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21/07/2021 | LUXEMBOURG | N°46159

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juillet 2021, 46159


Tribunal administratif Numéro 46159 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2021 chambre de vacation Audience publique de vacation du 21 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46159 du rôle et déposée le 24 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra Belesg

aa, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif Numéro 46159 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2021 chambre de vacation Audience publique de vacation du 21 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46159 du rôle et déposée le 24 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra Belesgaa, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Libye) et être de nationalité libyenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 juin 2021 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Allemagne, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu la radiation du rôle-référé numéro 46160 du 28 juin 2021 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu le courrier électronique de Maître Zohra Belesgaa du 19 juillet 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 juillet 2021.

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Le 16 avril 2021, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Toujours le 16 avril 2021, Monsieur … passa encore un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ». Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Hongrie, le 9 août 2013, en Croatie, le 21 novembre 2013, en Suisse, le 5 août 2014 et en Allemagne, le 13 août 2014.

Par décision du 19 avril 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Le 23 avril 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III.

Par courrier du 29 avril 2021, les autorités allemandes donnèrent leur accord pour l’organisation du transfert de l’intéressé sur base de cette même disposition.

Par décision du 9 juin 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers l’Allemagne, l’Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement les dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et celles de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 16 avril 2021 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 16 avril 2021 et le rapport d'entretien 2Dublin III sur votre demande de protection internationale du 16 avril 2021.

1. Quant aux faits à la base de protection internationale En date du 16 avril 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit quatre demandes de protection internationale, dont une en Hongrie en date du 9 août 2013, une en Croatie en date du 21 novembre 2013, une en Suisse en date du 5 août 2014 et une en Allemagne en date du 13 août 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 16 avril 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 23 avril 2021 une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 29 avril 2021.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’Immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH) ou 4 de la Charte des 3droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 16 avril 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit quatre demandes de protection internationale, dont une en Hongrie en date du 9 août 2013, une en Croatie en date du 21 novembre 2013, une en Suisse en date du 5 août 2014 et une en Allemagne en date du 13 août 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Libye en janvier 2014 en direction de l'Algérie et de la Tunisie où vous auriez pris un avion en direction de la Turquie. Après un mois à Istanbul, vous auriez emprunté la route des Balkans en camion en direction de la Croatie. En Hongrie, les autorités hongroises vous auraient forcé à donner vos empreintes, bien que vous n'ayez pas voulu déposer de demande de protection internationale. Elles vous auraient donné un ordre de quitter le territoire et vous auriez continué votre voyage en direction de la Croatie où vous avez déposé une nouvelle demande de protection internationale qui aurait été rejetée. Les conditions de vie y auraient été mauvaises et vous auriez quitté la Croatie après six mois pour vous rendre d'abord en Italie où vous auriez vécu un mois et ensuite en Allemagne, en passant par la Suisse. Vous dites que les autorités suisses vous auraient forcé à déposer une demande de protection internationale contre votre volonté.

Après votre arrivée en Allemagne, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale qui aurait été rejetée. Comme vous n'auriez pas pu vous intégrer ni aller à l'école, vous auriez quitté l'Allemagne après neuf mois et vous auriez vécu les six ou sept années suivantes en Belgique et en France sans introduire de nouvelle demande de protection internationale parce que vous n'auriez plus eu d'espoir. En date du 9 avril 2021, vous seriez venu au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 16 avril 2021, vous avez fait mention de souffrir de problèmes rénaux. Vous dites que vous viendriez vous faire opérer pour des calculs rénaux et que vous suivriez un traitement médicamenteux (Buscopan 20mg, Cefuroxime 500mg, Dafalgan 1g, Diclofenac 50mg, et Omeprazole 20mg). Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

À cet égard, il y a lieu de relever que l'Allemagne dispose de structures médicales semblables à celles existant au Luxembourg. Par conséquent, il peut être admis que l'Allemagne peut fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l'accès aux soins urgents et nécessaires. Partant, il n'existe pas de raison d'admettre qu'en Allemagne, vous couriez un risque de traitement contraire à l'article 3 CEDH dû à votre état de santé.

De plus, il n'existe aucune raison de croire que l'exécution du transfert-même vers l'Allemagne rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d'une violation de l'article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n'est pas d'une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d'ores et déjà voué à échec.

4 Rappelons à cet égard que l'Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n°2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l'Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de I'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence l'Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l'Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

5Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2021, inscrite sous le numéro 46159 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 9 juin 2021.

