Tribunal administratif N° 45587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2021 1re chambre Audience publique du 31 mars 2021 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 45587 du rôle et déposée le 2 février 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. Hellal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bande de Gaza), actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 janvier 2021 de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2021 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nour E. Hellal et Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2021.
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Le 12 octobre 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée-police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, ainsi que sur base de la comparaison des empreintes digitales de Monsieur … dans la base de données EURODAC et dans les fichiers SIS, qu’il avait franchi irrégulièrement la frontière italienne où ses empruntes avaient été prises le 27 août 2020 et qu’il est signalé en Italie pour refus d’entrée sur le territoire.
Toujours le même jour, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale 1 en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
En date du 14 octobre 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes aux fins de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif qu’il avait franchi irrégulièrement la frontière italienne depuis moins de douze mois.
Le 21 octobre 2020, Monsieur … fut assigné à résidence dans la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.
En date du 16 décembre 2020, les autorités luxembourgeoises s’adressèrent aux autorités italiennes pour constater qu’en application de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III, l’Italie était considérée comme ayant tacitement accepté la prise en charge de Monsieur … à la date du 15 décembre 2020.
Par un courrier électronique du même jour, les autorités italiennes répondirent pour confirmer que le transfert pourrait être organisé vers l’aéroport de Fiumicino à Rome.
Par arrêté du 20 janvier 2021, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prorogea l’assignation à résidence de Monsieur … à la SHUK pour une nouvelle durée de trois mois.
Par décision du 21 janvier 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Italie, sur base des dispositions des articles 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et 13, paragraphe (1), et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III.
Ladite décision est libellée comme suit :
« […] En mains le rapport de Police Judiciaire du 12 octobre 2020 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 12 octobre 2020.
1.
Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 12 octobre 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 26 août 2020.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 12 octobre 2020.
Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 14 octobre 2020 2 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 15 décembre 2020 sur base de l'article 22 (7) du règlement précité.
2.
Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.
La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.
En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).
Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.
3.
Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 12 octobre 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 26 août 2020.
3 Selon vos déclarations, vous auriez quitté les Territoires palestiniens occupés en date du 2 octobre 2019 en direction de l'Egypte où vous auriez pris un avion vers Istanbul. Après cinq mois et demi, vous auriez quitté la Turquie par voie maritime en direction de l'Italie, mais vous auriez été sauvé en mer par l'armée grecque. Vous auriez vécu à Athènes pendant cinq mois sans introduire une demande de protection internationale parce que la Grèce n'aurait pas été la destination de votre choix. Vous auriez continué votre voyage en bateau vers l'Italie et vous y seriez resté pendant 37 jours. Ensuite vous auriez traversé la Suisse, l'Autriche et l'Allemagne en voiture et vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 11 octobre 2020.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 12 octobre 2020, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement, des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.
Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles 4 seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.
torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.
Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. […] ».
5 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2021, inscrite sous le numéro 45587 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 21 janvier 2021.
L’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant un recours en annulation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation qui est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été déposé dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes repris ci-avant, le demandeur explique être médecin de formation et être apatride, issu de la diaspora palestinienne en provenance de la Bande de Gaza, contrôlée par l'armée israélienne, où les conditions de vie seraient inhumaines et qui se serait transformée en un ghetto.
Le demandeur passe ensuite en revue les évènements politiques et géopolitiques dans la Bande de Gaza depuis 2007 jusqu’en 2018 et fait état des difficultés sur le plan sanitaire dans cette zone. Ce serait cette situation que le demandeur qualifie d’enfer, qu’il aurait fuie.
Le demandeur expose ensuite être titulaire d’une carte délivrée par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche -
Orient (UNRWA), organisme dont il explique ensuite les fonctions et dont le Luxembourg serait un partenaire et un donateur important.
Il souligne encore qu’il aurait saisi le ministre sur le fondement de l'article 17 du règlement Dublin III d’une demande d’examiner sa demande de protection internationale, et qu’il aurait offert en même temps d'apporter son aide dans le contexte de la crise sanitaire, sans que le ministre n’ait répondu à cette demande.
