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29/04/2021 | LUXEMBOURG | N°43983

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 avril 2021, 43983


Tribunal administratif N° 43983 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2020 2e chambre Audience publique du 29 avril 2021 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 43983 du rôle, et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 janvier 2020 par Maître Natacha Stella, avocat à la Cour, inscrite au tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … et Monsieur …, demeurant tous...

Tribunal administratif N° 43983 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2020 2e chambre Audience publique du 29 avril 2021 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 43983 du rôle, et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 janvier 2020 par Maître Natacha Stella, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … et Monsieur …, demeurant tous les deux à L - …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 3 octobre 2019 portant rejet de leur demande en remise gracieuse au sujet de leur imposition pour l’année 2013 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2020 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 mars 2020 par Maître Natacha Stella au nom de ses mandants ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 mai 2020 ;

Vu circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 prise dans le cadre de la reprise de l’activité du tribunal administratif dans le contexte du dé-

confinement ;

Vu l’information de Maître Natacha Stella suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en sa plaidoirie à l’audience publique du 30 novembre 2020.

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Il ressort d’un extrait de compte du service de recette, Bureau …, de l’administration des Contributions directes du 30 septembre 2019, que Madame … et Monsieur …, ci-après désignés par « les époux … », redoivent à l’administration des Contributions directes la somme totale de … euros au titre de l’impôt sur le revenu des années d’imposition 2013 à 2018.

Par courrier réceptionné par la direction de l’administration des Contributions directes en date du 26 juin 2019, les époux … introduisirent auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur », une demande de remise gracieuse visant l’année d’imposition 2013 dans les termes suivants : « (…) Sujet: Demande de remise gracieuse dette fiscale épouse ….

Madame, Monsieur, J'ai bien reçu votre courrier en date du (19/06/2019) m'informant des montants à payer en raison d'une dette fiscale concernant mon ancienne activité comme travailleur indépendant/commerçant.

Dans un premier temps, je tenais à porter à votre attention que je suis actuellement dans une procédure active de surendettement car justement je n'ai plus les moyens de faire face à cette situation et donc d'honorer mes dettes auprès des administrations des contributions directes.

Par conséquent, je voudrais solliciter votre bienveillance concernant le fait que ce courrier a été adressé également au nom de mon épouse Madame …, cela signifie donc que mon épouse … est redevable de cette dette. Hors, je vous demanderais de prendre en compte les éléments expliqués ci-dessous avant de réévaluer cette situation qui nous semble mal fondée:

Ma femme … par du fait de sa condition de personne sans emploi durant cette période (2012 et 2018) ne peut être donc ni à l'origine, ni responsable non plus des dettes générées en mon nom propre (…), dans la mesure où en effet ces dettes découlent directement et exclusivement de mon ancienne activité comme travailleur indépendant/commerçant. D'ailleurs, à aucun moment, elle n'est intervenue dans mon ancienne activité, elle n'a pas non plus pas profitée et ce sous n'importe quelle forme ou manière, de cette activité, et ou des revenus en émanant, de surcroit je tiens à souligner qu’elle était sans revenu à cette époque. De plus, dans notre contrat de mariage datant du …, il est inscrit à l'article 1er paragraphe 4 « Les époux ne seront pas tenus des dettes l'un vers l'autre crées avant ou après le mariage » L'article 4 paragraphe 5 du même contrat stipule aussi que « toutes les dettes fiscales seront supportées uniquement par Monsieur …… ». A ce titre je vous joins en annexe les différents éléments et pièces justificatives nécessaires.

Dans la présente situation, Monsieur le directeur, nous souhaiterions faire appel à votre indulgence et compréhension, en vous demandant une remise gracieuse afin d'accorder et reconnaître officiellement que les dettes générées en mon nom propre comme travailleur indépendant/commerçant doivent être uniquement supportées par moi-

même Monsieur …, et donc a fortiori de retirer ma femme de cette procédure de recouvrement fiscal, et ainsi que de toutes communications officielles s'agissant du même sujet.

