû se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, compte tenu (i) du fait qu’il serait à considérer comme une personne particulièrement vulnérable, ayant été torturé au Soudan et ayant vécu pendant neuf mois en rétention à Malte et (ii) des difficultés pour les demandeurs de protection internationale d’accéder à la procédure d’asile après leur retour à Malte.

Finalement, il sollicite la saisine de la CJUE d’une question préjudicielle sur le fondement de l’article 267, point (b), paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) afin que celle-ci se prononce sur l’interprétation à donner à l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III eu égard aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte et la condamnation récente de l’Etat maltais par la CourEDH qui laisseraient manifestement conclure à l’existence dans ce pays de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale et à un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays 4 CEDH, 3 mai 2016, Abdi Mahamud c. Malte, n° 56796/13.

5 CourEDH, 21 janvier 2011, MSS c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

6 CEDH, 11 mars 2021, Feilazoo. c. Malte, n° 6865/19.

8responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités maltaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ; ».

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, quant à lui, prévoit que :

« Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Le tribunal constate de prime abord que le demandeur conteste la compétence de principe de Malte, alors qu’il ne ressortirait pas du dossier administratif qu’il y aurait déposé une demande de protection internationale, sinon que son franchissement irrégulier de la frontière maltaise remonterait à plus de 12 mois au moment de sa demande de protection internationale en Belgique, de sorte que Malte ne serait plus compétente pour l’examen de sa demande de protection internationale sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Sur ce dernier point, le tribunal précise d’ores et déjà qu’aux termes de l’article 7, paragraphe (2) du règlement Dublin III, « La détermination de l’État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d’un État membre. ». Par conséquent, c’est la situation ayant prévalu lors de l’introduction de la demande de protection internationale déposée par Monsieur … en Belgique le 16 novembre 2020 qu’il y a lieu de prendre en compte aux fins de l’application de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, s’agissant de la première demande d’asile introduite par l’intéressé auprès d’un Etat membre.

Force est, par ailleurs, au tribunal de constater qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers Malte et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, au 9motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait Malte, en ce qu’il aurait franchi irrégulièrement la frontière maltaise et que les autorités maltaises ont accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, de sorte qu’il est sans pertinence si le demandeur a déposé une première demande de protection internationale à Malte ou non.

Le tribunal constate ensuite que ledit article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III prévoit que le franchissement irrégulier, en provenance d’un Etat tiers, des frontières de l’Etat membre concerné doit être établi sur base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22 (3) du même règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, désigné ci-après par « le règlement 603/2013 ».

L’article 22 (3) du règlement Dublin III est libellé comme suit : « La Commission établit et revoit périodiquement, par voie d’actes d’exécution, deux listes indiquant les éléments de preuve et les indices pertinents conformément aux critères figurant aux points a) et b) du présent paragraphe. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 44, paragraphe 2 :

a) Éléments de preuve i) Il s’agit de la preuve formelle qui détermine la responsabilité en vertu du présent règlement, aussi longtemps qu’elle n’est pas réfutée par une preuve contraire.

ii) Les États membres fournissent au comité prévu à l’article 44 des modèles des différents types de documents administratifs, conformément à la typologie fixée sur la liste des preuves formelles.

b) Indices i) Il s’agit d’éléments indicatifs qui, tout en étant réfutables, peuvent être suffisants, dans certains cas, en fonction de la force probante qui leur est attribuée.

ii) Leur force probante, pour ce qui est de la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale, est traitée au cas par cas. ».

Les listes indiquant les éléments de preuve et les indices évoqués à l’article 22, paragraphe (3) du règlement Dublin III figurent à l’annexe II du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un 10ressortissant d’un pays tiers. La liste A contient les éléments de preuve, tandis qu’à la liste B figurent les indices.

Le point 7. de ladite liste B énumère les indices d’une entrée illégale sur le territoire d’un Etat membre par une frontière extérieure, au sens de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III. L’un de ces indices est le suivant : « rapports/confirmation des informations par un autre État membre ou un pays tiers ».

