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01/06/2021 | LUXEMBOURG | N°43145

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 juin 2021, 43145


Tribunal administratif N° 43145 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2019 4e chambre Audience publique du 1er juin 2021 Recours formé par la société privée à responsabilité limitée … SPRL, … (Belgique), contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines, en matière d’amende administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43145 du rôle et déposée le 18 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascal Peuvrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de la société privée à responsabilité limitée de droit belge … SPRL, établie et ay...

Tribunal administratif N° 43145 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2019 4e chambre Audience publique du 1er juin 2021 Recours formé par la société privée à responsabilité limitée … SPRL, … (Belgique), contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines, en matière d’amende administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43145 du rôle et déposée le 18 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascal Peuvrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société privée à responsabilité limitée de droit belge … SPRL, établie et ayant son siège social à B-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre du Commerce sous le numéro BE …, ayant élu domicile à l’étude de Maître Pascal Peuvrel, établie à L-2320 Luxembourg, 94 A, boulevard de la Pétrusse, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 18 mars 2019 ayant confirmé sa décision du 23 janvier 2019 par laquelle celui-ci lui a infligé une amende administrative de 7.000,- euros pour ne pas avoir donné de suites endéans les délais impartis à une injonction lui notifiée le 17 décembre 2018 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2019 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2019 par Maître Pascal Peuvrel, préqualifié, au nom et pour le compte de la société privée à responsabilité limitée … SPRL, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu l’information de Maître Pascal Peuvrel du 1er décembre 2020 suivant laquelle celui-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en sa plaidoirie à l’audience publique du 15 décembre 2020, Maître Peuvrel étant excusé.

1 Suite à un contrôle effectué le 19 novembre 2018 par l’Inspection du Travail et des Mines, ci-après désignée par « l’ITM », sur un chantier situé à L-…, cette dernière constata que la société privée à responsabilité limitée de droit belge … SPRL, ci-après désignée par « la société … », n’avait pas respecté ses obligations telles qu’imposées par les articles L.142-2 et L.142-3 du Code du Travail par rapport à ses salariés Madame …, Monsieur …, Madame … et Madame … et lui adressa, après un premier courrier envoyé en date du 28 novembre 2018, une injonction en date du 17 décembre 2018 pour qu’elle régularise sa situation par rapport auxdites dispositions légales endéans un délai de 15 jours par la communication des fiches de salaire, de la preuve du paiement des salaires, ainsi que des fiches de pointage des salariés concernés, tout en lui rappelant que « (…) Les infractions aux dispositions des articles L .142-2, L .142-3 et L .281-1 sont passibles d’une amende administrative entre 1 .000 et 5 .000 euros par salarié détaché et entre 2 .000 et 10 .000 euros en cas de récidive dans le délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende.

Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 50 .000 euros.

Pour fixer le montant de l’amende, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend en compte les circonstances et la gravité du manquement ainsi que le comportement de son auteur. (…) ».

Par courrier électronique du 21 décembre 2018, la société … transmit à l’ITM la liste de son personnel, le certificat de déclaration préalable du 22 août 2018, ainsi que, en ce qui concerne les personnes visées par l’injonction du 17 décembre 2018, à savoir Monsieur …, Madame …, Madame … et Madame …, un certificat de leur assurance sociale, leur badge social émis par l’ITM, ainsi qu’un certificat d’aptitude médicale.

Par décision du 23 janvier 2019, le directeur de l’ITM, ci-après désigné par « le directeur », sur base du constat que la société … n’avait pas réservé les suites nécessaires à l’injonction de l’ITM du 17 décembre 2018 endéans le délai lui imparti, lui infligea une amende administrative d’un montant de 7.000 euros, justifiée comme suit :

« (…) Vu l'article L.143-2 du Code du travail ;

Vu l'injonction du 17 décembre 2018 qui a été établie conformément à l’article L.614-4, paragraphe 1er, point a), deuxième tiret, du Code du travail par …, inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines ;

Vu l’article L.614-13, paragraphes 1er, 2, 3 et 4, du Code du travail ;

