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21/07/2021 | LUXEMBOURG | N°46142

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juillet 2021, 46142


Tribunal administratif N° 46142 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2021 chambre de vacation Audience publique de vacation du 21 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46142 du rôle et déposée 18 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle Altmann, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, né le … à … (Pakistan), de nationalité pakistanaise, alias …, né le … à...

Tribunal administratif N° 46142 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2021 chambre de vacation Audience publique de vacation du 21 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46142 du rôle et déposée 18 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle Altmann, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Pakistan), de nationalité pakistanaise, alias …, né le … à …, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 juin 2021 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Belgique, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 juillet 2021 et vu les remarques écrites de Maître Isabelle Altmann en date du 15 juillet 2021 produites avant l’audience.

___________________________________________________________________________

Le 18 mars 2021, Monsieur …, alias …, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises compétentes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Encore le même jour, il passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertudu règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Une recherche effectuée le même jour par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement Dublin III révéla que Monsieur … avait formulé des demandes de protection internationale auparavant, à savoir en Hongrie le 15 septembre 2015, en Suisse en dates des 17 août 2016 et 8 février 2019, en Allemagne en dates des 1er septembre 2016, 25 octobre 2017 et 7 août 2019 et en Belgique le 30 septembre 2019.

Par arrêté du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 24 mars 2021, Monsieur … fut assigné à résidence à la SHUK pour une durée de trois mois.

Après un refus des autorités allemandes du 26 mars 2021 de reprendre en charge l’intéressé, le ministre s’adressa le 26 mars 2021 aux autorités belges en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande à laquelle les autorités belges firent droit en date du 31 mars 2021.

Par décision du 3 juin 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers la Belgique, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, ladite décision étant motivée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 18 mars 2021 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28 (1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18 (1) d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Belgique qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 18 mars 2021 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 18 mars 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 18 mars 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

2 La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit sept demandes de protection internationale, dont une en Hongrie en date du 15 septembre 2015, deux en Suisse en date du 18 août 2016 et du 11 février 2019, trois en Allemagne en date du 1er septembre 2016, du 25 octobre 2017 et du 7 août 2019 et une en Belgique en date du 30 septembre 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 18 mars 2021 Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 26 mars 2021 une demande de reprise en charge aux autorités belges sur base de l'article 18 (1) d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités belges en date du 31 mars 2021.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 18 mars 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment introduit sept demandes de protection internationale, dont une en Hongrie en date du 15 septembre 2015, deux en Suisse en date du 18 août 2016 et du 11 février 2019, trois 3 en Allemagne en date du 1er septembre 2016, du 25 octobre 2017 et du 7 août 2019 et une en Belgique en date du 30 septembre 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Pakistan en 2011 en direction de la Grèce, en passant par l'Iran et la Turquie. Vous auriez vécu et travaillé pendant quatre ans à Athènes.

Vous auriez passé onze mois dans un centre de rétention parce que vous n'auriez pas voulu demander une protection internationale. Après avoir reçu un ordre de quitter le territoire grec, vous auriez emprunté la route des Balkans en direction de l'Allemagne, en passant par la Hongrie où vous avez déposé une première demande de protection internationale. Vous auriez été logé dans un camp et vous auriez voulu quitter le pays tout de suite ce que vous auriez fait après dix jours.

Vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale en Allemagne où vous auriez vécu pendant un an. Votre demande de protection internationale aurait été rejetée. Vous auriez fait recours en justice, mais sans succès. Par peur d'être rapatrié au Pakistan, vous auriez quitté l'Allemagne pour la Suisse où vous avez introduit une demande de protection internationale qui aurait également été rejetée. De retour en Allemagne, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale et vous y auriez vécu pendant deux ans avant de retourner en Suisse pour y introduire de nouveau une demande de protection internationale. Après six mois en Suisse, vous vous seriez rendu en Belgique où vous auriez vécu pendant un an et demi et où vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale. Suite au rejet de cette demande par les autorités belges, vous seriez venu au Luxembourg en date du 15 mars 2021.

Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir retourner en Belgique parce que les assistants sociaux n'y seraient pas sérieux et vous auraient menti à plusieurs reprises.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 18 mars 2021, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Belgique qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la Belgique est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Belgique est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Belgique profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la Belgique est présumée respecter ses obligations tirées du droit international publi, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à 4 l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Belgique sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires belges.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence la Belgique. Vous ne faites valoir aucun indice que la Belgique ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions belges, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Belgique revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

Torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

5 Pour l'exécution du transfert vers la Belgique, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Belgique, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Belgique en informant les autorités belges conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités belges n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 juin 2021, inscrite sous le numéro 46142 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 3 juin 2021.

Aucune disposition légale n’ayant prévu, au jour de la prise de la décision litigieuse, un recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 en sa version applicable au jour de la prise de la décision litigieuse ayant prévu, au contraire, expressément un recours en annulation, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée du 3 juin 2021, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A cet égard, le tribunal relève que si la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, a modifié en ce qui concerne les décisions de transfert non seulement la procédure contentieuse devant le tribunal administratif, mais également les voies de recours, en prévoyant dorénavant la possibilité d’introduire un recours en réformation, et que si une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, le tribunal relève qu’elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été prise. En d’autres termes, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, tel que cela est le cas en l’espèce, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.

S’agissant dès lors non pas d’une simple loi de procédure, applicable aux instances en cours, mais d’une loi de fond, la loi du 16 juin 2021 est applicable aux seules décisions ayant été prises sous son égide, de sorte que la recevabilité du présent recours sera appréciée par rapport à l’article 35, paragraphe (3) en sa version applicable au jour de la prise de la décision attaquée.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur retrace les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 3 juin 2021.

Il explique être originaire du Pakistan et décrit les raisons l’ayant amené à fuir son pays d’origine, en l’occurrence, la crainte qu’il éprouverait à l’égard de son père qui aurait voulu le forcer, sous la menace de le tuer, à s'inscrire dans une école islamique qui serait en réalité non pas une école mais un centre de recrutement de guerriers et de terroristes. Il affirme qu’il craindrait retourner au Pakistan, alors que sa famille serait prête à lui « faire du mal » s'iln’obéissait pas son père.

Il décrit encore son trajet pour venir en Europe, ainsi que les différents pays traversés, respectivement dans lesquels il aurait vécu ou encore introduit une demande de protection internationale.

Ainsi, il déclare être passé par l'Iran et la Turquie pour arriver en Grèce où il aurait vécu et travaillé pendant quatre ans, sans y avoir introduit de demande de protection internationale.

Après quatre ans, il aurait quitté la Grèce suite à un ordre de quitter le territoire et serait passé par la Macédoine du Nord, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche, en Allemagne où il aurait déposé une demande de protection internationale, qui aurait été rejetée, et où il aurait vécu pendant un an. Il souligne qu'il n'aurait jamais lui-même introduit une demande de protection internationale en Hongrie. Il aurait ensuite quitté l'Allemagne pour la Suisse où il aurait introduit une demande de protection internationale ayant également été rejetée et serait ensuite retourné en Allemagne où il aurait introduit une nouvelle demande de protection internationale et y aurait vécu pendant deux ans avant de retourner en Suisse pour y introduire de nouveau une demande de protection internationale. Il aurait ensuite quitté la Suisse pour la Belgique où il aurait vécu pendant un an et demi et y aurait introduit une demande de protection internationale ayant pareillement été rejetée.

Le demandeur affirme qu’en Belgique, des assistants sociaux lui auraient expliqué qu'il pourrait refaire une nouvelle demande de protection internationale en Belgique dans trois mois s'il vivait sans aide de l'Etat pendant ce temps. N’ayant toutefois pas eu les moyens pour vivre pendant ces trois mois en Belgique sans aide, il aurait décidé de se rendre au Grand-Duché de Luxembourg pour ne pas se retrouver à la rue en Belgique.