En l’espèce, il se dégage des informations fournies à l’autorité ministérielle luxembourgeoise par les autorités belges dans leur courrier, précité, du 15 juin 2021 qu’en date du 8 janvier 2021 les autorités maltaises avaient accepté la reprise en charge de Monsieur … sur base des articles 13, paragraphe (1) et 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III en réponse à une demande formulée en ce sens de la part des autorités belges en date du 6 janvier 2021 suite à un « Eurodac hit 2 » à Malte, l’acceptation de reprise en charge des autorités maltaises contenue dans le courrier précité du 8 janvier 2021 étant par ailleurs basée, contrairement aux allégations du demandeur, sur l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III. Le tribunal retient que les informations ainsi fournies par les autorités belges peuvent être qualifiées de rapport d’un autre Etat membre valant indice de l’entrée illégale du demandeur sur le territoire maltais par une frontière extérieure. Etant donné que cet indice n’est pas contredit par un quelconque élément probant et que le demandeur déclare lui-même avoir illégalement franchi la frontière maltaise avant de déposer sa demande de protection internationale en Belgique, le tribunal conclut qu’il est établi à suffisance de droit que Monsieur … a franchi irrégulièrement la frontière maltaise en venant d’un Etat tiers.

Le tribunal précise ensuite qu’il est certes vrai que la date exacte à laquelle le demandeur a irrégulièrement franchi la frontière maltaise en provenance d’un Etat tiers ne peut être déterminée au vu des éléments soumis à son appréciation, étant relevé que la simple allégation du demandeur d’avoir franchi ladite frontière en date du 1er octobre 2019 ne saurait, en l’absence d’autres éléments probants, suffire à cet égard.

Il n’en reste pas moins qu’il n’est ni allégué ni a fortiori établi que depuis le dépôt de sa première demande d’asile en Belgique en date du 16 novembre 2020, le demandeur aurait à un quelconque moment quitté le territoire des Etats membres de l’Union européenne pour se rendre dans un Etat tiers.

Dans ces circonstances, le tribunal conclut que le franchissement irrégulier de la frontière maltaise par le demandeur en provenance d’un Etat tiers a bien eu lieu avant l’introduction de sa première demande d’asile en date du 16 novembre 2020, le tribunal venant de préciser qu’en application de l’article 7, paragraphe (2) du règlement Dublin III, c’est la situation ayant prévalu lors de l’introduction de cette demande qu’il y a lieu de prendre en compte afin d’appliquer l’article 13 (1) du même règlement.

Or, il ne ressort d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que lors de l’introduction de ladite demande en date du 16 novembre 2020, un délai supérieur à 12 mois se serait écoulé depuis le franchissement irrégulier de la frontière maltaise par le demandeur en provenance d’un Etat tiers, étant rappelé, à cet égard, qu’en vertu du principe selon lequel les actes administratifs bénéficient de la présomption de légalité, il incombe au demandeur de rapporter la preuve de l’illégalité de l’acte faisant l’objet de son recours et que si le principe de loyauté impose que l’administration collabore à l’administration des preuves dès lors qu’elle 11en détient, il n’en reste pas moins que l’essentiel du fardeau de la preuve en droit administratif est porté par le demandeur.7 Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure où les autorités maltaises ont, par courrier du 25 juin 2021, accepté de reprendre en charge le demandeur sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, lesdites autorités sont, en principe, compétentes pour connaître de la demande de protection internationale de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III et de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Compte tenu des développements qui précèdent, le moyen tiré de la violation de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III encourt le rejet, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a pu conclure à la compétence de Malte pour le traitement de la demande de protection internationale du demandeur.

En ce qui concerne les moyens du demandeur selon lesquels un transfert à Malte l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, respectivement de l’article 3 de la CEDH, force est de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 3, paragraphe (2), alinéas 2 et 3 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit :

« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses 7 R. Ergec et F. Delaporte, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Pas. adm. 2020, p. 23, n° 25.

12raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé8.

A cet égard, le tribunal relève tout d’abord que l’Etat maltais est tenu en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-

ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard9. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants10.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées11.