Attendu que la société … SPRL, sise à … B-…, en sa qualité d’employeur n'a pas donné de suites endéans le délai imparti à l'injonction qui lui a été notifiée en date du 17 décembre 2018 par …, inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines ;

Que les fiches de salaire du mois de novembre 2018 des salariés …, né le …, …, né le …, …, né le …, et …, né le …, réclamée moyennant l'injonction du 17 décembre, n'ont pas été notifiées par la société … SPRL, préqualifiée, à l'Inspection du travail et des mines endéans le délai imparti et font toujours défaut ;

2Que les preuves de paiement du salaire du mois de novembre 2018 des salariés …, né le …, …, né le …, …, né le … et …, né le …, réclamée moyennant l'injonction du 17 décembre, n’ont pas été notifiées par la société … SPRL, préqualifiée, à l'Inspection du travail et des mines endéans le délai imparti et font toujours défaut ;

Que les pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier du mois de novembre 2018 des salariés …, né le …, …, né le …, …, né le …, et …, né le …, réclamés moyennant l'injonction du 17 décembre 2018, n'ont pas été notifiés par la société … SPRL, préqualifiée, à l'Inspection du travail et des mines endéans le délai imparti et font toujours défaut ;

Que la société … SPRL, préqualifiée, n’a pas pris les mesures requises endéans le délai imparti par l’injonction du 17 décembre 2018 ;

Décide :

Art. 1er D'infliger une amende administrative de 7.000 euros à … SPRL, sise à … B-…, en sa qualité d’employeur pour avoir omis de donner des suites et de prendre les mesures requises endéans le délai imparti par l'injonction lui notifiée en date du 17 décembre 2018 par …, inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines.

Art. 2 Le montant de l'amende est à verser, dans un délai de quinze jours, au numéro de compte bancaire suivant de l'Administration de l'enregistrement et des domaines en indiquant obligatoirement la référence « ITM Amende 2019-0003a-DET-150363 » (…) ».

Par courrier de son litismandataire daté au 6 février 2019, notifié tant par courrier électronique que par porteur et réceptionné par le directeur le 7 février 2019, la société … forma opposition contre la décision précitée du directeur du 23 janvier 2019, en communiquant encore à ce dernier la liste de son personnel, le certificat de déclaration préalable du 22 août 2018, ainsi que, en ce qui concerne les personnes visées par l’injonction du 17 décembre 2018, outre un certificat de leur sécurité sociale, leur badge social émis par l’ITM, un certificat d’aptitude médicale de Madame …, de Madame … et de Madame …, ainsi que la preuve du paiement des montants revenant à ces dernières pour leurs prestations au cours de novembre 2018, ainsi que la fiche de salaire du mois de novembre 2018 de Monsieur ….

Par décision du 18 mars 2019, le directeur déclara l’opposition de la société … recevable et la rejeta comme non fondée, décision reposant sur les considérations suivantes :

« (…) Vu les articles L.143-2 et L614-13 du Code du travail ;

Vu l'injonction du 17 décembre 2018 qui a été établie conformément à l'article L614-

4, paragraphe 1er, point a), deuxième tiret du Code du travail par …, Inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines ;

3Vu la décision du 23 janvier 2019 du Directeur de l'Inspection du travail et des mines d'infliger une amende administrative « ITM Amende 2019-0003a-DET-150363 » de 7.000 euros à la société … SPRL, sise à … B-…, en qualité d'employeur, pour avoir omis de donner des suites et de prendre les mesures requises endéans le délai imparti par l'injonction lui notifiée en date du 17 décembre 2018 par …, Inspecteur principal du travail de l'Inspection du travail et des mines ;

Vu l'opposition du 6 février 2019 contre ladite décision du Directeur de l'Inspection du travail et des mines, qui a été notifiée par courriel, par Me Pascal Peuvrel, sis à 94A boulevard de la Pétrusse L-2320 Luxembourg, en sa qualité de conseil de la société … SPRL, préqualifiée, et qui a été reçue par l'Inspection du travail et des mines en date du 7 février 2019 ;