Je vous remercie par avance de l'attention que vous voudrez bien porter à notre requête, et vous prie de croire, Madame, Monsieur le Directeur, en l'expression de nos sentiments les plus distingués. (…) » Par décision du 3 octobre 2019, répertoriée sous le numéro de rôle …, le directeur rejeta la demande de remise gracieuse aux motifs suivants : « (…) Vu la demande présentée le 26 juin 2019 par les conjoints … et …, demeurant à L-… ayant pour objet une remise d'impôt par voie gracieuse de l'année 2013 ;

Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu'il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;

Considérant que d'après le paragraphe 131 AO une remise gracieuse n'est envisageable que dans la mesure où la perception d'un impôt dont la légalité n'est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l'équité soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;

Considérant que la demande tend à ce que la dame … ne soit pas solidairement tenue avec son conjoint de la dette fiscale de l'année d'imposition 2013 ;

Considérant que pour l'année 2013 les requérants ont expressément et délibérément opté pour l'imposition collective au sens de l'article 3bis LIR dans leur déclaration fiscale ;

Considérant qu'en vertu du paragraphe 7 de la loi d'adaptation fiscale (Steueranpassungsgesetz) le recouvrement des impôts s'opère auprès des époux ayant tous les deux le statut de codébiteurs solidaires ;

Considérant donc qu'une rigueur objective n'a pas pu être constatée en l'espèce ;

Considérant qu'une remise pour rigueur subjective n'est justifiée que si la situation du contribuable est telle que le paiement de l'impôt compromet son existence économique et le prive de moyens de subsistance indispensables ;

Considérant que le demandeur reste en défaut d'apporter la preuve de la réunion des conditions d'une rigueur subjective ;

Considérant qu'une rigueur excessive, incompatible avec le principe d'équité au sens du paragraphe 131 AO, ne peut être admise au vu de la motivation présentée ;

Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ;

PAR CES MOTIFS, DÉCIDE :

La demande en remise gracieuse est rejetée. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2020, les époux … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur du 3 octobre 2019 portant rejet de leur demande en remise gracieuse.

A l’appui de leur recours, les époux … expliquent que Monsieur … aurait été engagé comme salarié consultant informatique par la société … à compter du mois de juin 2012.

Suite à la révélation d’une fraude fiscale de grande ampleur dans le chef de l’employeur de Monsieur …, des bulletins d’impôts sur le revenu des personnes physiques concernant les années 2012 et 2013 auraient été émis en date du 11 février 2015. Une partie des revenus professionnels de Monsieur … s’élevant respectivement à … et … euros auraient été imposés comme résultant du bénéfice de l’exercice d’une profession libérale.

Les demandeurs ne contestent pas que Monsieur … ait perçu ces revenus dans le cadre de son activité pour la société …, ils s’opposent néanmoins avec véhémence à la qualification en tant que revenus provenant de l’exercice d’une profession libérale attribuée par l’administration fiscale, étant donné que Monsieur … aurait toujours exercé ses fonctions en qualité de salarié sous la subordination juridique de son employeur. Il aurait ainsi entamé une procédure de réclamation contre les bulletins d’imposition émis au titre des années 2012 et 2013, qui aurait en date du 26 octobre 2016 abouti à deux décisions directoriales inscrites sous les numéros … et …. Or, il n’aurait déposé aucun recours contentieux contre ces décisions en raison d’un jugement du tribunal administratif du 30 juin 2017 concernant un litige similaire. Les bulletins d’imposition des années 2012 et 2013 seraient ainsi devenus définitifs.

Monsieur … aurait été sommé de régler les impôts sur le revenu d’un montant de … euros et le Centre commun de la Sécurité sociale et l’administration de l’Enregistrement et des Domaines lui auraient réclamé les sommes qu’ils estimaient redues au titres de sa prétendue activité indépendante, de sorte que les époux … se seraient retrouvés forcés de lancer une procédure de surendettement à la fin de l’année 2018, respectivement au début de l’année 2019.

Suite à une sommation à tiers détenteur pratiquée sur leurs comptes en date du 19 juin 2019, les époux … auraient introduit une demande de remise gracieuse.

