Tribunal administratif N° 46197 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juillet 2021 4e chambre Audience publique extraordinaire du 14 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46197 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 juillet 2021 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Cap Vert), de nationalité cap-verdienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 juin 2021 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois supplémentaire à partir de sa notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2021 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;
Vu l’information de Maître Ibtihal El Bouyousfi du 12 juillet 2021 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence Entendu le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 13 juillet 2021.
Il ressort d'un rapport de la police grand-ducal, dénommé « Fremdennotiz », du 2 août 2020, portant le numéro R55434/2020, que Monsieur … fut interpellé à Bonnevoie sans qu’il n’ait été en mesure de démontrer son identité. Lors de la vérification d’identité au poste de police, les agents constatèrent, sur base du passeport cap-verdien leur fourni entretemps par sa mère, qu’il ne détenait pas de visa permettant son séjour au Grand-Duché de Luxembourg.
Etant donné qu’il n’y avait plus de place au Centre de rétention, Monsieur … fut relâché.
Par un courrier du 9 septembre 2020, lui envoyé à l’adresse de sa mère, Monsieur … fut prié de se présenter au ministère des Affaires étrangères et européennes en vue de l’organisation de son retour dans son pays d’origine.Par un arrêté du 14 septembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », déclara le séjour de Monsieur … irrégulier et lui ordonna de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours.
Par courrier du 28 septembre 2020, la police grand-ducale fut priée de bien vouloir procéder au signalement national de Monsieur ….
Il ressort d'un rapport de police dénommé « Fremdennotiz », portant le numéro 2020/32401/1536/GJ, du 30 octobre 2020 que Monsieur … fut appréhendé par les forces de l’ordre lors d'un contrôle effectué à Pétange.
En date du 15 mars 2021, la police grand-ducale dressa à nouveau un rapport de police « Fremdennotiz », portant le numéro 2021/8931/340/DA après avoir appréhendé Monsieur … lors d’un contrôle de prévention contre la criminalité à Esch-sur-Alzette.
Par un arrêté du 15 mars 2021, le ministre déclara une nouvelle fois le séjour du requérant irrégulier, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois sans délai et en prenant, à son égard, une interdiction d'entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
De nouveaux rapports « Fremdennotiz », portant les numéros 2021/12449/450/JD, respectivement 91291-1/2021, furent encore dressés en dates des 14 avril 2021, respectivement 1er mai 2021, faisant suite à de nouvelles interpellations de Monsieur … à divers endroits du territoire luxembourgeois.
Suite à une nouvelle interpellation en date du 10 mai 2021, ayant fait l’objet du rapport de police grand-ducale du même jour portant le numéro 2021/15459/724/JF, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d'un mois à partir de la notification dudit arrêté, intervenue en mains propres le même jour. Cette décision est motivée comme suit :
« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport du 2 août 2020 établi par la Police grand-ducale, Commissariat Luxembourg-Groupe Gare ;
Vu le rapport numéro 2020/32401/1536/GJ du 30 octobre 2020 établi par la Police grand-ducale, C2R Käerjeng/Pétange ;
Vu le rapport numéro 2021/8931/340/DA du 15 mars 2021 établi par la Police grand-
ducale, Commissariat Esch Centre ;
Vu le rapport numéro 2021/15459/724/JF du 10 mai 2021 établi par la Police grand-
ducale, Commissariat C3R Esch;
Vu ma décision de retour assortie d'une interdiction de territoire de trois ans du 15 mars 2021, lui notifiée le même jour;
Attendu que l'intéressé est démuni d'un visa en cours de validité ;
Attendu que l'intéressé n'est pas disposé à retourner volontairement dans son pays d'origine ;
Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
2 Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Le même jour, le ministre pria également le service de police judiciaire de bien vouloir organiser le départ de Monsieur … vers son pays d'origine, le Cap-Vert.
Par décision du 8 juin 2021, notifiée à l’intéressé le 10 juin 2021, le ministre prolongea pour une durée d'un mois la mesure de placement prise à l'encontre de Monsieur …, aux motifs suivants :
« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 10 mai 2021, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 10 mai 2021 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;
Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ; (…) ».
