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01/06/2021 | LUXEMBOURG | N°43445,44138,

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 juin 2021, 43445,44138,


Tribunal administratif N° 43445 et 44138 et du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 14 août 2019 et 10 février 2020 4e chambre Audience publique du 1er juin 2021 Recours formés par Monsieur …, … (France), contre deux décisions du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’appel en garantie

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 43445 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2019 par Monsieur …, demeurant à F-… (France), …, élisant domicile auprès de Madame …, demeuran

t à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du directeur de l’administr...

Tribunal administratif N° 43445 et 44138 et du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 14 août 2019 et 10 février 2020 4e chambre Audience publique du 1er juin 2021 Recours formés par Monsieur …, … (France), contre deux décisions du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’appel en garantie

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 43445 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2019 par Monsieur …, demeurant à F-… (France), …, élisant domicile auprès de Madame …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 15 mai 2019 portant rejet de sa réclamation introduite en date du 8 mars 2019 à l’encontre d’un bulletin d’appel en garantie émis à son encontre en date du 11 janvier 2019 par le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 décembre 2019 ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 44138 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 février 2020 par Monsieur …, demeurant à demeurant à F-…, élisant domicile auprès de Madame …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 18 novembre 2019 portant rejet de sa réclamation introduite en date du 7 juillet 2019 à l’encontre d’un bulletin d’appel en garantie émis à son encontre en date du 24 mai 2019 par le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 juin 2019 ;

I. + II.

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions directoriales entreprises ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 prise dans le cadre de la reprise de l’activité du tribunal administratif dans le contexte du dé-confinement ;

Vu la communication de Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart du 5 mars 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 9 mars 2021, le délégué de gouvernement étant excusé.

En date du 11 janvier 2019, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l'encontre de Monsieur … en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée … SARL, dénommée ci-après la « société … », déclarée en faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du … 2019, ledit bulletin déclarant Monsieur … co-

débiteur solidaire d’un montant de …,- euros, en principal et intérêts, au titre de l’impôt sur les traitements et salaires pour les années d’imposition 2017 et 2018. Ce bulletin est rédigé comme suit :

« (…) Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … S.à r.l. ayant son siège à L …, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro B … à titre de l'impôt sur les traitements et salaires :

Année Principal Intérêts Total 2017 … € … € … € 2018 … € … € … € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Registre de Commerce et des Sociétés sous la référence … du …2015 que vous avez été nommé gérant de la société … S.à r.l..

En cette qualité vous avez le pouvoir d'engager la société sous votre seule signature depuis le …2015.

En votre qualité de gérant vous êtes en charge de la gestion de la société … S.à r.l..

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous êtes personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société … S.à r.l., dont notamment le paiement des impôts dus par la société … S.à r.l. à l'aide des fonds administrés.

En vertu de l'article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu de retenir l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu à déclarer et à verser l'impôt retenu à l'Administration des contributions directes.

En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d'impôt sur les salaires et les pensions, l'employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d'une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société … S.à r.l. il vous appartient de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d'impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2017 à 2018 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L'omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d'impôt est à qualifier d'inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … S.à r.l..

L'omission de payer sur les fonds disponibles de la société … S.à r.l. les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d'inexécution de vos obligations.

Suite à l'inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l'Administration des contributions directes n'a pas perçu les retenues d'impôt d'un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Année Principal Intérêts Total 2017 … € … € … € 2018 … € … € … € TOTAL … € … € … € Considérant qu'en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société … S.à r.l..

Considérant que l'inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l'inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d'impôt sur les traitements et salaires d'un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l'inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l'impôt légalement dû, vous êtes constitué débiteur de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m'autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu'en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société … S.à r.l. j'engage votre responsabilité, l'appel en garantie s'élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l'Administration des contributions directes à Luxembourg (…) ».

Par un courrier du 21 février 2019, entré à l’administration des Contributions directes le 8 mars 2019, Monsieur … introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », à l’encontre du prédit bulletin d’appel en garantie du 11 janvier 2019.

Par décision du 15 mai 2019, inscrite sous le numéro C 26069, le directeur déclara non fondée la réclamation introduite par Monsieur … dans les termes suivants :

« (…) Vu la requête introduite le 8 mars 2019 par le …, demeurant à L …, pour réclamer contre le bulletin d'appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition RTS 1 en date du 11 janvier 2019 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant codébiteur solidaire de l'impôt sur les traitements et salaires des années 2017 et 2018 au motif qu'il aurait, en sa qualité de représentant légal de la société à responsabilité limitée …, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d'impôt sur les salaires, et dont la société était et est toujours redevable ;

Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d'une personne morale est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l'inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;

Considérant qu'il s'avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu'en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre ;

Considérant, matériellement, qu'en vertu de l'article 136, alinéa 4 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) l'employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d'une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l'administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu'il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBl. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBl. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm.

5 Abs. 3) ; que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en oeuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu'il n'accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d'avant son entrée en fonction, à l'aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l'emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu'elle s'est présentée durant les années antérieures ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d'après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ; Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;

Considérant encore qu'en ce qui concerne la notion de l'inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1er AO, que la Cour administrative a consigné que :

1) « Dans la mesure où il n'est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n'ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n'ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d'imposition à procéder par la voie de la taxation d'office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d'avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d'imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l'appelant, étant donné qu'en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu'il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d'impôt et que l'omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.