En droit et en ce qui concerne la rigueur objective, les demandeurs rappellent les circonstances ayant mené au redressement fiscal, notamment que certains des revenus de Monsieur … n’auraient pas été déclarés par son employeur. Ils expliquent ainsi que les revenus de Monsieur … auraient été imposés comme revenus provenant de l’exercice d’une profession libérale au titre des années 2012 et 2013. Ils considèrent qu’aucune mauvaise foi dans le chef de Monsieur … ne saurait être retenue alors que tous les paiements dont il aurait fait l’objet au titre des années 2012 et 2013 auraient été effectués dans leur intégralité sur initiative de son ancien employeur. Ils font valoir n’avoir eu aucune connaissance ni conscience de la fraude opérée par l’employeur de Monsieur ….

En tant que salarié de la société …, Monsieur … aurait supposé être imposé à la source, et n’aurait ainsi en toute légitimité pas rempli de déclaration fiscale relative aux revenus litigieux. Ils arrivent dès lors à la conclusion que la situation dans laquelle ils se trouveraient serait exclusivement imputable aux agissements de la société Connexion.

Les demandeurs insistent sur le fait que Madame … serait totalement étrangère à ces faits directement liés à l’activité professionnelle de Monsieur … et ils citent les articles 1er et 4 de leur contrat de mariage du ….

En ce qui concerne la rigueur subjective, les époux … soulignent être dans une situation financière catastrophique en se référant notamment à la procédure de surendettement dont ils feraient l’objet et qui aurait été acceptée. Le recouvrement de l’impôt compromettrait ainsi de façon indéniable leur existence économique et les priverait de moyens de subsistance indispensables.

Le délégué du gouvernement, de son côté, conclut à la confirmation de la décision directoriale déférée et en conséquence au rejet du recours tel que formulé par les demandeurs. Il donne encore à considérer que la demande de remise gracieuse des demandeurs du 24 juin 2019 viserait seulement à ce que Madame … ne soit pas imposée collectivement avec son époux et qu’abstraction soit faite de la solidarité afin de la décharger de la dette fiscale indiquée dans la sommation à tiers détenteur du 19 juin 2019. Selon le délégué du gouvernement, Monsieur … n’aurait à aucun moment demandé une remise devant le directeur, seule Madame … aurait demandé d’être déchargée des impôts de l’année 2013. Dans la mesure où Monsieur … demanderait pour la première fois la décharge de l’impôt dans le cadre de son recours contentieux, le recours serait à déclarer irrecevable omisso medio dans le chef de Monsieur ….

Les demandeurs pour leur part citent le début de leur demande gracieuse et considèrent que Monsieur … aurait clairement exprimé son incapacité à payer sa dette et aurait par voie de conséquence sollicité une remise, a minima de façon implicite, puisqu’il s’agirait précisément de l’objet de son courrier, de sorte que sa demande serait recevable.

Les demandeurs contestent ensuite que la jurisprudence invoquée par la partie étatique serait transposable à leur cas d’espèce et ils réitèrent que ce ne serait pas la perception des sommes qui serait contestée mais leur qualification en tant que revenus provenant d’une activité d’indépendant qui selon la jurisprudence précitée du 30 juin 2017 concernant des faits similaires aboutirait à une solution contraire à la volonté du législateur.

Concernant la notion de subjectivité, ils se rapportent à leurs développements antérieurs et rajoutent que Madame … exercerait une activité salariée pour laquelle elle percevrait le salaire social minimum et se trouverait ainsi dans l’incapacité de rembourser la dette réclamée par l’administration des Contributions directes. Concernant le montant de la dette que le délégué du gouvernement chiffrerait à … euros, ils indiquent que celle-

ci aurait été beaucoup plus élevée et que les remboursements effectués démontreraient de leur bonne foi mais qu’ils seraient dans l’impossibilité d’honorer le solde restant faisant l’objet du présent recours.

Le délégué du gouvernement donne dans son mémoire en duplique encore quelques précisions concernant les remboursements effectués par les époux … et concernant leur situation financière, tout en s’interrogeant sur l’activité exercée par Monsieur …, n’étant âgé que de 41 ans.

