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22/04/2021 | LUXEMBOURG | N°44265

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2021, 44265


Tribunal administratif N° 44265 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mars 2020 2e chambre Audience publique du 22 avril 2021 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre deux décisions du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, en matière de garantie de salaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44265 du rôle et déposée le 10 mars 2020 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée NC Advocat S

ARL, inscrite au barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-8008 Luxembourg...

Tribunal administratif N° 44265 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mars 2020 2e chambre Audience publique du 22 avril 2021 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre deux décisions du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, en matière de garantie de salaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44265 du rôle et déposée le 10 mars 2020 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée NC Advocat SARL, inscrite au barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-8008 Luxembourg, 130, route d’Arlon et immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B236962, agissant par Maître Nadia Chouhad, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 12 décembre 2019 ayant confirmé sur recours gracieux la décision du 2 septembre 2019 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2020 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 23 juillet 2020 par la société NC Advocat SARL, préaqualifiée, au nom de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2020 ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication de Maître Nadia Chouhad du 15 janvier 2021 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en sa plaidoirie à l’audience publique du 18 janvier 2021.

En date du 27 décembre 2016, Monsieur … constitua la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par « la société … », et à la même date, il fut nommé gérant unique de ladite société.

En date du 6 octobre 2017, Monsieur … céda à Monsieur … l’intégralité des parts sociales de la société … et démissionna avec effet immédiat de sa fonction de gérant unique, tout en étant nommé gérant technique de ladite société. A la même date, Monsieur … signa un contrat de travail à durée indéterminée précisant qu’il serait embauché comme « gérant technique » par la société ….

Par jugement du 19 novembre 2018 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, la société … fut déclarée en état de faillite.

A la même date, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg sa déclaration de créance définitive dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif privilégié d’une créance salariale à hauteur de …- euros du chef d’arriérés de salaire. Lors de l’audience de vérification des créances du 11 janvier 2019, le curateur de la société …, ensemble avec le juge commissaire, admirent la créance de Monsieur … pour un montant de …- euros au passif super-privilégié de la société faillie.

Par décision du 2 septembre 2019, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement « l’ADEM », informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :

« (…) Faisant suite à votre déclaration de créance dans l’affaire émargée, je me permets de vous informer que l’instruction de votre dossier a révélé que vous occupiez au sein de la société … la fonction de gérant technique, alors que « la société est engagée en toutes circonstances par la signature conjointe des deux gérants ».

En outre, il a été constaté que vous étiez titulaire des autorisations d’établissement délivrées par le Ministère de l’Economie et qu’elles n’étaient valables que si la gérance était assurée par vous.

Au vu des responsabilités et obligations qui découlent directement d’une telle autorisation, vous ne pouvez pas être considéré comme un travailleur salarié.

Ainsi, en tant que dirigeant, vous devez veiller à assurer personnellement et de manière effective la direction des affaires quotidiennes de la société. Vous devez signer ou contresigner tous les actes de gestion quotidienne engageant la société, ce que les statuts de la société et les décisions subséquentes des organes directeurs devraient nécessairement prévoir. Vous devez assumer la responsabilité d’éventuels manquements ayant mené ou contribué à mener la société à la liquidation judiciaire ou à la faillite.

De surcroît, selon votre contrat signé en date du 6 octobre 2017, vous occupiez la fonction de gérant technique de la société, de sorte que vous n’exerciez pas de fonction distincte et dissociable de celle découlant de votre mandat social.

Il s’ensuit que vous ne pouvez pas être considéré comme salarié ordinaire mais comme un dirigeant de la société, alors qu’un lien de subordination fait défaut.

S’y ajoute que la société faillie s’était engagée, dans le cadre d’une résiliation du contrat d’un commun accord en date du 8 novembre 2018, à vous verser le montant de …-€ équivalent à 11 mois de salaires.

Or, il semblerait que vous n’ayez jamais revendiqué un quelconque salaire auprès de votre employeur, ce qui pose question.

Partant, l’ADEM a de sérieux doutes quant au caractère réel de la relation de travail, d’autant plus du fait que vous étiez, avant la signature de votre contrat en date du 6 octobre 2017, gérant unique et associé-fondateur avec 100% des parts émises et que la faillite a été déclarée sur aveu par vous-même.

Compte tenu des motifs ci-avant énoncés, il en ressort que votre dossier revêt un caractère construit et que le contrat a été signé dans le seul but de pouvoir profiter des indemnités prévues par les dispositions de l’article L.125-1 du Code du Travail. Il existe dès lors une importante suspicion de fraude à votre encontre de sorte que je me réserve dès à présent le droit de porter plainte.

Dans ces conditions, une prise en charge de votre demande de remboursement par le Fonds pour l’emploi n’est pas possible. (…) ».