(…) Or, le fait pour l'appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d'impôt soient déposées en temps utile auprès de l'administration des Contributions directes, est à qualifier d'inexécution fautive des obligations du représentant d'une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l'égard des créances d'impôt visées dans le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l'argumentation de l'appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu'il est resté trop longtemps inactif et qu'il semblerait, d'après les éléments du dossier, qu'il n'est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (CA du 23 août 2016, n° 38378C), et que :

2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d'une société à l'obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l'obligation des représentants d'une société de veiller au paiement des impôts dus (…).

La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.

En premier lieu, il est erroné de limiter l'analyse sur l'obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d'avoir égard à l'ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l'impôt dû.

(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d'imposition est aux antipodes de l'attitude que l'on peut attendre d'une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d'administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.

(…) (…), il se dégage de l'ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d'imposition et qu'il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en oeuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (CA du 31 janvier 2017, n° 38343C) ;

Considérant qu'il découle de ce qui précède que c'est à tort que le réclamant estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée, de sorte que la mise à charge des arriérés de la société au titre de la retenue d'impôt sur les traitements et salaires des années 2017 et 2018, ainsi que les intérêts de retard y relatifs, est parfaitement justifiée en ce qui le concerne ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. (…) ».

En date du 24 mai 2019, le bureau d’imposition émit encore un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 AO à l'encontre de Monsieur … toujours en sa qualité de gérant de la société …, ledit bulletin déclarant Monsieur … co-débiteur solidaire d’un montant de …,- euros, en principal et intérêts, au titre de l’impôt sur les traitements et salaires pour les années d’imposition 2018 et 2019. Ce bulletin est rédigé comme suit :

« (…) Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … S.à r.l. ayant son siège à L …, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro B … à titre de l'impôt sur les traitements et salaires :

Année Principal Intérêts Total 2018 … € … € … € 2019 … € … € … € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Registre de Commerce et des Sociétés sous la référence … du …2015 que vous avez été nommé gérant de la société … S.à r.l..

En cette qualité vous avez le pouvoir d'engager la société sous votre seule signature depuis le …2015.

En votre qualité de gérant vous êtes en charge de la gestion de la société … S.à r.l..

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous êtes personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société … S.à r.l., dont notamment le paiement des impôts dus par la société … S.à r.l. à l'aide des fonds administrés.

En vertu de l'article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu de retenir l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu à déclarer et à verser l'impôt retenu à l'Administration des contributions directes.

En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d'impôt sur les salaires et les pensions, l'employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d'une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société … S.à r.l. il vous appartient de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d'impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2018 à 2019 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L'omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d'impôt est à qualifier d'inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … S.à r.l..

L'omission de payer sur les fonds disponibles de la société … S.à r.l. les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d'inexécution de vos obligations.

Suite à l'inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l'Administration des contributions directes n'a pas perçu les retenues d'impôt d'un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Année Principal Intérêts Total 2018 … € … € … € 2019 … € … € … € TOTAL … € … € … € Considérant qu'en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société … S.à r.l..

Considérant que l'inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l'inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d'impôt sur les traitements et salaires d'un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l'inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l'impôt légalement dû, vous êtes constitué débiteur de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m'autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu'en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société … S.à r.l. j'engage votre responsabilité, l'appel en garantie s'élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l'Administration des contributions directes à Luxembourg (…) » Par un courrier du 15 juin 2019, entré à l’administration des Contributions directes le 7 juillet 2019, Monsieur … introduisit également une réclamation auprès du directeur à l’encontre du prédit bulletin d’appel en garantie du 24 mai 2019.

Par décision du 18 novembre 2019, référencée sous le numéro C 26819 du rôle, le directeur rejeta comme non fondée la réclamation introduite par Monsieur … contre le bulletin d’appel en garantie émis à son encontre le 24 mai 2019, dans les termes suivants :

« (…) Vu la requête introduite le 7 juillet 2019 par le …, demeurant à L-…, pour réclamer contre le bulletin d'appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition RTS 1 en date du 24 mai 2019 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant codébiteur solidaire de l'impôt sur les traitements et salaires des années 2018 et 2019 au motif qu'il aurait, en sa qualité de représentant légal de la société à responsabilité limitée …, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d'impôt sur les salaires, et dont la société était et est toujours redevable ;

Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d'une personne morale est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l'inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;

Considérant qu'il s'avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu'en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre ;

Considérant, matériellement, qu'en vertu de l'article 136, alinéa 4 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) l'employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d'une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l'administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu'il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBl. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBl. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm.

5 Abs. 3) ; que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en oeuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu'il n'accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d'avant son entrée en fonction, à l'aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l'emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu'elle s'est présentée durant les années antérieures ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d'après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ; Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;

Considérant encore qu'en ce qui concerne la notion de l'inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1 er AO, que la Cour administrative a consigné que :

1) « Dans la mesure où il n'est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n'ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n'ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d'imposition à procéder par la voie de la taxation d'office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d'avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d'imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l'appelant, étant donné qu'en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu'il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d'impôt et que l'omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.

