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02/06/2021 | LUXEMBOURG | N°43664

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juin 2021, 43664


Tribunal administratif N°43664 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 octobre 2019 1re chambre Audience publique du 2 juin 2021 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre un arrêté grand-ducal du 5 juillet 2019, en matière de changement de nom patronymique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43664 du rôle et déposée le 15 octobre 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles Plottké, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Belgique), et de son épouse, M...

Tribunal administratif N°43664 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 octobre 2019 1re chambre Audience publique du 2 juin 2021 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre un arrêté grand-ducal du 5 juillet 2019, en matière de changement de nom patronymique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43664 du rôle et déposée le 15 octobre 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilles Plottké, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Belgique), et de son épouse, Madame …, née le … à Luxembourg, les deux demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 5 juillet 2019 portant refus de l’autorisation de changer le nom patronymique de leurs trois enfants mineurs communs de « … » en celui de « …-… » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2020 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Gilles Plottké déposé au greffe du tribunal administratif le 12 février 2020 pour compte de Monsieur … et de son épouse, Madame …, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 27 janvier 2021, et vu les remarques écrites de Maître Gilles Plottké et de Madame le délégué du gouvernement Tara Désorbay des 26 et 27 janvier 2021, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

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Par un courrier du 24 juillet 2018 et entré au ministère de la Justice le 27 juillet 2018, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les consorts …-… », s’adressèrent au ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », afin de solliciter l’autorisation de changer le nom patronymique de leurs trois enfants mineurs communs …, né le …, …, née le … et …, née le …, de « … » en celui de « …-… ».

Par un courrier du 6 novembre 2018, le ministre invita les consorts …-… à compléter leur dossier (i) par « la délivrance de [leur] commun accord » à ce que leurs trois enfants mineurs portent le nom de « … … », au motif que, tel que cela ressortirait d’un avis du procureur 1d’Etat émis en date du 13 septembre 2018, le droit luxembourgeois ne connaîtrait pas les noms composés à deux composantes séparées par un trait, mais uniquement les noms composés à deux composantes accolées, ainsi que (ii) par l’acte de décès des grands-parents maternels.

A travers un courrier du 19 novembre 2018, les consorts …-… consentirent à solliciter l’autorisation de changer le nom patronymique de leurs enfants mineurs en celui de « … … », tout en communiquant au ministre l’acte de décès sollicité.

Par avis séparés des 13 et 27 décembre 2018, le procureur d’Etat et le procureur général d’Etat se prononcèrent en défaveur du changement de nom sollicité par les demandeurs au nom de leurs enfants mineurs. Le Conseil d’Etat émit le 12 mars 2019 également un avis défavorable quant au changement de nom sollicité.

Suite à ces avis, la requête en changement de nom fut rejetée par arrêté grand-ducal du 5 juillet 2019 transmis aux intéressés par un courrier du ministre du 15 juillet 2019. Cet arrêté grand-ducal est motivé comme suit :

« Vu la demande présentée par Monsieur … et Madame …, sollicitant l'autorisation de changer le nom patronymique actuel de leurs enfants mineurs … …, né le … à Luxembourg, … …, née le … à Luxembourg, et … …, née le … à Luxembourg, tous les trois de nationalité luxembourgeoise et demeurant à L-…, en celui de « …-… » ;

Vu le titre Il de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms ;

Vu les avis négatifs rendus par le Procureur d'État de Luxembourg et le Procureur général d'État ;

Vu l'avis négatif émis par le Conseil d'État ;

Considérant que le Procureur d'État de Luxembourg note que « l'article III de la loi du 23 décembre 2005 sur le nom des enfants fixe en effet son entrée en vigueur au 1er mai 2006 et prévoit que les anciennes dispositions (en matière de nom) restent applicables aux enfants nés au moment de (ladite) entrée en vigueur (…), ainsi qu'aux frères et sœurs nés postérieurement, dans la mesure où ils ont un père et une mère communes. De cette façon, et en l'absence d'une déclaration conjointe à l'officier de l'état civil en vue de l'attribution du double nom à leur fils aîné mineur, le changement de nom sollicité est légalement impossible » ;

Considérant que la requête en changement du nom n'est donc pas fondée ;

Sur le rapport de Notre Ministre de la Justice et après délibération du Gouvernement en Conseil ;

Arrêtons:

Art. 1er. - L'autorisation sollicitée est refusée.

Art. 2. - Notre Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté. ».