Il déclare encore avoir perdu toute confiance dans les autorités belges, alors qu'il aurait eu l'impression qu'on lui avait fourni des informations erronées et que sa demande n'avait pas été traitée de manière adéquate. A cet égard, il souligne qu'il n'aurait pas passé d'entretien au ministère avant une prise de décision et qu’il aurait l'impression que sa demande n'avait pas été prise au sérieux.

En droit, le demandeur se prévaut d’une violation de l'article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif en faisant valoir que la décision encourrait l'annulation pour violation de la loi et/ou des intérêts privés.

Ainsi, il fait de prime abord état de l'existence de défaillances systémiques en citant les articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (la Charte) et en concluant que la décision de le renvoyer en Belgique constituerait une violation flagrante de ces dispositions.

Il se prévaut encore de l'article 3 du règlement Dublin III.

Il affirme que la décision attaquée risquerait de lui « causer un préjudice grave et définitif », dans la mesure où (i) la Belgique n'aurait pas donné de garanties individuelles quant aux conditions de sa reprise en charge et où (ii) il risquerait d'être transféré par la Belgique vers le Pakistan.

Il expose qu’au cours de son séjour en Belgique, « sa situation [n’aurait pas été ] bien » et que suite à des informations erronées lui fournies, il risquait de s’y retrouver à la rue.

Il souligne qu'il n'aurait pas été bien informé de ses droits en Belgique et aurait même reçu de mauvaises informations, ce qui le ferait douter du fonctionnement adéquat du système belge pour traiter sa demande.

Aussi, il craindrait être transféré par la Belgique en son pays d'origine, où il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants, en violation de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la CEDH) et de l'article 4 de la Charte.

En l'occurrence, il risquerait de subir des mauvais traitements, voire d'être tué par sa propre famille s'il ne se soumettait pas aux ordres de son père, le demandeur soulignant que sa demande d’une protection internationale serait dès lors justifiée et qu’il aurait dû se voir accorder le statut de réfugié sinon celui conféré par la protection subsidiaire, statuts lui ayant pourtant été refusés en Belgique.

Il poursuit qu’en cas de retour vers la Belgique, il se trouverait dans une situation de précarité absolue et conclut de l’ensemble de ces explications qu'en cas de retour vers la Belgique, il risquerait d’y subir un traitement inhumain et dégradant.

Le demandeur se prévaut ensuite d’une violation de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17, paragraphe 1er du règlement Dublin III.

Il résulterait de ses explications et plus précisément du risque qu’il courrait d'être renvoyé de force au Pakistan, pays où sa vie serait en danger, que le ministre aurait dû faire application de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement Dublin III, afin d'examiner le bien-fondé de sa demande de protection internationale.

Le demandeur demande encore l’annulation de l'ordre de quitter le territoire qui aurait été pris par le ministre au motif d’une violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l'immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », en faisant valoir qu’un retour en Belgique l’exposerait à des traitements cruels, inhumains et dégradants.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités belges pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la Belgique et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait la Belgique, en ce qu’il y aurait introduit auparavant une demande de protection internationale en date du 30 septembre 2019 et que les autorités belges ont accepté sa reprise en charge le 31 mars 2021.

Le bien-fondé de cette motivation se dégage, par ailleurs, aussi bien des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, que de la réponse des autorités belges, qui, tel que relevé ci-avant, ont accepté de reprendre le demandeur en charge sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités belges ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais reproche au ministre d’avoir décidé de son transfert en Belgique en violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2, et 17 du règlement Dublin III, et 3 de la CEDH et 1er et 4 de la Charte.