(…) Or, le fait pour l'appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d'impôt soient déposées en temps utile auprès de l'administration des Contributions directes, est à qualifier d'inexécution fautive des obligations du représentant d'une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l'égard des créances d'impôt visées dans le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l'argumentation de l'appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu'il est resté trop longtemps inactif et qu'il semblerait, d'après les éléments du dossier, qu'il n'est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (CA du 23 août 2016, n° 38378C), et que :

2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d'une société à l'obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l'obligation des représentants d'une société de veiller au paiement des impôts dus (…).

La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.

En premier lieu, il est erroné de limiter l'analyse sur l'obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d'avoir égard à l'ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l'impôt dû.

(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d'imposition est aux antipodes de l'attitude que l'on peut attendre d'une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d'administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.

(…) (…), il se dégage de l'ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d'imposition et qu'il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en oeuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (CA du 31 janvier 2017, n° 38343C) ;

Considérant qu'il découle de ce qui précède que c'est à tort que le réclamant estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée, de sorte que la mise à charge des arriérés de la société au titre de la retenue d'impôt sur les traitements et salaires des années 2018 et 2019, ainsi que les intérêts de retard y relatifs, est parfaitement justifiée en ce qui le concerne ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 août 2019, inscrit sous le numéro 43445 du rôle, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision directoriale précitée du 15 mai 2019.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2020, inscrit sous le numéro 44138 du rôle, Monsieur … a encore introduit un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision directoriale précitée du 18 novembre 2019.

A titre liminaire, il y a tout d’abord lieu de prononcer la jonction des deux recours, inscrits sous les numéros du rôle 43445 et 44138, étant donné qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de prononcer ces deux affaires par un seul et même jugement, dans la mesure où il y a identité de parties et que les affaires sont intimement liées alors que l’ensemble des actes visés par les deux recours sous examen sont intervenus suite à des appels en garantie de la part de l’administration des Contributions directes émis à l’encontre de Monsieur …, en sa fonction d’administrateur de la société …, pour des années d’impositions successives, en l’occurrence de 2017 à 2019, les moyens dirigés contre lesdits bulletins d’appel en garantie étant par ailleurs les mêmes dans les deux recours.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable. Or, conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de retenue d’impôt sur les salaires et traitements.

Il s’ensuit qu’en l’espèce le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire par Monsieur … à l’encontre des décisions directoriales précitées ayant statué sur les mérites des réclamations introduites contre les bulletins d’appel en garantie dont il a fait l’objet.

Les recours en réformation sont encore recevables pour avoir, par ailleurs, été introduits dans les formes et délai prévus par la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser les recours en annulation introduits à titre principal contre les décisions directoriales précitées.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait valoir avoir été nommé gérant de la société … par dépôt au registre de commerce et des sociétés du … 2015, la société ayant exploité un restaurant sous l’enseigne « … », situé à … à ….

Le demandeur fait ensuite valoir qu’à partir de 2016 un certain nombre d’événements indépendants de sa volonté et excédant les contraintes inhérentes à la gestion d’un établissement de restauration auraient, au fils du temps, gravement compromis l’équilibre financier de la société.

Ainsi les travaux de constructions du tramway auraient causé des difficultés de circulation et de stationnement et auraient ainsi occasionné une baisse du chiffre d’affaire du restaurant de plus de 30% à partir de septembre 2016, le demandeur versant à l’appui le bilan de l’année 2017 de la société ….

Ensuite, le déménagement au courant de l’année 2018 de certains établissements et entreprises, notamment l’Université de Luxembourg, le lycée Vaubaun et le LTC, auraient encore causé une baisse de fréquentation du restaurant par les étudiants et salariés entrainant de nouveau une baisse considérable du chiffre d’affaire.

Finalement, l’installation d’un échafaudage sur la façade de l’immeuble abritant le restaurant par la société IlcoLux de janvier à mars 2018 aurait totalement masqué l’enseigne et l’entrée du restaurant, au point que de nombreux clients habituels auraient par la suite indiqué au demandeur qu’ils auraient cru que l’établissement serait fermé pour travaux et qu’en conséquence ils seraient allé se restaurer ailleurs, le demandeur versant à cet effet des photos des travaux et une attestation testimoniale d’un client dans ce contexte.

Même si la situation de la société aurait ainsi été gravement obérée par l’ensemble de ces événements, le demandeur affirme avoir néanmoins persévéré en vue de redresser l’activité, alors qu’il aurait jugé ces événements de passagers de sorte à ce qu’à partir de septembre 2017 ce n’aurait été qu’à la faveur d’apports en compte courant d’associés financés par les économies familiales que la société aurait pu assurer la poursuite de l’activité, sans préjudice de l’impossibilité de cette dernière d’honorer l’ensemble de ses obligations financières, le demandeur précisant que la société … n’aurait plus été en mesure de verser à l’administration des Contributions directes les sommes dont elle était redevable au titre des impôts sur salaire.

Le demandeur précise que le maintien de l’activité du restaurant aurait été une impérative nécessité pour lui, alors qu’il aurait été soucieux de permettre à la société d’honorer ses dettes, ce qui aurait supposé de payer en priorité, avec la trésorerie disponible, les salariés et les fournisseurs en attendant la fin des difficultés conjoncturelles, soit l’achèvement des travaux du tramway et l’arrivée de nouvelles entreprises dans le quartier en remplacement de celles ayant déménagé ou la vente du restaurant, vente qui aurait fini par devenir la seule manière d’apurer les dettes de la société.

