Tribunal administratif N° 44031 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2020 1re chambre Audience publique du 3 mai 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 44031 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2020 par Maître Hakima Gouni, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Soudan), de nationalité soudanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation 1) de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 décembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 mars 2020 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Laurent Thyes en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 mars 2021, et vu les remarques écrites de Maître Hakima Gouni du 26 février 2021, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.
Le 6 mars 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Le 7 mars 2018, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Les 5 septembre et 7 décembre 2018, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par une décision du 24 décembre 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 27 décembre 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … auprès du service de police judiciaire et de la direction de l’Immigration comme suit :
« […] Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez né le … dans l'…au Soudan et que vous y auriez vécu avec votre famille. Vous seriez d'ethnie Zaghawa.
Vous indiquez comme motifs à la base de votre demande de protection internationale le fait que vous craignez d'être tué par le gouvernement soudanais en raison d'un séjour en Israël et que vous, votre père et vos frères auraient été arrêtés et emprisonnés à plusieurs reprises par les autorités soudanaises pour vos prétendus liens avec l'opposition armée à cause de votre appartenance à l'ethnie Zaghawa.
Vous précisez que suite à « la parution » (p.6/16 du rapport d'entretien) du «Mouvement de la Justice et l'Egalité » (ci-après « JEM ») en 2008 à Khartoum, la police aurait commencé avec des arrestations. Vous poursuivez votre récit en indiquant qu'en janvier 2012, une semaine après le départ des membres du « JEM » de la capitale, la police aurait d'abord emprisonné votre père avant de procéder à votre arrestation et à celle de vos frères.
La police d' «Al Madani » vous aurait livré au supérieur de la sureté qui vous aurait emprisonné dans la prison « Al Houda », à 25 kilomètres de Khartoum, où vous auriez été interrogé à trois reprises sur vos liens avec l'opposition armée. Lors de ces interrogatoires, vous auriez été maltraité et torturé. Le 17 avril 2012, après 14 jours de détention, vous auriez été remis en liberté. Deux semaines plus tard vous auriez à nouveau été emprisonné à la prison «Al Houda ». Vous auriez été libéré suite au paiement d'une caution par votre oncle après un mois. Afin d'éviter de nouvelles représailles de la part des autorités soudanaises, vous auriez décidé le 27 mai 2012 de rejoindre votre oncle à …, d'où ce dernier aurait organisé un passeur pour vous emmener en Libye. Vous auriez quitté votre pays d'origine peu après.
En ce qui concerne votre trajet en direction de l'Europe, vous vous contredisez à plusieurs reprises et déclarez finalement avoir travaillé pendant trois ans en Libye avant de traverser la Méditerranée en direction de l'Italie. Par la suite, vous auriez séjourné en France et introduit une demande de protection internationale en Allemagne avant de rejoindre le Luxembourg.
Vous ne présentez aucun document d'identité. ».
A travers cette décision, le ministre rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … comme non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, le refus étant fondé exclusivement sur la remise en question de la crédibilité de ses déclarations.
Ainsi, le ministre reprocha de prime abord à Monsieur … d’avoir continuellement étoffé son récit entre ses déclarations devant la police judiciaire le 6 mars 2018, sur la fiche de motifs manuscrite signée le 6 décembre 2018 et durant son audition en date des 5 septembre et 7 décembre 2018, alors qu’il aurait tantôt expliqué avoir des problèmes avec le gouvernement soudanais et avoir quitté son pays d’origine pour aucune autre raison, tantôt avoir mentionné des problèmes liés à un séjour en Israël, sans faire état d’arrestations ou d’autres problèmes rencontrés au Soudan, tantôt fait référence à des emprisonnements en raison de ses liens avec le Mouvement de la justice et de l’égalité.
D’autre part, le ministre releva que si Monsieur … avait fait état d’arrestations de masse en 2012 à la suite de faits remontant à 2008, il n’y aurait, d’après les recherches effectuées par les services du ministre, pas eu de vagues d’arrestations au Soudan en 2012, alors qu’une telle vague aurait bien eu lieu en 2008 après une attaque du Mouvement de la justice et de l’égalité dans la région de Khartoum. Par la suite, il n’y aurait plus eu de telles vagues d’arrestations à Khartoum ayant ciblé des personnes appartenant à des tributs minoritaires et d’origine africaine provenant du Darfour, tels que notamment les Zaghawa, le ministre se référant, à cet égard, à des sources internationales. S’y ajouterait que la ville dans laquelle Monsieur … déclare avoir été arrêté aurait connu le plus faible nombre d’incidents dans tout le Soudan en 2012.