2Par un courrier de leur litismandataire du 16 septembre 2019, les consorts …-

… introduisirent un recours gracieux contre l’arrêté grand-ducal, précité, du 5 juillet 2019.

Par des avis séparés des 23 et 31 octobre 2019, le procureur d’Etat et le procureur général d’Etat maintinrent leurs avis défavorables respectifs.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2019, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 5 juillet 2019, précité, portant refus de la demande de changement du nom patronymique de leurs trois enfants mineurs.

Etant donné qu’aucune disposition de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms, ci-après désignée par « la loi modifiée du 11-21 germinal an XI », ne prévoit de recours de pleine juridiction contre une décision de refus de changement de nom, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le tribunal est, par contre, compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs exposent les faits et rétroactes tels que relatés ci-dessus.

En droit, ils sollicitent l’annulation de la décision déférée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Ils reprochent plus particulièrement à l’autorité administrative d’avoir procédé à une appréciation erronée des faits de l’espèce en ce sens qu’elle aurait, à tort, conclu que ni la loi, ni les faits en question ne justifieraient, dans leur chef, l’autorisation de changer le nom patronymique de leurs trois enfants mineurs communs.

Ils soutiennent que si leur demande avait été refusée au motif que « […] en l’absence d’une déclaration conjointe à l’officier de l’état civil en vue de l’attribution du double nom à leur fils aîné mineur, le changement de nom sollicité est légalement impossible », il apparaîtrait clairement, par application de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, que les motifs, tels qu’invoqués dans leur demande du 24 juillet 2018, seraient dûment légitimes et justifieraient amplement le changement de nom patronymique de leurs trois enfants mineurs, tel que sollicité.

Ils expliquent que, d’une part, il s’agirait d’ajouter au nom actuel des enfants le nom patronymique maternel, « … » en vue de poursuivre la lignée maternelle, en précisant que les grands-parents maternels seraient décédés, tel qu’en attesteraient les documents joints en annexe à leur demande. D’autre part, ils font valoir que leurs enfants mineurs souffriraient quotidiennement, notamment au sein de la communauté scolaire, de moqueries et d’insultes en raison de la difficulté de prononcer le nom patronymique paternel « … », tout en soulignant que l’adjonction du nom patronymique maternel « … » permettrait une meilleure intégration de leurs enfants et leur éviterait les souffrances précédemment évoquées.

Au vu des considérations qui précèdent, leur recours serait à déclarer fondé et l’acte entrepris à annuler.

3 Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement donne tout d’abord à considérer qu’au moment de statuer, tant les trois organes consultatifs que l’autorité décisionnelle n’auraient pas eu connaissance du motif tiré de la souffrance des enfants concernés qui serait prétendument due au port du nom de « … », en insistant sur le fait que dans leur demande initiale du 24 juillet 2018, les demandeurs auraient seulement fait valoir que le port du nom de famille « … » permettrait aux enfants de perpétuer la mémoire du nom de la lignée maternelle.

Il avance que dans la mesure où le principe fondamental suivant lequel la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, exclusivement par rapport à la situation de droit et de fait qui existe au moment où l’administration a statué, le motif de la souffrance alléguée des enfants serait à écarter des débats.

A titre subsidiaire, le délégué du gouvernement soutient que la souffrance alléguée des enfants ne serait documentée par aucune pièce justificative, tel, par exemple, un rapport psychiatrique, de sorte qu’elle resterait à l’état de pure allégation.

Ensuite, après avoir mis en avant le principe de fixité du nom patronymique consacré à l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, de même que relevé les conditions dans lesquelles, suivant la jurisprudence des juridictions administratives, l’article 4 de la loi modifiée du 11-21 germinal XI permettrait de déroger à ce principe, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.

Il soutient que si l’article 4 de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms permettrait de déroger au principe de fixité du nom, un changement resterait une dérogation au principe requérant une motivation spécifique basée sur des circonstances exceptionnelles, voire des raisons importantes. Or, la volonté de « perpétuer la mémoire du nom de la lignée maternelle » ne constituerait ni une circonstance exceptionnelle, ni une raison suffisamment importante pour pouvoir déroger au principe de l’immuabilité du nom, de sorte que ce serait à juste titre que le changement de nom sollicité aurait été refusé en l’espèce.

