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21/07/2021 | LUXEMBOURG | N°46187

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juillet 2021, 46187


Tribunal administratif N° 46187 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juin 2021 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 21 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46187 du rôle et déposée le 30 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyous

fi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 46187 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juin 2021 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 21 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46187 du rôle et déposée le 30 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … … (Maroc), de nationalité marocaine, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, élisant domicile en l’étude de Maître Ibtihal El Bouyousfi, préqualifiée, sise à L-2520 Luxembourg, 35, Allée Scheffer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 juin 2021 de le transférer vers l’Espagne, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 21 juillet 2021, et vu les remarques écrites de Maître Marc-Olivier Zarnowski, en remplacement de Maître Ibtihal El Bouyousfi, du 20 juillet 2021 produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

Le 6 mai 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, ainsi que suivant ses propres déclarations, qu’il avait franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 2 février 2021.

1 Toujours le 6 mai 2021, Monsieur … passa encore un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 11 mai 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités espagnoles aux fins de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, demande à laquelle les autorités espagnoles firent droit par un courrier daté du 13 mai 2021.

Par arrêté du 18 mai 2021, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Par décision du 14 juin 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Espagne, sur base des dispositions des articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, le ministre insistant plus particulièrement sur le fait que Monsieur … avait précédemment franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 2 février 2021 et que les autorités espagnoles avaient, le 13 mai 2021, accepté de le prendre en charge.

Ladite décision est fondée sur les motifs et considérations suivants :

« […] En mains le rapport de Police Judiciaire du 6 mai 2021 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 6 mai 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 6 mai 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 2 février 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'État responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 6 mai 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 11 mai 2021 une demande de prise en charge aux autorités espagnoles sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités espagnoles en date du 13 mai 2021.

2 2. Quant aux bases légales En tant qu'État membre de l'Union européenne, l'État luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'État responsable conformément aux dispositions du règlement Dublin DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre État est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'État requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre État.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la CEDH »).

Un État n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'État normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet État à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 6 mai 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 2 février 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Maroc en décembre 2020 par voie maritime en direction des îles Canaries et vous auriez été secouru en mer par un navire de la marine espagnole. Après cinq mois dans un foyer de la Croix-Rouge, vous auriez quitté les Îles Canaries caché dans un camion à bord d'un ferry en direction de l'Espagne. Après un mois dans la rue en Espagne, vous vous seriez rendu au Luxembourg par voie ferroviaire, en passant par la France et la Belgique.

3 Vous dites que vous n'auriez pas voulu introduire une demande de protection internationale en Espagne parce que vous préfériez introduire votre demande au Luxembourg où les réfugiés seraient mieux traités.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 6 mai 2021, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Espagne qui est l'État membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l'Espagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Espagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (la directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Espagne profite, comme tout autre État membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l'Espagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Espagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Espagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Espagne, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités espagnoles ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes espagnoles, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

4 Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Espagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Espagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devrait être nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Espagne en informant les autorités espagnoles conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités espagnoles n'ont pas été constatées. […] ».

Toujours le 14 juin 2021, la direction de l’Immigration pria le service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, d’organiser le transfert de Monsieur … vers l’Espagne.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2021, inscrite sous le numéro 46187 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 14 juin 2021 décidant de le transférer vers l’Espagne, l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.

Dans la mesure où l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 en sa version applicable au jour de la prise de la décision déférée prévoyait expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 14 juin 2021. Le recours en annulation est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

5 A cet égard, le tribunal relève que si la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, a modifié en ce qui concerne les décisions de transfert non seulement la procédure contentieuse devant le tribunal administratif, mais également les voies de recours, en prévoyant dorénavant la possibilité d’introduire un recours en réformation, et que si une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, le tribunal relève qu’elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été prise. En d’autres termes, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, tel que cela est le cas en l’espèce, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.

S’agissant dès lors non pas d’une simple loi de procédure, applicable aux instances en cours, mais d’une loi de fond, la loi du 16 juin 2021 est applicable aux seules décisions ayant été prises sous son égide.