D’autre part, le ministre considéra comme peu crédible que Monsieur … ait été arrêté en 2012 pour des faits remontant à 2008, alors qu’il n’aurait jamais attiré l’attention des autorités soudanaises ou ait été dans le collimateur de celles-ci.
En conclusion, le ministre mit en doute le fait que Monsieur … ait été arrêté à … et accusé par les autorités soudanaises d’être un sympathisant du Mouvement de la justice et de l’égalité.
Le ministre fit ensuite état d’incohérences concernant l’itinéraire de fuite, (i) en reprochant à Monsieur … d’avoir changé de version concernant son itinéraire à chaque fois qu’il était questionné, et (ii) en affirmant qu’il ne serait pas crédible qu’il se serait trouvé en Israël et que de ce fait il ait à craindre quelque chose de la part des autorités soudanaises. A cet égard, le ministre releva, d’une part, qu’à défaut de posséder un passeport, le demandeur n’aurait pu entrer en Israël que de manière illégale, alors que, d’après le ministre, il serait peu crédible que celui-ci ait pu traverser la frontière sans document d’identité au regard des dispositifs protecteurs des frontières mis en place par Israël, et, d’autre part, qu’à défaut de passeport susceptible de documenter un éventuel séjour en Israël et à défaut de relations diplomatiques entre Israël et le Soudan, il serait encore peu crédible que les autorités soudanaises soient au courant d’un séjour en Israël en cas de retour par Monsieur … dans son pays d’origine.
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d'instance, principalement à la réformation et subsidiairement à l'annulation de la décision de refus de lui accorder une protection internationale et à la réformation de l'ordre de quitter le territoire.
1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 24 décembre 2019, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur déclare être de nationalité soudanaise, de confession musulmane et d’ethnie Zaghawi. Il explique que son père aurait été arrêté en 2012 par la police pour avoir été soupçonné d’appartenir ou du moins de soutenir le Mouvement de la justice et de l’égalité opposé au gouvernement soudanais. Lui-même et ses trois frères auraient également été arrêtés par la police et interrogés, interrogatoires lors desquels ils auraient été battus et torturés. Ils auraient été libérés séparément après quelques mois puis à nouveau arrêtés, battus et torturés. Le demandeur déclare finalement avoir été libéré grâce à son oncle qui aurait payé pour sa libération. Ses deux autres frères … et … auraient réussi à s’évader de la prison et auraient fui en Egypte, … ayant décidé de partir en Israël et … en Ouganda. Lui-même et son frère … auraient également fui le Soudan pour la Libye, puis l’Égypte et se seraient séparés par la suite, le demandeur ayant désiré rejoindre … en Israël, … étant resté en Egypte pour finalement mourir lors de la traversée de la Méditerranée.
Le demandeur explique qu’à l’aide d’un passeur, il aurait réussi à entrer en Israël par les montagnes où il n’y aurait pas eu d’enclaves ou de murs bardés de barbelés. Finalement, après 12 jours, il aurait été rattrapé par l’armée israélienne et placé dans un centre de rétention pendant 27 jours avant d’être reconduit à la frontière égyptienne. En Egypte, il aurait été emprisonné pendant six mois et se serait rendu une nouvelle fois en Libye, où il aurait vécu pendant trois ans. De là, il serait allé en Tunisie pour trois mois et, à défaut de moyens pour survivre, il se serait encore une fois rendu en Libye pendant un an et 5 mois avant d’embarquer pour l’Italie où il aurait séjourné pendant 15 jours, puis vers la France où il serait resté 21 jours, ensuite vers l’Allemagne où il serait resté durant 3 mois, pour retourner en France à Calais où il serait resté pendant 6 mois, le demandeur déclarant que son objectif aurait été celui de rejoindre le Royaume Uni, ce qu’il ne serait toutefois pas parvenu à faire, de sorte qu’il se serait finalement rendu au Luxembourg où il aurait déposé une demande de protection internationale.