Dans son arrêt du 19 mars 2019, la CJUE a confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée12. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment par les articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une 8 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

9 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

10 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

11 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

12 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

13protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de l’arrêt, précité, du 19 mars 2019, que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine.13 Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

Le demandeur remettant en question cette présomption du respect par l’Etat maltais des droits fondamentaux, puisqu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets y relatifs. Force est de constater qu’à l’appui de ses affirmations, il se prévaut d’un rapport de l’AIDA intitulé « Country Report :

Malta, 2020 Update », mise à jour en mai 2021, d’un article de presse, intitulé « UN slams ‘shocking’ conditions for migrants in Malta - Little access to daylight, clean water or sanitation, report says », publié le 2 octobre 2020 sur le site d’information « Times of Malta », d’un rapport du CPT du 10 mars 2021, d’une publication de juin 2019 intitulé « Immigration Detention in Malta : Betraying European Values ? » de l’organisation Global Detention Project ainsi que d’un rapport et d’une publication du 11 mars 2021, d’un communiqué de presse de l’Observatoire Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme du 7 février 2021 intitulé « La brutalité de Malte envers les demandeurs d’asile nécessite l’intervention de la Commission européenne » et d’un arrêt de la CourEDH du 11 mars 202114.

Or, il ne résulte ni théoriquement, ni concrètement des documents ainsi soumis au tribunal que des défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité caractériseraient la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte.

En effet, force est d’abord de relever que le demandeur n’a fait état d’éléments concrets de son vécu personnel permettant de conclure à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à 13 Idem, point 92.

14 CEDH, 11 mars 2021, Feilazoo. c. Malte, n° 6865/19.

14Malte, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte dans son chef, empêchant son transfert vers ce pays, son affirmation non autrement étayée selon laquelle il aurait été mis en rétention à Malte, de souffrir d’une tuberculose et de prendre de médicaments contre la douleur, n’étant, en l’absence de tout développement à cet égard dans sa requête introductive d’instance ou de preuve matérielle y relative, en tout état de cause pas suffisante à cet égard.

Ensuite et s’il ressort certes des pièces versées en cause par le demandeur, et notamment du rapport de l’AIDA, que les autorités maltaises connaissent certains problèmes quant à leur capacité d’accueil due à la grande vague de demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risquent, suivant les situations, de se voir confrontés à des lenteurs dans la procédure de dépôt de leur demande de protection internationale, ainsi qu’à des difficultés en termes d’hébergement, de conditions de vie et d’accès aux soins, il ne s’en dégage néanmoins pas que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte soient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets pour tout demandeur de protection internationale d’être systématiquement exposé à une situation de dénuement matériel extrême au sens de la jurisprudence précité de la CJUE, et ce, au point que son transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.

S’agissant ensuite plus précisément des critiques avancées par le demandeur par rapport aux conditions d’accueil, force est tout d’abord de constater que celles-ci concernent principalement les demandeurs de protection internationale et ressortissants tiers qui ont dépassé la validité de leur visa, sinon les primo-arrivants, et non pas les demandeurs de protection internationale transférés à Malte en vertu du règlement Dublin III, tel que c’est le cas du demandeur, les autorités maltaises ayant, en effet, accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

En effet, si les extraits du rapport du CPT, le rapport et la publication de l’organisation Global Detention Project ainsi que l’article de presse cités par le demandeur à l’appui de son argumentation confirment certes certains problèmes de fait et de droit en ce qui concerne l’accueil immédiat des migrants, à savoir le passage obligatoire dans des centres fermés pour des raisons sanitaires et ce, pour une durée plus ou moins longue, il n’en reste pas moins que comme le demandeur sera transféré à Malte en vertu du règlement Dublin III, il ne sera a priori et à défaut d’éléments en sens contraire soumis au tribunal, plus considéré comme un primo-

arrivant, susceptible de devoir passer à nouveau des tests sanitaires. En ce qui concerne en particulier le mélange de migrants testés positifs au COVID-19 avec des migrants non atteints de ce même virus dans le « Initial Reception Center » de Marsa tel que relevé dans le rapport de l’organisation Global Detention Project, les autorités maltaises ont précisé dans leur réponse du 2 novembre 2020 à l’attention du CPT que cette situation était exceptionnelle en raison du manque de place pour isoler les migrants concernés au sein de l’établissement et que les étages en cause dudit établissement ont été déclarés comme exemptes du virus en octobre 2020 et qu’il n’y avait plus de cas positif dans l’établissement à la date du 2 novembre 202015.