Que l'opposition du 6 février 2019 contre la décision du Directeur de l'Inspection du travail et des mines n'a pas été régulièrement notifiée par lettre recommandée ou contre signature sur le double de sa réclamation endéans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'amende administrative ;

Vu l'opposition du 6 février 2019 contre ladite décision du Directeur de l'Inspection du travail et des mines, qui a été notifiée par porteur, par Me Pascal Peuvrel, préqualifié, en sa qualité de conseil de la société … SPRL, préqualifiée, et qui a été reçue par l'Inspection du travail et des mines en date du 7 février 2019 ;

Que l'opposition du 6 février 2019 contre la décision du Directeur de l'Inspection du travail et des mines a été régulièrement notifiée endéans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'amende administrative ;

Que Me Pascal Peuvrel, en sa qualité de conseil, déclare dans son opposition du 6 février 2019 que les ouvriers de la société … SPRL, préqualifiée, auraient été détachés ponctuellement sur les chantiers de sa mandante au Grand-Duché de Luxembourg, en situation parfaitement régulière ;

Que Me Pascal Peuvrel, en sa qualité de conseil, déclare dans son opposition du 6 février 2019 que la société … SPRL préqualifiée, aurait respecté l'injonction du 17 décembre 2018 en ayant envoyé l'ensemble des documents demandés par courrier électronique en date du 21 décembre 2018 à 12.49 heures ;

Qu'après vérification du courrier électronique qui avait été envoyé par la société … SPRL, préqualifiée, en date du 21 décembre 2018 à 12.49 heures, il s'avère qu'aucun des documents réclamés moyennant l'injonction du 17 décembre 2018, ne figure parmi les documents envoyés ;

Que la fiche de salaire du mois de novembre 2018 du salarié …, né le …, réclamée moyennant l'injonction du 17 décembre 2018, a seulement été notifiée en date du 7 février 2019, par Me Pascal Peuvrel, en sa qualité de conseil, à l'Inspection du travail et des mines ;

Que les fiches de salaire du mois de novembre 2018 des salariées …, née le …, …, née le …, et …, née le …5, réclamées moyennant l'injonction du 17 décembre 2018, n'ont pas été notifiées par la société … SPRL, préqualifiée, à l'Inspection du travail et des mines et font toujours défaut ;

4 Que les preuves de paiement du salaire du mois de novembre 2018 des salariées …, née le …, …, née le … et …, née le …, réclamées moyennant l'injonction du 17 décembre 2018, ont seulement été notifiées en date du 7 février 2019, par le cabinet d'avocats Peuvrel, en sa qualité de conseil, à l'inspection du travail et des mines ;

Que la preuve de paiement du salaire du mois de novembre 2018 du salarié …, né le …, réclamée moyennant l'injonction du 17 décembre 2018, n'a pas été notifiée par la société … SPRL, préqualifiée, à l'Inspection du travail et des mines et fait toujours défaut ;

Que les pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier du mois de novembre 2018 des salariés …, née le …, …, né le …, …, née le …, et …, née le …, réclamés moyennant l'injonction du 17 décembre 2018, n'ont pas été notifiés par la société … SPRL, préqualifiée, à l'Inspection du travail et des mines et font toujours défaut ;

Que les motifs invoqués par Me Pascal Peuvrel, en sa qualité de conseil de la société … SPRL, préqualifiée, dans son opposition ne sauraient être retenus et ne permettent dès lors pas une décharge de l'amende administrative ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 juin 2019, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur du 18 mars 2019, intervenue suite à son opposition du 6 février 2019 et confirmant la décision directoriale initiale du 23 janvier 2019 portant imposition d’une amende administrative de 7.000 euros à son encontre.