A l’appui de son recours et après avoir décrit les faits et rétroactes tels que retracés ci-

avant, le demandeur fait valoir qu’il ressortirait à suffisance des rapports et articles publiquement disponibles que le système d’asile de l’Espagne souffrirait d’une défaillance systémique chronique, de sorte qu’il y aurait de sérieuses raisons de croire qu’en cas de transfert vers cet Etat membre, il serait exposé à un risque réel de traitements inhumains et dégradants.

De plus, l’Espagne aurait déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) pour non-respect du principe de non-refoulement, ce que le demandeur qualifie d’indice raisonnable et sérieux de croire qu’en cas de transfert vers cet Etat membre, il courrait le risque d’un refoulement vers le Maroc où sa vie serait en danger.

En droit, le demandeur conteste la compétence de l’Espagne en faisant état d’une erreur manifeste d’appréciation du ministre eu égard à sa situation personnelle, dans la mesure où il existerait dans cet Etat membre des motifs sérieux et avérés de croire que la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des faiblesses systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III qui entraîneraient en cas de transfert un risque réel qu’il soit soumis à des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »).

En se prévalant de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)1 et de celle de la CourEDH2 à propos de la notion de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le demandeur fait valoir qu’encore que l’Espagne est un Etat membre de l’Union européenne et partie à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », la présomption en découlant que le traitement réservé aux demandeurs d’asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève et de la Charte, pourrait être renversée s’il y a des raisons sérieuses de croire qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant.

1 CJUE, 14 novembre 2013, affaire C-4/11, Kaveh Puid c. Bundesrepublik Deutschland.

2 CourEDH, 4 novembre 2014, Requête n° 29217/12, Tarakhel c. Suisse.

6 Il soutient que depuis la condamnation de la Belgique et de la Grèce par un arrêt de la CourEDH du 21 janvier 20113, il ne serait plus question de faire « aveuglement » confiance aux Etats membres de l’Union européenne dans le cadre de l’application du règlement Dublin III, mais que chaque Etat membre devrait, au contraire, s’enquérir au préalable de la manière dont les autorités étrangères appliqueraient en pratique la législation en matière d’asile. La CJUE4 aurait, de son côté, retenu que les Etats membres devraient renoncer à transférer une personne dans l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale s’ils ne pouvaient ignorer que les défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil dans ce pays entraînent dans le chef de cette personne un risque réel d’être soumise à des traitements inhumains ou dégradants.

Il s’ensuivrait que lorsque des rapports publics font état d’une situation problématique dans un pays, le ministre aurait l’obligation de s’assurer que les droits fondamentaux de la personne concernée ne seront pas mis à mal après son transfert, le demandeur soulignant que, dans ce cas, le ministre ne pourrait se contenter de constater que l’intéressé ne rapporterait pas la preuve d’un risque de traitements inhumains et dégradants dans son chef.

Il avance qu’au vu des informations résultant de sources géopolitiques pertinentes et publiquement disponibles sur la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne, il y aurait des raisons sérieuses et objectives de croire qu’en cas de transfert vers ce pays, il risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants.

Pour appuyer ses dires, il cite par extraits un rapport du Asylum Information Database (AIDA), intitulé « Country Report : Spain, 2020 update », selon lequel l’Espagne serait toujours confrontée à des difficultés importantes pour s’adapter à l’augmentation des nouveaux arrivants et au nombre de demandes de protection internationale. Il ressortirait également de ce rapport que les conditions d’accueil ne se seraient pas améliorées et auraient été qualifiées de « maigres » par le Médiateur espagnol et même de « catastrophe humanitaire » par le Bureau du Trésor du Gouvernement de Melilla dans le cas du centre La Purisma qui accueillerait des enfants en violation de leur dignité et de leurs besoins fondamentaux. Ce rapport ferait, par ailleurs, état des difficultés d’accès à la procédure d’asile en Espagne entraînant que nombreux demandeurs de protection internationale se trouveraient pendant plusieurs nuits à la rue, en attente d’un hébergement.