Le demandeur précise ensuite que les impôts sur salaires n’auraient pas été les seules sommes que la société aurait dû provisoirement cesser de payer, alors que la société … n’aurait plus été à jour en ce qui concerne le paiement des cotisations sociales dont elle aurait été redevable. Ainsi, le demandeur aurait demandé au Centre Commun de la Sécurité Sociale, désigné ci-après par « le CCSS », un échelonnement de sa dette, qui aurait été accordé par le CCSS sous forme d’un remboursement des arriérés sur une période de 6 mois à raison de …,-

par mois en plus des cotisations mensuelles qui auraient dû être payées à échéance.

Alors que la situation financière de la société … ne se serait pas améliorée avec l’achèvement des travaux du tramway et l’arrivée de ce dernier, la société aurait dû faire un aveu de faillite et par jugement du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg du … 2019 la faillite aurait été prononcée.

Ce serait dans ce contexte que le demandeur aurait reçu les appels en garantie des 11 janvier 2019 et 24 mai 2019.

En droit et à titre principal, le demandeur estime que les décisions déférées encourraient l’annulation pour défaut de motivation, alors qu’un simple manquement à une obligation fiscale en application du paragraphe 103 AO ne serait pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société sur base du paragraphe 109, alinéa 1er AO pour émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant posé à cet effet l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive des obligations du représentant de la société en question envers l’administration fiscale.

Il résulterait par ailleurs du paragraphe 2, alinéa 1er de la loi d’adaptation fiscale, ci-

après désignée par « StAnpG », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation devrait procéder selon les considérations d’équité et d’opportunité, de sorte à devoir se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

Ainsi, dans le cadre des deux appels en garantie, le bureau d’imposition n’aurait pas qualifié in specie un quelconque comportement fautif dans son chef tenant à des circonstances particulières de l’espèce, de même que les décisions déférées se contenteraient de rappeler l’état du droit existant et se borneraient à citer des extraits de deux arrêts de la Cour administrative sans jamais confronter les éléments de l’espèce à ces règles de droit, de sorte à ce que le directeur aurait méconnu les conditions de qualification de la responsabilité personnelle du demandeur au sens du paragraphe 109 AO et l’obligation d’appréciation inhérente à sa propre compétence pour la mettre en œuvre.

A titre subsidiaire, le demandeur estime que les décisions déférées ne seraient pas fondées, alors que même si les retenues sur salaires constituaient des sommes d’argent qui, dès le versement du salaire, ne devraient pas recevoir une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû et qu’en ne donnant pas à ces montants l’affectation qu’ils auraient dû recevoir, le représentant détournant lesdits montants à d’autres fin constituant une inexécution gravement fautive de ses devoirs, il résulterait d’un jugement du tribunal administratif du 5 février 2018, inscrit sous le numéro 38743 du rôle, que des circonstances particulières de l’insuffisance de liquidités pour des raisons indépendantes de la volonté du représentant responsable de la gestion journalière de la société en question, combinée à des tentatives sérieuses d’apurer les dettes fiscales compte tenu des moyens à la disposition, serait susceptible d’anéantir le constat d’une violation fautive des obligations d’un dirigeant, de sorte à ce que, sur ce fondement une violation fautive de ses obligations serait à écarter dans son chef.

Dans ce contexte, il fait valoir qu’il ne ferait aucun doute que l’insuffisance des liquidités à disposition de la société … serait indépendante de sa volonté, alors que l’effondrement de l’activité du restaurant serait dû à la survenance d’un certain nombre d’événements qui, en se cumulant, auraient privé la société des liquidités nécessaires.

Le demandeur rappelle dans ce contexte que la baisse de fréquentation du restaurant aurait notamment été due aux travaux de construction du tramway qui, dès septembre 2016, auraient été accompagnés d’une baisse du chiffre d’affaires du restaurant de plus de 30%, ce, sans conteste en raison des difficultés de circulation et de stationnement ainsi occasionnées, cette circonstance étant d’autant plus remarquable qu’entre le reprise d’activité en 2015 et le début des travaux du tramway en septembre 2016, le demandeur aurait fait progresser le chiffre d’affaires du restaurant de 10%. A cela s’ajoute que ces travaux auraient duré de septembre 2016 à juillet 2018 et donc un an de plus de ce qui auraient été prévu à l’origine.

Le demandeur estime dès lors qu’il aurait tout mis en œuvre pour maintenir l’activité jusqu’à la fin desdits travaux en ayant la conviction que dès leur achèvement il pourrait rattraper tous les arriérés d’impôts et en reprendre le paiement régulier, cette conviction ayant été partagée par la chambre de commerce de Luxembourg qui aurait cautionné le prêt de la société …, le demandeur versant à cette fin un mail envoyé de sa part à House of Entrepreneurship en date du 30 mars 2017 dans lequel il déplore une baisse du chiffre d’affaires depuis le début des travaux.