Dans la mesure où tant l’article L.614-14 du Code du travail que l’article L.143-3 du même Code prévoient un recours au fond en la matière, le tribunal, conformément aux conclusions de la partie étatique contenues dans son mémoire en réponse, est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit, à titre principal, par la société … contre la décision du directeur de l’ITM du 18 mars 2019 confirmant l’amende administrative de 7.000 euros prononcée à son égard par la décision directoriale du 23 janvier 2019.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le recours principal en réformation sous analyse est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la société …, après avoir exposé les faits et rétroactes à la base du présent litige, conclut, tout d’abord à la réformation de la décision directoriale du 18 mars 2019 pour avoir été pris en violation de la loi. Elle explique plus particulièrement, dans ce contexte, que l’injonction du 17 décembre 2018 aurait été basée sur l’article L.641-4 (1) a) du Code du travail autorisant l’ITM à demander la communication de documents dans les meilleurs délais, sans que ladite injonction aurait cependant mentionné l’article L.614-13 (1) du Code du travail prévoyant la possibilité pour le directeur d’infliger une amende administrative en cas de non-respect du délai imparti pour la communication de documents, de sorte que l’amende lui infligée serait dépourvue de base légale. La demanderesse précise encore que l’article L.641-4 (1) a) du Code du travail n’érigerait pas le délai pour la communication de documents en délai de rigueur, un tel délai n’étant prévu que par l’article L.614-6 (2), alinéa 2, 2e tiret du Code du travail qui ne serait pas applicable en l’espèce pour concerner uniquement le respect des dispositions relatives à la sécurité et à la santé des 5travailleurs. Or, en l’occurrence, elle se serait vu imposer, de manière arbitraire, un délai de 15 jours calendrier pour fournir, à partir de la Belgique, les informations et documents sollicités par l’ITM, délai qu’elle qualifie de trop court, d’abusif et violant manifestement la loi. En plus elle aurait, après avoir réceptionné l’injonction en date du 19 décembre 2018, transmis, par courrier électronique du 21 décembre 2018, les documents sollicités à l’ITM, tout en relevant son impossibilité de communiquer les documents requis par l’ITM concernant Madame …, Madame … et Madame …, alors qu’elle n’aurait pas été liée par un contrat de travail, mais par un contrat de prestations de services avec ces dernières. Cette circonstance aurait, par ailleurs, été négligée par l’ITM, tout comme le fait que la demanderesse aurait été fermée du 21 décembre 2018 au 7 janvier 2019. La demanderesse fait encore relever que le directeur n’aurait pas non plus tenu compte, dans la décision déférée du 18 mars 2019, des documents lui communiqués par son litismandataire, dans le cadre de son opposition du 6 février 2019 contre la décision directoriale du 23 janvier 2019 lui infligeant une amende de 7.000 euros, alors que la décision litigieuse retiendrait que certains documents feraient toujours défaut et que les mesures requises par l’injonction du 17 décembre 2018 n’auraient pas été prises endéans le délai imparti. Le directeur aurait également violé la loi en exigeant, sans indiquer de motifs, que la rémunération de Madame …, de Madame … et de Madame … devrait correspondre au salaire social minimum prévu par la convention collective de travail pour le personnel du secteur nettoyage de bâtiments.

La demanderesse conteste ensuite la base légale invoquée par l’ITM, respectivement par son directeur, voire fait valoir une erreur dans la qualification juridique des faits, en ce qu’ils auraient sollicité, endéans un certain délai, la communication de documents concernant la situation de Madame …, de Madame … et de Madame …, alors même que celles-ci seraient à qualifier de travailleurs indépendants et non pas de salariés. Ainsi lesdites personnes ne seraient pas soumises aux dispositions du Code du travail relatives au détachement de salariés, et plus particulièrement aux articles L.141-1 et suivants dudit Code, de sorte qu’aucune sanction ne saurait être prononcée à l’égard de la demanderesse de ce chef.

Finalement, la société … conclut à la réformation de la décision directoriale déférée du 18 mars 2019 pour excès de pouvoir, au motif, d’une part, qu’elle ne se serait vu octroyer qu’un délai très bref de 15 jours calendrier pour communiquer les documents sollicités par l’ITM, la demanderesse précisant encore, dans ce contexte, qu’elle aurait été fermée du 21 décembre 2018 au 7 janvier 2019, et, d’autre part, qu’elle aurait procédé au paiement des montants redus à Madame …, à Madame … et à Madame … au titre du mois de novembre 2018, fin novembre 2018.