En ce qui concerne les violences qui seraient commises à l’égard des demandeurs d’asile dans les centres de rétention tel que retenu dans le communiqué de presse de l’Observatoire Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme, le CPT relève dans son rapport 15 Rapport du CPT, point 23, page 12 et point 77 page 32.

15qu’il a généralement reçu que très peu d'allégations de mauvais traitements physiques délibérément infligés par des officiers de police et/ou le personnel des centres de détention à des migrants lors de leur arrestation ou de leur mise en détention16, de sorte qu’il n’est pas établi que le demandeur serait nécessairement exposé à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte en cas de transfert à Malte.

Il ressort également du rapport du CPT, qu’en ce qui concerne les conditions sanitaires et de vie dans les centres de rétention, mises en cause par le CPT et par l’Observatoire Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme, que des mesures nécessaires pour remédier à la situation critiquée semblent avoir été prises par les autorités maltaises afin d’améliorer les conditions de vie des demandeurs de protection internationale dans les centres de rétention.

Au vu de ce qui précède, il y a dès lors lieu de conclure que si des problèmes affectant le système d’accueil à Malte en raison du nombre important de demandeurs de protection internationale sont certes décelables compte tenu des pièces versées en cause, il n’apparaît toutefois pas que la procédure de demande d’asile ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale à Malte soient affectées par des défaillances systémiques atteignant le seuil de gravité défini par la CJUE dans son arrêt du 19 mars 2019 cité ci-dessus, à savoir que ces conditions exposeraient le demandeur, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humain.

Par ailleurs, il convient de relever que le demandeur n’invoque pas non plus de jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers Malte, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou d’un avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers Malte dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile maltaise qui exposerait tout demandeur de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

Le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble le reproche au ministre de ne pas avoir davantage analysé le risque pour le demandeur d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour à Malte, encourent partant le rejet.

Il en est de même en ce qui concerne la demande du demandeur de saisir la CJUE d’une question préjudicielle sur le fondement de l’article 267, point b) paragraphe 2 du TFUE, dans la mesure où, tel que cela ressort des jurisprudences de la CJUE sur lesquelles le tribunal vient de fonder son analyse, la CJUE s’est d’ores et déjà prononcée sur le principe de confiance mutuelle entre Etats membres et sur l’interprétation à donner à l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III en cas de transfert d’une personne en application dudit règlement, en retenant notamment que si le principe de la confiance mutuelle n’exclut pas qu’un demandeur puisse encourir un risque de traitement contraire à l’article 4 de la Charte, la charge de la preuve de défaillances systémiques ou d’un traitement inhumain et dégradant au sens des dispositions 16 Rapport du CPT, point 18, page 10.

16précitées incombe aux demandeurs de protection internationale qui s’en prévalent et s’est pareillement prononcée sur le seuil de gravité à prendre en considération à cet égard.

Il s’ensuit que la question préjudicielle est à rejeter pour défaut de pertinence.

En ce qui concerne ensuite la violation alléguée de l’article 3 de la CEDH, il convient de rappeler que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable17.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte18, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant19.

En l’espèce, si le demandeur explique ne pas avoir introduit de demande de protection internationale à Malte, au motif que les autorités ne lui auraient pas donné cette possibilité et qu’il aurait dormi dans la rue après avoir été libéré du centre de rétention, force est de constater qu’il ne fournit pas le moindre détail quant à son vécu personnel et de ses démarches concrètes en tant que demandeur de protection internationale qui permettrait de conclure à l’existence de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. Ce constat n’est pas énervé par le fait qu’il aurait passé 9 mois en rétention, dans la mesure où il n’a pas introduit de demande de protection internationale à Malte et qu’il s’y trouvait partant en séjour irrégulier, de sorte que son placement en rétention était a priori conforme à la législation européenne applicable en la matière, à savoir la directive CE n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

En ce qui concerne la crainte du demandeur qu’en cas de retour à Malte il serait exposé à des poursuites pénales et à des sanctions administratives, force est de rappeler que les autorités maltaises avaient accepté la reprise en charge du demandeur sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, le demandeur n’avait pas encore déposé de demande de protection internationale à Malte.