Le demandeur rappelle, par ailleurs, qu’en outre, le déménagement de certains établissements et sociétés entre février et septembre 2018 situés aux alentours du restaurant, ainsi que l’installation d’un échafaudage devant l’immeuble arbitrant le restaurant auraient également contribué à la baisse de fréquentation du restaurant et donc à la baisse du chiffre d’affaires.

Auxdites difficultés se seraient ajoutées les obligations inhérentes au fonctionnement du restaurant, le demandeur expliquant avoir choisi de privilégier les paiements sans lesquels l’activité de l’établissement aurait été compromise, tels par exemple la réparation du moteur de la hotte en cuisine pour un montant de …,- euros, tout en versant les factures de fournisseurs et prestataires à l’appui. Il aurait également essayé de préserver les salariés restants après une restructuration moyennant licenciement de 4 employés en mars 2017, en payant leurs salaires nets, lui-même n’ayant pas reçu de salaire depuis le mois d’octobre 2017 à part des acomptes à hauteur de …,- euros en 2017 et …,- euros entre 2018 et 2019.

Le demandeur fait encore valoir qu’il se serait rapproché de nombreux organismes publics et privés afin de convenir d’échéanciers de remboursement de dettes accumulées, tels l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, désignée ci-après par « l’AED », afin de déterminer un échéancier de paiement des arriérés de la taxe sur la valeur ajoutée, le CCSS et la banque … de la part de laquelle il aurait obtenu un moratoire pour le remboursement d’un prêt, le demandeur précisant qu’en l’absence de demande de paiement de la part de l’administration des Contributions directes, il aurait choisi de sa rapprocher plutôt de l’AED, alors qu’il aurait su ne pas pouvoir payer les deux organismes en même temps.

En ce qui concerne le dommage causé par les différents événements, le demandeur explique avoir tenté d’en obtenir réparation, notamment en saisissant le comité d’indemnisation de Luxtram SA en raison des travaux du tramway, demande qui aurait été rejetée et l’agence immobilière …, syndic de l’immeuble abritant le restaurant en raison de l’échafaudage installé, demande qui aurait également été rejetée, le syndic de copropriété ayant seulement accepté de faire placer une petite bannière avec le logo du restaurant sur les échafaudages, cette dernière ayant été inutile car peu visible.

Faute de moyens financiers, le demandeur explique avoir renoncé à des poursuites judiciaires à ces fins.

La gravité de la situation augmentant et soucieux de régler l’ensemble des dettes de la société, le demandeur aurait pris la décision de vendre le fonds de commerce pour enfin disposer de la trésorerie nécessaire pour rembourser l’ensemble des dettes, de sorte à ce qu’un mandat de vente exclusif aurait été confié à une agence immobilière en juillet 2018.

La vente du fonds de commerce se serait par contre avérée difficile, celle-ci ayant presque abouti à deux reprises après des mois de négociations, une première vente ayant été avortée en janvier 2019 face au refus du bailleur du local de mettre en place une baisse de loyer temporaire au profit des potentiels acquéreurs le temps de réalisation de l’aménagement des lieux et une deuxième vente n’ayant pas été finalisée en raison d’un décès survenu dans la famille des potentiels acquéreurs, le demandeur versant dans ce contexte des échanges de sms et le témoignage de l’agent immobilier Monsieur ….

Le demandeur en conclut, qu’eu égard aux diligences dont il aurait fait preuve sur l’ensemble de la période litigieuse, il serait impossible de soutenir que l’inexécution de ses obligations vis-à-vis de l’administration des Contributions directes aurait été fautive, de sorte à ce que les deux appels en garantis émis à son encontre ne seraient pas fondés, ce qui devrait emporter la réformation des décisions déférées.

A titre subsidiaire, le demandeur entend se prévaloir d’un droit au rebond de l’entrepreneur qui serait un des objectifs de la directive européenne UE n° 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes et qui viserait à permettre à un entrepreneur de prendre un nouveau départ libéré de ses dettes, après avoir connu une procédure de liquidation judiciaire.

Or, les développements précédents montreraient sa bonne foi ainsi que les efforts déployés pour sauver son entreprise.

Dans ce contexte, le demandeur fait encore valoir être actuellement en recherche d’un emploi et devoir faire face, en sa qualité de caution de la société auprès de sa banque et de certains fournisseurs, à des remboursements importants.

Mettre à sa charge le paiement des impôts, nonobstant l’ensemble de ces éléments, contreviendrait à la recommandation européenne du droit au rebond.

Dans son mémoire en réponse, le délégué de gouvernement rappelle les rétroactes de l’affaire et soutient qu’aux termes du paragraphe 103 AO, le représentant légal serait tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société et notamment de payer, sur les fonds qu’il gère, les impôts dont la société est redevable.

Il résulterait des dispositions de l’article 136, alinéa 4, de la loi concernant l’impôt sur le revenu, désignée ci-après par « L.I.R. » que l’employeur serait personnellement responsable de l’impôt retenu, ainsi que de l’impôt qu’il aurait dû retenir, cette obligation pesant, dans le cas d’une société commerciale et conformément aux paragraphes 103 et 109 AO, sur le représentant légal ayant pouvoirs d’engager la société envers des tiers.

Le paragraphe 109 AO prévoirait les conditions de mise en œuvre de la responsabilité d’un représentant de la société, à savoir l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien causal entre le dommage et la faute.