Par un courrier de son litismandataire du 2 juillet 2021, Monsieur … sollicita du ministre la délivrance d’une autorisation de séjour pour raisons privées.
Il ressort ensuite du dossier administratif que l’éloignement de Monsieur … vers son pays d’origine, prévu pour le 4 juillet 2021, n’a pas pu être exécuté en raison du fait que ce dernier avait refusé de procéder à un test PCR Covid-19 programmé pour le 2 juillet 2021.
Par un arrêté ministériel du 5 juillet 2021, le ministre prolongea pour une durée d'un mois la mesure de placement prise à l'encontre de Monsieur ….
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 juillet 2021, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 8 juin 2021.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Or, tel qu’il a été relevé à l’audience publique des plaidoiries, il est constant en l’espèce que Monsieur … a entretemps fait l’objet d’une mesure de prorogation de son placement au Centre de rétention, de sorte que son placement est actuellement basé sur cette dernière mesure de placement. Par conséquent, l’arrêté ministériel déféré a, au jour du prononcé du présent jugement, cessé de produire ses effets, de sorte que le tribunal n’est plus en mesure, au stade actuel de la procédure contentieuse, d’épuiser ses pouvoirs de réformation en faisant droit à lademande tendant à la libération du demandeur du Centre de rétention.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours principal en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est cependant recevable dans les limites précitées.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, outre de passer en revue certains rétroactes tels que repris ci-avant, explique que suite à son interpellation du 2 août 2020, il aurait pu s’identifier à l’aide de son passeport capverdien valable jusqu'au 26 janvier 2022, mais sans qu’il puisse faire état d’un visa ou d'un titre de séjour en cours de validité.
Il fait relever qu’il aurait déclaré à la police grand-ducale être arrivé au Portugal en 2005 muni d'un visa portugais qui ne serait plus en cours de validité, avoir résidé au Luxembourg de 2010 à 2013 et être venu régulièrement pour passer des vacances au Luxembourg où il séjournerait actuellement, expliquant encore que sa mère, Madame …, résiderait à … et qu’il n’aurait plus aucun membre de famille au Cap Vert. Il y aurait également relaté ne pas avoir de domicile fixe au Luxembourg et ne posséder aucun revenu, son souhait ayant été de déménager auprès de sa copine à …, de chercher un travail, tout en exerçant une activité musicale au Luxembourg.
Il résume ensuite les explications qu’il aurait données à l’occasion des autres interpellations, dont il ressort notamment qu’il aurait résidé chez des amis tantôt à …, tantôt à …, tantôt à ….
En droit, le demandeur fait plaider que la décision déférée prorogeant son placement en rétention en vue de son éloignement vers le Cap-Vert violerait l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », alors qu’il se dégagerait de son dossier administratif qu'il disposerait des liens familiaux très étroits au Luxembourg, ce qui l’aurait d’ailleurs amené à solliciter un titre séjour en vue de régulariser sa situation.
Dans un tel contexte, le demandeur estime que son maintien en rétention serait constitutif d'une ingérence disproportionnée dans sa vie privée du fait que son placement aurait comme but de l'éloigner vers le Cap-Vert, où il n'aurait aucune famille.
En deuxième lieu, le demandeur invoque un excès de pouvoir dans le chef du ministre, estimant que la prorogation de son placement en rétention pour une durée supplémentaire d'un mois serait manifestement disproportionnée par rapport à sa situation particulière, alors qu’il n'existerait aucun risque de fuite dans son chef en raison du fait qu’il disposerait de liens familiaux très étroits au Luxembourg.
En décidant de maintenir son placement en rétention afin d'organiser son éloignement vers un pays tiers où il n'aurait plus aucun lien familial, le ministre lui causerait un préjudice à travers la privation inutile et disproportionnée de sa liberté.
