Tribunal administratif N° 45812 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2021 3e chambre Audience publique du 31 mars 2021 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 45812 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 2021 par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Arménie), de nationalité arménienne, actuellement retenu …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 mars 2021 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2021 ;
Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;
Vu l’information de Maître Eric SAYS du 29 mars 2021 suivant laquelle celui-ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique de ce jour.
Le 5 juillet 2012, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Une recherche dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait, auparavant, déposé quatre demandes de protection internationale, à savoir une en Slovaquie le 4 août 2010, une en Allemagne le 10 septembre 2010, une autre en Slovaquie le 8 mars 2012, et enfin encore une en Suisse le 14 mai 2012.
1Par décision du 3 octobre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », en se basant sur l’article 23, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 et en mettant en exergue que Monsieur … n’avait pas respecté son obligation de se présenter auprès du ministère considéra la demande de protection internationale de celui-ci comme implicitement retirée.
Il ressort du dossier administratif, et plus particulièrement d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg du …, que Monsieur … fut incarcéré pour vol simple.
Le 7 janvier 2019, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues allemands en vue de la reprise en charge de Monsieur …, demande qui fut refusée par ces derniers pour ne pas avoir été introduite sur base du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé « le règlement Dublin III ».
Le 18 janvier 2019, les autorités luxembourgeoises s’adressèrent de nouveau à leurs homologues allemands en vue de la prise en charge de Monsieur …, demande qui fut cette fois fondée sur l’article 18, paragraphe 1) point b) du règlement Dublin III. Cette demande fut refusée par les autorités allemandes en date du 28 janvier 2019.
Par décision du même jour, s’appuyant en droit sur les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 », le ministre prit une décision de retour à l’encontre de Monsieur …, tout en lui enjoignant de quitter le territoire, dès sa libération du Centre pénitentiaire, et ce à destination du pays dont il a la nationalité, ou de tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner, ladite décision comportant encore une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 5 ans.
Par courrier du 17 avril 2019 faisant suite à une demande d’informations leur adressée par les autorités luxembourgeoises le 21 mars 2019, sur base de l’article 34 du règlement Dublin III, les autorités slovaques informèrent ces dernières du fait que la Slovaquie ne serait pas responsable du traitement de la demande de protection internationale de Monsieur ….
Il ressort d’un acte d’écrou du 19 mai 2020 que suivant un jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 7 septembre 2018, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 9 mois pour avoir commis un vol à l’étalage et que suivant un arrêt de la Cour Supérieure de Justice de et à Luxembourg, il fut condamné à une peine d’emprisonnement de 24 mois pour infraction à la législation des stupéfiants.
Suite à une demande de renseignements portant sur la situation administrative de Monsieur … et adressée aux autorités allemandes via le Centre de coopération policière et douanière (CCPD) en date du 30 juillet 2020, il fut constaté que l’intéressé est recherché en Allemagne en vue d’une arrestation pour avoir commis plusieurs vols.
Il ressort d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg du …, qu’à cette même date, Monsieur … fut libéré dudit Centre pénitentiaire.
Le même jour, Monsieur … se fit notifier en mains propres, un arrêté de placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de cette même date. Ledit arrêté, pris en date du 4 mars 2021, est fondé sur les motifs suivants :
« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Vu ma décision de retour du 18 mars 2019 comportant une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans, lui notifiée le 20 mars 2019 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 4 mars 2021 ordonnant son placement en rétention pour une durée d’un mois.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, et après avoir exposé les faits et rétroactes à la base de la décision de placement en rétention litigieuse, Monsieur … conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant tout risque de fuite dans son chef. Il fait plus particulièrement valoir qu’il souhaiterait volontairement retourner en Allemagne, alors qu’il y résiderait depuis 2012 avec son épouse et son enfant, enfant qu’il aurait reconnu en date du 20 août 2012. Il ajoute qu’il disposerait d’une carte de la Caisse de maladie allemande.