En droit, le demandeur estime que les conditions d’octroi du statut de réfugié seraient réunies dans son chef en passant en revue les articles 37, alinéas 3 et 5, et 42 de la loi du 18 décembre 2015, de même que l’article 1er, section 1, paragraphe 2 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Il reproche au ministre d’avoir basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits, sans avoir cherché à savoir si les faits avancés par lui établissent une crainte fondée de persécutions dans son pays d’origine en raison d’un des critères de la Convention de Genève, le ministre s’étant limité à affirmer que son récit n’était pas crédible.
Pour justifier sa demande en obtention du statut de réfugié, le demandeur se prévaut, d’une part, d’arrestations arbitraires qu’il aurait subies et, d’autre part, des conséquences qu’il craint de son séjour en Israël.
En ce qui concerne ses craintes tirées des arrestations arbitraires qu’il aurait subies, le demandeur réitère que son père aurait été arrêté par la police, laquelle aurait successivement arrêté ses frères et lui-même pour les garder en détention à la prison de Al Houda pendant plusieurs semaines, voire des mois pour les interroger et les libérer ensemble, respectivement séparément et les arrêter une nouvelle fois ensemble, respectivement séparément, le demandeur précisant que lui-même n’aurait pu sortir de prison que grâce à l’intervention de son oncle ayant payé une caution.
Ce serait en raison de ces arrestations arbitraires et des actes de torture, dont lui-même et ses frères auraient fait l’objet, que lui-même et ses frères auraient décidé de fuir, le demandeur expliquant qu’il aurait organisé son voyage grâce à son oncle qui aurait payé un passeur.
Tout en admettant que des enlèvements massifs en relation avec le Mouvement de la justice et de l’égalité se seraient déroulés en 2008, le demandeur donne à considérer que ce serait un fait que la police continuerait à opérer des arrestations arbitraires encore aujourd’hui.
Dès lors, il ne serait pas impossible qu’il ait pu vivre les événements décrits par lui sans que cela n’ait été relaté par les journaux ou par des organisations internationales. A cet égard, le demandeur se réfère à une source internationale citée par le ministre dont le demandeur déduit qu’il y aurait eu toujours des arrestations arbitraires sans pour autant qu’elles ne soient aussi importantes comparées à celles de 2008.
Ensuite, le demandeur fait valoir qu’il serait logique qu’il aurait éprouvé des difficultés pour se rappeler des dates et des durées précises des arrestations et libérations successives et répétées dont lui-même, son père et ses frères auraient fait l’objet, dans la mesure où ces arrestations n’auraient jamais été simultanées.
S’y ajouterait qu’il aurait été interrogé sous la torture et qu’il en serait sorti traumatisé.
De même, il conviendrait de tenir compte de son très jeune âge au moment des faits.
Dès lors, le demandeur reproche au ministre de ne pas comprendre la situation de détresse psychologique dans laquelle il se serait retrouvé.
En ce qui concerne les conséquences que le demandeur craint de son séjour en Israël, il donne à considérer que l'objet de l'audition d'un demandeur de protection internationale serait de lui permettre d'expliquer les raisons pour lesquelles il a demandé cette protection et celles pour lesquelles son pays d'origine n'a pas pu lui apporter cette protection. Suivant le demandeur, l'essentiel de l'audition se baserait sur des faits se rapportant au pays d'origine du demandeur de protection internationale, dans son cas le Soudan, tandis que les autres éléments sans relation avec le Soudan ne seraient que survolés et ne seraient jamais traités minutieusement et en détail.
C'est ce qui lui aurait été expliqué au moment où il a relaté son voyage jusqu'en Europe, de sorte qu’il n'aurait pas cru, à juste titre, devoir donner toutes les précisions que le ministre semblerait vouloir connaître a posteriori, tel que cela ressortirait de la décision déférée.
Le demandeur explique avoir quitté le Soudan pour la Libye, puis serait allé en Israël rejoindre son frère …. Il aurait été placé par les autorités israéliennes dans un centre de rétention pendant 27 jours, puis reconduit à la frontière égyptienne où les militaires égyptiens l'auraient incarcéré pendant 6 mois.
Le demandeur critique qu'à aucun moment l'agent en charge de l’entretien, ni d'ailleurs son mandataire de l'époque, n'auraient trouvé utile de lui demander comment s'était déroulée la traversée de la frontière égyptienne ou israélienne et par où il serait passé pour entrer en Israël.