En ce qui concerne la recevabilité du recours, force est de prime abord de constater que la demande de remise gracieuse concernant l’année d’imposition 2013 introduite auprès du directeur porte comme sujet « Demande de remise gracieuse dette fiscale épouse ….». Cette demande fait certes référence à la situation financière difficile de Monsieur … mais conclut par « Dans la présente situation, Monsieur le directeur, nous souhaiterions faire appel à votre indulgence et compréhension, en vous demandant une remise gracieuse afin d'accorder et reconnaître officiellement que les dettes générées en mon nom propre comme travailleur indépendant/commerçant doivent être uniquement supportées par moi-même Monsieur …, et donc a fortiori de retirer ma femme de cette procédure de recouvrement fiscal, et ainsi que de toutes communications officielles s'agissant du même sujet. », de sorte que le tribunal partage l’analyse de la partie étatique en ce que la demande de remise gracieuse visait uniquement à décharger Madame … de la dette fiscale générée par son mari et dont elle est solidairement responsable en raison de la déclaration du partenariat du … et du choix d’être imposés collectivement avec Monsieur … au sens de l’article 3bis de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », pour l’année d’imposition 2013.

Le directeur a précisément traité de la question de la solidarité entre partenaires dans sa décision directoriale du 3 octobre 2019 et les contestations y relatives seront analysées au fond dans le cadre du présent recours dirigé contre la décision directoriale déférée. Force est néanmoins encore de constater que les contestations relatives à l’imposition de Monsieur … à titre personnel, ainsi que la demande de remise gracieuse des montants restant à payer dans son chef n’ont pas fait l’objet d’une demande préalable devant le directeur.

Or, aux termes du paragraphe 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » : « Sur demande dûment justifiée du contribuable endéans les délais du paragraphe 153 AO, le directeur de l’Administration des contributions directes ou son délégué accordera une remise d’impôts ou même la restitution, dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable. Cette décision est susceptible d’un recours au tribunal administratif, qui statuera au fond. » Il résulte de cette disposition que le contribuable ne saurait être admis à introduire un recours contentieux devant le tribunal administratif afin de se voir accorder une remise d’impôt ou la restitution des impôts payés, sans avoir, au préalable, introduit une telle demande devant le directeur.

En l’espèce, le recours est partant à déclarer irrecevable omisso medio en ce qu’il tend à la remise gracieuse de l’impôt dans le chef de Monsieur …, le directeur n’ayant point été saisi au préalable de pareille demande de remise gracieuse. Néanmoins, le recours demeure recevable dans son chef pour autant qu’il concerne sa demande de voir son épouse déchargée de la solidarité qui les lie pour le paiement de l’impôt.

En ce qui concerne la recevabilité du recours pour autant qu’il est dirigé contre la décision directoriale du 3 octobre 2019 et portant sur l’année d’imposition 2013 dans le chef de Madame …, le paragraphe 131 AO précité, prévoit un recours de pleine juridiction en la matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre la décision directoriale du 3 octobre 2019.

Le recours principal en réformation introduit contre la décision directoriale du 3 octobre 2019 est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire contre la décision directoriale, précitée.

Aux termes du paragraphe 131 AO, une remise gracieuse se conçoit « dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ».

Il résulte de cette disposition qu’une remise gracieuse n’est envisageable que, soit objectivement ratione materiae, si objectivement l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur, soit subjectivement ratione personae dans le chef du contribuable concerné, si la perception de l’impôt apparaît comme constituant une rigueur incompatible avec le principe d’équité, sa situation personnelle étant telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables.

Une demande de remise d’impôt s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette. La fonction de la remise en équité ne saurait être d’abolir les délais pour exercer un droit1.

1 Trib.adm., 17 octobre 2001, n° 13099 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 727 et les autres références y citées.

Il convient encore de préciser qu’une rigueur objective ne peut pas résulter d’une fausse application de la loi fiscale, étant donné que la voie de la remise gracieuse est exclusive de celle contentieuse de la fixation de l’impôt. Admettre le contraire reviendrait à admettre que l’intégralité du contrôle de la légalité soit reportée dans la procédure de remise gracieuse et toute demande en remise gracieuse devrait dans cette logique aboutir invariablement chaque fois qu’une illégalité est constatée, l’intention du législateur n’ayant jamais pu être d’admettre qu’une imposition soit faite contrairement aux textes ou en méconnaissance de la réalité économique2.