La société … sollicite encore l’allocation d’indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».

Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, après avoir passé en revue les rétroactes du présent litige, concède par rapport aux faits à la base de la décision déférée, que l’ITM, et de manière subséquente le directeur, auraient erronément retenu que Madame …, Madame … et Madame … relèveraient des dispositions légales en matière de détachement de salariés, étant donné qu’elles seraient à considérer comme travailleurs indépendants. En conséquence, la partie étatique renonce à ses prétentions concernant lesdites personnes et soutient que le quantum de l’amende retenue ne serait pas adapté, le principe de ladite amende demeurant cependant justifié en ce qui concerne le salarié … pour lequel la 6société … demeurerait toujours en défaut de communiquer tous les documents requis par l’ITM.

La partie étatique conclut au rejet du moyen de la demanderesse fondé sur une violation de la loi, en se fondant sur un jugement du tribunal administratif du 12 mars 2019, inscrit sous le numéro 39663 du rôle, ayant retenu, sur base d’une lecture combinée des articles L.614-4 (1) a) et L.614-13 (1) du Code du travail que l’ITM serait autorisée à fixer un délai à un employeur pour la remise de documents. Elle estime encore que le délai de 15 jours calendrier imparti à la société … pour communiquer les documents sollicités aurait été suffisant, tout en précisant que cette dernière aurait pu communiquer lesdits documents jusqu’au 23 janvier 2019, jour où l’amende litigieuse aurait été prononcée à son égard. Par ailleurs, l’injonction du 17 décembre 2018 aurait été prise sur base de l’article L.614-4 (1) a) du Code du travail et aurait mentionné la teneur de l’article L.143-2 du Code du travail, de sorte que la société … aurait été suffisamment informée des conséquences du non-respect de ladite injonction et que l’amende prononcée à son égard disposerait d’une base légale suffisante. A cela s’ajouterait que la société … serait toujours restée en défaut de communiquer tous les documents sollicités par l’ITM au sujet de son salarié …, de sorte que le principe de l’amende serait justifié, le quantum devant, selon la partie étatique, être réduit à 1.750 euros, dans la mesure où celle-ci, au lieu de viser quatre personnes, ne concernerait en réalité qu’un seul salarié.

Quant au moyen de la demanderesse concernant la base légale invoquée par l’ITM, respectivement par son directeur, voire celui fondé sur une erreur dans la qualification juridique des faits, ainsi que concernant le reproche d’un excès de pouvoir, le délégué du gouvernement réitère son argumentation selon laquelle l’amende prononcée en raison du défaut de communication de documents relatifs à la situation Madame …, de Madame … et de Madame … ne serait pas justifiée, alors que celles-ci seraient à qualifier de travailleurs indépendants et non pas de salariés, contrairement au cas de Monsieur …. Le délégué du gouvernement insiste encore sur la circonstance que le délai accordé à la demanderesse pour la communication des documents sollicités aurait été suffisant.

La partie étatique conteste finalement tant le principe que le quantum de l’indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros, sollicitée par la société … sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse, concernant son moyen relatif au délai lui imposé par l’ITM pour communiquer des documents, fait encore valoir que la transmission de la fiche de salaire de Monsieur …, en annexe de son opposition du 6 février 2019, aurait dû être considérée comme recevable et comme ayant été effectuée dans les délais, la société … précisant, pour le surplus, que l’exigence dudit document serait abusive pour ne pas permettre de vérifier le respect des règles en matière de détachement.

Sur base de l’article L.143-2 du Code du travail, la demanderesse conteste encore le montant de l’amende proposé par le délégué du gouvernement, à savoir 1.750 euros, en rappelant que les règles du détachement auraient été parfaitement respectées, que la quasi-

intégralité des documents sollicités auraient été communiqués à l’ITM le 21 décembre 2018 et que la plupart des documents, concernant 3 des 4 personnes visées, auraient été réclamés à tort. La demanderesse qualifie ce montant d’exagéré et exige, principalement, qu’aucune amende ne soit prononcée à son encontre, sinon, de ramener le montant de ladite amende à de plus justes proportions eu égard à la gravité et aux circonstances du dossier.