Le demandeur donne encore à considérer qu'il connaîtrait l'existence d'un mur bardé de barbelés le long de la frontière israélienne ou égyptienne. Néanmoins, ce mur n'empêcherait pas l'entrée de migrants mais aurait seulement tendance à en ralentir le flux, cela d'autant plus que lui-même, tout comme son frère, auraient fait appel aux services d'un passeur qui l’aurait fait passer par les montagnes où il n'y aurait pas le mur évoqué par le ministre.
Par ailleurs, le nombre d'Erythréens ayant réussi à entrer clandestinement en Israël prouverait à suffisance que les frontières ne seraient pas imperméables.
Le demandeur insiste ensuite sur sa crainte que les autorités soudanaises auraient pu avoir connaissance de son séjour en Israël. A cet égard et face aux interrogations du ministre quant au sérieux de sa crainte, le demandeur explique qu'après son « arrestation » pendant 27 jours en Israël, il aurait été renvoyé à la frontière égyptienne où des militaires égyptiens l'auraient accueilli, enregistré et emprisonné pendant 6 mois. Il poursuit que le Soudan et l'Egypte entretiendraient de très bonnes et étroites relations diplomatiques, de sorte qu’il ne serait pas difficile pour les autorités soudanaises d’avoir des informations des autorités égyptiennes concernant son séjour en Israël.
Par ailleurs, le demandeur se réfère à un article publié en octobre 2013 à propos de Soudanais du Sud récemment retournés au Soudan et suivant lequel un certain nombre de personnes seraient mortes peu de temps après leur retour au Soudan du Sud.
Le demandeur déduit de l'ensemble de ces considérations que son récit serait parfaitement crédible.
En ce qui concerne la réalité de ses craintes, le demandeur reproche encore au ministre de s'être arrêté au constat d'un défaut de crédibilité, alors que lui-même craindrait pour sa vie et pour celle de sa famille.
Il poursuit que dans son cas, ses agresseurs devraient être considérés comme des agents de persécution au sens des dispositions de l'article 39 de la loi du 18 décembre 2015, tout en concluant que l'ensemble des faits exposés par lui constitueraient des éléments pertinents et légitimes l'ayant poussé à fuir son pays d'origine.
En ce qui concerne la protection subsidiaire, le demandeur cite les dispositions des articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015 et se prévaut, par ailleurs, d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 17 février 2009, numéro Khartoum, à propos de l'appréciation de l'existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un demandeur de protection subsidiaire.
Il se prévaut encore d'un article de presse du 25 avril 2018, intitulé « Soudan : les demandeurs d'asile torturés dans leur pays après avoir été expulsés par la France », à propos de reproches de torture dont auraient fait l'objet des opposants politiques retournés au Soudan et à propos de la possibilité accordée par différents pays européens à des agents soudanais de pénétrer dans leurs centres de rétention et d’interroger des demandeurs d'asile soudanais, alors que ces agents auraient été des membres de force de l'ordre soudanais, cet article faisant référence à une collaboration étroite avec la dictature soudanaise d'Omar El Bechir.
De l'ensemble de ces considérations qui précèdent, le demandeur estime qu'il répondrait aux conditions reprises aux articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu'il est d'avis qu’il existerait des motifs avérés et sérieux de croire que lorsqu'il est renvoyé dans son pays d'origine, il courait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 2, point b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal relève de prime abord que les faits relatés par le demandeur et qui se sont déroulés dans des pays autres que son pays d’origine, à savoir le Soudan, respectivement durant son trajet pour venir au Luxembourg, aussi éprouvant que ce parcours puisse avoir été, ne sauraient être pris en compte pour apprécier le bien-fondé de sa demande de protection internationale, seuls les faits qui se sont déroulés au Soudan, dont il déclare être originaire, étant susceptibles d’être pertinents.
S’agissant des faits qui se sont déroulés au Soudan et des craintes que le demandeur en déduit en cas de retour, le tribunal relève de prime abord que c’est à tort que le demandeur reproche au ministre un examen artificiel et superficielle de sa demande de protection internationale au motif que le ministre a refusé l’octroi d’une protection international sur base du seul constat d’un défaut de crédibilité de son récit.
En effet, encore que le ministre n’a pas examiné le bien-fondé de la demande de protection internationale, il a procédé à un examen détaillé des déclarations du demandeur pour ensuite conclure à un manque de crédibilité du récit et des craintes du demandeur, étant relevé que l’examen de la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question si le demandeur a ou non des raisons de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs visés par la Convention de Genève ou craint à juste titre des atteintes graves.