En l’espèce, force est de prime abord de constater que les époux …, bien qu’affirmant le contraire, contestent également la légalité de la fixation de l’impôt en précisant dans leur recours ne pas être d’accord avec la qualification du revenu comme provenant d’une activité indépendante.

Or, Monsieur … a sciemment fait le choix de ne pas introduire de recours contentieux contre la décision directoriale du 26 octobre 2016 et ainsi de ne pas contester la qualification des revenus redressés en tant que revenus provenant d’une activité indépendante dans le délai légal et Madame … a choisi de ne pas introduire de recours contentieux contre le bulletin d’impôt de 2013, de sorte que le bulletin d’impôt sur le revenu de l’année 2013 est actuellement coulé en force de chose décidée, étant rappelé à cet égard qu’une demande de remise gracieuse ne saurait avoir pour effet d’abolir les délais pour exercer les voies de recours légalement ouvertes contre le bulletin d’impôt précité.

De pareilles contestations de la légalité de l’impôt ne sauraient être utilement accueillies pour fonder une quelconque rigueur objective ou subjective.

Ensuite, et en ce qui concerne les éventuelles raisons objectives pouvant justifier une remise gracieuse, il est constant en cause que Monsieur … a touché pendant les années d’imposition 2012 et 2013 de la part de son employeur des revenus supplémentaires officieux et indirects non déclarés par le biais d’une société étrangère en violation des dispositions du Code du travail, revenus, qui ont, suite à une enquête menée envers ledit employeur, fait l’objet d’une imposition de la part de l’administration des Contributions directes. Les demandeurs ne contestent d’ailleurs pas que Monsieur … a perçu ces revenus. Le tribunal ne saurait dès lors déceler dans l’application de la loi une quelconque rigueur objective qui plaiderait en faveur de la remise gracieuse sollicitée par les demandeurs, dans la mesure où l’imposition des personnes ayant touché des revenus provenant de l’exercice d’une profession libérale, tel que c’est le cas en l’espèce, est manifestement dans l’intention du législateur, de sorte que la demanderesse ne peut pas se voir décharger du paiement de l’impôt sur base de cette argumentation. L’application de la législation fiscale ne conduit dès lors pas à un résultat contraire à l’intention du législateur.

2 Trib. adm., 28 janvier 2004, n°16541 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts n° 727 et les autres références y citées.

Cette constatation n’est pas énervée par l’affirmation des demandeurs, suivant laquelle ils n’auraient pas eu connaissance de la fraude, alors que le simple fait d’être de bonne foi ne saurait valoir à l’imposition un caractère inéquitable. Ainsi, le fait que Monsieur … et son épouse affirment ne pas avoir eu connaissance de la fraude effectuée par l’employeur de Monsieur … n’est pas non plus constitutif d’une rigueur objective dans le chef de Madame … puisqu’il n’est certainement pas contraire à la volonté du législateur d’imposer des revenus réellement obtenus même de manière cachée.

Ensuite, Madame … souhaiterait une remise gracieuse des impôts générés par son mari et ainsi être libérée de la solidarité relative au paiement de l’impôt qui la lie à son mari, respectivement partenaire à l’époque des faits. De prime abord, il y a lieu de relever qu’à l’époque de la genèse de cette dette fiscale, Monsieur … et Madame … n’étaient pas mariés mais liés par la déclaration d’un partenariat du …, de sorte que les références aux clauses de leur contrat de mariage du …, indépendamment de la question de leur valeur juridique et de leur opposabilité à l’administration fiscale, manquent de pertinence en l’espèce pour être postérieurs à l’année d’imposition en cause.

