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03/05/2021 | LUXEMBOURG | N°44054

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2021, 44054


Tribunal administratif Numéro 44054 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 janvier 2020 2e chambre Audience publique du 3 mai 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44054 du rôle et déposée le 24 janvier 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â€

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Tribunal administratif Numéro 44054 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 janvier 2020 2e chambre Audience publique du 3 mai 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44054 du rôle et déposée le 24 janvier 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 décembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2020 ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication de Maître Arnaud Ranzenberger, du 5 novembre 2020 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 novembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Vu le courrier électronique du délégué du gouvernement du 27 novembre 2020 demandant la rupture du délibéré ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 2 décembre 2020 prononçant la rupture du délibéré ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Yasmina Maadi, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 janvier 2021.

Le 25 janvier 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, dénommé ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

En date du 19 février 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 24 décembre 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 25 janvier 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 25 janvier 2019 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 19 février 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez né à … dans le district de … dans la province de …. Vous y auriez vécu avec votre famille. En 2011, vous auriez déménagé à … où vous auriez travaillé à partir de 2015 comme « General manager of international organisation relations » au sein du Ministère des Transports.

En ce qui concerne les motifs de votre départ, vous évoquez que vous auriez été menacé par les Talibans pour avoir travaillé pour l'Etat afghan et vous expliquez que vous auriez été menacé de mort par l'ancien Ministre des Transports pour avoir dénoncé des actes de corruption au sein de votre administration.

Vous précisez que les Talibans auraient envoyé en juillet 2017 une lettre de menace aux « barbes blanches » de votre village d'origine et à votre famille vous accusant d'être « un espion pour les étrangers » (entretien, p. 6/14). Ils auraient exigé que vous démissionniez.

D'après vos dires, vous auriez refusé de démissionner et de satisfaire les attentes des Talibans, mais auriez néanmoins emmené les membres de votre famille à … pour les mettre à l'abri d'éventuelles représailles.

Vous expliquez avoir été menacé par l'ancien Ministre des Transports … après avoir observé en février 2017 l'un de vos supérieurs hiérarchiques détournant des fonds. Révolté par le fait que le Ministre … couvre ces actes de corruption vous auriez ensemble avec vos supérieurs, dénommés … et …, contacté les journaux « Hashte Subh » et « Etelahat » pour qu'ils publient des articles dénonçant ces dérives. Environ un mois après la publication des articles en date du 22 mai et du 14 juin 2017 le Ministre … aurait été destitué par le Président afghan.

Par la suite, vous auriez repris votre travail avant de dénoncer en octobre 2017 un autre acte de corruption impliquant la direction de la société des autobus de l'Etat. L'article y relatif aurait été publié dans le journal « Hashte Sub » début 2018. Suite à cette dénonciation le nouveau Ministre des Transports … aurait traduit en justice plus de 60 collaborateurs de votre administration dont votre supérieur. Dans ce contexte, vous indiquez que vous auriez été poursuivi par des personnes non autrement identifiées en voiture à deux reprises et vous auriez déposé une plainte aux postes de police numéro … et …. L'enquête n'aurait néanmoins connu aucune suite.

Finalement, vous mentionnez que vous auriez en juin 2018 mis à disposition de la presse davantage d'informations quant aux actes de corruption au sein de votre ministère.

Suite à la publication des articles votre collègue … aurait été assassiné, votre collègue … aurait quitté le pays et vous auriez été victime d'une tentative d'assassinat proférée par les gardes de corps de l'ancien ministre …. Vu que ce dernier serait devenu un commandant d'une milice d'hommes armés puissante, vous auriez décidé de quitter le pays en direction de l'Europe.