Il y a lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont dans le cadre du règlement Dublin III prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

S’agissant tout d’abord de l’article 3 du règlement Dublin III, celui-ci dispose en son paragraphe (2), alinéa 2, que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ». L’application de cette disposition par un Etat membre qui a priori n’est pas compétent, présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile, respectivement dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans l’Etat membre en principe compétent et qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte dans le chef de l’intéressé.

Cette disposition impose dès lors à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève de prime abord que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le Protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3 4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur d’asile de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

3 Ibidem, point. 79.

4 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.du 16 février 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après « CJUE », a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal précise qu’il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20197 que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine8. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant9.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par la Belgique des droits fondamentaux, puisqu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Le tribunal relève encore que le demandeur est un demandeur de protection international débouté en Belgique, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées.

Force est de constater que l’argumentation du demandeur repose en substance sur l’affirmation qu’il aurait reçu des mauvais conseils de la part d’assistants sociaux en Belgique en relation avec une éventuelle nouvelle demande de protection internationale en Belgique, ce qui entrainerait une certaine méfiance de sa part contre la procédure d’asile en Belgique.

Or, il ne suffit pas d’affirmer de manière péremptoire et générale qu’il existerait en Belgique des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et le système d’accueil, mais il aurait appartenu au demandeur de fournir des précisions et explications concrètes afin de justifier en quoi consisteraient concrètement de telles défaillances.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

7 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

8 Ibid., pt. 92.

9 Ibid., pt. 93.Le demandeur reste toutefois particulièrement vague dans ses explications et il fonde ses contestations sur des simples affirmations qu’il aurait « perdu confiance dans les autorités belges », que sa demande n’aurait pas « été traité[e] de manière adéquate » ou encore qu’il aurait « l’impression qu’on lui a fourni des informations erronées », voire que des assistants sociaux lui auraient indiqué de façon erronée de quelle manière il pourrait introduire une nouvelle demande de protection internationale en Belgique, alors qu’il lui appartient d’expliquer et d’établir concrètement ses allégations, ce qu’il est toutefois resté en défaut de faire.

Il se dégage, au contraire, des éléments à la disposition du tribunal que le demandeur a bien vu sa demande de protection internationale examinée en Belgique, puisque les autorités belges ont explicitement accepté de le reprendre en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, le demandeur ayant d’ailleurs déclaré lui-même dans le cadre de son entretien Dublin que sa demande avait été rejetée.

De même, il a déclaré durant son entretien Dublin III qu’il a été logé dans un foyer en Belgique et n’a pas fait état de difficultés particulières qu’il aurait rencontrés en Belgique que ce soit au niveau de son accueil ou au niveau du traitement de sa demande.

Le demandeur n’explique pas non plus de quelle manière ses droits n’auraient concrètement pas été respectés en Belgique lors du traitement de sa demande de protection internationale, voire quelle information légalement requise ne lui aurait pas été fournie.

En tout cas, le seul fait que sa demande de protection internationale a été refusée par les autorités belges ne permet pas de conclure ipso facto à des défaillances systémiques dans la procédure d’asile belge, étant relevé que le ministre, saisi d’une demande de protection internationale par un demandeur de protection internationale débouté dans un autre Etat membre, - et a fortiori le tribunal saisi d’un recours en annulation contre la décision du ministre de ne pas examiner la demande de protection internationale et de transférer l’intéressé vers l’Etat membre l’ayant débouté de sa demande -, n’a pas à vérifier le bien-fondé de ce refus des autorités de l’Etat membre requis, qui relève de la seule compétence de ces dernières, de sorte que c’est à tort que le demandeur semble reprocher au ministre de ne pas avoir tenu compte lors de la prise de la décision actuellement litigieuse du caractère sérieux des motifs à la base de sa demande de protection internationale.

Par ailleurs, le demandeur n’allègue pas qu’il n’aurait pas pu exercer les voies de recours adéquates contre le refus de sa demande de protection internationale en Belgique, mais, au contraire, il a déclaré lors de son entretien Dublin III qu’il n’a pas introduit de recours contre le refus de sa demande en Belgique.