Il en conclut que, dans ces conditions, il ne ferait aucun doute qu’en cas de retour en Espagne, il serait exposé à des difficultés d’accès à la procédure d’asile, de sorte qu’il serait fondé à se prévaloir de l’examen de sa demande de protection internationale par le Grand-

Duché de Luxembourg.

Concernant la situation des demandeurs de protection internationale ayant fait l’objet d’un transfert sous le règlement Dublin III vers l’Espagne, le demandeur cite un extrait du même rapport AIDA qui confirmerait les problèmes d’accès à la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil dans ce pays.

A l’appui de son argumentation à propos de l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection 3 CEDH [GC], MSS c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011.

4 CJUE, NS c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10 et C-493/10, 21 décembre 2011, § 94.

7 internationale en Espagne, le demandeur se réfère encore à un rapport intitulé « Sauvons le droit d'asile. STOP DUBLIN » d’une association française dénommée « Groupe d’information et de soutien des immigrés » (Gisti), dont il cite un extrait.

Par ailleurs, il cite les conclusions du rapport du Conseil européen de mars 2018 sur l’Espagne et se prévaut d’un arrêt de la CourEDH du 3 octobre 20175 ayant condamné l’Espagne pour l’expulsion d’une centaine des migrants en violation des articles 4 du Protocole n°4 et 13 de la CEDH en raison de l’absence d’une procédure d’identification des demandeurs lors de leur expulsion, respectivement de l’impossibilité, pour ceux-ci, de bénéficier d’une voie de recours contre leur expulsion.

En outre, un article publié le 24 juin 2019 sur le site d’information marocain Libération et intitulé « La politique migratoire de l’Espagne entre façade et réalité Humaniste et solidaire ? Répressive plutôt », dont le demandeur cite un extrait, décrirait la politique d’asile de l’Espagne.

Il conclut qu’au vu de toutes les informations qui précèdent, le ministre se serait à tort fondé « aveuglement » et en des termes généraux et stéréotypés, corroborés par aucune source d’information, sur la confiance mutuelle entre Etats membres, tout en faisant valoir que suivant la jurisprudence de la CourEDH et de la CJUE, les Etats membres seraient tenus, face à de telles informations, d’examiner dans chaque cas d’espèce dans quelle situation se retrouverait la personne si elle était transférée vers l’Etat membre concerné. Il ajoute que suivant la CJUE6, le régime d’asile européen commun et le principe de confiance mutuelle reposeraient sur l’assurance que l’application de ce système n’entraine, à aucun stade et sous aucune forme, un risque sérieux de violation de l’article 4 de la Charte.

Il soutient que le fardeau de la preuve de l’absence de violation du droit incomberait, en l’espèce, aux autorités luxembourgeoises qui envisagent son transfert vers l’Espagne, tout en reprochant au ministre d’avoir utilisé dans la décision querellée des considérants prérédigés et des observations générales en ce qui concerne le respect des obligations par l’Espagne, sans prendre en considération les circonstances individuelles et les risques concrets pour lui.

En se prévalant des arrêts Ghezelbash7 et Karim8 de la CJUE, il fait encore valoir que tout tribunal se prononçant sur une décision de transfert devrait examiner de manière approfondie si la détermination de l’Etat responsable était intervenue correctement, ce qui comprendrait l’obligation d’un examen détaillé de l’interdiction du transfert ancrée à l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Il conclut que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne et les traitements dont feraient l’objet les demandeurs de protection internationale retournés dans ce pays en application du règlement Dublin III, tels que rapportés par des sources géopolitiques indiquées par lui, constitueraient des indices sérieux de défaillances systémiques, de sorte qu’il y aurait des raisons sérieuses de croire qu’il courrait un risque réel d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte en cas d’exécution de son transfert vers l’Espagne.

5 CourEDH, 3 octobre 2017, requête n° 8675/15 et 8697/15, affaire N.D. et N.T. c. Espagne.

6 CJUE, 16 février 2017, affaire C-578/16 PPU, C.K. et autres.

7 CJUE, 7 juin 2016, C-63/15.

8 CJUE, 7 juin 2016, C-155/15.

8 En second lieu, le demandeur se prévaut d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en affirmant que la décision querellée serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation particulière au regard de cette disposition.