En fondant l'existence d'un risque de fuite dans son chef non pas sur le risque de se soustraire ou d’entraver la procédure d'éloignement, mais simplement sur le fait qu’il ne disposerait ni d’un document d'identité et de voyage valable ni d'une adresse au Grand-Duchéde Luxembourg, la décision déférée ne serait pas basée sur une appréciation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu, le demandeur relevant que, dans une décision du 12 juillet 2016, A. B. et a. c. France, (req. n° 11593/12), la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », aurait précisé à cet égard que le fait de ne pas disposer de documents de voyage en cours de validité ou d'adresse stable ne saurait caractériser un risque de fuite. De plus, en vertu d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », du 5 juin 2014, dans une affaire Madhi, (C-146/14), l'absence de documents d'identité ne pourrait être assimilée, à elle seule, à une volonté d'obstruction ou comme étant constitutive de la preuve d'un « manque de coopération », au sens l'article 15, paragraphe 6, sous a), de la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « directive retour ».
Etant donné qu’aux termes de l'article 111, alinéa 2, point c), in fine, de la loi 29 août 2008, le risque de fuite devrait être apprécié au cas par cas, donc évalué de manière individuelle, le ministre, en relevant qu’il aurait été appréhendé au Grand-Duché de Luxembourg sans disposer d’un document d'identité ou de voyage valable et sans adresse, aurait opéré une interprétation non circonstanciée et non individuelle de sa situation, sans mise en balance des intérêts individuels et des intérêts publics concernés.
Ayant toute sa famille au Luxembourg, le demandeur relève qu’il n’y aurait aucune raison valable ni objective permettant de conclure qu'il aurait pu avoir l'intention de se soustraire aux convocations du ministre, le temps de régulariser sa situation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
A titre liminaire, force est au tribunal de relever qu’il est uniquement saisi d’une décision ordonnant la prorogation du placement en rétention du demandeur, prise en exécution d’une décision d’éloignement, et non pas de la décision d’éloignement elle-même, tel qu’elle a été prise, en dernier lieu, en date du 15 mars 2021, ordonnant au demandeur, sur base du constat de son séjour irrégulier, de quitter le territoire luxembourgeois sans délai.
Il s’ensuit que toute l’argumentation, basée tant sur une violation de l’article 8 CEDH, que sur un excès de pouvoir, tenant à critiquer son éloignement vers son pays d’origine, le Cap Vert, où il n’aurait plus de famille, alors que sa mère et ses sœurs résideraient au Luxembourg n’est d’aucune pertinence dans le cadre du présent recours. Il s’ensuit que les deux moyens invoqués par le demandeur sont d’ores et déjà à rejeter sous cet aspect.
En ce qui concerne le principe et les modalités de la mesure de placement déféré, il y a lieu de rappeler que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit que : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au premier paragraphe de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En ce qui concerne le risque de fuite qui est contesté par le demandeur, force est d’abord de relever qu’il est constant en l’espèce que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg depuis au moins le milieu de l’année 2020, celui-ci ayant en effet, après avoir fait l’objet de plusieurs interpellations par la police grand-ducale, notamment fait l’objet d’une décision de retour, ainsi que d’un arrêté d’interdiction du territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans en date du 15 mars 2021. Il est rappelé qu’en vertu de l’article 111,paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, ce dernier article conditionnant notamment l’entrée sur le territoire à la condition de disposer d’un visa en cours de validité et de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire.
Ainsi, outre le fait que la mesure de placement déférée, telle précitée, faisant référence à la décision de placement initiale du 10 mai 2021, n’est, contrairement à ce qui est affirmé par le demandeur, pas motivée par l’absence, en son chef, d’un document d’identité ou de voyage valable, mais par l’absence d’un visa en cours de validité et par le défaut d’une adresse au Luxembourg, le constat de l’existence du risque de fuite n’est pas énervé par la jurisprudence de la CourEDH, dans une affaire A.B. et a. c. France, ainsi que celle de la CJUE, rendue dans une affaire Mahdi, telles qu’invoquées par le demandeur, alors que lesdites jurisprudences ne sauraient trouver application au cas d’espèce du demandeur, s’agissant, d’une part, d’un placement en rétention d’un mineur en ce qui concerne l’arrêt de la CourEDH, et, d’autre part, pour l’arrêt de la CJUE, d’une décision de prolongation de la rétention au-delà de six mois, situations de fait qui diffèrent fondamentalement de celle du demandeur.