7 Concernant l’indemnité de procédure, la demanderesse conclut au caractère fondé de celle-ci en mettant encore en avant avoir dû régler les sommes de 1.170 et 819 euros à titre de provision sur les honoraires d’avocat.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique invoque le jugement, précité, du tribunal administratif du 12 mars 2019, inscrit sous le numéro 39663 du rôle, selon lequel l’ITM, sur base des articles L.614-4 (1) a) et L.614-13 (1) du Code du travail, serait autorisée à exiger la communication de documents dans un certain délai. En considérant que le délai de 15 jours imposé à la demanderesse aurait été suffisant, la partie étatique relève que la preuve du paiement du salaire du mois de novembre 2018, ainsi que les pointages indiquant le début, la fin et la durée de travail journalière du même mois de Monsieur … feraient toujours défaut, la fiche de salaire du même mois n’ayant, pour le surplus, été communiquée que le 7 février 2019. Sur base de ces faits, l’amende d’un montant de 1.750 euros serait encore pleinement justifiée dans son principe et dans son quantum. La partie étatique maintient finalement ses contestations quant à l’octroi d’une indemnité de procédure à la demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

A titre liminaire, force est au tribunal de constater qu’il est constant en cause pour ressortir tant des pièces soumises à son analyse que des explications circonstanciées des deux parties que Madame …, Madame … et Madame … n’étaient pas liées à la demanderesse par un contrat de travail mais par un contrat de prestation de services, de sorte à ne pas tomber dans le champ d’application des articles L.141-1 et suivants du Code du travail relatifs au détachement de salariés.

Il s’ensuit que c’est à tort que le directeur, par le biais des décisions déférées des 23 janvier et 18 mars 2019, a infligé une amende à la demanderesse pour défaut de communication de documents relatifs auxdites personnes, de sorte que les décisions litigieuses encourent d’emblée la réformation de ce chef en ce qu’aucune amende n’est à retenir à l’encontre de la société … concernant Madame …, Madame … et Madame …, étant encore précisé que l’analyse du bien-fondé des moyens de la demanderesse est partant limitée à la situation de Monsieur ….

En ce qui concerne le moyen de la demanderesse fondé sur une violation de la loi, il y a, tout d’abord, lieu de souligner qu’en application de l’article L.614-4 (1) a) du Code du Travail : « (1) Les membres de l’inspectorat du travail, sont autorisés en outre :

a) à procéder à tous les examens, contrôles ou enquêtes jugés nécessaires pour s’assurer que les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles sont effectivement observées et notamment: […] à demander communication dans les meilleurs délais de tous livres, registres, fichiers, documents et informations relatifs aux conditions de travail, en vue d’en vérifier la conformité avec les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles, de les reproduire ou d’en établir des extraits; […] ».

Il résulte de la prédite disposition légale que les membres de l’ITM peuvent procéder aux contrôles et examens qu’ils estiment nécessaires en vue de garantir l’observation des dispositions légales et réglementaires, respectivement conventionnelles applicables, et, qu’ils peuvent à cette fin notamment demander communication de tous les documents et 8informations relatifs aux conditions de travail des salariés d’une entreprise endéans un certain délai.

Force est encore de relever que l’injonction de l’ITM du 17 décembre 2018 se fonde sur les articles L.142-2 et L.142-3 du Code du travail exigeant que les entreprises établies ou exerçant leur activité habituellement hors du territoire luxembourgeois qui y détachent leurs salariés pour une période déterminée, communiquent, dès le jour du commencement du détachement, un certain nombre d’informations et de documents à l’ITM, tels que notamment, comme c’est le cas en l’espèce, les fiches de salaires, la preuve de paiement desdits salaires, ainsi que les pointages indiquant le début, la fin et la durée de travail journalière. Dans son injonction du 17 décembre 2018, l’ITM a encore rappelé les dispositions de l’article L.143-2 du Code du travail aux termes duquel « Les infractions aux dispositions des articles L.142-2, L.142-3 et L.281-1 sont passibles d’une amende administrative entre 1.000 et 5.000 euros par salarié détaché et entre 2.000 et 10.000 euros en cas de récidive dans le délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende.

Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 50.000 euros.

Pour fixer le montant de l’amende, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend en compte les circonstances et la gravité du manquement ainsi que le comportement de son auteur. (…) » Il s’ensuit que contrairement à l’argumentation de la demanderesse, l’ITM était fondée, sur base des articles L.614-4 (1) a), L.142-2 et L.142-3 du Code du Travail à demander la communication, endéans un certain délai, de la fiche de salaire du mois de novembre 2018, de la preuve de paiement dudit salaire, ainsi que de la fiche de pointages indiquant le début, la fin et la durée de travail journalière de Monsieur …, de sorte que le moyen de la demanderesse consistant à soutenir que l’injonction de l’ITM du 17 décembre 2018 prévoyant un délai de 15 jours calendrier aurait été dépourvue de base légale est à rejeter pour manquer de fondement.

Dans un même ordre d’idée, il y a lieu de relever que les développements de la demanderesse consistant à soutenir qu’aucune amende n’aurait pu être prononcée à son encontre pour défaut de mention, dans l’injonction lui adressée le 17 décembre 2018, de l’article L.614-13 (1) du Code du travail sont à rejeter pour défaut de fondement, dans la mesure où l’amende ne lui a pas été infligée pour non-respect du délai lui imparti par l’ITM, mais pour ne pas avoir fourni les documents requis par l’ITM sur base des articles L.142-2 et L.142-3 du Code du travail, fait qui l’exposait, tel que précisé d’emblée dans l’injonction du 17 décembre 2018, à l’amende prévue à l’article L.143-2 du Code du travail.

Dans ce cadre, le tribunal doit constater qu’en tout état de cause, les documents sollicités par l’ITM, à travers l’injonction du 17 décembre 2018, à savoir plus particulièrement la fiche de salaire du mois de novembre 2018, la preuve de paiement dudit salaire, ainsi que la fiche de pointages indiquant le début, la fin et la durée de travail journalière de Monsieur … pendant le mois de novembre 2018, sont des documents a priori standard que l’employeur devrait avoir à sa disposition dès l’écoulement du mois afférent, de sorte que le délai de 15 jours calendrier imposé par l’injonction du 17 décembre 2018 pour communiquer lesdits documents n’appelle aucune critique.

Il s’ensuit que l’argumentation de la demanderesse consistant à soutenir que le délai de 15 jours calendrier lui imposé aurait été arbitraire, manifestement trop court, 9respectivement excessif est à rejeter pour manquer de fondement et ce nonobstant la circonstance qu’elle n’aurait reçu l’injonction que le 19 décembre 2018 et qu’elle aurait été en congé du 21 décembre 2018 au 7 janvier 2019.

Force est en effet de constater que bien que la demanderesse a été enjointe, le 17 décembre 2018, de communiquer à l’ITM, en ce qui concerne Monsieur …, la fiche de salaire, la fiche de pointage, ainsi que la preuve de paiement du salaire de novembre 2018, cette dernière n’a communiqué que la fiche de salaire en date du 7 février 2019, dans le cadre de son opposition contre la décision directoriale du 23 janvier 2019, sans que les autres documents sollicités n’aient entretemps été transmis à l’ITM, respectivement à son directeur, voire même soumis au tribunal en cours de procédure contentieuse.

Il y a partant lieu de retenir que les pièces réclamées par l’ITM ne lui ont pas été communiquées, voire ne lui avaient pas été transmises en temps utile avant la première prise de décision du directeur le 23 janvier 2019, de sorte que c’est a priori à bon droit que le directeur de l’ITM a infligé une amende administrative à la société ….