A cet égard, il y a également lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.
Or, force est au tribunal de partager les doutes du ministre en ce qui concerne la crédibilité du récit livré par le demandeur, sans que le bénéfice du doute puisse jouer.
Le tribunal relève de prime abord que compte tenu de son jeune âge à l'époque, le demandeur ayant été âgé de … ans en 2012 et en raison de la circonstance avancée par le demandeur que son père, lui-même et ses frères auraient été emprisonnés et libérés successivement voire simultanément, de même que compte tenu du temps qui s'est écoulé entre les faits qui se seraient déroulés en 2012 et son audition en 2018, il est concevable que le demandeur ait pu ne pas se souvenir avec certitude et la précision requise des dates exactes des emprisonnements respectifs de lui-même, ses frères et de son père. Le tribunal peut encore concéder qu'au regard du nombre important de pays par lequel le demandeur est passé, que celui-ci ait encore pu s'embrouiller en ce qui concerne la chronologie exacte des pays à travers lesquels il est passé, voire ait pu oublier de mentionner l'un des pays dans lequel il est passé pour rectifier par la suite cet oubli. Le tribunal concède encore qu'il ait été possible que le demandeur ait pu traverser grâce à l'aide de passeurs la frontière égypto-israélienne sans passer forcément par des endroits plus sécurisés de la frontière. Enfin, le fait qu'il y avait en 2008 des arrestations en masse n'exclut a priori pas qu’en 2012, la famille du demandeur ait pu faire l'objet d'arrestations.
Or, ces explications fournies par le demandeur sont insuffisantes pour invalider le constat du ministre que son récit manque de crédibilité.
En effet, le tribunal est de prime abord amené à rejoindre le constat du ministre suivant lequel le comportement du demandeur depuis qu'il a quitté son pays d'origine en 2012 jusqu'au dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg le 6 mars 2018, n'est que difficilement compatible avec une personne qui craint pour sa vie ou pour son intégrité physique dans son pays d'origine sans obtenir une protection des autorités de ce pays, alors qu’il peut être raisonnablement supposé qu'une personne ayant fui son pays d’origine par peur de persécutions ou d’atteintes graves s'adresse aux autorités du premier pays sûr dans lequel elle arrive pour demander une protection internationale.
Force est ainsi de constater, et cela indépendamment des divergences relevées par la partie étatique quant à la chronologie des pays dans lesquels le demandeur a séjourné avant de déposer une demande de protection internationale au Luxembourg, que suivant le dernier état des conclusions du demandeur, celui-ci aurait quitté le Soudan en 2012 pour aller en Libye, puis en Egypte. Il serait passé ensuite en Israël, pays dont il aurait été expulsé pour être reconduit en Egypte. Puis il se serait rendu une nouvelle fois en Libye où il aurait vécu pendant trois ans. Il serait resté en Tunisie pendant 3 mois, serait retourné en Libye pour y rester un an 1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 135 et les autres références y citées.
et 5 mois pour ensuite se rendre en Italie où il serait resté pendant 15 jours, puis en France où il serait resté pendant 21 jours, en Allemagne, où il serait resté pendant 3 mois, pour finalement retourner en France où il serait resté pendant 6 mois avec l'objectif final de rejoindre le Royaume-Uni. Ce n'est qu’en juillet 2017 qu'il a déposé une demande de protection internationale en Allemagne, soit cinq ans après avoir quitté son pays d'origine D'autre part, le tribunal relève encore certaines incohérences en ce qui concerne la présentation des motifs à la base de sa demande de protection internationale en tant que telle.