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 46160 du rôle, il fit encore introduire une demande en institution d’une mesure provisoire par rapport à la décision du ministre du 9 juin 2021, requête dont la radiation fut prononcée en date du 28 juin 2021 suite à la demande afférente du litismandataire du demandeur.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, en sa version applicable au jour de la prise de la décision litigieuse, prévoit un recours en annulation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, telle que la décision litigieuse, un recours en annulation a valablement pu être introduit à l’encontre de celle-ci. Le recours en annulation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

6A cet égard, le tribunal relève que si la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, a modifié en ce qui concerne les décisions de transfert non seulement la procédure contentieuse devant le tribunal administratif, mais également les voies de recours, en prévoyant dorénavant la possibilité d’introduire un recours en réformation, et que si une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, le tribunal relève qu’elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été prise. En d’autres termes, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, tel que cela est le cas en l’espèce, par la loi sous ‘empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.

S’agissant dès lors non pas d’une simple loi de procédure, applicable aux instances en cours, mais d’une loi de fond, la loi du 16 juin 2021 est applicable aux seules décisions ayant été prises sous son égide, de sorte que la recevabilité du présent recours sera appréciée par rapport à l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 en sa version applicable au jour de la prise de la décision attaquée.

A l’appui de son recours, Monsieur … expose ne pas contester ni la compétence de principe des autorités allemandes ni l’incompétence des autorités luxembourgeoises, mais reproche au ministre d’avoir décidé de son transfert en Allemagne en violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17 du règlement Dublin III, de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-

après désignée par « la Charte ».

Monsieur … soutient à cet égard qu’il aurait transmis lors de son audition auprès du ministère des informations médicales relatives à son état de santé. Il se réfère à cet égard à un certificat médical du docteur … du 19 mai 2021 attestant une maladie lithiasique sévère nécessitant une prise en charge urgente et indispensable. Le demandeur précise qu’il aurait d’ores et déjà subi plusieurs interventions et qu’il devrait se soumettre à une opération prévue pour le 25 juin 2021. Ainsi, il aurait subi depuis le 8 avril 2021 plusieurs hospitalisations.

Monsieur … estime qu’il ne pourrait pas faire l’objet d’un traitement médical actuel et effectif dès son arrivée en Allemagne, de sorte qu’il existerait un risque de traitement inhumain et dégradant dans son chef au sens de l’article 4 de la Charte.

Le demandeur reproche finalement au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation en n’usant pas de la faculté discrétionnaire d’examiner sa demande de protection internationale inscrite à l'article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, soutient que la décision ministérielle attaquée serait fondée en fait et en droit et il conclut au rejet du recours sous analyse.

En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas 7examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait l’Allemagne, en ce qu’il y aurait introduit auparavant une demande de protection internationale en date du 13 août 2014 et que les autorités allemandes auraient accepté sa reprise en charge le 29 avril 2021, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le bien-fondé de cette motivation se dégage, par ailleurs, aussi bien des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, que de la réponse des autorités allemandes, qui, tel que relevé ci-avant, ont accepté de reprendre le demandeur en charge sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités allemandes, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais reproche au ministre d’avoir décidé de son transfert en Allemagne en violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il y a lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

8 S’agissant tout d’abord de l’article 3 du règlement Dublin III, celui-ci dispose en son paragraphe (2), alinéa 2 que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ». L’application de cette disposition par un Etat membre qui a priori n’est pas compétent, présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile, respectivement dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans l’Etat membre en principe compétent et qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte dans le chef de l’intéressé.

Cette disposition impose dès lors à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé2.

A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« la Convention « torture »), ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désignées par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

9l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après « CJUE », a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève à cet égard encore que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal précise qu’il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment 4 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.ja.etat.lu.

8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11.

Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par l’Allemagne des droits fondamentaux, puisqu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser, étant relevé que les contestation du demandeur reposent exclusivement sur son état de santé.

Or, pareilles défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis au tribunal.

Force est tout d’abord de relever que le demandeur n’invoque pas et a fortiori ne prouve pas avoir sollicité une quelconque assistance médicale en Allemagne, qui lui aurait été refusée, respectivement que les soins en relation avec son état de santé ne seraient pas disponibles en Allemagne.

A cet égard, le tribunal est amené à retenir que si stricto senso, conformément aux articles 35, paragraphe (3) et 36, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal administratif est amené à statuer par rapport au recours lui soumis en tant que juge de l’annulation, il ne saurait toutefois ignorer l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 15 avril 202113 ayant retenu que le contrôle du juge national doit comporter un examen ex nunc de la situation du demandeur d’asile, ce qui suppose une prise en compte d’éventuelles circonstances postérieures à l’édiction de la décision, déterminantes pour la correcte application du règlement Dublin III, de sorte à lui imposer, même dans le cadre d’un recours en annulation, un examen qui doit être complet et actualisé, sous peine de violer le droit au recours effectif consacré à l’article 27 du règlement Dublin III14.