Il reproche au ministre de ne pas avoir correctement exercé son pouvoir discrétionnaire et d’avoir décidé de manière expéditive et stéréotypée de ne pas faire application de l’article 17, paragraphe (1), précité, quand bien même il aurait clairement indiqué lors de son entretien Dublin III qu’il aurait uniquement l’intention de venir introduire sa demande de protection internationale au Luxembourg où les droits fondamentaux des réfugiés seraient respectés, le demandeur estimant, en effet, qu’une telle déclaration aurait obligé le ministre à examiner de manière beaucoup plus approfondie la situation actuelle des réfugiés ou des demandeurs de protection internationales en Espagne afin de mieux comprendre sa démarche.

Au vu des rapports et publications cités ci-avant faisant état du fait que de nombreux demandeurs de protection internationale transférés en application du règlement Dublin III auraient des difficultés d’accéder à la procédure d’asile après leur retour en Espagne, il aurait appartenu au ministre de s’abstenir de prendre une décision de transfert vers ce pays alors qu’il serait établi à suffisance que cet Etat membre ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention de Genève et de la Charte.

Il s’ensuivrait que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation et que la décision querellée serait à annuler pour violation l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

En troisième lieu, le demandeur invoque une violation de l’article 3 de la CEDH en reprochant au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation pour ne pas avoir pris en compte le risque sérieux de traitements inhumains et dégradants auxquels il serait exposé à la suite de son transfert vers l’Espagne.

Il fait valoir que les traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH, auxquels il risquerait d’être soumis, résideraient dans le risque réel pour lui de se retrouver à la rue dès sa remise aux autorités espagnoles, dans la mesure où il serait établi qu’il aurait des difficultés pour accéder à la procédure d’asile, ainsi qu’à un hébergement en Espagne.

Ce serait dès lors à tort que le ministre se serait contenté d’affirmer, en se prévalant du principe de confiance mutuelle, que l’Espagne respecterait ses obligations tirées du droit international public, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrés à l’article 3 de la CEDH sans se référer à une quelconque preuve objective à cet égard, le demandeur insistant plus particulièrement sur le fait que le principe de confiance mutuelle ne pourrait trouver application en l’espèce alors qu’il aurait clairement fait état, lors de son entretien Dublin, d’un mauvais traitement « à Malte » et du fait qu’il se serait trouvé en détention. Les conditions de détentions critiquées dans les rapports et publications ci-avant exposés feraient également état de traitements inhumains et dégradants que les autorités luxembourgeoises ne pourraient, selon lui, simplement ignorer.

Il reproche, ainsi, au ministre d’avoir invoqué la confiance mutuelle et la présomption de protection des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale par l’Espagne sans se référer à un quelconque élément de preuve et sans fournir des explications cohérentes et pertinentes pour corroborer ses affirmations, tout en soulignant qu’eu égard aux 9 informations publiquement disponibles, il existerait un risque énorme et réel pour lui de voir ses droits fondamentaux violés au vu des conditions déplorables de détention auxquelles il serait indubitablement exposé.

Il donne à considérer que selon la jurisprudence de la CJUE9, l’évocation de la confiance mutuelle à l’appui d’une décision de transfert Dublin III présupposerait que la mise en danger éventuelle des droits fondamentaux devrait d’abord être mise en balance avec l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants contenue dans l’article 4 de la Charte ou dans l’article 3 de la CEDH. Cette interdiction serait d’une importance fondamentale en raison du lien étroit avec le respect de la dignité humaine et de son caractère absolu qui en résulterait.

Il ajoute que la CJUE préciserait, par ailleurs, que la présomption de protection des droits fondamentaux des demandeurs d’asile devrait être considérée comme étant réfutée ou réfragable si la situation qui prévaut dans l’Etat membre cible du transfert et qui serait contraire à la présomption de sécurité ne pourrait être ignorée de l’Etat membre effectuant le transfert.

Cela entraînerait, de surcroît, une obligation pour les juridictions nationales de fournir une certitude de conviction quant à la sécurité prévalant dans l’Etat cible.