Sans contester avoir franchi illégalement la frontière italienne au niveau de la Ville de Crotone en Calabre, le demandeur fait valoir qu’il n’aurait pas eu d’autre choix, puisqu’il aurait gagné les côtes italiennes de Crotone sur une petite embarcation, qui aurait été sur le point de couler, de sorte que les gardes-côtes et carabiniers italiens seraient intervenus pour les secourir.
Le demandeur décrit ensuite les conditions d’accueil en Italie à son arrivée, en précisant qu’il aurait immédiatement été conduit au poste frontière avec les autres personnes à bord, après que tous ses effets personnels, dont son téléphone, lui aient été confisqués.
Il aurait été auditionné brièvement, ses empreintes digitales auraient été relevées, et il aurait été conduit en zone de rétention. Le demandeur insiste sur la considération qu’il aurait été placé en rétention administrative dans des conditions sanitaires désastreuses. Il aurait constaté sur place que les autorités italiennes n'auraient pas été en mesure de lui offrir un logement décent s’il y avait déposé une demande de protection internationale. En sa qualité de médecin, il aurait été choqué par le peu de mesures sanitaires prises, surtout dans le contexte de la crise internationale liée à la propagation des souches du COVID-19.
Il aurait encore constaté de lui-même que les demandeurs de protection internationale en Italie vivraient en errance dans la rue.
6 Le demandeur conclut qu’il aurait fui des conditions d'existence difficiles dans la Bande de Gaza, alors qu'il n'aurait pas été en mesure d’y vivre de façon décente, pour finalement se retrouver en Italie, pays qui l’aurait immédiatement placé en rétention et ne lui aurait pas offert des conditions de vie humaines, bien qu’il estime que, compte tenu de ses explications sur sa situation en Bande de Gaza, il serait à considérer comme une personne vulnérable. Ces conditions d’accueil et la façon dont l’Italie traiterait les demandeurs d'asile expliqueraient qu’il n’avait pas souhaité demander la protection internationale en Italie.
Le demandeur souligne que les informations dont il dispose seraient récentes puisque beaucoup de médias sérieux rapporteraient de la région calabraise, et plus particulièrement de Crotone, où il serait arrivé sur le territoire italien.
En droit, le demandeur explique que les autorités italiennes lui auraient signifié un ordre de quitter le territoire en date du 30 septembre 2020 sous peine d’une lourde amende et en conclut que l'article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 ne pourrait pas lui être appliqué. En effet, d’après lui, cet ordre de quitter le territoire ne serait pas compatible avec une décision implicite de prise ou reprise en charge, puisqu’il ne pourrait valablement être transféré vers un Etat lui ayant signifié un ordre de quitter le territoire qui préciserait sans aucun doute que s’il retournait sur le territoire italien, et à moins de se trouver situation de détention préventive, il serait possible de procéder à l'adoption d'une nouvelle mesure d'expulsion pour violation de l'ordre de quitter le territoire.
La décision attaquée encourrait dès lors l’annulation, alors que l’ordre de quitter le territoire italien serait en conflit avec une décision implicite de reprise ou prise en charge de sa demande de protection internationale sur le fondement du règlement Dublin III.
Le demandeur se prévaut ensuite de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, en reprochant au ministre de le transférer en Italie en pleine pandémie mondiale, sans se préoccuper de ses conditions de retour et surtout de subsistance.
La décision attaquée induirait son transfert vers l'Italie, un Etat qui se serait fait remarquer sur la scène européenne pour son non-respect des garanties, mêmes minimales, en matière de demandes d'asile.
Le demandeur poursuit que la région italienne de Calabre, et la Ville de Crotone accueilleraient les demandeurs d'asile dans de très mauvaises conditions, ce qui serait de notoriété publique et serait repris régulièrement par les médias.
Par ailleurs, dans la région de Calabre, un décret anti-immigration de Matteo Salvini, adopté le 28 novembre 2018, aurait été rapidement appliqué, provoquant l'expulsion du centre d'accueil dans cette région de nombreux demandeurs d'asile, à la demande de la préfecture de Crotone.