En effet, si, suivant la requête introductive d'instance, le demandeur fait état de deux ordres de craintes, à savoir, d'une part, les craintes qu'il déduit des arrestations que lui-même et son père et ses frères auraient subies en 2012, et, d'autre part, les craintes qu'il déduit d'un passage en Israël en 2012, le tribunal constate qu’il a déclaré le 6 mars 2018 au service de la police judiciaire que « Ich habe mein Heimatland auf Grund von dortigen Problemen verlassen. Mein Problem ist, dass ich den Sudan in Richtung Israël verlassen habe». Ensuite suivant la fiche manuscrite signée par le demandeur le 6 mars 2018, il a indiqué que « les raisons pour lesquelles j'ai quitté mon pays, c'est parce que j’ai des problèmes avec le gouvernement et non pas pour autre chose. » En ce qui concerne les craintes que le demandeur déduit d'un passage en Israël, le tribunal relève de prime abord que si, tel que cela a été retenu ci-avant, il est concevable, au regard du nombre important de pays que le demandeur a traversés, qu’il ait à un moment donné omis d’en mentionner un lors de ses auditions, il n'en reste toutefois pas moins que le demandeur a, lors de son audition du 5 septembre 2018, omis de mentionner son passage en Israël, passage dont il déduit pourtant justement l'une de ses craintes. Or, il n’est guère crédible qu’un demandeur de protection internationale « oublie » de mentionner justement un passage dans un pays qui serait pourtant à l’origine de ses craintes.
Ensuite, encore que l'entretien auprès de la police n'a pas pour objet de permettre au demandeur d'expliquer en détail les raisons de sa demande de protection internationale et que la fiche de motifs manuscrite qu'il a signée n'a pas non plus pour objet de lui permettre d'indiquer de façon exhaustive et dans le moindre détail des difficultés qu'il a éprouvées dans son pays d'origine, il n'en reste toutefois pas moins que les indications faites par le demandeur, suivant la note manuscrite du 6 mars 2018, sont particulièrement vagues en ce qu’il y fait référence de manière tout à fait générale à des « problèmes avec le gouvernement » sans faire mention des arrestations et tortures qu’il déclare avoir subies et dont il tire principalement ses craintes en cas de retour dans son pays d'origine.
D'autre part, le tribunal constate que les déclarations faites par le demandeur à la police étaient aussi vagues et générales, le demandeur n’ayant d'ailleurs mentionné qu'un seul problème, à savoir celui qu'il aurait quitté le Soudan pour l'Israël. Ce n'est que lors de son audition en septembre 2018 qu'il a fait état d’arrestations de lui-même et de ses frères et de son père par les autorités soudanaises en 2012, occasion à laquelle il ne mentionne des craintes en cas de retour au Soudan en raison d'un séjour en Israël uniquement de façon incidente et uniquement par rapport à son frère.
Le tribunal constate encore que de manière générale, le demandeur s’embrouille dans ses explications en ce qui concerne la chronologie et la durée respective de son propre emprisonnement respectivement de celui de son père et de ses frères, de même que sur les conditions de la libération et la concordance de ces durées avec la date affirmée à laquelle il aurait quitté son pays d'origine et que confronté par l'agent à ces incohérences, le demandeur rectifie à chaque fois son récit. S'il est vrai, tel que cela a été retenu ci-avant, une certaine incohérence à cet égard pourrait être attribuée au jeune âge du demandeur, au fait que 6 ans se sont déroulés entre les faits allégués et son audition, de même qu’au fait qu'il y aurait eu des arrestations successives respectivement simultanées des différents membres de sa famille, il n’en reste toutefois pas moins que combiné avec les autres incohérences reprochées au demandeur et au fait que son comportement depuis son départ de son pays d'origine en 2012 ne correspond a priori pas à une personne désireuse de chercher une protection internationale dans le premier pays sûr dans lequel il arrive, les incohérences relevées par le ministre en ce qui concerne les conditions de l'incarcération et les arrestations du demandeur sont de nature à semer le doute quant à la crédibilité générale du récit.
Cela est d'autant plus vrai que les explications fournies par le demandeur ne sont pas concordantes avec les informations générales disponibles et relevées par le ministre, dans la mesure où suivant les explications concordantes des parties à l'instance, sources internationales à l'appui, il y avait effectivement en 2008 des vagues d’arrestations dans tout le Soudan en relation avec le Mouvement de la justice et de l'égalité. Néanmoins, les sources citées par la partie étatique de 2016 ne font pas état par la suite de telles arrestations arbitraires généralisées.
Si certes les sources citées par le ministre n'excluent pas l'existence d'arrestations arbitraires en tant que telles, le tribunal relève néanmoins que suivant les explications fournies par le demandeur, les arrestations dont il fait état se seraient justement inscrites dans le contexte d'arrestations généralisées, dans la mesure où il explique que la police serait venue prendre dans chaque maison de sa ville un membre de la famille.