Il avance qu’afin d’évaluer les risques réels pour les demandeurs de protection internationale en cas de transfert vers un Etat membre, la CJUE et la CourEDH se référeraient à des rapports réguliers et cohérents du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), de la Commission de l’Union européenne, des organisations non gouvernementales internationales telles que Amnesty International, Human Rights Watch et Pro-Asyl, du Conseil européen des réfugiés et exilés, des organisations non gouvernementales présentes dans l’Etat cible ainsi que de la Commission nationale des droits de l’homme20.

Ainsi, contrairement à la confiance mutuelle manifestement erronée et biaisée dont témoignerait le ministre à l’égard de l’Espagne quant au respect des droits fondamentaux, des informations de nature à écarter l’application du principe de confiance mutuelle à l’égard de l’Espagne ressortiraient des publications citées ci-avant, le demandeur réitérant que le ministre semblerait manifestement avoir ignoré que depuis la retentissante condamnation de la Belgique et de la Grèce par la CourEDH en 2011, il ne serait plus question de faire aveuglement confiance aux Etats membres de l’Union européenne dans le cadre de l’application du règlement Dublin III en invoquant simplement le principe de confiance mutuelle.

Il en conclut qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que l’exécution de la décision de transfert vers l’Espagne emporterait dans son chef un risque réel d’une violation de l’article 3 de la CEDH, de sorte que la décision querellée serait à annuler de ce chef.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

En vertu de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la 9 CJUE, 19 mars 2019, affaire C-297/17, Ibrahim, paragraphe 87.

10 personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités espagnoles pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que : « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

En l’espèce, force est de constater que la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a irrégulièrement franchi la frontière espagnole le 2 février 2021 et, d’autre part, par le fait que les autorités espagnoles ont accepté de le prendre en charge le 13 mai 2021.

Le tribunal constate ensuite que le bien-fondé de cette motivation ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit du demandeur.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Espagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Force est ensuite de constater que le demandeur soutient qu’un transfert en Espagne serait contraire aux articles 3, paragraphe (2) et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi qu’aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en raison des conditions d’accès et des conditions matérielles d’accueil résultant des rapports et articles versés en cause.

Le tribunal relève que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

A cet égard, le tribunal se doit tout d’abord de relever que la décision déférée du 14 juin 2021 a été prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et 11 de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, cette dernière disposition visant une hypothèse distincte du cas d’un demandeur ayant introduit une demande de protection internationale dans un premier Etat membre, hypothèse plus particulièrement visée à l’article 18 du règlement Dublin III, étant, à cet égard, relevé qu’il est constant en cause pour résulter également des propres déclarations du demandeur auprès de la police grand-ducale le 6 mai 2021 ainsi qu’auprès d’un agent ministériel lors de son entretien du même jour qu’il a quitté l’Espagne sans y avoir introduit une demande de protection internationale.

Il résulte, en effet, des propres déclarations du demandeur lors de son entretien du 6 mai 2021 que celui-ci n’a pas introduit de demande de protection internationale en Espagne au motif qu’il « voulai[t] demander l’asile ici au Luxembourg. Ici, on se comporte mieux avec les réfugiés. J’ai vu ça sur Youtube. »10.

Dans la mesure où le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Espagne, les autorités espagnoles ayant d’ailleurs, tel que retenu ci-avant, expressément accepté de le prendre en charge sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il n’est en tout état de cause pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer.

D’autre part, même si, conformément au principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), le demandeur sera dorénavant considéré par les autorités espagnoles comme demandeur de protection internationale, force est de constater qu’il ne fournit aucun élément pertinent permettant de conclure qu’il craint avec raison qu’en tant que demandeur de protection internationale en Espagne, les conditions minimales d’accueil n’y seraient pas assurées en raison de défaillances systémiques.

Force est, en effet, de constater que les éléments produits en cause ne permettent de dégager ni dans son cas particulier ni d’une manière générale l’existence de défaillances systémiques en Espagne au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui dispose ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

10 Page 5 du rapport d’entretien Dublin III.

12 La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé11.

A cet égard, le tribunal relève que l’Espagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« la Convention « torture »), ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard12.