Le demandeur affirme encore que les demandeurs d'asile n’y bénéficieraient pas d'un droit au logement conformément au décret-loi, tout en soulignant que ce texte serait toujours en vigueur actuellement, même après le départ du pouvoir de Monsieur Matteo Salvini.
La ville de Crotone se distinguerait par ses capacités limitées en matière de 7 demande d'asile. D’ailleurs, ce serait en raison de cette faiblesse structurelle que 60 demandeurs d'asile auraient quitté l'Italie le 16 octobre 2020 pour l'Allemagne grâce à une opération menée par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) en coopération et avec le soutien du Ministère italien de l'Intérieur, de la Commission européenne et du gouvernement allemand. Le demandeur reprend ensuite le contenu d’une publication de l’OIM parue le 16 octobre 2020 expliquant que ces demandeurs d'asile auraient été accueillis dans plusieurs centres d'accueil dans les régions italiennes du Latium, de la Calabre et de la Sicile et que le groupe concerné aurait quitté Crotone et serait arrivé en toute sécurité à Hanovre, d'où les intéressés auraient rejoint plusieurs lieux d'hébergement en Allemagne. Cette dernière réinstallation ferait partie de plusieurs opérations organisées les semaines précédentes.
Ainsi, depuis septembre 2020, quelque 124 demandeurs d'asile auraient été déplacés d'Italie vers d'autres Etats membres de l'Union européenne, dont 59 vers la France, 49 vers l'Allemagne, 12 vers le Portugal et 4 vers la Finlande.
Le demandeur estime qu’il conviendrait ainsi admettre que la région italienne où il devrait être transféré, n'aurait pas la capacité structurelle pour l'accueillir.
Il déclare ainsi craindre de devoir vivre dans la rue en cas de transfert vers l'Italie, situation qui serait à considérer comme un traitement inhumain et dégradant, alors qu’il souffrirait de problèmes de santé.
En troisième lieu, le demandeur se prévaut de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III, dispositions dont il aurait demandé à bénéficier le 9 novembre 2020, sans que le ministre n’y ait répondu.
Le demandeur fait valoir qu’en dépit de ce que l’application de l'article 17 du règlement Dublin III relèverait d’un pouvoir discrétionnaire, celui-ci devrait, dans sa globalité, être soumis à un régime juridique garantissant un certain degré de transparence et de légalité pour les administrés.
Ce serait d'ailleurs selon ce postulat que suivant une jurisprudence du tribunal administratif, en présence d'éléments avérés et dûment circonstanciés attenant à la vie privée d'une personne, que l'autorité administrative devrait faire application des dispositions de l'article 17, précité.
Le demandeur estime dès lors que le ministre avant de prendre la décision litigieuse, aurait dû répondre à sa demande de bénéficier de l'article 17 du règlement Dublin III.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en 8 charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Aux termes de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, sur lequel la décision est en outre fondée : « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».
En l’espèce, force est de constater que la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur aurait franchi irrégulièrement la frontière italienne et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont tacitement accepté, conformément à l’article 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III, aux termes duquel : « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée », de prendre en charge le demandeur.
Dans la mesure où, d’une part, le demandeur est en aveu d’avoir franchi irrégulièrement la frontière italienne et que, d’autre part, les autorités italiennes ont tacitement accepté en date du 15 décembre 2020 de le prendre en charge suite à la demande leur adressée par les autorités luxembourgeoises sur le fondement des articles 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, et qu’elles ont, par ailleurs, par courrier électronique du 16 décembre 2020 donné leur accord pour l’organisation matérielle du transfert du demandeur vers l’Italie via l’aéroport Fiumicino à Rome, c’est a priori à bon droit que le ministre a constaté que l’Italie était à considérer comme responsable pour traiter la demande de protection internationale de Monsieur … qu’il a décidé de le transférer vers ce pays, étant relevé que le demandeur ne conteste d’ailleurs pas la compétence de principe des autorités italiennes, respectivement l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais reproche au ministre d’avoir décidé de son transfert en Italie (i) malgré l’existence d’un ordre de quitter le territoire en Italie, (ii) en violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, et (iii) sans avoir fait application de l’article 17 du même règlement.