Le tribunal constate encore que le demandeur ne rapporte pas non plus la preuve qu’en cas de transfert, ses droits ne seraient pas garantis en Belgique, voire que de manière générale les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Belgique ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en Belgique aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, d’une part, que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments suffisamment convaincants permettant de retenir qu’en cas de retour en Belgique, il encourt un risque de se voir confronté à une limitation de facto ouen vertu de dispositions légales ou réglementaires belges à des conditions d’accueil qui seraient contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte. D’autre part, et dans la mesure où le fait même de limiter ou de restreindre éventuellement totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant introduit une demande ultérieure après avoir essuyé un premier refus définitif à leur demande de protection internationale, est autorisé par la législation européenne10, il y a lieu de retenir que même à supposer qu’en cas de retour du demandeur en Belgique, il serait confronté à une limitation de l’accès aux conditions d’accueil, ce que le demandeur n’affirme même pas, une telle limitation ne constitue pas per se une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, sous réserve d’une possibilité d’accès, à l’instar de toute autre personne en situation de détresse, en ce compris les nationaux, à un dispositif d’aide d’urgence, accès que le demandeur ne remet pas non plus en cause.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide belge - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents belges - était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système belge n’était pas conforme aux normes européennes; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ainsi que de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), directement auprès des autorités belges en usant des voies de droit adéquates.

D’autre part, il ne se dégage pas non plus des éléments du dossier que le demandeur ne bénéficierait en Belgique pas d’une protection effective contre un refoulement vers son pays d’origine lorsqu’il y serait effectivement exposé à un risque de traitement inhumain ou dégradant, de sorte que là encore, la seule affirmation péremptoire suivant laquelle les autorités belges le transféreraient dans son pays d’origine où il risquerait des traitements inhumains et dégradants est insuffisante pour mettre en question la légalité de la décision litigieuse. Le demandeur reste plus particulièrement en défaut de faire état d’un risque concret à cet égard.

Au contraire, ses contestations reposent exclusivement sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale qui toutefois ont été jugés comme étant insuffisants pour retenir une crainte suffisamment sérieuse de subir des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, décision des autorités belges dont le tribunal n’a pas à apprécier le bien-fondé, tel que le tribunal vient de le relever ci-avant.

Dans ce contexte, il ne ressort d’aucune pièce du dossier que les autorités belges n’auraient pas évalué les risques réels de mauvais traitements qui naîtraient dans le chef du demandeur du seul fait de son éventuel retour au Pakistan, voire que le demandeur n’ait pas eu à sa disposition les voies de recours adéquates pour agir contre le refus de sa demande de protection internationale en Belgique, le demandeur ayant au contraire, tel que relevé ci-avant, affirmé ne pas avoir introduit de recours.

10 Directive 2013/33 UE, Considérants 11 et 25, de même que art. 20.Enfin, le demandeur ne fait état d’aucune difficulté particulière dans son chef qui aurait, le cas échéant, requis des vérifications dans le chef du ministre concernant les conditions de prise en charge en Belgique.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le moyen tenant aussi bien à une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lu avec l’article 4 de la Charte, que celui tenant à une violation autonome des articles 3 de la CEDH et 1er et 4 de la Charte sont à rejeter pour ne pas être fondés.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres11. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge12, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée13, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur.

Le moyen fondé sur une violation de l’article 17 du règlement Dublin III est dès lors également rejeté pour ne pas être fondé.

Enfin, s’agissant de l’ordre de quitter le territoire dont le demandeur sollicite l’annulation pour violation de l’article 129 de la loi du 29 aout 2008, cette demande est rejetée à défaut d’existence d’un tel ordre de quitter le territoire dans la décision déférée, tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement.

11 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

12 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

13 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 21 juillet 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 46142
Date de la décision : 21/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-21;46142 ?

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