Pour étayer vos dires, vous présentez :

 une « tazkira »,  deux certificats de vos études universitaires et deux bulletins,  une photo de la lettre de menace envoyée par des Talibans,  deux cartes d'identification émises par le Ministère des Transports,  une attestation du journal « Etelahat Roz »,  une lettre dénonçant les menaces adressées au Ministère de l'intérieur,  un lot d'articles de presse produits sur base de vos dénonciations.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Avant tout progrès en cause, je tiens à souligner que les faits suivants ne sont pas pris en considération dans le cadre de l'analyse de votre demande de protection internationale alors qu'ils ne sont pas avérés et donc pas crédibles et certains sont manifestement faux.

En effet, il ressort clairement de nos informations que le Ministre … n'a pas été destitué par le Président afghan en juillet 2017 suite à vos révélations, mais que la Chambre basse de l'Assemblée nationale d'Afghanistan a voté sa révocation mi-novembre 2016 pour ne pas avoir dépensé le budget de développement du Ministère.

Ces informations vérifiées et avérées sont en totale contradiction avec vos allégations suivant lesquelles il aurait été destitué à cause d'une affaire de corruption.

Ainsi, il est parfaitement impossible que vos prétendues révélations aient conduit à la destitution du Ministre alors qu'il a été révoqué pour d'autres raisons et n'était plus en poste fin 2016. Force est dès lors de constater qu'il n'y a aucun lien entre vos prétendues révélations de février 2017, qui ne sont pas établies, et la destitution du Ministre … le 13 novembre 2016, ce qui rend vos allégations quant aux tentatives d'assassinat et les menaces de mort proférées à votre égard par ce dernier aucunement crédibles.

Le même constat s'applique à vos allégations que vos révélations concernant la direction de la société … d'octobre 2017 auraient déclenché des poursuites judiciaires contre une soixantaine d'employés du Ministère des Transports.

Il ressort, en effet, clairement de nos informations que le nouveau Ministre des Transports … se serait basé sur un audit interne pour identifier les dossiers de personnes impliquées dans le détournement de fonds et qu'il les aurait par la suite transmis au Procureur général pour enquête.

Un constat qui est soutenu par le fait que l'« Independent Joint Anti-Corruption Monitoring and Evaluation Committee » a en octobre 2017 rédigé un rapport détaillé sur la corruption persistante au sein du Ministère des Transports. Ce qui démontre que les poursuites judiciaires susmentionnées sont le résultat d'investigations et n'ont aucun lien avec vos prétendues dénonciations. Ainsi, il convient de conclure que vos allégations sont fausses et manifestement inventées de toute pièce.

En ce qui concerne les articles de presse que vous avez soumis pour étayer vos dires, notons que de tels documents non traduits et téléchargés depuis Internet ne sont pas pris en considération dans l'évaluation de votre demande de protection internationale alors qu'on ne peut en établir ni l'authenticité ni la provenance. A cela s'ajoute que ces articles ont trait au sujet de la corruption au sein du domaine des transports d'une façon générale et se basent sur des informations publiquement accessibles, ce qui remet en doute le fait que vous auriez été leur informateur et leur source principale. Notons en outre que l'un des articles de presse soumis provient du site « https://8am.af/ » un site que vous ne mentionnez à aucun moment lors de votre entretien, ce qui confirme que vous avez recherché ces documents tout simplement sur internet.

A cela s'ajoute que vous ne disposez d'aucune pièce pouvant prouver vos allégations respectivement vos prétendues découvertes faites depuis février 2017, que vous auriez perdu votre enregistrement et que vous ne pouvez même pas fournir une copie de tous les articles de presse parus. Or, une personne qui aurait réellement contribué à la destitution d'un Ministre et serait responsable de l'ouverture d'une enquête judiciaire contre 60 personnes d'une administration en garde une preuve. En effet, une personne qui aurait été l'instigatrice d'une telle campagne anti-corruption et qui aurait réussi à faire destituer un Ministre serait à même de le prouver. Il parait impossible qu'une personne soit de nos jours incapable de rapporter une telle preuve.