En affirmant encore que ni le manque de diligences du ministre ni l’absence de vols ne saurait justifier son placement en rétention, le demandeur conclut à sa mise en liberté immédiate.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure 3 fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé.
Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Force est de constater que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, ayant notamment fait l’objet, en date du 18 mars 2019, d’une décision de retour assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 5 ans à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’Espace Schengen, décision qui n’a pas fait l’objet d’un quelconque recours contentieux, de sorte à être coulée en force de chose décidée, qu’il n’est en possession ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail, et qu’il ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement, étant relevé que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments probants permettant de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il souhaiterait retourner en Allemagne, alors que d’une part, cette volonté affichée de quitter le territoire luxembourgeois est de nature à conforter l’existence d’un risque de fuite dans son chef, et que d’autre part, il ressort du dossier administratif et plus particulièrement de la réponse à la demande de renseignements portant sur la situation administrative de Monsieur … et adressée aux autorités allemandes via le CCPD que celui-ci est recherché en Allemagne en vue d’une arrestation pour avoir commis plusieurs vols, ce qui laisse non seulement douter que celui-ci soit disposé à retourner volontairement en Allemagne, mais qui prouve, par ailleurs, qu’il ne dispose pas d’adresse officielle dans ce même pays. A cela s’ajoute, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, que le demandeur est en défaut de verser une quelconque pièce de laquelle il résulterait qu’il serait en contact régulier, voire même occasionnel, avec sa femme ou son enfant, étant encore précisé à cet égard, qu’il découle d’un courrier du « Rathaus Jugendamt » de la « Stadtverwaltung Trier » lui adressé en date du 23 mars 2017 qu’il n’a pas la garde de l’enfant, mais que c’est la mère qui en a la garde exclusive.
Quant à l’affirmation non autrement circonstanciée qu’il disposerait d’une carte de la Caisse de maladie allemande, celle-ci est à rejeter pour défaut de pertinence, alors que ladite carte a expiré depuis le 31 mars 2019.
Au vu de ces considérations, le moyen fondé sur une absence de risque de fuite encourt dès lors le rejet pour ne pas être fondé.
S’agissant ensuite des diligences concrètement entreprises par le ministre en vue de l’identification et de l’éloignement du demandeur, force est au tribunal de constater que dès le lendemain de son placement en rétention, les services ministériels se sont adressés au service d’encadrement psychosocial du Centre de rétention, ci-après désigné par « le SEPS », en vue de se voir communiquer, le cas échéant une copie de la carte d’identité de Monsieur …, demande qui fut basée sur la considération que l’intéressé avait déclaré avoir un enfant en Allemagne, enfant pour lequel il aurait fait une reconnaissance de paternité. Il ressort également du dossier administratif que le 12 mars 2021, le SEPS a informé les services ministériels que les seuls documents dont Monsieur … était en possession étaient une copie de l’acte de reconnaissance de paternité et le prédit courrier des autorités allemandes du 23 mars 2017 précisant que la garde exclusive de l’enfant appartient à la mère de celui-ci. Il se dégage ensuite du dossier administratif qu’en date du 15 mars 2021, les autorités ministérielles luxembourgeoises se sont adressées à l’Ambassade de la République d’Arménie, située à Bruxelles, en vue de l’identification du demandeur et de la réadmission de celui-ci. Par courrier électronique du 16 mars 2021, les autorités arméniennes ont informé les autorités luxembourgeoises que la prédite demande devrait être introduite via un nouveau système électronique. Il ressort encore des explications non contestées du délégué du gouvernement qu’à ce jour, les autorités ministérielles restent en attente d’une réponse de la part de leurs homologues arméniens en ce qui concerne la communication d’une date pour procéder à l’entretien d’identification du demandeur.
Au vu des démarches déployées concrètement par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire de la collaboration et de l’efficacité des autoritésarméniennes, le tribunal est amené à retenir que les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme suffisantes et que les contestations y relatives sont à rejeter.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mars 2021 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mars 2021 Le greffier du tribunal administratif 6