C’est toutefois de prime abord à tort que le demandeur conclut à l’annulation de la décision de transfert au motif que la décision attaquée reposerait sur un accord tacite de prise en charge des autorités italiennes qui serait en contradiction avec un ordre de quitter le territoire émis par les mêmes autorités le 30 septembre 2020.
9 En effet, les mécanismes du règlement Dublin III, lequel les Etats membres, et plus particulièrement l’Italie, sont tenus de respecter, ne sauraient être tenus en échec par un ordre de quitter le territoire émis à un moment où le demandeur s’est trouvé en séjour irrégulier en Italie et avant qu’il n’ait déposé une demande de protection internationale, étant relevé que l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, déterminant la responsabilité d’un Etat membre pour examiner une demande de protection internationale, vise justement l’hypothèse d’un demandeur de protection internationale ayant précédemment franchi irrégulièrement la frontière d’un autre Etat membre sans y avoir introduit de demande de protection internationale et qui de la sorte s’y trouvait en séjour irrégulier.
Au-delà de ce constat, le tribunal relève que s’il est encore vrai que la décision du ministre repose sur un accord tacite des autorités italiennes découlant de l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III à défaut de réponse endéans les deux mois de la demande de prise ou de reprise en charge, le demandeur n’est en tout état de cause pas fondé à mettre en doute, à partir du silence des autorités italiennes, leur volonté de respecter les dispositions du règlement Dublin III, en ce que celles-ci exécuteraient, d’après lui, un ordre de quitter le territoire sans examiner sa demande de protection internationale et sans qu’il n’ait des possibilités de recours en Italie à cet égard. En effet, les doutes émis par le demandeur sont dissipés par le fait que les autorités italiennes, certes en indiquant que le demandeur avait fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire le 30 septembre 2020, ont précisé les modalités concrètes de l’exécution du transfert à travers des courriers électroniques des 16 décembre 2020 et 23 février 2021, ayant indiqué d’organiser le transfert vers l’aéroport Fiumicino à Rome et ayant précisé des journées possibles d’un transfert compte tenu de contraintes organisationnelles pour éviter la création de foules à l’aéroport.
Le premier moyen d’annulation, fondé sur l’existence d’un ordre de quitter le territoire italien est dès lors rejeté.
S’agissant ensuite du moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, celui-ci dispose que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».
Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte » - similaire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie.
10 La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé.
A cet égard, il convient de souligner que l’Italie est tenue, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, ainsi que des dispositions de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping», l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, le tribunal précise qu’il se dégage d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 19 mars 20191 que pour relever de l’article 4 de la Charte, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine2.
1 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 91.
2 Ibid., point 92.
11 Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant3, le seul fait que les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’étant ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.
Le demandeur remettant en question la présomption du respect par les autorités italiennes de ses droits fondamentaux tels que consacrés aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, puisqu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants en Italie, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.
A cet égard, le tribunal relève de prime abord que si dans sa requête introductive d’instance, le demandeur fait état de son état de santé (sans d’ailleurs le spécifier) pour conclure à une vulnérabilité particulière qui impacterait sur l’appréciation du moyen fondé sur l’existence de défaillances systémiques en Italie, le constat s’impose que, d’une part, le demandeur n’a ni devant la police judiciaire, ni lors de son entretien Dublin III fait état de problèmes de santé, et, d’autre part, le seul certificat médical du 26 septembre 2019 versé par lui fait état d’une intervention dentaire à la suite de coups violents que le demandeur aurait reçus, sans qu’il ne se dégage des éléments du dossier que le demandeur ait encore actuellement des problèmes de santé en relation avec cette intervention. Il s’ensuit qu’aucun reproche ne saurait être fait au ministre pour ne pas avoir tenu compte d’un problème de santé dans le chef du demandeur ou pour ne pas l’avoir de ce fait considéré comme une personne particulièrement vulnérable.
Ceci étant relevé, le tribunal est amené à retenir qu’en l’espèce, l’existence de défaillances systémiques atteignant un seuil particulièrement élevé de gravité tel que retenu ci-
avant, ne résultent ni théoriquement, ni concrètement, des éléments soumis en cause.