Par courrier du 29 novembre 2019, Monsieur …, introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, un recours gracieux auprès du directeur.

Par décision du 12 décembre 2019, le directeur confirma sa décision du 2 septembre 2019 au motif que le recours gracieux ne contiendrait pas d’éléments nouveaux.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du directeur du 12 décembre 2019 ayant confirmé la décision rendue en date du 2 septembre 2019 par le même directeur portant rejet de sa demande en paiement des sommes garanties par l’article L.

126-1 du Code du travail.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions déférées, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions directoriales du 2 septembre, respectivement du 12 décembre 2019, en expliquant qu’il aurait déposé une déclaration de créance d’un montant de …- euros dans le cadre de la faillite de la société … et que malgré le fait que la créance ait été acceptée par le curateur, le directeur l’aurait refusée.

En droit, Monsieur … fait valoir qu’en raison du fait que sa créance aurait été vérifiée et acceptée par le curateur de la société …, de sorte à avoir engendré la formation d’un contrat judiciaire entre lui et le curateur, ladite créance serait opposable à l’ADEM et qu’il serait fondé à se voir verser la somme de …- euros correspondant aux arriérés de salaires impayés réclamés par ses soins.

Il soutient ensuite qu’il serait, contrairement à l’affirmation du directeur, à considérer comme salarié de la société …, tout en rappelant qu’il aurait cédé l’ensemble des parts sociales à Monsieur …, qui aurait été gérant administratif et associé unique de la société … à partir du 6 octobre 2017. Monsieur … de son côté aurait occupé la seule fonction de gérant technique en tant que salarié, de sorte à se trouver dans un état de subordination par rapport à la société …. Le directeur resterait par ailleurs en défaut de rapporter la preuve du caractère fictif de son contrat de travail. La qualité de gérant technique ne serait pas incompatible avec celle de salarié de la société si, tel qu’en l’espèce, un lien de subordination existe. Monsieur … insiste sur le fait que son contrat de travail serait conclu pour une durée de travail de 20 heures par semaine et comprendrait une clause de non-concurrence, de sorte qu’il n’y aurait pas de doute sur l’existence d’un lien de subordination. Il n’aurait disposé depuis le 6 octobre 2017 de plus aucun pouvoir de signature individuelle pour engager la société, alors qu’en vertu des statuts de la société …, elle ne pourrait être engagée que par la signature conjointe des deux gérants. Le fait qu’il bénéficierait d’une autorisation d’établissement ne signifierait pas qu’il ne pourrait être considéré comme salarié. Il précise finalement que sa qualité de salarié aurait d’ores et déjà été reconnue tant par le curateur que par le juge-commissaire ayant admis sa créance au passif superprivilégié de la société ….

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en précisant plus particulièrement qu’étant donné que le contrat de travail de Monsieur … indiquerait le poste de gérant technique, ce dernier n’exercerait dans le cadre de son contrat de travail aucune fonction distincte et dissociable de celle découlant de son mandat social. Il insiste encore sur le fait que le demandeur aurait été titulaire des autorisations d’établissement délivrées par le ministère de l’Economie, qui n’auraient été valables que lorsque la gérance effective aurait été assurée par lui-

même. Il ne saurait dès lors être considéré comme salarié. Le délégué du gouvernement observe par ailleurs que Monsieur … aurait lui-même, en sa qualité de gérant technique, déclaré sur aveu la faillite de la société … et qu’il devrait être considéré comme un dirigeant effectif devant assurer personnellement et de manière effective la direction des affaires quotidiennes de la société. Il aurait pu bloquer toute décision du gérant administratif en vertu de son pouvoir de signature conjointe, de sorte à ne pas pouvoir être considéré comme étant sous l’autorité de Monsieur … L’ADEM disposerait d’un pouvoir de vérification des créances et ne serait pas tenue de procéder aveuglément au paiement de toute créance salariale admise au passif de la faillite par le curateur et vérifiée par le juge commissaire. Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que le demandeur et la société … auraient procédé à une résiliation d’un commun accord du contrat de travail les liant et que la société … se serait engagée dans ce contexte à verser la somme de …- euros, équivalent à 11 mois de salaire, de sorte qu’il semblerait que le demandeur n’aurait jamais revendiqué un quelconque salaire auprès de son employeur.