Dans leur réplique, les demandeurs, en se référant à l’avis du procureur général d’Etat du 31 octobre 2019 indiquant que « Les enfants étant nés avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 2005, le changement de nom demandé n’était prévu que dans le cadre des dispositions transitoires. », et que « la phase transitoire prévue a expiré », concèdent que dans la mesure où leurs enfants mineurs communs seraient nés au mauvais moment, ils n’auraient pas pu profiter de dispositions légales qui leur auraient été favorables.

Il n’en resterait pas moins que l’intérêt supérieur de leurs enfants devrait être pris en compte, les demandeurs s’appuyant, à cet égard, sur un jugement du tribunal administratif du 15 janvier 2020, inscrit sous le numéro 42034 du rôle, et que de ce point de vue les motifs invoqués à l’appui de leur demande de changement de nom patronymique devraient s’analyser comme étant des circonstances exceptionnelles, telles que légalement requises.

Ils soulignent à cet égard qu’au motif invoqué dans leur demande initiale visant à sauvegarder la lignée maternelle via l’ajout du nom patronymique « … » au nom actuel de leurs enfants, s’ajouterait le motif tenant à la perturbation de leurs enfants mineurs communs du fait du port du seul nom « … », tout en insistant sur le fait qu’il serait fallacieux d’affirmer que ce 4dernier motif n’aurait pas été porté à la connaissance des organes étatiques, dans la mesure où ils auraient fait état de celui-ci dans leur recours gracieux du 16 septembre 2019, sans qu’aucune suite n’y aurait été réservée. Ils ajoutent que ce motif résulterait, par ailleurs, à suffisance des documents produits aux débats, de sorte qu’il serait de toute évidence à prendre en considération.

Ils font, enfin, valoir que les deux motifs invoqués à l’appui de leur demande de changement de nom patronymique consisteraient manifestement dans une circonstance exceptionnelle, sinon, à tout le moins, dans une raison suffisamment importante pour pouvoir déroger au principe de l’immutabilité du nom, tout en soulignant que l’intérêt supérieur de leurs trois enfants mineurs communs devrait être retenu en l’espèce et primer sur toute autre considération.

Dans sa duplique, le délégué du gouvernement, en se réfèrant au jugement du tribunal administratif du 15 janvier 2020, invoqué par les demandeurs, soutient que le motif invoqué dans leur requête introductive d’instance, à savoir la souffrance alléguée de leurs enfants mineurs du fait du port du seul nom « … », serait un motif nouveau qui n’aurait pas figuré dans leur demande initiale du 24 juillet 2018. Par conséquent, et dans la mesure où ni les trois organismes consultatifs, ni l’autorité décisionnelle n’auraient eu connaissance de ce motif au moment de statuer, les demandeurs seraient irrecevables à faire état de cette motivation.

Il sollicite ensuite le rejet du certificat médical établi le 6 février 2020 par le docteur …, médecin psychiatre, et versé en cause à l’appui du mémoire en réplique, au motif que celui-

ci serait postérieur à la décision attaquée, en réitérant que la légalité d’une décision administrative s’apprécierait en fonction de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise.

Il fait valoir que les développements des demandeurs dans leur recours gracieux du 16 septembre 2019 ne seraient pas pertinents en l’espèce, dans la mesure où leur litismandataire aurait préféré saisir les juridictions administratives sans attendre l’issue dudit recours gracieux, tout en insistant sur le fait qu’aucun recours contentieux contre le rejet implicite du recours gracieux résultant de l’écoulement du délai de trois mois au sens de l’article 4, paragraphe 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », n’aurait été formé en l’espèce.

Il soutient finalement que « l’intérêt supérieur des enfants », tel qu’invoqué par les demandeurs, ne pourrait tenir en échec l’applicabilité des conditions légales régissant le changement de nom, à savoir la nécessité de faire état de circonstances exceptionnelles et de raisons importantes, tout en insistant sur le fait que ces conditions ne seraient pas remplies en l’espèce.

Le tribunal relève tout d’abord que si dans l’arrêté grand-ducal, le refus de changement de nom est motivé par la circonstance que ledit changement serait légalement impossible faute pour les demandeurs d’avoir opté pour un nom à deux composantes pendant la phase transitoire prévue par la loi du 23 décembre 2005, suivant le dernier état de conclusions de la partie étatique le changement de nom sollicité a été refusé faute pour les demandeurs d’avoir présenté des circonstances exceptionnelles ou des raisons importantes justifiant une dérogation au principe de fixité du nom tel que consacré à l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II.