La demanderesse fait toutefois encore valoir que le montant de l’amende de 1.750 euros qui devrait lui être infligée, selon la partie étatique, en ce qui concerne ses manquements relatifs aux documents de Monsieur …, n’aurait pas raison d’être, respectivement serait largement surfait, alors que le délai lui imposé aurait été trop réduit, voire qu’elle aurait été fermée pour cause de congé du 21 décembre 2018 au 7 janvier 2019.

En tout état de cause, elle demande au tribunal de réduire le montant réclamé à titre d’amende administrative par l’ITM.

En ce qui concerne l’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’amende en question serait disproportionnée et que le montant réclamé devrait être revu à la baisse, il convient de soulever que l’article L.143-3. du Code du Travail dispose que « Les infractions aux dispositions des articles L .142-2, L .142-3 et L .281-1 sont passibles d’une amende administrative entre 1.000 et 5.000 euros par salarié détaché et entre 2.000 et 10.000 euros en cas de récidive dans le délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende.

Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 50.000 euros.

Pour fixer le montant de l’amende, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend en compte les circonstances et la gravité du manquement ainsi que le comportement de son auteur », ledit article laissant ainsi une large marge d’appréciation au directeur de l’ITM en ce qui concerne le montant à prononcer à titre d’amende administrative.

Dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le demandeur en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant en considération la situation dans son ensemble, étant précisé que dans le cadre d’un recours en réformation, le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité, avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision, impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer.

En l’espèce, force est de constater qu’il résulte des pièces versées en cause, ainsi que des explications circonstanciées de la partie étatique que suite à l’injonction, précitée, lui 10adressée le 17 décembre 2018, dans laquelle la demanderesse a été priée de faire parvenir à l’ITM les documents y mentionnés, cette dernière s’est contentée, sans justification valable, de ne verser qu’une partie seulement des pièces requises, en plus en dehors du délai de quinze jours lui imparti, de sorte qu’elle a eu une attitude pour le moins désinvolte suite à l’injonction dont elle a fait l’objet. Par ailleurs, au regard du fait que la société … n’a pas communiqué le reste des documents manquants, ni à l’ITM, ni dans le cadre de la présente procédure contentieuse, le tribunal estime que l’amende de 1.750 euros sollicitée par la partie étatique dans le cadre de ses mémoires en réponse et en duplique, laquelle se situe par ailleurs en bas de la fourchette prévue par la loi, est justifiée tant dans son principe que dans son quantum au regard des faits de l’espèce.

Il s’ensuit que le moyen relatif à excès de pouvoir, respectivement à une disproportion de l’amende proposée est également à rejeter.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, le recours en réformation sous analyse est à déclarer partiellement justifiée, en ce qui concerne l’amende prononcée à l’égard de la demanderesse pour les personnes autres que Monsieur …, et à rejeter pour le surplus pour ne pas être fondé.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure, d’un montant de 2.000 euros, formulée par la société … est à rejeter comme non fondée, au regard, d’une part, de l’issue du litige, et, d’autre part, du fait qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie demanderesse.

Au vu de l’issue du litige, il y a cependant lieu d’imposer les frais pour moitié à la société … et pour moitié à l’Etat.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 18 mars 2019 ayant confirmé sa décision du 23 janvier 2019 par laquelle celui-ci a infligé une amende administrative de 7.000 euros à la société privée à responsabilité limitée … SPRL pour ne pas avoir donné de suites endéans les délais impartis à une injonction lui notifiée le 17 décembre 2018 ;

au fond, déclare le recours en réformation partiellement justifié ;

partant, par réformation de la décision directoriale du 18 mars 2019, réduit le montant de l’amende administrative à payer par la société privée à responsabilité limitée … SPRL à 1.750 euros, pour ne pas avoir versé tous les documents sollicités par l’ITM concernant Monsieur … ;

rejette le recours principal en réformation pour le surplus ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société privée à responsabilité limitée … SPRL;

11 impose les frais et dépens de l’instance pour moitié à la société privée à responsabilité limitée … SPRL et pour moitié à l’Etat.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er juin 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Daniel Weber, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 43145
Date de la décision : 01/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-01;43145 ?

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