C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants13. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées14. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile15, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la 11 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

12 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

13 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

14 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

15 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

13 jurisprudence des juridictions administratives16, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE17, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201718.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal précise qu’il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201919, invoqué par le demandeur, que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine20. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant21.

Le demandeur remettant en question cette présomption du respect par l’Espagne des droits fondamentaux, puisqu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, pareilles défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent ni théoriquement, ni concrètement, des éléments soumis au tribunal.

En effet, force est de relever que le demandeur se limite à citer de manière générale les dispositions des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, 4 de la Charte et 3 de la CEDH, de même qu’il se réfère à la jurisprudence de la CJUE et de la CourEDH, ainsi qu’à des rapports et articles internationaux sans mise en relation de leur contenu avec sa situation particulière, étant, à cet égard, relevé qu’encore que le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale, il n’a pas fait état lors de son entretien Dublin III de problèmes particuliers qu’il aurait rencontrés lors de son séjour en Espagne, mais il a, au contraire, déclaré avoir été logé par la Croix-rouge pendant son séjour à Las Palmas de Gran Canaria.

16 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.ja.etat.lu.

17 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

19 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

20 Ibid., pt. 92.

21 Ibid., pt. 93.

14 Ensuite, s’il ressort certes des pièces citées en cause par le demandeur, et notamment du rapport de l’AIDA mis à jour au 31 décembre 2020, que les autorités espagnoles connaissent certains problèmes quant à leur capacité d’accueil dus à la grande vague de demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risquent suivant les situations de se voir confrontés à des lenteurs dans la procédure de dépôt de leur demande de protection internationale, ainsi qu’à des difficultés en termes d’hébergement, de conditions de vie et d’accès aux soins, il ne s’en dégage néanmoins pas que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne soient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets pour tout demandeur de protection internationale d’être systématiquement exposé à une situation de dénuement matériel extrême au sens de la jurisprudence précité de la CJUE, et ce, au point que son transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte. Au-delà de ce constat, le tribunal relève encore que si le rapport AIDA invoqué par le demandeur fait état de difficultés rencontrées par certains demandeurs de protection internationale retournant en Espagne sous la procédure Dublin III, le constat s’impose que ce même rapport mentionne également que des difficultés éventuelles ont été censurées par les tribunaux espagnols, et que, par ailleurs, en conséquence de ces jugements, les procédures ont été adaptées.

Par ailleurs, s’il est certes vrai que l’Etat espagnol a été condamné en première instance par la CourEDH le 3 octobre 2017 dans l’affaire N.D. et N.T. c. Espagne, précitée, pour violation de l’article 4 du Protocole n°4 et de l’article 13 de la CEDH combiné avec l’article 4 du Protocole n°4, force est toutefois de constater que cette affaire a fait l’objet d’un renvoi devant la Grande Chambre de la CourEDH et que celle-ci, dans un arrêt récent du 13 février 2020, a validé le concept de reconduite à la frontière par les autorités espagnoles en retenant que l’Etat espagnol n’a violé ni l’article 4 du Protocole n°4 (interdiction des expulsions collectives) de la CEDH ni l’article 13 (droit à un recours effectif) de la CEDH combiné avec l’article 4 du Protocole n°4.

Or, mis à part ces documents, le demandeur ne fournit aucun autre élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Espagne, ou encore que ceux-

ci n’auraient en Espagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités espagnoles, étant rappelé que l’Espagne est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est en tant qu’Etat membre de l’Union européenne tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques, de la Convention « torture » et de la Convention de Genève.

Par ailleurs, il convient de relever que le demandeur n’invoque pas non plus de jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Espagne, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou d’un avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Espagne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile espagnole qui exposerait tout demandeur de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

En tout état de cause, si le demandeur devait estimer que le système d’accueil serait à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à 15 l’article 4 de la Charte, notamment en ce que le régime de limitation ou de restriction aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale serait automatique, c’est-à-

dire sans examen et décision individualisée, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités espagnoles en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système d’accueil espagnol ne serait pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il appartiendrait au demandeur de faire valoir ses droits sur base de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (« directive Procédure »), ainsi que de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil »), directement auprès des autorités espagnoles en usant des voies de droit adéquates.