Concernant l’existence de faute, le délégué de gouvernement estime que celle-ci consisterait dans le fait de ne pas avoir accompli ou veillé à accomplir les obligations incombant à la société et notamment dans le manque de diligences ou de soins apporté à l’exécution des obligations fiscales de la société, cette faute consistant encore, en matière de retenus d’impôts sur salaires et traitements, dans la non continuation des retenues faites sur les salaires.

Il serait encore de jurisprudence constante que le fait, pour un représentant légal, de ne pas verser les retenues sur salaire légalement dues aux autorités fiscales constituerait un comportement fautif per se et sans qu’il ne soit nécessaire d’apporter d’autres preuves à ce titre.

En ce qui concerne le dommage, celui-ci résulterait du non-encaissement des retenues par le Trésor et le lien de causalité exigerait que le dommage serait la suite de la faute.

Le délégué de gouvernement estime encore que les administrateurs seraient nommés par ce que l’on attendrait d’eux la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, de sorte qu’il serait de doctrine que ni une éventuelle incompétence technique, ni un motif philanthropique pour lequel il aurait accepté sa mission, ni d’éventuelles absences au sein du conseil, ni le fait de ne pas exercer ses fonctions, ne pourraient limiter la responsabilité d’un administrateur, citant à cette fin l’ouvrage intitulé « Observations sur la responsabilité dans la constitution et la gestion des sociétés » paru dans l’ouvrage Chroniques de droit à l’usage du palais, Tome VII, le droit des sociétés 1989.

Il rappelle encore que l’obligation de l’employeur consisterait à retenir et à continuer à l’administration fiscale cet impôt pour le compte du salarié à partir du moment qu’un salaire passible dudit impôt serait versé au salarié, un représentant de société ayant accepté cette fonction et n’exécutant pas les obligations légales de celle-ci manquerait à son premier devoir, celui d’administrer, un tel représentant étant également responsable d’un défaut de surveillance sur la gestion journalière, le délégué de gouvernement se référant dans ce contexte aux textes de doctrine « Obligations et responsabilités des dirigeants de société en matière de contributions directes » de F. Rosen et « Les statuts des administrateurs de sociétés anonymes » de P. Berna.

En effet, il estime que le représentant ne saurait se décharger de sa responsabilité, alors que les devoirs attribués par la loi au conseil d’administration ne sauraient faire l’objet de délégations et qu’en tout état de cause, les membres du conseil d’administration n’échapperaient pas à leur responsabilité en raison d’une délégation de celle-ci à d’autres, la faute n’impliquant par ailleurs pas un agissement actif, la simple attitude passive, sinon une légèreté ou insouciance impardonnable étant constitutive d’une faute, le délégué de gouvernement se référant dans ce contexte à un arrêt de la Cour de cassation belge du 17 septembre 1968 publié dans la Pasicrisie belge de 1969, à des articles de doctrine intitulés respectivement « La responsabilité civile des administrateurs de sociétés anonyme en droit luxembourgeois – situation actuelle et tendance future » paru dans le Bulletin Droit et banque de P. Thielen et J. Delvaux, « Réflexions sur la responsabilité des administrateurs et dirigeants de sociétés commerciales de capitaux » paru dans Bulletin de la Conférence St. Yves de N.

Schaeffer, ainsi qu’à l’ouvrage « Observations sur la responsabilité dans la constitution et la gestion des sociétés ».

En l’espèce et en ce qui concerne la légalité externe des décisions déférées, le délégué de gouvernement estime que le demandeur serait l’unique représentant et donc seul responsable du respect des obligations fiscales, comptables et légales incombant à la société …, de sorte à constituer la seule personne à devoir rendre compte de ses négligences. Ainsi, l’administration des Contributions directes n’aurait pas à faire de choix quant à la personne à appeler en garantie.

Quant à la faute commise par le demandeur, le délégué de gouvernement estime que celui-ci aurait donné aux retenus d’impôts une autre destination que celle légalement prévue par la loi, de sorte à ce qu’un tel détournement d’argent n’appartenant pas à la société, mais aux salariés, pourrait être qualifié de comportement fautif engageant sa responsabilité, sinon d’abus de confiance sur le plan répressif.

Quant au bien-fondé de la décision déférée, le délégué de gouvernement fait valoir que le demandeur serait en aveu d’avoir détourné les retenues d’impôts pour payer les frais de fonctionnement et ainsi de leur avoir donné une autre destination que celle légalement prévue, ces sommes ayant été exclusivement destinées à l’administration des Contributions directes.

En ce qui concerne les circonstances combinant un défaut de liquidités ainsi que des tentatives d’apurement des dettes fiscale, invoqués par le demandeur aux fins de se décharger de sa responsabilité, le délégué de gouvernement fait valoir que la jurisprudence citée à l’appui de ce moyen ne serait pas applicable, alors qu’aucun élément du dossier ne permettrait de conclure à une telle volonté et à l’existence d’une tentative sérieuse d’apurement du passif fiscal de la part du demandeur, tout en relevant qu’un tel argument ne serait pas pertinent, alors que l’argent n’appartiendrait pas à la société, mais aux salariés, la partie étatique citant à l’appui de son argumentation un arrêt de la Cour administrative du 28 juin 2018, inscrit sous le numéro 40913C du rôle.