5Il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aucun citoyen ne peut porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance, l’article 4 de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI dérogeant, quant à lui, au principe de la fixité des noms et prénoms en disposant que toute personne qui aura quelque raison de changer de nom ou de prénoms en adressera la demande motivée au gouvernement.

En vertu de l’article 5 de la même loi, le gouvernement se prononcera dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique.

Suivant la jurisprudence constante des juridictions administratives en la matière, les textes de loi précités sont à lire en ce sens que le principe de la fixité du nom patronymique tel qu’inscrit dans l’acte de naissance est une règle d’ordre public. Quelle qu’ait été l’évolution sociétale quant au choix du nom à transmettre à l’enfant à la naissance, en cas de reconnaissance ou lors de l’adoption, la fixité est la règle et le changement l’exception. Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé1.

Dans la mesure où les demandeurs entendent changer le nom patronymique actuel de leurs enfants mineurs communs tel que leur attribué à la naissance et repris dans leur acte de naissance (« … »), en y ajoutant le nom de la mère (« … »), de sorte à en faire un nom à deux composantes, il s’agit indéniablement d’un changement de nom tombant dans le champ d’application des dispositions de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, étant relevé que suivant le libellé de leur requête introductive d’instance, les demandeurs ne contestent pas l’applicabilité à leur demande de changement de nom de ces dispositions, mais ils estiment que « par application de l’ancienne législation », les motifs invoqués à la base de leur demande seraient légitimes et justifieraient le changement sollicité.

Il échet, à cet égard, tout d’abord de relever, d’une part, que, suivant la règle de la fixité, sinon de la pérennité du nom patronymique, laquelle participe à l’ordre public, les raisons devant justifier le changement de nom patronymique sont appelées à s’analyser en des circonstances exceptionnelles à énoncer dès la demande adressée au gouvernement, qui doit être dûment motivée. Cette exigence d’une motivation spécifique dès la demande formulée auprès du gouvernement se justifie, d’une part, en raison des circonstances exceptionnelles pouvant seules sous-tendre valablement un changement de nom patronymique et, d’autre part, par le caractère nécessairement éclairé non seulement de l’autorité de décision à travers les avis rendus à son escient par le Conseil d’Etat, ainsi que le procureur d’Etat compétent ensemble le procureur général d’Etat, mais encore dans le chef de ces derniers mêmes2.

D’autre part, il y a encore lieu de rappeler que, de manière générale, dans le cadre de l’analyse d’un recours en annulation, le tribunal est amené à analyser la légalité d’une décision administrative en considération non seulement de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, mais encore dans les circonstances spécifiques se dégageant des dispositions légales régissant les demandes en changement de nom patronymique et notamment celles de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, ce plus particulièrement de son article 4, de sorte que seuls les faits dûment étayés dès la demande en autorisation de changement de nom patronymique, tels que soumis successivement aux instances d’avis, puis à l’autorité de décision, sont à prendre utilement en considération pour apprécier la légalité de la décision rendue.

1 Cour adm. 26 janvier 2017, n°38371C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Noms-Prénoms-Domicile-Etat civil, n°14 et l’autre référence y citée.

2 Trib. adm. 4 mars 2015, n° 34595 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Noms- Prénoms- Domicile- Etat civil, n°5 et les autres références y citées.

6 Tel que relevé ci-avant, dans la présente matière, l’autorité de décision doit préalablement recueillir les avis d’autres instances, en l’occurrence ceux du procureur d’Etat, du procureur général d’Etat et du Conseil d’Etat. Or, ces organismes ne peuvent émettre un avis éclairé que s’ils sont en possession de tous les éléments sous-tendant la demande de changement de nom leur soumise pour avis.