Ainsi, notons que l'analyse de votre demande de protection internationale portera uniquement sur la prétendue lettre de menace des Talibans qui demanderait votre démission et vous accuserait d'être un espion.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les menaces proférées à votre égard par des prétendus Talibans pour avoir travaillé pour l'Etat afghan relèvent à priori du champ d'application de la Convention de Genève, à savoir votre opinion politique contraire à celle des Talibans.

En ce qui concerne vos allégations que vous seriez à risque de représailles de la part des Talibans pour ne pas avoir démissionné de votre poste au sein du Ministère des Transports, il convient de constater que vous n'auriez depuis votre déménagement à … en 2015, l'envoi de cette prétendue lettre de menace en juillet 2017 et votre départ de l'Afghanistan en juin 2018 jamais été inquiété directement par les Talibans. Notons dans ce contexte que de simples menaces qui n'ont pas été suivies d'actes concrets ne sont pas d'une gravité suffisante pour être considérées comme persécution au sens de la prédite Convention.

A cela s'ajoute que vous ne présentez d'autant plus pas un profil qui vous mettrait particulièrement à risque de subir des persécutions par ces derniers, surtout si on considère qu'«[…] employees of other ministries not involved directly in the fight against insurgents. » ne sont pas considérées comme des cibles prioritaires par les Talibans. Le fait que vous avez ramené vos parents à … et que votre famille vit toujours … soutient davantage le constat que vous vous y avez été en sécurité.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Notons dans ce contexte que vous ne faites pas état au cours de votre entretien de faits qui seraient à qualifier d'atteinte grave au sens des articles précités.

Ainsi, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 24 décembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur … Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision du ministre du 24 décembre 2019, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … rappelle les faits tels qu’ils ressortent de son audition du 19 février 2019.

En droit, Monsieur … soutient d’abord que ce serait à tort que le ministre aurait retenu un défaut de crédibilité de son récit sur base d’un article de presse selon lequel le ministre des transports … n’aurait pas été destitué en juillet 2017 par le président afghan suite à ses révélations mais par la Chambre basse de l’assemblée nationale suite à un vote en novembre 2016 au motif qu’il n’avait pas dépensé le budget de développement alloué à son ministère.

Le demandeur précise que le président afghan n’aurait pas accepté le vote de défiance de l’assemblée nationale, de sorte que le ministre … aurait continué à exercer ses fonctions au sein du gouvernement après cette date. Il se réfère à cet égard à un document émanant du ministère des transports afghan signé de la main du ministre … en date du 24 juin 2017 ainsi qu’un communiqué de l’ambassade tchèque du 19 février 2017 selon lequel le ministre … aurait été reçu par l’ambassadeur tchèque. Etant donné que ce ministre serait resté en fonctions après le vote de défiance de 2016, il serait établi que les révélations du demandeur auraient conduit à sa destitution par le président afghan. Monsieur … verse encore une attestation du journal « Hashte Subh », qui prouverait qu’il serait le lanceur d’alerte de l’ampleur de la corruption au sein du ministère des transports. Les tentatives d’assassinat dont il aurait fait l’objet en seraient la conséquence. Il fait valoir qu’il craindrait que l’ancien ministre et ses hommes de main attenteraient à sa vie en cas de retour dans son pays d’origine.

Monsieur … reproche au ministre de ne pas avoir tenu compte des moyens et des preuves soumis à l’appui de sa demande de protection internationale et estime que la motivation à la base de la décision déférée ne serait pas suffisante au regard « des standards nationaux et européens ».