En effet, outre le fait que les affirmations du demandeur selon lesquelles il existerait des défaillances systémiques dans le système d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie ne résultent nécessairement d’aucun élément de son vécu personnel, alors qu’au moment de son séjour en Italie, il n’avait justement pas la qualité de demandeur de protection internationale, force est encore de constater que les explications fournies par le demandeur sur lesquelles il appuie ses craintes sont insuffisantes pour retenir qu’il risquerait, en cas de transfert vers l’Italie afin que sa demande de protection internationale y soit traitée, des traitement inhumains et dégradants atteignant le seuil de gravité exigé par la CJUE en raisons de défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.
Si le demandeur critique les conditions de sa prise en charge à son arrivée en Italie en affirmant qu’il aurait vécu au centre de rétention dans des conditions sanitaires qu’il qualifie de désastreuses, sans d’ailleurs donner d’autres explications plus précises à cet égard, le tribunal rappelle que sa situation n’était pas celle d’un demandeur de protection internationale, 3 Ibid., point 93.
12 le demandeur admettant, en effet, avoir décidé de ne pas introduire une demande de protection internationale en Italie, de sorte que son vécu en tant que ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier en Italie ne saurait ipso facto, et à défaut de toute autre précision ou éléments de preuve, être transposé pour en déduire des conclusions quant aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale. Par ailleurs, le fait qu’il ait été placé dans un centre de rétention, alors qu’il se trouvait en séjour irrégulier en Italie n’est a priori pas critiquable en soi.
Pour le surplus, l’argumentation du demandeur sur le fondement de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, étant relevé que ses critiques portent essentiellement sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Italie, repose sur l’affirmation que l’Italie se serait fait remarquer sur la scène européenne pour un non-respect des garanties minimales en matière de demande d’asile, sur sa supposition que les autorités italiennes n’auraient pas été en mesure de lui offrir un logement décent s’il y avait déposé une demande de protection internationale lors de son séjour en Italie, l’affirmation qu’il aurait personnellement constaté que les demandeurs d’asile vivraient en errance dans la rue, la référence à une initiative de réinstallation de demandeurs d’asile en Italie vers divers autres pays européens et sur les « décrets Salvini » adoptés le 28 novembre 2018.
Or, le tribunal relève de prime abord que la référence aux « decrets Salvini » ne saurait utilement soutenir l’argumentation du demandeur, dans la mesure où il se dégage des explications de la partie étatique, sources à l’appui, que le 5 octobre 2020, le conseil des ministres italien a adopté une série de lois pour modifier ces deux décrets de l’ancien ministre de l’Intérieur, le décret-loi afférent, entré en vigueur le 22 octobre 2020 et applicable aux personnes transférées dans le cadre du règlement Dublin III, permettant à nouveau l’utilisation de centres d’accueil plus petits pour héberger les demandeurs d’asile.
Par ailleurs, la seule circonstance qu’un certain nombre de demandeurs de protection internationale ont quitté l’Italie dans le cadre d’un programme de réinstallation volontaire vers d’autres pays européens, - ce projet ayant été organisé comme « geste concret de solidarité européenne qui vise à répartir les demandeurs d’asile des pays d’arrivée vers les autres Etats membres de l’UE de manière sûre et légale »4 -, si elle témoigne du nombre croissant de demandeurs d’asile auquel l’Italie est confrontée en comparaison avec d’autres pays de l’Union européenne et des difficultés en résultant logiquement, elle ne permet toutefois pas de déduire ipso facto que l’Italie serait confrontée à des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.
Enfin, à défaut pour le demandeur d’avoir soumis au tribunal des articles de presse, des rapports internationaux ou tout autre document de nature à renverser la présomption selon laquelle l’Italie, en tant qu’Etat membre de l’Union européenne respecte les droits fondamentaux et de nature à y faire admettre l’existence de défaillances systémiques au sens du règlement Dublin III, les seules affirmations péremptoires du demandeur, qui reposent en substance sur des suppositions, qu’il serait fort probablement contraint de vivre dans la rue en cas de transfert en Italie, ne permettent pas de sous-tendre son moyen basé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III.