Dans ces circonstances et à défaut d’autres éléments, le tribunal ne saurait conclure à l’existence de défaillances systémiques en Espagne au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble l’article 4 de la Charte.

Néanmoins, dans ce cadre, force est de relever que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable22.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte23, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant24.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait toutefois constituer une violation des articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

22 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

23 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

24 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

16 Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitements qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé25.

A cet égard, le tribunal relève tout d’abord par rapport à l’affirmation du demandeur dans son recours qu’il aurait fait état d’un mauvais traitement « à Malte » et qu’il y aurait été en détention, que de tels propos ne ressortent pas de son entretien Dublin III, celui-ci n’ayant en effet ni transité par Malte, mais par l’Espagne, ni n’a-t-il déclaré à un quelconque moment avoir subi des mauvais traitements en Espagne ou d’y avoir été mis en détention.

Force est, par ailleurs, de rappeler que le demandeur n’avait pas la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Espagne, de sorte qu’il ne saurait se prévaloir de son vécu personnel en tant que demandeur de protection internationale dans ce pays pour conclure à des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, étant, à cet égard, relevé que ses affirmations qu’en cas de transfert vers l’Espagne « je vais avoir des problèmes. Je ne sais pas exactement »26 et qu’il « voulai[t] demander l’asile ici au Luxembourg. Ici, on se comporte mieux avec les réfugiés. J'ai vu ça sur Youtube »27, sont largement insuffisantes pour prouver qu’il serait individuellement exposé à un quelconque risque de traitement inhumain et dégradant en cas de transfert vers l’Espagne.

S’agissant de l’affirmation non autrement sous-tendue ni en droit ni par une quelconque pièce qu’en cas de transfert vers l’Espagne, il courrait le risque d’un refoulement vers le Maroc où sa vie serait en danger, le tribunal relève qu’il n’est pas en mesure de prendre position par rapport aux moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement et qu’il ne lui appartient en tout état de cause pas de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base des conclusions du demandeur.

Il en est de même de l’affirmation générale non appuyée par un quelconque document probant et fournie pour la première fois par le litismandataire du demandeur à travers son courriel du 20 juillet 2021 qu’il ressortirait de rapports d’associations non versées en cause qu’une recrudescence d’actes hostiles existerait à l’égard de la communauté marocaine en Espagne et que l’Espagne serait connue pour être le terrain de violences contre les demandeurs d’asile et les réfugiés d’origine marocaine, entraînant dans le chef du demandeur un risque d’être victime d’agressions racistes, d’une part, et de mauvais traitements de la part des autorités espagnoles, d’autre part, contraires à l’article 3 de la CEDH, le demandeur, au-delà du fait qu’il n’a jamais fait état de problèmes en ce sens lors de son séjour en Espagne, reste en défaut de démontrer que concrètement il risque de devenir victime de telles agressions racistes en cas de transfert vers l’Espagne.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un 25 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

26 Page 6 du rapport d’entretien Dublin.

27 Page 5 du rapport d’entretien Dublin 17 risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, en Espagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation desdits articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte encourt le rejet.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres28, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201729. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge30, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée31, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Comme le tribunal vient de retenir dans le cadre de l’examen du moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III que le demandeur est resté en défaut d’établir de faire l’objet d’un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en cas de transfert en Espagne et que c’est sur base de la même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur, alors même que cet examen incombe aux autorités espagnoles.

Dans ces conditions, le constat fait par le ministre à travers la décision attaquée que le demandeur ne fait valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement Dublin III et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de sa demande de protection internationale n’est pas sujet à critique.

Le moyen relatif à la violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III est dès lors également à rejeter pour être non fondé.

28 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

29 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

30 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

31 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

18 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 21 juillet 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 46187
Date de la décision : 21/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-21;46187 ?

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