En effet, le délégué de gouvernement relève que sur les arriérés des années 2017 à 2018, un seul paiement à hauteur de …,- euros ne serait intervenu et qu’aucun paiement ne serait intervenu concernant les arriérés des années 2018 à 2019, le dernier paiement remontant au 24 mai 2017, de sorte qu’aucun effort d’apurement de la dette fiscale n’aurait dès lors été décelable.

Dans ce contexte, il relève encore qu’en date du 24 février 2016 déjà, un premier bulletin d’appel en garantie aurait été émis à l’encontre du demandeur pour non continuation des retenues RTS des années 2013, 2014 et 2015, de façon à ce que les retenus d’impôts sur salaire de la société … n’auraient pas été continuées de 2013 à 2019.

Au vu du fait qu’à l’exception de l’année 2013, la société du demandeur n’aurait subi que des pertes depuis l’année 2000, il aurait incombé au demandeur de faire l’aveu de cessation de paiement depuis longtemps, manquement qui constituerait de nouveau une infraction pénale.

En ce qui concerne un éventuel droit de rebond du débiteur, invoqué par le demandeur, le délégué de gouvernement fait valoir qu’un tel droit n’existerait pas et ne saurait en tout état de cause trouver application, alors que la société serait définitivement en faillite et que le demandeur, co-débiteur solidaire, serait par ailleurs capable de payer le dû.

Il estime encore que le terme de « dirigeant de bonne foi » serait déplacé, alors que le demandeur aurait utilisé les fonds appartenant aux salariés au lieu de payer les dettes de ceux-

ci. En utilisant ces fonds à une autre fin que celle légalement prévue, il se serait rendu coupable d’infractions pénales d’abus de confiance et de banqueroute simple, le paragraphe 103 AO et l’article 136 LIR n’allant pas à l’encontre d’un quelconque droit au rebond.

En ce qui concerne d’abord le moyen de légalité externe tenant à une indication insuffisante des motifs de la décision déférée, il a été jugé qu’une décision directoriale statuant sur une réclamation n’est pas soumise à une exigence formelle de motivation complète dont le non-respect serait sanctionné par l’annulation de la décision, mais que l’obligation de motivation ne se conçoit à l’égard d’une décision directoriale qu’à travers le principe général du droit du respect des droits de la défense, en ce sens qu’il faut et il suffit que les motifs à la base de la décision aient existé à la date où elle a été prise et que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement préparer sa défense1.

Or, force est de constater que les décisions déférées indiquent les éléments de fait et de droit ayant amené l’administration des Contributions directes d’émettre les appels en garantie respectives à l’égard du demandeur, étant précisé que le délégué de gouvernement, dans son mémoire en réplique, y revient plus en détail en indiquant qu’aucune diligence d’apurer la dette fiscale de la part du demandeur n’aurait pu être constatée au vu des pièces versées.

1 Cour adm. 5 juillet 2016, n° 36888C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 1024 et les autres références y citées.

Etant donné que le demandeur a ainsi été en mesure de prendre position quant à la motivation des décisions déférées, ce moyen laisse d’être fondé, étant relevé que le bien-fondé de ladite motivation fera objet d’une analyse ci-après.

Quant à la légalité interne des décisions déférées, il échet d’abord de rappeler qu’en vertu des dispositions de l’article 136 alinéa (4) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, dénommée ci-après « LIR », l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».

Il s’ensuit que les gérants d’une société à responsabilité limitée sont tenus de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment celle de payer, sur les fonds qu’ils gèrent, les impôts dont la société est redevable directement, respectivement ceux dont elle est redevable pour compte d’autrui.

En l’espèce, il est constant en cause que le demandeur a été nommé gérant unique de la société … en date le … 2015 avec effet immédiat, jusqu’à sa faillite prononcée en date du … 2019 et ce, avec pouvoir de signature individuel, de sorte que le demandeur, en tant que représentant de la société, était, de jure et de facto, en charge de l’administration de la société …, le demandeur, conformément au paragraphe 103 AO, étant en effet personnellement tenu, pendant l’exercice de cette fonction, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société pendant cette période, de sorte qu’il était obligé de retenir, lors du paiement des salaires, l’impôt sur les salaires, ainsi que de le continuer au trésor public, et ce même indépendamment du fait que cette dette serait née avant son mandat.

Il se dégage toutefois des dispositions légales précitées que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.

Le paragraphe 7, alinéa (3) de la StAnpG, disposant par ailleurs que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

Conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessens-Entscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessens-Entscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles, en raison et en équité, de fonder sa décision.

En l’espèce, il n’est pas contesté, tel qu’il résulte des bulletins d’appel en garantie litigieux, que la responsabilité du demandeur a été engagée pour avoir omis pendant la période de son mandat allant du …2015 au … 2019 de retenir et de payer à l’administration la totalité des sommes dues par la société … à titre de retenues d’impôt sur les traitements et salaires du personnel de la société au cours des années 2017, 2018 et 2019.