17 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

19 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

17Ensuite, et même si les demandeurs de protection internationale retournés à Malte en application du règlement Dublin III sont susceptibles de connaître certains problèmes en ce qui concerne la reprise en charge de l’examen de leur demande de protection internationale, et notamment le risque de se voir infliger une condamnation pénale pour avoir quitté illégalement le territoire maltais, la source internationale citée par le demandeur confirme que les personnes concernées se voient néanmoins désigner un avocat dans le cadre de l’assistance judiciaire20, de sorte que si ladite procédure, respectivement les conséquences pénales de celle-ci, étaient de nature à violer les articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, il appartiendra au demandeur de faire valoir ses droits directement auprès des autorités maltaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes compétentes, étant relevé que le demandeur ne fournit pas d’éléments mettant valablement en cause le fait que l’Etat maltais est a priori un Etat de droit où une personne, estimant être privée de ses droits, dispose de voies de recours idoines, Malte étant censée, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, du Pacte international des droits civils et politiques ou de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de la Convention de Genève, respecter les droits et libertés prévus par ces textes internationaux et disposer d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Dans ce contexte, force est, par ailleurs, de relever que le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des demandeurs de protection internationale ayant quitté sans autorisation leur lieu d’hébergement est explicitement autorisé par la législation européenne, à savoir par l’article 20 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, dénommée ci-après « la directive Accueil ». En effet, ladite directive prévoit expressément la possibilité de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue.

Par ailleurs, le demandeur n’apporte pas la preuve que de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale à Malte ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient à Malte aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités maltaises en usant des voies de droit adéquates21, étant encore relevé que Malte est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’arrêt de la CourEDH du 11 mars 2021 soulevé par le demandeur afin de faire constater un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers Malte, dans la mesure où la situation du demandeur diffère de celle qui a été soumise à l’appréciation de la CourEDH. Il résulte de l’arrêt précité que l’intéressé en question, séjournant irrégulièrement sur le territoire maltais, avait été placé en isolement pour sa propre sécurité et à sa propre demande et que l’Etat maltais a été condamné pour violation de l’article 3 de la CEDH en raison de la durée de l’isolement de la personne 20 Page 35 du rapport AIDA.

21 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

18concernée, des conditions dans lesquelles elle avait été maintenue en isolément, du fait de ne pas avoir évalué si la santé physique et mentale du concerné permettaient son maintien en isolement, et d’avoir placé le concerné, à la suite de son isolement dans des locaux destinés à la mise en quarantaine de nouveaux arrivants au Centre de rétention en question22. A cela s’ajoute qu’il s’agissait d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier placé en rétention administrative en vue de la préparation de la procédure d’éloignement vers son pays d’origine, situation différente de celle de Monsieur …, lequel sera transféré à Malte en application du règlement Dublin III.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, à Malte, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la CEDH encourt le rejet.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres23, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201724. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge25, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée26, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

En l’espèce, le demandeur invoque (i) le fait qu’il serait à considérer comme une personne particulièrement vulnérable, ayant été torturé au Soudan et ayant vécu pendant neuf mois en rétention à Malte et (ii) des difficultés pour les demandeurs de protection internationale d’accéder à la procédure d’asile après leur retour à Malte.

Or, étant donné qu’au-delà du constat que le demandeur n’établit pas en quelle mesure son état de santé s’opposerait à un transfert à Malte, force est au tribunal de retenir, au regard 22 CEDH, 11 mars 2021, Feilazoo. c. Malte, n°6865/19, points 89-93.

23 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

24 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

25 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

26 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

19des considérations prises ci-avant par rapport aux moyens tirés d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III et de l’article 3 de la CEDH, qu’il n’est pas établi qu’en ne faisant pas usage, à cet égard, de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation principal en la forme ;

au fond le dit non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande de surseoir à statuer en vue de la saisine de la CJUE d’une question préjudicielle ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 25 août 2021 par :

Olivier Poos, premier juge, Carine Reinesch, juge, Laura Urbany, attachée de justice, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 août 2021 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 46335
Date de la décision : 25/08/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-08-25;46335 ?

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