Il se prévaut de la situation générale en Afghanistan en se basant sur un rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés de décembre 2019 intitulé « Afghanistan : Compilation of Country of Origin Information (COI) Relevant for Assessing the Availability of an Internal Flight, Relocation or Protection Alternative (IFA/IRA/IPA) to Kabul » pour exprimer sa crainte que les menaces de mort des Talibans proférées avant son départ de l’Afghanistan seraient mises à exécution dès son retour. Il affirme en effet qu’en cas de retour en Afghanistan, il s’exposerait à un grave et réel danger. Contrairement à ce qui serait affirmé dans la décision ministérielle déférée, il aurait tenté une fuite interne en se relocalisant dans le nord du pays. En citant les paragraphes 3 et 5 de l’article 37 et l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … soutient qu’il remplirait les conditions pour bénéficier d’une protection internationale, de sorte que la décision ministérielle devrait être réformée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation. En effet, il serait victime tant des Talibans que des hommes de main du ministre des Transports et ne pourrait pas compter sur la protection des autorités afghanes. Ces faits constitueraient des éléments de persécution morale et physique. Le retour de Monsieur … en Afghanistan le condamnerait à la mort sinon à des traitements inhumains et dégradants. Il fait valoir que si le tribunal ne devait pas faire droit à sa « demande de protection internationale », il serait néanmoins éligible au bénéfice de la protection subsidiaire, alors qu’il encourrait des risques réels et sérieux de subir « l’une des atteintes graves telles que définies dans la loi ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. Il soutient d’abord, à l’instar du ministre, que les déclarations du demandeur quant aux menaces de mort proférées à son encontre par l’ancien ministre des transports ne seraient pas crédibles, étant donné que ce ne seraient pas les divulgations du demandeur qui auraient mené à la révocation dudit ministre en juillet 2017, mais le fait qu’il n’aurait pas dépensé le budget de développement, qui aurait conduit à sa révocation en novembre 2016 à la suite d’un vote de la Chambre basse de l’assemblée nationale afghane. Même si le ministre aurait été mêlé à des affaires de corruption, il ne ressortirait pas des pièces versées par le demandeur que ce serait lui qui aurait été à l’origine de ces divulgations. Le nouveau ministre des transports se serait basé non pas sur les divulgations du demandeur mais sur un audit interne pour identifier les dossiers de personnes impliquées dans le détournement de fonds et il les aurait par la suite transmis au procureur général pour enquête. Les articles de presse versés par le demandeur concerneraient la corruption dans le domaine des transports d’une façon générale et se baseraient sur des informations publiquement accessibles, ce qui remettrait en doute le fait que le demandeur aurait été la source des divulgations. Le délégué du gouvernement estime que le demandeur utiliserait des informations accessibles au grand public pour se faire passer pour un lanceur d’alerte. Le fait que le demandeur ne serait pas en mesure de présenter des traces de toutes ces recherches et des informations fournies aux médias confirmerait que son récit serait inventé de toutes pièces. Il en conclut que ce serait à bon droit que le ministre aurait limité l’analyse de la protection internationale sur la lettre de menace des talibans. Il fait valoir que cette menace de la part des talibans pour avoir travaillé pour l’Etat afghan serait liée à l’un des 5 critères de fond définis à l’article 2 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir les opinions politiques, mais que de simples menaces non suivies d’actes concrets ne seraient pas d’une gravité suffisante pour être considérées comme un acte de persécution.

Monsieur … ne présenterait pas non plus de profil qui le mettrait particulièrement à risque de subir des persécutions par les talibans. Le fait que sa famille continuerait de vivre à … soutiendrait le constat qu’il ne risquerait aucune persécution de la part des talibans. Etant donné que Monsieur … ne formulerait pas le moindre moyen quant au statut conféré par la protection subsidiaire, ce volet du recours serait à déclarer non fondé.

S’agissant d’abord du moyen avancé par le demandeur ayant trait à un défaut de motivation de la décision ministérielle, il échet de constater que la décision déférée contient un résumé des motifs de la demande de protection internationale de Monsieur …, tels que ressortant de son entretien du 19 février 2019 et qu’elle énonce de façon détaillée, dispositions légales à l’appui, les raisons pour lesquelles le ministre estime que ces motifs ne seraient pas de nature à justifier l’octroi d’une protection internationale. La demande de Monsieur … ayant ainsi fait l’objet d’un examen individuel et la décision mentionnant les bases légales sur lesquelles le ministre s’appuie, de sorte qu’à défaut d’avoir précisé à quel niveau la décision ministérielle ne remplirait pas les « standards nationaux et européens » de motivation, le moyen encourt le rejet.