En l’espèce, force est donc de constater que le moyen relatif à une prétendue rigueur objective tend en réalité à voir remettre en question la légalité de la fixation de l’impôt, dans la mesure où il vise à remettre en cause la détermination du revenu à imposer, sur base de la considération que les deux partenaires devraient faire l’objet d’une imposition séparée. Il ne s’agit dès lors que de contestations relatives à la légalité de la fixation de l’impôt appelant le tribunal à faire un contrôle virtuel du bien-fondé de l’imposition, mais non pas des considérations tendant à refléter une iniquité de l’obligation de régler la dette fiscale.

Or, à défaut par la demanderesse d’avoir introduit une réclamation dans le délai légal contre le bulletin d’impôt litigieux, celui-ci est actuellement coulé en force de chose décidée, étant rappelé à cet égard qu’une demande de remise gracieuse ne saurait avoir pour effet d’abolir les délais pour exercer les voies de recours légalement ouvertes contre le bulletin d’impôt précité.

De pareilles contestations de la légalité de l’impôt ne sauraient être utilement accueillies pour fonder une quelconque rigueur objective, tel que précisé ci-avant.

A titre superfétatoire, et pour être tout à fait complet, il convient encore de relever qu’aux termes de l’article 3bis LIR, tel qu’appliqué à la demanderesse et à Monsieur … « Sont imposés collectivement, sur demande conjointe et à condition d’avoir partagé pendant toute l’année d’imposition un domicile ou une résidence commun a) les partenaires résidents dont le partenariat a existé du début à la fin de l’année d’imposition;

b) les partenaires qui deviennent contribuables résidents au cours de l’année d’imposition lorsque le partenariat a existé du début à la fin de l’année d’imposition ».

Le paragraphe 7 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, communément appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », dispose dans son alinéa (2) que « Personen, die zusammen zu veranlagen oder gemeinsam zu einer Steuer heranzuziehen sind, sind Gesamtschuldner » et prévoit dans ses alinéas (3) à (5) limitativement les effets de cette solidarité découlant notamment de l’imposition collective des époux.

Il découle de l’article 3bis LIR précité que des partenaires peuvent être imposés collectivement, à condition qu’ils aient formulé une demande conjointe en ce sens et qu’ils aient partagé durant toute l’année d’imposition en question un domicile commun, respectivement une résidence commune, étant encore précisé que pour les partenaires résidents, le partenariat doit avoir existé au début de l’année fiscale et que pour les partenaires devenant résidents fiscaux au cours de l’année d’imposition, le partenariat doit avoir existé du début jusqu’à la fin de la même année.

En l’espèce, il n’est pas contesté que pour l’année d’imposition 2013, la demanderesse et son partenaire ont partagé un domicile commun. Il résulte par ailleurs des pièces versées en cause que la demanderesse et Monsieur … ont conclu leur partenariat le 23 novembre 2012, de sorte que ledit partenariat a existé au début de l’année fiscale litigieuse.

Force est encore de constater qu’il résulte du dossier fiscal versé en cause, et plus particulièrement de la déclaration d’impôt conjointe sur le revenu pour l’année 2013, que Madame … et Monsieur … ont expressément sollicité une imposition conjointe et ce en cochant la case numéro 301 contenant la mention suivante : « Nous demandons l’imposition collective au sens des articles 3 bis et 157ter (5) LIR. Nous déclarons que nous avons partagé un domicile ou une résidence commun et que le partenariat a existé du début à la fin de l’année d’imposition 2013 », ainsi que la mention selon laquelle « La demande est valablement formulée lorsque la présente rubrique "partenaires" est remplie et lorsque la déclaration pour l’impôt sur le revenu est introduite et signée par chacun des partenaires ».

Dans la mesure où la demanderesse a expressément coché la case visant une imposition au sens de l’article 3bis LIR et que la déclaration d’impôt a été signée tant par son partenaire que par elle-même, son consentement à se voir imposer collectivement avec Monsieur … est donné.

Le moyen tenant à une prétendue rigueur objective est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne les éventuelles raisons subjectives pouvant justifier une remise gracieuse, dont l’existence s’apprécie au jour où le tribunal est amené à statuer, il échet de constater qu’il ne saurait y être fait droit que si la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables. Outre son état d’indigence, il faut que le contribuable soit digne de la remise gracieuse, ce qui suppose que sa situation économique difficile ne lui est pas imputable et qu’il a toujours rempli consciencieusement ses obligations fiscales3. En effet, la fonction de la remise en équité ne saurait être de permettre au contribuable, ayant agi fautivement, de se voir libérer de sa charge d’impôt.