Ainsi, au regard des considérations prises plus haut, le risque de fuite est en l’occurrence présumé dans le chef du demandeur, sans qu’il ne se dégage du dossier soumis au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption de ce risque de fuite.
Au contraire, le comportement général du demandeur, tel qu’affiché depuis l’été 2020, notamment au travers des nombreux rapports de police précités, est plutôt de nature à corroborer ce risque de fuite, étant donné qu’il se maintient volontairement sur le territoire luxembourgeois, respectivement qu’il y pénètre de manière fréquente, alors même qu’il sait pertinemment qu’il ne dispose pas d’un visa ou d’un titre de séjour valable et qu’il lui est interdit d’y entrer. Ainsi, malgré ses affirmations consignées dans lesdits rapport selon lesquelles il serait prêt à quitter le Luxembourg, il y a été régulièrement interpellé, sans que sa situation administrative n’ait été régularisée. Il ressort d’ailleurs du dossier administratif que le demandeur tente de s’opposer à son éloignement en ayant notamment introduit, au cours du premier mois de son placement en rétention, une demande d’autorisation de séjour, tout en expliquant, dans sa requête introductive d’instance, ne pas avoir « l’intention de se soustraire aux convocations du Ministre, le temps de régulariser sa situation ». Il en va de même de son argumentation relative à une violation de l’article 8 CEDH qu’il invoque pour critiquer la décision d’éloignement sous-jacente à la décision déférée, mais qui, d’après les éléments à disposition du tribunal n’a cependant pas fait l’objet d’un recours. Finalement, il ressort des derniers éléments du dossier administratif, tels que relatés ci-avant, que le vol vers le Cap Vert prévu pour le 4 juillet 2021 a dû être annulé du seul fait que le demandeur a refusé de procéder à un test PCR Covid-19, de sorte qu’il ne saurait prétendre ne pas vouloir entraver son éloignement.
Il s’ensuit que l’ensemble des contestations du demandeur quant au risque de fuite sont rejetées.
Au vu de ces considérations, le ministre pouvait donc a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, précité, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et maintenir son placement.
S’agissant de l’argumentation du demandeur, basée sur le principe de laproportionnalité, selon laquelle le ministre n’aurait pas dû proroger son placement au Centre de rétention en raison de la présence de sa famille au Luxembourg, pour autant que ce dernier ait entendu ainsi s’emparer de l’article 125, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008, il échet de rappeler que ledit article prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) (…).
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précitées, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention nerépond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier. L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit justifier de garanties de représentation suffisantes de nature à prévenir le risque de fuite1.
Au-delà du constat que le demandeur n’invoque aucune des mesures moins coercitives comme s’imposant par rapport à une mesure de rétention, il échet de retenir que celui-ci n’a pas fourni de garanties de représentation suffisantes pour prévenir un risque de fuite, qui, tel que cela a été retenu ci-avant, est présumé et avéré dans son chef.
En effet, le simple renvoi, dans ce contexte, à l’article 8 de la CEDH ne saurait énerver ce constat, alors qu’en tout état de cause, le demandeur reste en défaut d’établir une vie familiale effective tant avec sa mère qu’avec ses sœurs, étant relevé que le demandeur n’habite ni chez l’une ni chez les autres, et affirme lui-même être sans domicile fixe en étant hébergé auprès de différents amis au Luxembourg, respectivement au-delà des frontières luxembourgeoises. De plus, il affirme lui-même, dans le rapport de police précité du 10 mai 2021, qu’il est en mauvais termes avec sa mère et qu’il ne connaît pas l’adresse exacte de cette dernière.
Au vu de ces considérations, aucune assignation à résidence au sens de l’article 125, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008 n’est envisageable en l’espèce.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre n’a pas fait application d’une mesure moins coercitive que le placement en rétention, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour être non fondé.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
1 Trib. adm. 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 917 et les autres références y citées.dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 14 juillet 2021, à 17.00 heures, par :
Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, attaché de justice délégué, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 10