Ensuite, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « réfugié » se définit comme correspondant au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« (…) a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article, point 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il y a encore lieu de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, crédibilité contestée en l’espèce par la partie gouvernementale.

A cet égard, il y a tout d’abord lieu de rappeler que le demandeur base sa demande de protection internationale sur deux séries de faits, à savoir, premièrement, le fait qu’il a été menacé par les talibans, qui le prennent pour un espion alors qu’il a travaillé pour le ministère des transports afghan et, deuxièmement, le fait qu’il a rendu public des faits de corruption au sein du ministère des transports afghan.

Quant au défaut de crédibilité retenu tant par le ministre que par le délégué du gouvernement, il échet de retenir que, nonobstant l’incertitude quant à la date de révocation du ministre …, respectivement la question de savoir si ce sont effectivement les révélations du demandeur qui ont conduit à la destitution de ce dernier, le demandeur relate de façon circonstanciée ses différentes constatations de détournement de fonds ainsi que la mise à disposition de ces informations à la presse. S’il est vrai qu’il ressort du rapport de l’assemblée générale du Conseil de sécurité des Nations Unies intitulé « The situation in Afghanistan and its implications for international peace and security » du 13 décembre 2016, cité par le ministre, que « In mid-November, the lower house of the National Assembly voted to dismiss senior Cabinet ministers on allegations that they had underspent their allocated devleopment budgets. Between 12 and 15 November, the lower house of the National Assembly passed no-

confidence votes on 7 of the 16 ministers summoned, namely (…) the Minister of Transport and Civil Aviation, … (…) », il n’en reste pas moins qu’au vu du document signé par le ministre … en date du 20 juin 2017, respectivement du communiqué de l’ambassade tchèque du 19 février 2017 versés par le demandeur et non remis en cause par le délégué du gouvernement, il n’est pas établi à l’exclusion de tout doute que le ministre … a quitté son poste immédiatement après le vote de novembre 2016, de sorte que cet argument seul ne saurait suffire pour ébranler la crédibilité du récit du demandeur. La circonstance que le demandeur ne dispose plus des différents documents qu’il a transmis à la presse ne saurait, contrairement à l’affirmation du délégué du gouvernement, conduire à exclure que le demandeur serait à considérer comme un lanceur d’alerte. S’il est vrai que lesdits documents pourraient constituer une « assurance-vie » pour le demandeur, tel que retenu par le délégué du gouvernement, l’argument contraire pourrait tout aussi bien être valable, en ce sens que le demandeur a pu décider de se débarrasser rapidement desdits documents pour ne plus avoir de traces relatives à leur publication. Ainsi, il y a lieu de conclure que même si ce n’étaient pas les révélations du demandeur qui ont conduit à la révocation du ministre …, elles ont néanmoins potentiellement pu engendrer une rancune dans le chef de ce dernier à l’encontre du demandeur. Eu égard aux développements qui précèdent et surtout au vu du récit précis et circonstancié du demandeur exposé lors de son audition auprès du ministère en date du 19 février 2019, il échet de retenir que l’exposé du demandeur est globalement crédible, de sorte que le tribunal analysera non seulement les menaces des talibans, mais également la circonstance que le demandeur a rendu public des faits de corruption au sein du ministère des transports afghan.

S’agissant d’abord de la lettre de menace de mort envoyée par les talibans aux « barbes blanches » du quartier où habitaient sa famille demandant que le demandeur quitte son travail au sein du ministère des transports en le suspectant d’être un espion pour les étrangers, ainsi que le fait qu’ils ont tenté d’entrer dans sa maison à …, il échet de retenir que ces faits s’inscrivent sur la toile de fond des opinions politiques lui imputées par les talibans du fait de sa collaboration avec leurs ennemis, de sorte à tomber a priori dans le champ d’application de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par la « Convention de Genève », étant rappelé à cet égard que l’article 43 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit qu’il est indifférent si un demandeur de protection internationale possède effectivement la caractéristique liée à ses opinions politiques, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur des persécutions, ce qui au vu de la situation décrite par le demandeur est le cas en l’espèce.