En tout état de cause et même au-delà de toute considération quant à la crédibilité du récit du demandeur et indépendamment de la gravité des faits et de leur qualification en tant que persécutions ou atteintes graves, le tribunal relève que la question essentielle qui se pose en l’espèce et qu’il est amené à examiner dans le cadre du recours en réformation dont il est saisi, est celle de savoir quels sont les risques encourus par le demandeur s’il retourne actuellement dans son pays d’origine et plus particulièrement s’il existe encore actuellement un risque réel et sérieux qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il a à craindre des persécutions ou atteintes graves en relation avec les faits avancés par lui à l’appui de sa demande de protection internationale.
Tel que relevé ci-avant, le demandeur fonde ses craintes de subir des persécutions ou des atteintes graves, d’une part, sur des arrestations dont aurait été victime sa famille en 2012 en raison du fait que les autorités policières soudanaises leur auraient attribué des liens avec un mouvement oppositionnel au régime au pouvoir à l’époque, en l'occurrence le régime du président El Béchir, et, d’autre part, sur des poursuites supposées du même gouvernement en raison d’un passage en Israël.
Or, tel que le tribunal l’a relevé dans divers jugements récents à propos de la situation générale au Soudan, le président Omar El Béchir a été destitué par l’armée en avril 2019 et un gouvernement de transition a été mis en place, puis un gouvernement en février 20202. Dans ces conditions, les craintes dont fait état le demandeur doivent être examinées au regard des changements politiques intervenus entre-temps au Soudan depuis le mois d'avril 2019, et c'est 2 Cf trib. adm. 18 mai 2020, n° 42467 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 13 octobre 2020, n° 44570C du rôle ; Trib. adm. 16 novembre 2020, n° 42479 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 25 février 2021, n° 45385C disponibles sous www.jurad.etat.lu.
dans ce contexte que les contestations du ministre quant au sérieux des craintes du demandeur doivent être placées.
Encore qu’au moment du dépôt du présent recours en janvier 2020, le gouvernement du président El Béchir était destitué depuis presque un an, le demandeur s’est limité à prendre position sur la question de la crédibilité de ses craintes au regard du régime ayant existé au moment où il a quitté son pays d'origine en 2012, à savoir le régime du président entretemps destitué El Béchir, mais il n'a fourni aucun élément permettant de retenir que les craintes basées sur ces faits, même à les supposer avérés, sont toujours d’actualité à la suite de la destitution du régime qu’il déclare craindre.
En l’occurrence, le demandeur est resté en défaut de fournir au tribunal des explications actualisées sur la situation générale au Soudan, voire de produire des pièces actualisées afin de justifier que ses craintes sont toujours d’actualité, malgré la disparition du régime politique dont il déclare craindre des poursuites. En ce qui concerne la situation générale existant au Soudan, le demandeur se limite à invoquer un article de presse d’avril 2018, partant d’avant la destitution du gouvernement El Béchir, à propos d’agissements de ce même gouvernement.
Le constat s’impose dès lors que celui-ci n’a pas soumis au tribunal des explications suffisantes permettant de retenir que malgré les changements politiques fondamentaux intervenus au Soudan en avril 2019, il encourt toujours actuellement un risque de subir des persécutions ou atteintes graves de la part des services du gouvernement soudanais en cas de retour dans son pays d’origine.
S’agissant de l'article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, dont le demandeur ne s'est même pas prévalu, le tribunal est amené à retenir que le demandeur ne lui a soumis pas d'éléments permettant de retenir l’existence à l'heure actuelle au Soudan d'une situation de violence aveugle en cas de conflit armé au sens de cette disposition, en ce sens qu'il y aurait des sérieux motifs de croire que du seul fait de sa présence sur place, le demandeur y encourait un risque d'être exposé à une menace grave contre sa vie ou contre sa personne au sens de l’article 48, point c) précité .
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, le tribunal est dès lors amené à conclure que la crainte dont le demandeur fait état n’est pas de nature à justifier dans son chef l’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.
2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Le demandeur affirme que l’ordre de quitter le territoire serait à réformer puisqu’un retour dans son pays l’exposerait à des conséquences graves.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, et qu’il n’est pas établi que le demandeur ait à craindre des persécutions ou atteintes graves en cas de retour au Soudan, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 24 décembre 2019 portant rejet d’une de protection internationale ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire dirigé contre cette décision ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond le dit non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 mai 2021 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 mai 2021 Le greffier du tribunal administratif 14