Concernant plus particulièrement l’appréciation du comportement fautif dans le chef du demandeur pendant la durée de son mandat, il ressort d’une jurisprudence du tribunal administratif2, discutée par les parties, que l’existence de circonstances particulières, à savoir l’insuffisance de liquidités pour des raisons indépendantes de la volonté du représentant responsable de la gestion journalière de la société en question, combinée à des tentatives sérieuses d’apurer les dettes fiscales compte tenu des moyens à la disposition, est susceptible de tenir en échec le constat d’une violation fautive des obligations d’un dirigeant.

En l’espèce, il ressort des explications et pièces versées par le demandeur, non autrement contestés en tant que telles par la partie gouvernementale, que le chiffre d’affaire de la société … a baissé à partir de septembre 2017 parallèlement au commencement des travaux liés au tramway à proximité du restaurant exploité par la société, aux déménagements de divers établissements scolaires et sociétés dans les alentours dudit restaurant en 2017 et 2018, ainsi qu’à l’apposition d’un échafaudage amoindrissant la visibilité dudit restaurant en 2018, de sorte à ce que le tribunal peut constater, en l’espèce, pendant la période litigieuse une insuffisance de liquidités pour des raisons indépendantes de la volonté du demandeur.

Ce constat n’est pas énervé par l’argumentation, non autrement étayée, du délégué de gouvernement selon lequel la société n’aurait subi que des pertes depuis l’année 2000, de façon à ce qu’il aurait appartenu au demandeur de « faire aveu de cessation depuis longtemps », alors qu’il ressort du dossier fiscal que des années 2004 à 2011 la société n’employait pas de salariés et qu’il n’est pas soutenu que les arriérés d’impôts sur le salaire des années 2013 à 2015 resteraient en souffrance à ce jour, étant relevé que le bilan de l’année 2017 de la société témoigne plutôt d’une meilleure gestion de la société et d’un apurement des dettes de cette dernière depuis la nomination du demandeur en tant que gérant de la société.

En ce qui concerne les tentatives sérieuses d’apurer les dettes fiscales compte tenu des moyens à sa disposition, il ressort du dossier fiscal que si le demandeur n’a en effet payé qu’un montant total de …- euros au titre d’impôt sur salaires redevable pour l’année 2017 et aucune somme pour les années 2018 et 2019, il ressort par contre également des explications du demandeur, non autrement contestées par la partie gouvernementale, ainsi que des pièces 2 Trib. Adm., 5 février 2018, n° 38743 du rôle, Pas.adm. 2020, V°Impôts, n° 508 versées en cause par lui qu’il a tenté d’amoindrir l’effet des causes externes de l’insuffisance de liquidités, notamment en tentant d’obtenir une réparation de la part du syndicat de copropriété responsable de l’apposition de l’échafaudage, ainsi que de la société anonyme Luxtram SA et qu’il a tenté de diminuer les charges courantes de la société en obtenant des moratoires d’une partie des créanciers de la société par des licenciements, en restructurant la société, en renonçant à ses propres salaires, en tentant de vendre le fonds de commerce, cette tentative ayant échouée pour des raisons indépendants de sa volonté et finalement en faisant aveu de faillite, de façon à ce qu’aucun laisser-faire fautif de la part du demandeur à l’égard de l’administration fiscale ne saurait être détecté.

Or, au vu du caractère a priori temporaire de causes externes de l’insuffisance de liquidités et des circonstances exceptionnelles de l’espèce, le fait par le demandeur de privilégier le paiement des frais permettant potentiellement la survie de la société et la génération de nouveaux fonds, en vue notamment d’apurer ses dettes fiscales à moyen terme, ne saurait en l’espèce pas être constitutif d’un comportement fautif de la part du demandeur face à l’administration fiscale quand bien même il aurait détourné des sommes destinées aux salariés de la société.

Ce constat n’est, par ailleurs, pas énervé par les considérations du délégué de gouvernement relatives à la nature pénale du comportement du demandeur, le tribunal n’étant pas compétent ratione materiae en cette matière, étant relevé, en outre, qu’il ne ressort ni des explications du délégué de gouvernement, ni du dossier fiscal que de telles poursuites auraient été engagées à l’encontre du demandeur.

Au vu des circonstances spécifiques de l’espèce, le tribunal ne saurait ainsi dégager du comportement du demandeur une quelconque inexécution fautive de ses obligations envers l’administration fiscale au sens du paragraphe 109 AO pendant la durée de son mandat allant du 18 mars 2015 au 18 février 2019.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des développements qui précèdent que les recours sont fondés, de sorte que les décisions directoriales déférées encourent la réformation en ce sens qu’il n’y a pas lieu d’appeler Monsieur … en garantie pour les impôts redus par la société … pour les années 2017, 2018 et 2019, sans qu’il n’y a lieu de statuer plus en avant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit les recours subsidiaires en réformation en la forme ;

au fond les déclare justifiés, partant par réformation des décisions du directeur de l’administration des Contributions directes des 15 mai 2019 et 18 novembre 2019, dit qu’il n’y a pas lieu d’appeler Monsieur … en garantie pour l’impôt sur les salaires et traitements redus par la société à responsabilité limitée … SARL pour les années 2017, 2018 et 2019 ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours principaux en annulation, condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er juin 2021, par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge Laura Urbany, attaché de justice délégué, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 23


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 43445,44138,
Date de la décision : 01/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-01;43445.44138 ?

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