Or, ces faits ne présentent pas le degré de gravité requis par l’article 42, paragraphe 1, point a) de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’à aucun moment, l’intégrité physique du demandeur n’a été mise en cause, Monsieur … ayant, par ailleurs, vécu à … depuis « les sept dernières années avant [d’avoir quitté] le pays »1.

S’agissant ensuite des faits prétendument liés aux révélations du demandeur quant aux faits de corruption au sein du ministère des transports, à savoir le fait qu’il a été suivi et surveillé à deux reprises par des hommes inconnus en rentrant chez lui et le fait que les gardes du corps de l’ancien ministre des transports ont tiré sur lui à deux reprises, il échet de constater que ces faits s’inscrivent également sur une toile de fond politique, dans la mesure où le comportement du demandeur de rendre public les écarts de conduite constatés au sein de son ministère est considéré comme contestant l’autorité du pouvoir en place en Afghanistan, même si sa dimension politique n’est pas nécessairement manifeste2.

Si le fait d’avoir été surveillé à deux reprises ne présente pas à lui seul le degré de gravité requis par l’article 42, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015, il en est autrement pour l’incident au cours duquel les gardes du corps de l’ancien ministre des transports ont tiré sur le demandeur, alors que son intégrité physique, voire sa vie-même ont été mises en cause.

Dans la mesure où, selon les indications du demandeur, l’ancien ministre … a été destitué par le président au courant du mois de juillet 2017, ni l’ancien ministre des transports ni ses gardes du corps exerçaient des fonctions gouvernementales au sein de l’Etat afghan, respectivement étaient habilités à exercer des prérogatives de puissance publique au moment des tirs sur le demandeur en date du 26 août 2018, de sorte qu’ils sont à considérer comme personnes privées sans lien avec l’Etat.

Le demandeur ne saurait dès lors faire valoir un risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que si les autorités afghanes ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre ces persécutions ou atteintes graves, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015.

En effet, tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.

1 Rapport d’audition du demandeur, p. 2.

2 EASO, Analyse juridique, Conditions de la protection internationale (directive 2011/95/UE), version 2018, p.

57.

Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale3. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut4. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection: c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

La notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une crainte fondée de faire l’objet d’actes de persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Dans ce contexte, il échet de constater qu’il ressort du rapport d’audition du demandeur que ce dernier a averti son supérieur hiérarchique du fait qu’il avait été suivi par des personnes inconnues. Ce dernier lui a indiqué qu’il rédigerait une note au ministère de l’intérieur afghan et qu’il adresserait une copie au poste de police concerné. Le demandeur a reçu une copie de ce courrier et l’a amené à deux postes de police où les policiers lui ont confirmé qu’ils allaient résoudre le problème, le demandeur leur reprochant cependant de n’avoir rien fait. Monsieur … explique ensuite que son supérieur hiérarchique l’aurait convoqué dans son bureau pour lui recommander de rester vigilent, dans la mesure où il n’aurait pas reçu de réponse de la part du ministère de l’intérieur5.

Le fait que les auteurs de l’attaque dont Monsieur … a été victime n’ont pas encore pu être retrouvés ne permet pas de conclure à une absence de protection. A ce titre, il y a lieu de rappeler qu’une protection n’exige pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle 3 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

4 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

5 Rapport d’audition, p. 8.

d’un acte criminel mais suppose une insuffisance de démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