En l’espèce, et si les pièces versées en cause par les demandeurs, notamment celles concernant l’admissibilité de Monsieur … à la procédure du règlement conventionnel des dettes en conformité avec la loi du 8 janvier 2013 sur le surendettement, permettent certes a priori d’établir qu’au vu de la situation financière dans laquelle les époux … se trouvent actuellement, le paiement de l’impôt est susceptible d’affecter sensiblement leur existence économique, il n’en reste pas moins que, comme constaté ci-avant, Monsieur … a touché, pendant les années d’imposition 2012 et 2013, des revenus supplémentaires non déclarés à l’administration des Contributions directes, et a ainsi été le bénéficiaire d’un régime d’imposition frauduleux et Madame … n’ayant à cette époque exercé aucune activité rémunérée a indirectement bénéficié de ce montage, de sorte que Madame … n’est pas digne de la remise gracieuse.

Cette constatation n’est pas énervée par l’affirmation des demandeurs, suivant laquelle ils auraient été victimes de l’employeur de Monsieur … et qu’ils auraient été persuadés que l’ancien employeur de Monsieur … aurait pratiqué son activité en toute légalité, étant donné, d’une part, qu’en vertu du principe « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans », nul ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude et, d’autre part, qu’il est en tout état de cause peu probable, voire invraisemblable, que Monsieur … et ainsi sa partenaire, respectivement épouse entretemps, ne se seraient jamais doutés de la légalité du système mis en place par cet employeur, consistant notamment dans le paiement d’un salaire officiel et d’un salaire non-officiel et ayant permis aux époux … de toucher pendant au moins deux années consécutives des sommes d’argent non négligeables qui n’ont pas fait l’objet d’une imposition.

Les époux … n’ont dès lors pas non plus rapporté la preuve d’une rigueur subjective dans le chef de Madame … du fait de l’obligation de paiement de l’impôt dû pour l’année d’imposition 2013.

Ensuite, il y a lieu de constater, à l’instar du délégué du gouvernement, que Madame …, sur laquelle repose la charge de la preuve, se limite à mettre en avant ses prétendues ressources insuffisantes pour assurer les charges de sa vie quotidienne pour le cas où elle devait procéder au remboursement de l’impôt réclamé en soumettant au tribunal un certificat de salaire, de retenue d’impôt et de crédits d’impôt bonifiés de l’année 2019. Elle reste cependant en défaut d’établir plus en avant sa situation globale de fortune et de démontrer que le paiement de l’impôt compromettrait réellement son existence économique.

En l’état actuel du dossier, la demanderesse reste donc en défaut d’étayer concrètement, pièces et chiffres à l’appui, sa situation de fortune exacte, de sorte qu’elle n’a pas mis le tribunal en mesure d’apprécier si le paiement, le cas échéant échelonné, de 3 A. Steichen, Manuel de droit fiscal, Luxembourg, Editions Saint Paul, 2006, Tome 1, p. 746.

la dette d’impôt par elle redue compromet son existence et la prive des moyens de subsistance indispensables.

Dans ces circonstances, la demanderesse n’a pas rapporté à suffisance de droit la preuve d’une rigueur subjective dans son chef du fait de l’obligation de paiement de l’impôt dû pour l’année d’imposition 2013.

Il s’ensuit qu’à défaut de tout autre moyen, aucune rigueur subjective ni objective ne peut être dégagée des éléments du dossier soumis au tribunal, de sorte que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours principal en réformation irrecevable pour autant qu’il tend à la remise gracieuse de l’imposition personnelle de Monsieur … ;

reçoit en la forme le recours en réformation pour le surplus ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Hélène Steichen, premier juge Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 29 avril 2021, par le premier juge, Hélène Steichen, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 avril 2021 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 43983
Date de la décision : 29/04/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-04-29;43983 ?

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