Force est, à cet égard, tout d’abord de constater que dans leur demande en changement de nom patronymique du 24 juillet 2018, les demandeurs ont fait état du seul motif suivant lequel l’ajout du nom « … » au nom actuel de leurs enfants mineurs permettrait à ceux-ci de perpétuer la mémoire de la lignée maternelle. Ce n’est, en effet, que dans leur requête introductive d’instance que les demandeurs invoquent un motif supplémentaire, à savoir que le port du seul nom « … » serait dans le chef de leurs enfants mineurs source de moqueries et d’insultes en raison de la difficulté de le prononcer, impliquant pour eux des problèmes d’intégration notamment dans la communauté scolaire. Si les demandeurs affirment que le motif fondé sur la souffrance alléguée de leurs enfants mineurs aurait été invoqué dans le cadre du recours gracieux introduit par courrier de leur litismandataire du 16 septembre 2019, de sorte que l’autorité administrative aurait dû le prendre en considération, le tribunal se doit de constater qu’outre le fait que ledit courrier du 16 septembre 2019 ne fait pas état d’une quelconque souffrance psychologique des enfants en relation avec le port de leur nom de famille « … », il y a encore lieu de relever que seul l’arrêté grand-ducal du 5 juillet 2019 a été déféré en l’espèce, - les demandeurs ayant introduit le recours sous analyse avant l’expiration du délai de 3 mois dont disposait l’autorité de décision pour prendre position par rapport à leur recours gracieux -, de sorte qu’il appartient au tribunal, saisi d’un recours en annulation, d’analyser la légalité de celui-ci sur base des seuls éléments d’appréciation portés à la connaissance de l’autorité de décision et des instances consultatives au moment de la prise de la seule décision actuellement litigieuse. Il ne saurait, en effet, être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile3 avant la prise de la décision litigieuse.

Il s’ensuit que la motivation tenant à la perturbation et au problème d’intégration des enfants mineurs due au port du seul nom « … » ne peut être prise en considération par le tribunal pour apprécier la légalité de l’unique acte lui déféré dans la mesure où celle-ci a été invoquée pour la première fois après la prise de la décision par l’autorité compétente sans que celle-ci ni les instances d’avis n’aient préalablement pu en prendre connaissance. Il en est de même en ce qui concerne le certificat médical établi par le docteur …, médecin psychiatre, en date du 6 février 2020, donc postérieurement à l’arrêté grand-ducal déféré, et pour lequel il n’est pas contesté qu’il a été produit pour la première fois en cours de procédure contentieuse.

Au vu des conclusions qui précèdent, le tribunal analysera dès lors la légalité de l’arrêté grand-ducal actuellement litigieux en prenant en considération les seuls éléments de faits portés à la connaissance tant de l’autorité de décision que des instances consultatives, à savoir que le port du nom « … » permettrait à leurs enfants mineurs communs de perpétuer la mémoire de la lignée maternelle.

S’agissant des motifs à la base de la demande de changement de nom, tel que relevé ci-

avant, il découle de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II et de l’article 4 de la loi modifiée 3 Trib. adm. 10 décembre 2015, n° 35766 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n°23 et les autres références y citées.

7du 11-21 germinal an XI que le principe de la fixité du nom patronymique est une règle d’ordre public et social et que ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles ou de raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé.

Il appartient, à cet égard, en tout état de cause aux demandeurs de fournir à l’autorité de décision les éléments nécessaires pour pouvoir apprécier s’il existe de telles circonstances exceptionnelles ou raisons importantes.

Tel que relevé ci-avant, les demandeurs ont motivé leur demande de changement du nom patronymique actuel de leurs enfants mineurs par la considération que l’ajout du nom « … » au nom « … » permettrait de poursuivre la lignée maternelle, en mémoire à celle-ci.

Or, à l’instar de la partie étatique, le tribunal se doit de relever que la seule volonté de « perpétuer la mémoire du nom de la ligne maternelle » ne saurait suffire au regard des critères jurisprudentiels précités exigeant des circonstances exceptionnelles ou des raisons suffisamment importantes justifiant une dérogation au principe d’ordre public de la fixité du nom patronymique, pour ne pas refléter une véritable nécessité de porter un nom composé.

Si les demandeurs se prévalent encore de « l’intérêt supérieur des enfants », cette argumentation non autrement développée ni sous-tendue par une quelconque motivation en droit ne saurait tenir en échec l’applicabilité des conditions en matière de changement du nom, à savoir l’exigence de la preuve de circonstances exceptionnelles ou de raisons importantes justifiant un tel changement, étant relevé que le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport aux moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, d’autant plus qu’aucune violation du principe juridique invoqué ne se dégage à partir des pièces et éléments se trouvant à la disposition du tribunal4.

Au vu de ce qui précède et à défaut d’autres moyens, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de l’arrêté grand-ducal déféré, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

met les frais et dépens de l’instance à charge des demandeurs.

4 Trib. adm., 14 octobre 2002, n° 14825 du rôle, confirmé par Cour adm., 6 février 2003, n° 15650C du rôle, Pas.

adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 462 et les autres références y citées.

8Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 juin 2021 par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 43664
Date de la décision : 02/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-02;43664 ?

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