Dans son mémoire en réplique, Monsieur … rappelle en substance les mêmes développements contenus dans la requête introductive d’instance tout en insistant sur le fait que l’ADEM ne saurait méconnaître l’autorité de la chose jugée qui s’attacherait à la décision d’entériner le caractère privilégié de sa créance et en précisant qu’il aurait exercé des fonctions techniques distinctes de son mandat social qui ne se seraient pas inscrites dans le cadre de la gestion journalière d’un gérant technique et auraient relevé d’une tâche de salarié. Il verse à cet égard plusieurs attestations et certificats ainsi que des fiches de service d’entretien signées par des clients de la société …. Ces tâches auraient été effectuées sous la subordination du gérant administratif, qui lui aurait donné des instructions quant aux travaux à effectuer chez les divers clients de la société.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement reprend en substance les moyens développés dans son mémoire en réponse.

Aux termes de l’article L.126-1 du Code du travail :

« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.

(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe (2), aux créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.

(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes qui précèdent, sont considérées les créances de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.

(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.

(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.

Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.

Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2). (…) ».

Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

En ce qui concerne le moyen du demandeur relatif à l’autorité de la chose jugée en raison de l’acceptation de sa créance salariale par le curateur et le juge-commissaire à la faillite, il est certes exact que la décision de vérification du juge-commissaire des créances admises par le curateur en application de l’article 500 du Code de commerce, consignée au procès-verbal de vérification des créances, met la créance à l’abri de toute modification et empêche le créancier de demander ultérieurement un changement de la quotité ainsi fixée. La vérification des créances en cas de faillite ayant pour but de déterminer définitivement les droits respectifs des créanciers, il s’ensuit que l’admission pure et simple d’une créance, qu’elle ait eu lieu amiablement ou par autorité de justice, implique ou un contrat judicaire ou une décision équivalente par l’effet desquels cette créance est désormais à l’abri de toute contestation nouvelle tendant à l’anéantir, la réduire ou la modifier1.

Il n’en reste pas moins que l’autorité de la chose jugée dont se prévaut le demandeur est conditionnée en vertu de l’article 1351 du Code civil par la triple condition de l’identité d’objet, de cause et de personne2. Or, étant donné qu’en la présente affaire la partie étatique n’était pas représentée dans la procédure de faillite de la société …, la décision de vérification du juge commissaire ne saurait lui être opposée, et celle-ci peut contester ses effets dans une procédure ultérieure si elle n’a pas été partie ou représentée dans la procédure originaire3.

1 Cf. Cour d’appel 9 mars 1966, Pasicrisie 20, p. 83 et 3 janvier 1979, Pasicrisie 24, p. 275.

2 Trib. adm, 24 avril 2013, n° 30556 du rôle, Pas. adm., 2020, V° Procédure contentieuse, n° 941 et l’autre référence y citée.

3 Cf. Cass. 21 janvier 1999, Pasicirisie 31, p. 45 ; Trib. adm., 31 janvier 2007, n° 21562, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 4 et les autres références y citées.

Le moyen soulevant l’autorité de la chose jugée est dès lors à écarter pour être non fondé.

Dans ce contexte, force est encore au tribunal de conclure que l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier en premier lieu l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée4.

En effet, il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.

Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli, en vertu de l’article L.126-1, paragraphe (1), du Code du travail, disposant que ladite créance s’applique aux « créances résultant du contrat de travail ». Son application est dès lors plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination.

Le contrat de travail s’analyse notamment en une convention par laquelle une personne s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Dès lors, la subordination juridique constitue l’élément essentiel de tout contrat de travail, de sorte qu’il faut que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats5.

En cas de refus par l’ADEM du paiement d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l’Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l’examen, par le juge administratif, de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement6.

Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance pourtant acceptée par le curateur et le juge commissaire, de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. Il lui appartient plus précisément d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique, respectivement de la situation de fait qu’il allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à conclure, au regard des circonstances de l’espèce, à l’absence d’une relation de travail entre le demandeur et la société en question. Une fois cette preuve rapportée, il 4 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 21, et les autres références y citées.

5 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 9 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.

appartient, le cas échéant, au demandeur d’établir que, malgré la situation de fait ainsi démontrée et excluant, a priori, l’existence d’un contrat de travail, il se trouve néanmoins en réalité lié à la société par un contrat de travail correspondant à une convention réelle et sérieuse.

En l’espèce, il ressort du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire de la société … du 6 octobre 2017, tel que publié au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg le 9 octobre 2017, que Monsieur … a cédé ses 100 parts sociales de la société … à Monsieur … et qu’il a démissionné de son poste de gérant unique en étant nommé au poste de gérant technique de la société …. Il ressort de ce même procès-verbal que Monsieur … a été nommé au poste de gérant administratif.

Si, dès lors, le demandeur était effectivement gérant technique de la société … et ceci jusqu’au 19 novembre 2018, date à laquelle la société a été déclarée en état de faillite par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, il ressort du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire précité qu’il avait seulement un pouvoir de signature conjoint avec le gérant administratif de la société, de sorte que son pouvoir décisionnel était forcément dilué.