A ce titre, il échet de relever qu’il ressort certes du rapport de l’European Asylum Support Office (EASO) intitule «Afghanistan – Security situation » de septembre 2020 que « [b]ecause of its high concentration of government buildings, international organisations, diplomatic compounds and national and international security forces, the capital has a distinct security outlook. In the wake of several attacks in January 2018, the approval of a new security plan for the Afghan capital was announced and the Kabul Enhanced Security Zone (ESZ) was established. New and improved security measures have been implemented since then - including: additional temporary checkpoints, access surveillance, additional road blockades and increased patrolling, increased reconnaissance and intelligence activities. Kabul’s new security measures were reported to have exacerbated the city’s traffic problems and caused protests among residents. In June 2020, the implementation of a new security plan for Kabul City was reportedly ordered by President Ghani. »6, il n’en reste pas moins qu’il en découle également que « Several sources report on an ineffective police response to Kabul’s rapidly expanding crime scene. According to Foschini, there is ‘a modus vivendi between police and criminals’ in many city neighbourhoods, with powerful and deeply-rooted (political) interests often resulting in impunity. »7 Il ressort de l’ensemble de ces considérations que les faits de l’espèce permettent de dégager une crainte fondée de persécution de la part de l’ancien ministre …, respectivement de ses hommes de mains dans le chef du demandeur, qui ne peut bénéficier d’une protection appropriée des autorités à … eu égard au contexte politique dans lequel a eu lieu ladite persécution.

Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur est a priori fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié.

Quant à la possibilité d’une fuite interne, celle-ci ne saurait exister qu'au vu du respect d'une double condition consistant en l'absence, dans une partie du pays d'origine, de toute raison de craindre d'être persécuté, respectivement de subir des atteintes graves, et en la présence de raisons permettant au ministre d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays. Il appartient, dès lors, au ministre d'identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour le demandeur, pour ensuite, une fois cette zone dûment identifiée, procéder à l'examen de la protection disponible contre la persécution et examiner le caractère pertinent et raisonnable de l'alternative proposée en fonction du profil de la personne concernée, étant en tout état de cause souligné qu'il incombe au ministre, sinon de prouver positivement l'absence de tout risque, du moins d'examiner et d'énoncer de manière plausible pour quelles raisons il estime devoir et pouvoir, dans le contexte et pour les causes visées à 1'article 41 de la loi du 18 décembre 2015, refuser la protection internationale : le ministre ne peut pas s'emparer d'un défaut par le demandeur d'établir 1'impossibilité de la fuite interne, mettant ainsi la charge de la preuve du côté du demandeur de protection internationale.8 6 EASO « Afghanistan – Security situation », septembre 2020, p. 56.

7 Ibidem, p. 59.

8 Trib. adm., 13 juillet 2009, n° 25558 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 158 et les autres références y citées.

Le tribunal constate à cet égard que ni le ministre ni le délégué du gouvernement ne se prévalent d’une possibilité de fuite interne et n’identifient aucune zone sûre où le demandeur pourrait procéder à une telle fuite, de sorte que l’Etat, sur lequel repose la charge de la preuve à cet égard, a omis d’indiquer que le demandeur pourrait effectivement et matériellement recourir à une fuite interne, au sens de l’article 41 (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que le demandeur fait valoir sa crainte d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte que c’est à tort que le ministre a refusé de lui accorder le statut de réfugié. Partant, la décision déférée encourt la réformation en ce sens, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser le bien-

fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … en ce qu’elle tend à l’obtention de la protection subsidiaire, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision déférée en raison des craintes réelles de persécution en cas de retour en Afghanistan.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours en raison du rejet de la demande de protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Une décision du ministre vaut décision de retour (…) », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut de réfugié et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer en ce sens, la décision portant ordre de quitter le territoire encourt, à son tour, la réformation, en ce sens qu’il y a lieu de dire que le demandeur n’est pas obligé de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 24 décembre 2019 portant refus d’une protection internationale ;

au fond le déclare justifié, partant par réformation de la décision ministérielle du 24 décembre 2019, reconnaît à Monsieur … le statut de réfugié et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 24 décembre 2019 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation, dit que Monsieur … ne doit pas quitter le territoire dans un délai de trente jours ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 3 mai 2021 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 mai 2021 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44054
Date de la décision : 03/05/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-05-03;44054 ?

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