4 Publication de l’OIM invoquée par le demandeur.
13 S’il ne peut être nié que les autorités italiennes ont connu et connaissent toujours de sérieux problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui implique que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, aux soins et des conditions de vie en général, et que la situation régnant en Italie semble préoccupante, ce que le ministre admet d’ailleurs dans sa décision, il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis par le demandeur à l’appréciation du tribunal que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.
A cet égard, le tribunal relève encore que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
Le tribunal relève encore et uniquement afin d’être complet que le demandeur reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités italiennes responsables du traitement de sa demande de protection internationale, n’analyseraient pas correctement sa demande de protection internationale ou qu’il n’aurait pas d’accès à la justice de cet Etat pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec une éventuelle décision de rejet de sa demande de protection internationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments suffisamment convaincants permettant de retenir qu’en cas de retour en Italie, il encourt un risque de se voir confronté à une limitation de facto ou en vertu de dispositions légales ou réglementaires italiennes des conditions d’accueil qui seraient contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, de sorte que son moyen basé sur l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III entraînant une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est rejeté.
En ce qui concerne, enfin, le reproche fondé sur une non-application par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, celui-ci prévoit que : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un 14 ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
S’il est vrai que, lorsqu’en application des critères du règlement Dublin III, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres5. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge6, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée7, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.
Le tribunal retient de prime abord que le seul fait que le ministre n’a pas répondu à la demande du demandeur de voir appliquer l’article 17 du règlement Dublin III par une décision séparée suite à sa demande du 9 novembre 2020 n’est pas de nature à remettre en question la légalité de la décision du 21 janvier 2021, dans laquelle le ministre a, d’ailleurs, pris position également sur une potentielle application de l’article 17, précité.
Ensuite, dans la mesure où le demandeur se limite à faire état de manière théorique des conditions dans lesquelles le tribunal examine la décision du ministre sous l’angle de l’article 17 du règlement Dublin III et telles que retenues ci-avant, de l’entendement du tribunal, le demandeur entend en substance invoquer à l’appui de ce moyen les mêmes considérations que celles avancées à l’appui du moyen fondé sur une violation de l’article l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III.
Comme le tribunal vient de retenir dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III que le demandeur est resté en défaut d’établir de faire l’objet d’un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH en cas de transfert en Italie, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur, alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes, étant encore précisé, tel que retenu ci-avant, que le demandeur n’a pas justifié l’existence de 5 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
6 «Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives», in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.
7 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.
15 problèmes médicaux particuliers qui pourraient être pris en compte sous l’angle de l’article 17 du règlement Dublin III.
Le seul fait que le demandeur ait fait preuve de bonne volonté en proposant son expertise professionnelle dans le cadre de la lutte contre la pandémie due au Covid-19, si louable que cette initiative puisse être, ne constitue pas non plus un élément que le ministre aurait dû prendre en compte dans l’appréciation de l’article 17, précité, sous peine de la commission d’une erreur manifeste d’appréciation. Il en est de même de la qualité affirmée d’apatride provenant de la bande de Gaza et les conditions de vie y décrites par le demandeur, à supposer que le demandeur ait entendu invoquer ces considérations à l’appui de sa demande sur le fondement de l’article 17 du règlement Dublin III, le vécu d’un demandeur de protection internationale dans son pays d’origine qui est à la base de sa demande de protection internationale ne pouvant pas ipso facto être considéré comme un élément humanitaire ou exceptionnel que le ministre devrait en toute hypothèse prendre en compte sous l’angle de l’article 17, précité, sous peine de mettre en échec le mécanismes de détermination de compétence mis en place par le règlement Dublin III, ce récit étant en effet le propre de chaque demandeur de protection internationale.
Dans ces conditions, le constat fait par le ministre à travers la décision attaquée que le demandeur ne fait valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement Dublin III et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de sa demande de protection internationale n’est pas sujet à critique.
Le moyen relatif à la violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III est dès lors également à rejeter pour être non fondé.
Partant, il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mars 2021 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Annick Braun 16 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mars 2021 Le greffier du tribunal administratif 17