Il s’ensuit que le tribunal prendra en compte dans l’appréciation du bien-fondé du recours sous analyse la situation médicale actuelle de Monsieur ….

Dans ce contexte, il échet de constater que les certificats médicaux versés en cause font certes état de la nécessité de procéder à « diverses interventions chirurgicales »15, d’une « maladie lithiasique avec présence d’un volumineux calcul pelvien droit, de multiples calculs dans les 2 reins et d’un volumineux calcul vésical », de la « [m]ise en place d’une sonde JJ droite »16, de la nécessité de procéder à une « uretero-nephroscopie therapeutique droit rétrograde »17 ayant eu lieu en date des 25 juin et 8 juillet 2021, soit postérieurement à la décision attaquée, il n’en reste pas moins qu’il ne découle d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que l’état de santé actuel du demandeur s’opposerait à un transfert 11 Ibid., pt. 92.

12 Ibid., pt. 93.

13 CJUE (G.C.), 15 avril 2021, H.A. / État belge, C-194/19.

14 Voir également trib. adm. (prés.) 27 juin 2018, n° 41271.

15 Rapport d’hospitalisation du 08.04.21 au 09.04.21 au CHEM.

16 Rapport d’hospitalisation du 11.04.21 au 14.04.21 au CHEM.

17 Certificat médical du docteur … du 19 mai 2021.

11en Allemagne, respectivement que les traitements prodigués ne seraient pas disponibles en Allemagne, voire que le demandeur n’y aurait pas accès. A cet égard, le tribunal remarque que le demandeur ne produit aucun rapport international ou autre source qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III atteignant un seuil de gravité tel que décrit ci-avant, les critiques afférentes du demandeur reposant sur des simples affirmations tout à fait générales et vagues suivant lesquelles il ne pourrait bénéficier de soins dès son arrivée en Allemagne et qu’il ne pourrait continuer son traitement actuel.

Il s’ensuit que les éléments soumis par le demandeur à l’appréciation du tribunal, qui reposent sur des simples allégations et qui ne sont pas documentés, ne permettent pas de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Allemagne, de sorte que le tribunal ne saurait conclure à l’existence de défaillances systémiques en Allemagne au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, ensemble l’article 4 de la Charte.

Néanmoins, dans ce cadre, force est de relever que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « CourEDH » que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable18.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte19, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant20.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait toutefois constituer une violation des articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

18 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

19 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

20 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

12Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitements qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé21.

En ce qui concerne plus particulièrement l’état de santé du demandeur tel que mis en avant par celui-ci, cet état n’est pas de nature à justifier actuellement l’existence d’un obstacle à son transfert, le demandeur ne fournissant aucun indice ni que le voyage en tant que tel risquerait de l’exposer actuellement à des traitements inhumains ou dégradants, ni que ses problèmes de santé ne puissent pas être traités en Allemagne. A cet égard, le tribunal relève que s’il n’est pas contesté que le demandeur a dû subir des interventions chirurgicales, les autorités luxembourgeoises se sont déclarées d’accord à suspendre l’exécution de la décision de transfert jusqu’au présent jugement afin que Monsieur … puisse se soumettre à l’intervention chirurgicale du 25 juin, respectivement à celle du 8 juillet 2021. Il n’est toutefois pas établi que l’état de santé de ce dernier nécessite encore un quelconque traitement à la suite desdites interventions ayant requis une hospitalisation de seulement 2 jours, voire qu’un suivi médical en Allemagne ne pourrait pas lui être fourni. Ce constat ne se trouve pas infirmé ni par le formulaire de demande d’examen d’imagerie médicale du 8 juillet 2021 ni par l’ordonnance médicale du 9 juillet 2021 du docteur … prescrivant des antidouleurs.

Il s’ensuit que le demandeur n’établit pas courir en Allemagne un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en raison de son état de santé ou d’une situation de particulière vulnérabilité.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation desdits articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III encourt le rejet.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres22, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201723. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend 21 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

22 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

23 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

13certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge24, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée25, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Comme le tribunal vient de retenir dans le cadre de l’examen du moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III que le demandeur est resté en défaut d’établir de faire l’objet d’un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en cas de transfert en Allemagne et que c’est sur base de la même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur, alors même que cet examen incombe aux autorités allemandes.

Dans ces conditions, le constat fait par le ministre à travers la décision attaquée que le demandeur ne fait valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement Dublin III et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de sa demande de protection internationale n’est pas sujet à critique.

Le moyen relatif à la violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est dès lors également à rejeter pour être non fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 21 juillet 2021 par :

24 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

25 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

14Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebendstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 46159
Date de la décision : 21/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-21;46159 ?

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