A cet égard, il y a lieu de souligner que si le cumul dans une même personne du mandat de gérant d’une société à responsabilité limitée et de la qualité de salarié n’est pas prohibé, il n’en reste pas moins que le contrat de travail doit rester une convention réelle et sérieuse. Dans ce contexte, le tribunal est amené à retenir que n’est pas à considérer comme convention réelle et sérieuse, le contrat de travail simulé dans le but unique de bénéficier des avantages inhérents à un tel contrat. Au-delà de ce que le contrat de travail doit correspondre à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat, la subordination doit trouver sa véritable expression juridique dans les prérogatives de l’employeur envers le salarié, à savoir dans l’exercice d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction à l’égard du salarié7.

Il n’est pas contesté en cause que Monsieur … a été le détenteur de l’autorisation d’établissement délivrée par le ministère des Classes moyennes du 19 janvier 2017 au 19 novembre 2018.

A cet égard, il échet de souligner que si le demandeur détenait l’autorisation d’établissement, autorisation ayant indubitablement mis le demandeur dans une position de force, il convient cependant de retenir que le simple fait qu’elle ait été octroyée à la société sous condition que le demandeur la dirige de manière effective n’est pas incompatible avec un statut de salarié, étant donné qu’une telle hypothèse est expressément prévue à l’article 4, point 3, de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, de sorte que cette circonstance n’est pas, à elle seule, de nature à exclure l’existence d’un lien de subordination.

Si Monsieur … détenait effectivement l’autorisation d’établissement et était l’un des gérants de la société …, il ressort toutefois des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur n’a pas détenu de parts sociales dans le capital de ladite société au cours de la 7 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Travail, n° 13 et les autres références y citées.

période couverte par son contrat de travail et qu’il ne pouvait engager la société que par la signature conjointe du gérant administratif.

En vertu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la situation juridique décrite par la partie étatique n’est dès lors pas telle à exclure ipso facto l’existence d’un lien de subordination, qui en présence d’un mandat social devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte.

Or, en l’espèce, le demandeur a, à suffisance, fourni des éléments permettant de conclure à l’existence d’une convention réelle et sérieuse, sans que la partie étatique n’ait soumis au tribunal des éléments permettant de mettre en doute l’existence d’un tel contrat de travail.

En effet, il ressort des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Monsieur … a signé en date du 6 octobre 2017 un contrat de travail à durée indéterminée. En vertu de ce contrat, le demandeur a été occupé en qualité de « gérant technique » de la société …. Plus précisément, il ressort des attestations testimoniales versées par le demandeur, qu’il aurait été chargé du dépannage des installations de chauffage ainsi que des installations sanitaires, de sorte à admettre qu’il exerçait une fonction technique distincte de celle de gérant.

S’agissant finalement de l’argument du délégué du gouvernement selon lequel le contrat de travail aurait été simulé en raison du fait que Monsieur … n’aurait pas touché de salaire pendant sa période d’occupation mais aurait procédé à une résiliation d’un commun accord de son contrat de travail à travers laquelle la société … s’était engagée à lui payer la somme de …-

euros correspondant à 13 mois de salaire, il échet de retenir que s’il est certain que la rémunération constitue un élément nécessaire du contrat de travail, le fait de ne pas toucher son salaire pendant une certaine période, ne permet pas non plus ipso facto de conclure à l’absence d’un contrat de travail8.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que c’est à tort que le directeur a dénié au demandeur l’existence d’un contrat de travail, alors que les faits mis en avant par la partie étatique ne sont pas de nature à établir à suffisance l’absence d’une relation de travail entre le demandeur et la société ….

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler la décision confirmative du 12 décembre 2019 déférée, ensemble avec la décision initiale du 2 septembre 2019, étant rappelé que le fait que le demandeur se soit borné à n’attaquer que la seule décision confirmative du 12 décembre 2019 ne porte pas à conséquence, dans la mesure où le fait de diriger un recours contentieux contre la seule décision confirmative, prise sur recours gracieux, entraîne nécessairement que le recours est également dirigé contre la décision initiale9.

La demande de Monsieur … tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure, au sens de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, d’un montant de …- euros est à rejeter, au motif que le demandeur ne 8 Trib. adm., 3 janvier 2018, n° 38819 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

9 Trib. adm., 13 avril 2016, n° 35531 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 249 et les autres références y citées.

prouve pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens à sa charge.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision du directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi du 12 décembre 2019, ainsi que la décision initiale du 2 septembre 2019 refusant de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … et renvoie le dossier devant ledit directeur en prosécution de cause ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de …- euros telle que formulée par Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 22 avril 2021 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 avril 2021 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44265
Date de la décision : 22/04/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-04-22;44265 ?

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